Chapitre 74 Deuil périnatal et devenir du corps du fœtus après interruption médicale de grossesse
L’objectif de ce chapitre est de clarifier pour les équipes médicales des services de gynéco-obstétrique les principales références médicales, juridiques et éthiques en termes de prise en charge et de devenir des corps des fœtus ou nouveau-nés issus d’interruption médicale de grossesse.
Nous ne reviendrons pas sur les dispositions réglementaires de mise en œuvre d’une interruption médicale de grossesse qui ont été traitées dans le chapitre 70.
Deuil périnatal
Généralités
Le deuil est un processus psychique d’adaptation à la perte qui comporte successivement trois phases (figure 74.1) [1].
Geneviève Delaisi de Parseval affirme à ce sujet que « la clinique psychologique du décès périnatal montre que les réactions de deuil des parents et de la famille sont très importantes aussi dans le cas de mort de bébés qui n’ont pas ou très peu vécu ; ainsi que dans les cas où la grossesse de la mère n’a duré que quelques mois ou même quelques semaines » [2].
Caractéristiques du deuil périnatal
Les facteurs de risque identifiés du deuil périnatal sont les :
Conséquences du deuil périnatal
Ce peut être aussi la problématique de l’enfant de remplacement et à long terme l’apparition de problèmes identitaires et psychologiques chez les autres enfants de la fratrie [6, 7].
L’émotion d’un deuil périnatal ne peut se raccrocher à une réalité perceptible et peut de manière anxieuse se transmettre, se réactiver à travers les générations mères-filles [7].
L’accompagnement est reconnu aujourd’hui comme attitude thérapeutique prenant en compte l’ aspect de la technique médicale mais aussi la personne, sa mise en œuvre de façon précoce permet de diminuer les conséquences de pathologies avérées qu’est la transmission émotionnelle transgénérationnelle du deuil et du syndrome de l’enfant de remplacement [7].
Il revient donc aux équipes médicopsychologiques des secteurs d’hospitalisation de gynéco-obstétrique d’accompagner, de façon pluridisciplinaire, les patientes et les couples qui ont recours à l’interruption médicale de grossesse dès les premières minutes qui suivent la décision d’interruption de la grossesse et tout au long de leur parcours pour les soutenir dans la première étape de leur travail de deuil [5, 8, 9].
Point de vue éthique
Accompagnement
Le tragique de la mort prématuré d’un fœtus ou d’un nouveau-né exige la manifestation d’une attitude responsable vis-à-vis d’une telle situation. Pour le Comité consultatif national d’éthique dans son rapport de 2005, « l’éthique réside dans l’attention portée à la souffrance, le drame de la mort périnatale interroge notre conscience sur le devoir que nous avons de faire honneur à l’humanité. » [10]
Chaque mère, chaque couple ou famille doivent pouvoir réagir en toute liberté en fonction de leurs valeurs et de leur sensibilité [11].
Il ne s’agit en aucune façon de proposer ou d’imposer tel ou tel accompagnement à des familles qui souhaitent le silence et simplement l’attention.
L’approche sera centrée sur la personne, elle respectera les principes de congruence-authenticité, empathie, regard positif inconditionnel [5].
L’accompagnement fera appel aux techniques éprouvées d’accompagnement par la relation d’aide ou d’accompagnement à la résilience [12, 13]. Le premier vise à aider l’individu à trouver en lui, grâce aux techniques de la relation d’aide, les capacités à faire face ; l’autre à aider la personne à puiser en elle les capacités à rebondir, à se reconstruire en partant du principe que chaque individu possède en lui des capacités à la résilience.
L’objectif primaire est d’aider les parents à dépasser le stade du déni, à leur donner les composantes indispensables au travail de deuil comme faire la connaissance avec l’enfant mort, préparer des souvenirs, préparer au rituel funéraire [5, 14, 15].
C’est dans ces moments de rencontre que le soignant, qu’il soit sage-femme, obstétricien, psychologue ou autre professionnel de santé, s’il a conscience des complications à long terme du deuil, peut faire leur faire comprendre la nécessité d’attribuer un prénom à l’enfant décédé qui sera celui initialement prévu pour lui [7].
