5. L’enfant et sa famille

Chapitre 5. L’enfant et sa famille

un accueil pluriel, des traitements singuliers

Nathalie Georges



Le temps où l’appellation de thérapie familiale s’appliquait exclusivement aux pratiques issues des travaux de l’école de Palo-Alto, est révolu. Le psychologue clinicien n’accueille jamais l’enfant sans sa famillefamille et ses autres partenaires sociaux. À cette ouverture, aussi large que nécessaire, répond la discrétion absolue due à l’enfant et à sa famille. Mais, qu’on ne s’y trompe pas. Cette discrétion est quasi-naturelle, ou plus exactement, structurale, car rien ne peut véritablement s’exporter de ce qui se passe dans la consultation thérapeutique, qui ne soit aussitôt déformé, dévoyé et partant, inutilisable, tant il est vrai, et ce sera l’axe principal de notre travail, que l’enfant naît « malentendu » (Lacadée, 2003). Le psychologue ne ménagera donc pas sa peine pour tenir ferme sur cette position, s’il ne veut pas générer dans sa pratique des embrouilles supplémentaires, susceptibles de nuire à ceux qui lui font confiance. En revanche, il s’efforcera de rendre ou de donner à l’enfant le goût du bien direbien dire, et de le rendre capable de s’exprimer là où il a à défendre ses intérêts et à fortifier son désir. Or, on le constate tous les jours (en commençant par soi-même…), l’écoute de l’enfantécoutede l’enfant reste un véritable problème, ou plutôt, une question : qu’est-ce dont qui nous rend si sourds à ce que peuvent nous dire nos enfants ? Si pusillanimes quand il ne s’agit que de les entendre ?


5.1. Une profession symptôme, à rebours de la tendance à la ségrégation



5.1.1. Option


Le diplôme de psychologie clinique habilite le psychologue à l’exercice professionnel en service de psychiatrie, adulte ou infanto-juvénile.

Cette spécificité qui existe doit être située avec finesse. Certes la survie de l’espèce humaine dépend de la longue attention qu’elle doit porter à sa progéniture, qui naît plus immature que tous les « jeunes » des autres espèces animales. La combinaison de cette immaturité native au langage dont l’origine se perd dans la nuit des temps a produit la civilisation. « L’enfantenfant » s’inscrit dans un projet de société qui évolue et porte à des conséquences variées. Sans nous attarder aux dérives qui voudraient faire entendre que l’on pourrait, au nom du progrès de la science détecter dans l’œuf les futurs délinquants, sans nous enliser dans l’histoire ou la géographie humaine de l’enfance, nous nous orienterons ici avec la boussole que le Dr Lacan a forgée à partir de sa pratique pour s’y repérer, dès le début de son enseignement, et dont il ne s’est jamais séparé : elle comporte trois dimensions, et une quatrième. Les trois dimensions sont le RéelRéel, le Symboliquesymbolique et l’Imaginaireimaginaire (R, S et I) et la quatrième, le symptôme. Car il nous faut une table d’orientation, enfants et parents nous le confirment, les uns n’allant pas sans les autres. Nous ne nierons donc pas l’abîme qui nous sépare des autres espèces vivantes, si fascinants que puissent être leurs langages – comme nos rêves d’animaux, qui figurent nos pulsionspulsions franchissant allègrement la barrière des espèces sur les ailes de l’imagination, en témoignent. Au contraire, nous continuerons, avec Freud, à nous intéresser aux rêvesrêves des uns et des autres, et aux usages qu’ils peuvent en faire. Et nous ferons confiance aux enfants un par un pour nous rappeler que les pouvoirs de l’imagination ne s’opposent pas à ceux de la parole, et que les fantaisies et autres rêves éveillés sont chez eux des traitements adéquats du réel aux prises duquel ils sont de bonne heure, à savoir les mystères de la mortmort et ceux, plus prometteurs, de la sexualitésexualité.





