8. Psychopathologie en milieu carcéral

Chapitre 8. Psychopathologie en milieu carcéral

« Un espace hors temps, hors tout »

Pierre-Paul Costantini









Espoirs anéantis, amour mis en pièce. Comment tout ce contre quoi on m’avait mis en garde est arrivé (McCarthy, 1991). »

Perdu dans son monde, perdu dans ce qu’il croyait être son histoire, Benoît témoigne du fait qu’il est complexe de parler de la prison et de dire la difficulté d’y être. Attentif à cette problématique, nous conduirons notre propos selon 3 axes :




• penser la prison dans son histoire ;


• les soins psychiatriques en prison : ses difficultés, ses impasses ;


• le psychologue au sein de ce temps et de cet espace carcéral accompagne des sujets que l’acte a rendus étranger à eux-mêmes.


8.1. Penser la prison



8.1.1. Un temps, un lieu, une scène




8.1.1.1. Un temps







La prison au sens moderne du terme apparaît à la Révolution française (Petit, 2002). »

Née des idées et des utopies du temps, elle porte aussi les contradictions d’un temps qui se cherche et qui tente de conjuguer ses espoirs à l’aune de ses principes. En effet, si la prison n’est pas nouvelle en soi, l’enfermement, la privation de liberté l’ont depuis longtemps précédée. Elle apparaît dans cette fin de XVIIIe siècle, comme une idée nouvelle, qui veut aller à l’encontre des supplices et des injustices de l’Ancien Régime. Fondée comme une pénalité humaine et correctrice, la prison constitue aussi l’élément central dans le dispositif du maintien de l’ordre social.

Témoins des injustices de l’Ancien Régime, les parlementaires aspirent à faire reconnaître, dans ces temps nouveaux une nouvelle réalité de la justice. Nourris des idées des philosophes des Lumières et guidés par l’essai de Beccarria « Traités des délits et des peines » (Beccarria, 1991), qui va inspirer les réformes, la prison ne peut se penser en dehors d’un projet légaliste et trouver sa légitimité dans ces principes directeurs, éclairée par les fondements de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les principes de la réforme de la privation de liberté devaient s’inscrirent en droit.


8.1.1.2. Un lieu


Si la lettre de cachet est abolie, la figure des lieux d’incarcération devait aussi accompagner l’élan réformateur. Si le code se transformait, les lieux d’accueil devaient promouvoir cet élan réformateur. Les nouvelles peines privatives de liberté devaient être subies dans de nouveaux établissements.

À la fin du XVIIIe siècle, les architectes qui s’intéressent à la construction de nouvelles prisons ne connaissent pas le plan panoptique proposé par Jérémy Bentham, qui avait imaginé qu’en occupant une position centrale, et à l’aide d’un astucieux système de persiennes, le surveillant avait ainsi la faculté de voir d’un simple coup d’œil tout ce qui s’y passe sans être vu. C’est la potentialité du contrôle et son omniprésence, plus que son effectivité, qui agit sur les consciences et modifie les comportements. A contrario, l’imagerie populaire désigne, par la dimension terrifiante de la prison, le lieu où est contenue l’horreur des actes répréhensibles des prisonniers, la froideur du lieu doit dissuader le peuple, par la peur d’enfreindre l’ordre et la loi. L’exemplarité de la peine doit se voir afin que la peine de détention soit redoutée.

Le panoptiquepanoptique de Jérémy Bentham devient la figure architecturale de cette composition.





À la périphérie, un bâtiment en anneau ; au centre, une tour ; celle-ci est percée de larges fenêtres qui ouvrent sur la face intérieure de l’anneau ; le bâtiment périphérique est divisé en cellules, dont chacune traverse toute l’épaisseur du bâtiment ; elles ont deux fenêtres, l’une vers l’intérieur, correspondant aux fenêtres de la tour ; l’autre, donnant sur l’extérieur, permet à la lumière de traverser la cellule de part en part. Il suffit alors de placer un surveillant dans la tour centrale, et dans chaque cellule d’enfermer un fou, un malade, un condamné, un ouvrier ou un élève (Foucault, 1977). »


8.1.1.2.1. De la sanction à l’orthopédie de la réinsertion


Dans ce contexte, cette population devra être soumise à une discipline qui aura pour vocation non seulement de punir, mais aussi d’éviter la récidive. C’est ce que semble évoquer Barbé-Marbois lorsqu’il affirme :


Michel Foucault (Foucault, 1976) trouvera dans cette sentence la maxime de l’orthopédie carcérale. L’emprisonnement doit être un mécanisme différencié et finalisé. Différencié puisqu’il ne doit pas avoir la même forme, selon qu’il s’agit d’un prévenu ou d’un condamné, d’un correctionnaire ou d’un criminel. Les différents lieux d’emprisonnement doivent correspondre en principe à cet ordonnancement. Ils doivent assurer un châtiment non seulement gradué en intensité, mais diversifié dans ses buts. La prison a une fin :





La loi infligeant des peines plus graves les unes que les autres ne peut pas se permettre que l’individu condamné à des peines légères se trouve enfermé dans le même local que le criminel condamné à des peines plus graves ; … si la peine infligée par la loi a pour but principal la réparation du crime, elle veut aussi l’amendement du coupable. (Foucault, 1976) »

La prison devient le siège de ces transformations, effets internes de l’orthopédie carcérale.