Le prénom ne doit pas être gardé pour un « enfant de remplacement » ou l’enfant suivant. Il pourra également aider les parents à mesurer la nécessité de prendre du temps avant d’entreprendre une nouvelle grossesse et de faire accompagner cette nouvelle grossesse s’ils en ressentent le besoin lorsque le moment sera venu [7, 15].
Rituel funéraire
Il peut permettre la réadaptation de la personne endeuillée à la vie de groupe.
Pour qu’un deuil se fasse, il faut qu’il y ait un mort, il faut qu’il y ait également un rituel. Offrir une sépulture au défunt permet l’enracinement de la vie et sert de contenant et d’ancrage aux pensées et projets futurs [5, 16].
Pour Geneviève Delaisi de Parseval, la question du traitement du corps est fondamentale, elle permet aux parents de matérialiser la perte et d’être le support du travail de deuil [17].
Donner une sépulture au fœtus préserve des fantasmes de meurtre et de violence déstructurante [3, 15].
Prise en charge du fœtus ou de l’enfant mort-né
Durant ces 20 dernières années, la société a particulièrement évolué dans la reconnaissance de la nécessité des rituels autour de la mort fœtale. Nous sommes loin de leur qualification de « mauvais morts », qui en tous lieux et en tout temps ont été exclus des rituels funéraires normaux car jugés menaçant « l’accomplissement de la vie des vivants » [11, 18].
Les progrès de la médecine fœtale, avec pour conséquence le développement de la pratique de l’interruption médicale de grossesse, ont mobilisé le législateur à plusieurs reprises depuis la publication de la loi du 8 janvier 1993, sur la place officielle qui est aujourd’hui accordée par le droit au fœtus ou à l’enfant mort-né [19].
Le comité consultatif national d’éthique dans sa réponse à la saisine du Premier ministre en septembre 2005 affirme « Le droit a son formalisme mais le regard porté sur le fœtus, reconnaissant son origine humaine, impose le respect. Ce qui implique pour les soignants de prendre en compte le corps de ce fœtus et de cet enfant mort-né » [10].
Ce respect a généré depuis plus de 15 ans aujourd’hui le développement de pratiques d’accompagnement du deuil périnatal par les équipes des secteurs de gynécologie-obstétrique, développées à la fois sur un versant d’accompagnement psychologique mais aussi d’accompagnement dans le rituel autour de l’enfant né sans vie [6, 14, 16]. La richesse des publications de soignants et de familles endeuillées a contribué à améliorer les pratiques et les savoir-faire des uns et des autres [5, 15].
Législation du décès périnatal
Historique
La législation en termes de décès de personnes hospitalisées et d’enfants pouvant être déclarés sans vie à l’état civil a été récemment enrichie par un décret publié le 1er août 2006, relatif au décès des personnes hospitalisées et aux enfants pouvant être déclarés sans vie à l’état civil dans les établissements de santé, suivi d’un arrêté le 7 janvier 2007 relatif au registre prévu à l’article R. 1112-76-1 du CSP et portant modification de l’arrêté du 7 mai 2001 relatif aux prescriptions techniques applicables aux chambres mortuaires des établissements de santé [20, 21].
Ces deux textes qui viennent modifier des articles du code de la santé font suite à une affaire fort médiatisée en avril 2006 à propos de la gestion de la chambre mortuaire de l’hôpital St-Vincent-de-Paul qui conservait dans ses locaux les corps de fœtus et d’enfants mort-nés non restitués à leur famille.
En mai 2006, elle fut classée sans suite, mais le ministère de la Santé a rendu publiques les sanctions disciplinaires prononcées contre le chef de service et son adjoint à savoir un blâme prononcé par la juridiction disciplinaire des professeurs des universités – praticiens hospitaliers [22, 23].
Préalablement, l’évolution des textes avait été la suivante.
La loi du 8 janvier 1993 était venue déterminer, dans le cas où un enfant décède avant que sa naissance n’ait été déclarée à l’état civil, le régime juridique applicable en modifiant l’article 79-1 du code civil [24] en ces termes : « Lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès. À défaut du certificat médical prévu à l’alinéa précédent, l’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les registres de décès et il énonce les jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et nom, date et lieu de naissance, professions et domiciles des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant. L’acte dressé ne préjuge pas de savoir si l’enfant a vécu ou non ; tout intéressé pourra saisir le tribunal de grande instance à l’effet de statuer sur la question. »