Ainsi, entre les fonctions et le champ de la parole et du langage, d’une part, et, de l’autre l’écritureécriture et le dessindessin, nous serons à notre place, attentifs à marquer le fossé entre les générations et les passerelles que jette par dessus les chaînes signifiantes qui situent les sujets dans un discours, avec son coefficient inéliminable et fécond, créatif même, de nouveaux malentendus (Lacadée). »

Il n’est pas d’autre approche, à notre connaissance, qui soit moins ségrégative, attendu que le bain de langage est dans l’espèce humaine « pour tous » (Lacadée, op.cit). L’enfant mutique, l’enfant muet, l’enfant dit autiste reste parlé et même « verbeux », dit Lacan (1975), qui ajoute à propos des autistes qu’« il y a sûrement quelque chose à leur dire ». Pathétiques sont donc les tentatives éducatives qui court-circuitent la dimension du pacte de parole avec le sujet autiste, si sensible à l’adresse qu’on peut lui faire, pour peu que l’on vienne à lui sans autre intention que celle de lui faire un immense crédit : celui que nous devons à ceux que nous mettons au monde. L’accumulation des préjugés contre la méthode freudienneméthode freudienne, fruit des malentendus, de l’immodestie et autres maladresses des psychologues eux-mêmes est ainsi le premier objet que les psychologues ne sauraient négliger et qu’ils ont à traiter. Ils feront ainsi leurs premiers pas dans leur métier, entre la valse des étiquettes convenues et les balises des parcours de soins parfois imperméables à la dimension dans laquelle se déroule leur action : la contingence. La rencontre avec le psychologue n’est, en effet, jamais programmable, elle a lieu dans la marge d’une chance qui reste « à saisir ».


5.1.2. Conditions d’exercice


Les règles qui régissent l’exercice de la psychologie cliniquepsychologieclinique en CMP permettent encore, et c’est heureux, au psychologue de choisir son option, sans prétendre exercer, ni subir, aucun monopole. Au carrefour des institutions médicales, scolaires, sociales, il peut incarner une instance qui peut donc donner une chance à l’enfant et à sa famille, dans les difficultés ou les impasses, de ressaisir les coordonnées propres de leur problème singulier pour inventer leur propre solution toujours « symptomatique ».

Les Centres Médico-Psychologiques infanto-juvéniles sont, comme leurs corollaires adultes, les postes avancés de l’Hôpital psychiatrique, sur lesquels les tenants de la « sectorisationsectorisation » ont fait fonds dès 1960, consacrée en 1985 par une loi, dont l’esprit était de donner à tout un chacun la possibilité de rencontrer un psychiatre ou un psychologue pas trop loin de chez lui. Cela devait permettre de tisser des liens de proximité entre les malades et leurs soignants, l’accueil se transformant en une prise en charge si nécessaire, telle qu’à terme elle permettrait le maintien, l’intégration ou la réintégration du malade dans son milieu social ou familial ; la loi de 1985 se voulait un rempart contre la ségrégation du malade mental.

Deux fois vingt-cinq ans plus tard, et tout est à réinventer à nouveaux frais. Examinons de quel « tout » il s’agit.

Aujourd’hui on ne dit plus « le malade », le « patientpatient » pas davantage ; « le client », « l’usager » les ont remplacés. De quoi ces changements dans notre manière de dire sont-ils le signe ? Quels en sont les conséquences attendues, et les paradoxes surprenants ?



5.1.3. La limite du quantitatif


Il ne s’agit pas de faire l’histoire de la profession, mais de saisir le mouvement qui l’anime, et qui n’échappe ni au refoulementrefoulement, ni au démentidémenti, ni à la forclusionforclusion, ces trois négations mises en lumière par Freud. Longtemps la recherche – dite « psychogénétique » ou développementale, dont les travaux de Piaget restent le paradigme français – s’est opposée à « la clinique », les psychothérapies et la psychanalyse ; le carrefour était donc signalé : ou le labo, ou l’hôpital et les structures assimilées. (On peut le comparer à cette autre césure des études de médecine : après la neuropsychiatrie, ou la neurologie ou la psychiatrie, et aujourd’hui, retour à la première, agrémentée de la biologie et de la pharmacologie, cette dernière étant demain offerte aux psychologues !). Or, un seul diplôme de psychologie consacrait deux orientations bien distinctes l’une de l’autre :




• les « cliniciens » du champ freudien pour lesquels, en permanence, les concepts, c’est-à-dire la métapsychologie, étaient mis à l’épreuve de la pratique ;


• les « chercheurs » pratiquant la psychologie dite expérimentale, avaient pour objet l’étude du développement de l’individu.