8.1.1.3. Une scène


Comme le rappelle Pierre Darmon, c’est à l’Exposition universelle internationale de 1889 à Paris que l’on a pu voir des salles consacrées à l’anthropologie criminelle. Les murs étaient couverts de cartes et de diagrammes relatifs à la criminalité, des photographies de brigands, de fous, de meurtriers et d’assassins, de caricatures d’aliénés exécutés par un épileptique, de peaux tannées d’assassins tatoués et de graphiques résumant les observations anthropométriques recueillies par le professeur Ferri sur 699 criminels, 301 aliénés et 711 soldats. Contre toute attente, cette exposition rencontre un grand succès. À la même époque est fondée à Paris la Société d’autopsie qui a pour vocation de faciliter l’étude du cerveau, considéré comme l’organe de la fonction intellectuelle. L’hypothèse qui y est soutenue est qu’il faut considérer qu’il existe une relation intime entre la structure du cerveau et ses fonctions. La psychologie scientifique considère que l’on ne pourra faire des progrès dans ce domaine que si l’on considère le rapport qui existe entre les actes des criminels et le cerveau. C’est l’époque des mesures et des résultats statistiques. Un nom domine cette période, Césare Lombroso. Ce médecin, né à Vienne en 1836, titulaire de la chaire de médecine légale à la faculté de Turin, publie en 1876 « L’Uomo delinquente ». Dans son ouvrage, il définit l’acte criminel dans sa dimension universelle, expose ses recherches en anatomie pathologique et anthropométrique du crime et aboutit à une typologie des criminels. De nombreux médecins avaient tenté d’établir les différences anatomiques, physiologiques, psychologiques ou sociales entre les individus « honnêtes » et les délinquants. Sur le plan théorique, Lombroso affirma dans un premier temps que les criminels étaient assimilables à des sauvages attardés, puis il ajouta à cette tare une constitution épileptique et une dégénérescence. Lombroso fonde ses hypothèses sur l’observation de l’anatomie de centaines de crânes et de milliers de criminels. Il distingue les criminels nés considérés comme irrécupérables (une sorte d’erreur de la nature qui doit disparaître) et les criminels par passion, criminels occasionnels qui ne présentent pas de ce fait une grande dangerosité.

Concernant les criminels nés, Lombroso avait cru pouvoir distinguer plusieurs stigmates comme la taille du front, du nez, la mâchoire inférieure, la puberté précoce… Poursuivant ses recherches en maisons de correction, il expose les stigmates de la criminalité chez les jeunes enfants : oreilles à anse, crânes aplatis, fronts fuyants, pommettes saillantes, mâchoires proéminentes, strabisme, physionomie débile, bouches déformées, asymétries faciales, physionomie de crétin, nez de travers. Il décrit aussi la sensibilité physique de l’homme criminel, son psychisme, sa sexualité, son degré d’instruction, ses tendances aux crises d’épilepsie. Peu à peu, il décrit le criminel né comme un sous-produit de l’atavisme et de la dégénérescence, celui en qui se rencontre le plus grand nombre de tares physiques.

Bien sûr, un contre-courant apparaîtra rapidement pour dénoncer vigoureusement le discours « scientifique » de Lombroso. Son principal opposant en France sera le Professeur Lacassagne, titulaire de la chaire de médecine légale à la faculté de Lyon. Il sera le fondateur en 1885, des archives d’anthropologie criminelle et de médecine légale.


Des aliénistes, tel le professeur Lacassagne, vont donner aux détenus le pouvoir d’écrire et de transmettre, ce qui sournoisement les ronge. « Cette attitude n’est pas nouvelle » précise Artières dans sa préface des Vies coupables (Artières, 2001, 12). « On ne peut comprendre autrement l’expérience du Livre des vies coupables que comme relevant de cette folle ambition : percer le mystère de ce personnage en constituant une sorte d’encyclopédie vivante du crime. » (Artières, 2001).



Mais, au-delà des descriptions et commentaires, c’est aussi une manière de localiser l’horreur, de tenter de circonscrire ce qui fait énigme et d’analyser cet acte que fuit toute raison.