L’opposition entre le développement et la psychopathologie a peu à peu recouvert l’opposition entre l’enfant et l’adolescent d’une part et l’adulte de l’autre. En même temps, insensiblement mais sûrement, l’opposition entre la clinique et la recherche en psychologie est devenue poreuse.

Comment ? Sans doute et avant tout, par le biais du développement formidable de l’industrie pharmaceutique et de ses applications dans le champ en expansion de la « santé mentale ». En permettant et favorisant heureusement la prise en charge psychiatrique à de nombreux malades en ambulatoire, la découverte des antipsychotiques a ouvert aux psychologues d’orientation freudienne le champ des psychoses autrefois cantonné dans l’institution psychiatrique. Parallèlement, confortée par ses succès thérapeutiques, la recherche en pharmacologie a tenté d’intégrer dans son champ de recherche les psychothérapies, pour comparer leur efficacité à celle des molécules.



Aujourd’hui, le « terrain » reflète cette lutte entre une tentative hégémonique de quantifier l’approche de toutes les maladies rebaptisées « troubles » afin d’en promouvoir des traitements affines à la recherche statistique. Une déduction logique s’impose : la clinique freudienne et la recherche qui lui est affine forment donc aujourd’hui et dans l’avenir une limite, sinon la seule limite, au tout quantifiable. Sans doute cette limite est-elle fragile, précaire même, puisqu’elle ne repose plus que sur le désir décidé des praticiens qu’oriente la politique du symptôme. Définir celle-ci ne se peut en quelques mots ; contentons-nous d’une formule en trois points, que les cas exposés au fur et à mesure de notre développement éclaireront :


Travailler en CMP, c’est donc pour le psychologue reconstruire le contexte dans lequel il opère et s’en faire responsable, quel que soit l’abord choisi. C’est apercevoir que quelque chose de l’incurableincurableincurable de la condition humaine est en jeu dans tout traitement de la maladie ou du trouble, mental ou des conduites, qui évolue avec la civilisation et son malaise qui affecte les familles, et même « la » famille dont nous parlent les sociologues : sa conception, son idéologie d’une part, sa constance mais aussi ses profonds changements, de l’autre. Il apparaît clairement aujourd’hui que le psychologue en service infanto-juvénile est, et cela seul en est un signe, un partenaire de plus en plus incontournable de ce malaise, de son diagnostic et de son traitement, un « partenaire-symptôme ».

Le CMP, héritier de la loi sur la sectorisation, est donc cette plate-forme où les enfants et leur famille sont adressés en priorité, dès lors qu’un symptôme, plus souvent aujourd’hui nommé « trouble », semble relever de la compétence des « psys ». Le psychologue y a une place prépondérante, dans une équipe pluridisciplinaire où l’on compte des médecins psychiatres, des rééducateurs orthophonistes ou psychomotriciens, une ou un assistant social, mais aussi des intervenants extérieurs, artistes ou artisans, qui peuvent offrir leurs savoir-faire aux enfants spécialement réceptifs aux pratiques non standardisées.

La question de la dépendance du psychologue à l’endroit de l’autorité du médecin est ancienne, et peut se poser dans des contextes où un conflit d’orientations théoriques se ferait jour. On ne saurait trop attirer l’attention du futur psychologue sur ses propres présupposés, et l’inciter à mettre à l’épreuve ses préjugés. La clinique, en effet, est assez complexe pour imposer à chacun qui est de bonne foi une révision permanente de ceux-ci, et la joie de travailler à plusieurs peut naître, inattendue et surprenante, dans des contextes très variés.

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May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 5. L’enfant et sa famille

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