8.1.2. Une lecture sur le crime


Michel Foucault (1975, 9) dans son essai, commence son analyse en mettant en parallèle un supplice celui de Damien, condamné en 1757 à faire amende honorable devant la principale porte de l’Église de Paris et un règlement rédigé par Léon Faucher, pour la « Maison des jeunes détenus à Paris » où l’on peut lire que les détenus partagent leur temps entre les ateliers et l’école, cette journée se concluant par la fermeture des cellules où les surveillants font la ronde dans les corridors pour « s’assurer de l’ordre et du silence ». Certes, ils ne sanctionnent pas le même crime et ne punissent pas les mêmes genres de délinquants, mais selon l’auteur, c’est la disparition du supplice qui témoigne d’une modification importante, celle où le corps a disparu comme cible majeure de la répression pénale. « Le cérémonial de la peine tend à entrer dans l’ombre, pour ne plus être qu’un nouvel acte de procédure ou d’administration… La punition a cessé peu à peu d’être une scène ». Tout le spectacle, avec son cortège d’horreur et sans doute de jouissance, a disparu, se trouvant affecté d’un indice négatif, « comme si les fonctions de la cérémonie pénale cessaient, progressivement d’être comprises, on soupçonne ce rite qui “concluait” le crime d’entretenir avec lui de louches parentés : de l’égaler, sinon de le dépasser en sauvagerie, d’accoutumer les spectateurs à une férocité dont on voulait les détourner, de leur montrer la fréquence des crimes, de faire ressembler le bourreau au criminel » (Foucault, 1975, 14). Dès lors, la punition tendra à devenir la part la plus cachée du processus pénal. La délocalisation de la sentence vers et à l’intérieur des prisons supprime de la scène publique l’exhibition de l’exécution de la peine. Cette soustraction du regard laisse supposer que la scène de l’horreur, se dévoilant dans toute sa brutalité, livrait, dans cette mise en scène orchestrée, une jouissance fébrile face au châtiment public.


8.1.2.1. Du grand renfermement à l’hermétisme de la prison


Cette lecture du crime eut pour fonction de fermer d’autant plus les prisons. Ceci entraîna la réorganisation judiciaire et pénitentiaire, qui renforça d’autant plus le poids de la législation et de la réglementation. La liste des décrets et applications témoignait d’ailleurs de cette mainmise du législatif. Il s’agira tout d’abord de regrouper la population pénale en grosses unités. La prison disparaît ainsi du paysage quotidien, elle se ferme à tout personnel extérieur à l’institution. La prison se replie sur elle-même.


En 1949, l’intervention de la Croix-Rouge et de l’Entraide française est nécessaire. La lutte contre la tuberculose, principale cause de mortalité, est l’une des priorités. Outre la lutte contre la tuberculose, l’administration poursuit une politique de création d’établissements spécialisés. Un centre d’observation psychiatrique ouvre ses portes en 1950 à Château-Thierry, conçu tout d’abord comme un centre de tri permettant d’orienter les détenus dont l’État réclame leur transfert vers des établissements civils. Ces mesures n’aboutiront pas faute de moyens et de personnels, l’amélioration des conditions sanitaires des prisons ne pourra se faire sans le concours du ministère de la Santé publique. Il faudra attendre 1983 pour que l’ouverture se réalise à nouveau et permette l’entrée dans les maisons d’arrêt de Centre Médico-Psychologique.


8.2. Le soin en prison. Les annexes psychiatriques


Le problème des détenus « anormaux mentaux » est lancinant dans les établissements de détention. En 1946, une commission est chargée d’étudier la possibilité de faire fonctionner des annexes psychiatriques dans des établissements pénitentiaires. Il s’agit de permettre un dépistage des anormaux mentaux avant jugement. En 1951, 14 annexes fonctionnent normalement. Cependant, ce souci de l’amélioration des conditions de vie des détenus va avoir des répercussions dans la représentation que l’on pouvait avoir des conditions de détention. Même si l’adoucissement que l’on tente de faire entrer dans l’enceinte des prisons se heurte aux habitudes des personnels, progressivement, des aménagements vont se produire.



8.2.2. La psychiatrie en milieu pénitentiaire


Si depuis plus d’un siècle, les psychiatres rencontrent des détenus par le biais de la pratique expertalepratiqueexpertale, cette rencontre est strictement réglementée par l’article 122-1 du nouveau Code Pénal de 1992 (en remplacement de l’article 64 du C.P. de 1810). Il s’agit de se prononcer sur la responsabilité des prévenus à la demande des magistrats. Cependant, ce n’est qu’au cours de ces 30 dernières années qu’ont vraiment été aménagées les conditions à la réalisation d’une prévention et d’un traitement des troubles mentaux chez les détenus.

Ainsi, c’est en 1945 que la Charte de la Réforme Pénitentiaire de P. Amor préconise la mise en place dans chaque établissement pénitentiaire d’un service social et médico-psychologique afin « d’éclairer la justice par le dépistage et le traitement des délinquants mentalement anormaux ». Plus tard, la circulaire AP 67-16 du 30 septembre 1967 crée les Centres Médico-Psychologiques Régionaux (C.M.P.R.), nouvelle appellation des services et annexes psychiatriques. Pour la première fois, un texte législatif incite à un travail thérapeutique. Les C.M.P.R. doivent fournir une assistance médico-psychologique à la population pénale des maisons d’arrêt, voire le cas échéant, des établissements pour peines.

En 1977, la circulaire interministérielle Santé-Justice du 28 mars devient la base réglementaire du fonctionnement des 17 C.M.P.R. qui se mettent progressivement en place sur le territoire national. Chaque C.M.P.R. est installé dans un quartier distinct de la plus grosse maison d’arrêt de la région pénitentiaire. Il s’articule avec les services publics de psychiatrie pour assurer la continuité des soins.

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May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 8. Psychopathologie en milieu carcéral

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