Chapitre 7
Maladies systémiques et vascularites
Sclérodermie systémique
La sclérodermie systémique est une maladie auto-immune du tissu conjonctif caractérisée par :
une fibrose de la peau et de certains autres organes ;
une altération majeure de l’architecture microvasculaire, principalement des extrémités.
Elle se caractérise cliniquement par une sclérodermie et un phénomène de Raynaud.
Épidémiologie
L’incidence et la prévalence de la sclérodermie systémique varient de manière significative suivant la population étudiée, ce qui plaide pour l’intervention de facteurs génétiques et environnementaux. La prévalence de cette maladie est ainsi de 276 cas par million d’habitants aux États-Unis contre 80–150 cas en Europe [98, 216, 352]. Les sujets de race noire sont plus fréquemment affectés que les sujets d’origine caucasienne. En France, on estime que 5 000 à 7 000 personnes sont affectées.
Étiologies/Pathogénie
Les étiologies et la pathogénie de la sclérodermie systémique restent imparfaitement élucidées car il n’existe pas de théorie uniciste permettant expliquer toutes les manifestations cliniques et anatomopathologiques de la maladie [352].
Facteurs génétiques
Une prédisposition génétique est incriminée en raison [90, 308, 352] :
de formes familiales de sclérodermie systémique,
d’une fréquence accrue d’autres affections auto-immunes et d’autoanticorps dans la famille des patients,
de différences dans la prévalence et l’expression clinique de l’affection selon le groupe ethnique,
d’une augmentation de la prévalence de certains antigènes du système HLA et d’autres molécules du système majeur d’histocompatibilité, notamment les gènes codant les protéines IRF5 (Interferon Regulatory Factor 5) et STAT4 (Signal Transducer and Activator of Transcription 4). Cette prédisposition génétique est probablement polygénique.
Facteurs environnementaux
Exposition environnementale
L’exposition à la poussière de silice, notamment chez les mineurs, représente le facteur de risque environnemental le plus souvent rapporté dans la sclérodermie systémique [93]. D’autres agents ont été incriminés (résine époxy, fumées de soudure, vibrations transmises aux mains et aux bras) mais leur rôle paraît plus incertain [93]. Quel que soit l’agent responsable, il s’agit d’une forme particulière de sclérodermie systémique car elle s’observe essentiellement chez l’homme.
Le chlorure de vinyle (PVC) et à moindre degré différents solvants (le benzène, le toluène, le xylène et le trichloroéthylène) sont également mis en cause et toucheraient plus la femme [119].
Infection
Comme pour toutes les affections auto-immunes, un mimétisme moléculaire entre les épitopes de certains agents infectieux (virus herpes, différents rétrovirus et le cytomégalovirus humain) et ceux de gènes du patient pourrait être à l’origine d’autoanticorps [12, 352]. Ceci nécessite cependant confirmation [269, 352].
Microchimérisme
Il s’agit de cellules circulantes peu nombreuses, transférées d’un individu à l’autre au cours d’une grossesse, d’une transfusion sanguine ou d’une transplantation de moelle osseuse ou d’organes. Ces cellules, observées plus souvent chez ces patients, pourraient « s’activer » et créer une réaction de greffon contre l’hôte [162, 352]. Cette hypothèse reste encore débattue.
Altération de l’immunité
Des travaux récents soulignent la contribution, dans la pathogénie de la sclérodermie systémique, d’une anomalie de l’immunité [90, 352] :
Atteinte microvasculaire
L’atteinte endothéliale est due aux cytokines produites par des lymphocytes activés et aux autoanticorps dirigés contre les cellules endothéliales (AECA). On signalera qu’une altération de la différenciation endothéliale des cellules souches mésenchymateuses de la moelle osseuse serait possible chez ces patients [128, 352]. De même, des phénomènes de stress oxydatif (ischémie) et cellulaires pourraient intervenir dans l’atteinte endothéliale.
Fibrose
Elle résulte d’une augmentation de la production de collagène de type 1 et à un moindre degré de type 3 par les fibroblastes. On ignore s’il s’agit d’une réponse anormale à un stimulus non connu ou d’une atteinte primitive de la régulation de l’expression des gènes de la matrice protéique. Ont été incriminés [345, 352] :
Classification
La sclérodermie systémique fait partie du groupe des pathologies de type sclérodermique [131, 147, 352]. Ces entités sont différenciées selon le type d’atteinte cutanée et viscérale et le type d’autoanticorps (tableau 7.1) [147].
Tableau 7.1
Pathologies de type sclérodermique.
Syndrome | Variantes |
Sclérodermie systémique cutanée diffuse | – |
Sclérodermie systémique cutanée limitée | Syndrome CREST |
Sclérodermie systémique sans atteinte cutanée (sine scleroderma) | – |
Sclérodermie localisée | Sclérodermie linéaire, « en coup de sabre », morphées |
Connectivite mixte | Éléments cliniques de la sclérodermie systémique, de la polymyosite et du LED |
Syndrome de chevauchement | Sclérodermie systémique + PR, polymyosite ou LED |
Affections pouvant mimer une sclérodermie | Amylose, maladie du greffon contre l’hôte, fasciite à éosinophiles, syndrome myalgie-hyperéosinophilie, fibrose néphrogénique, syndrome paranéoplasique, scléromyxœdème, sclérœdème, syndrome de l’huile toxique |
Affections indifférenciées du tissu conjonctif | – |
La sclérodermie systémique cutanée limitée est la forme la plus fréquente de sclérodermie systémique (60 % des cas). La sclérodermie est distale par rapport aux coudes et genoux. Un phénomène de Raynaud la précède le plus souvent de plusieurs semaines ou années et l’entrée dans la maladie est souvent marquée par son aggravation. Le syndrome CREST (calcinose, phénomène de Raynaud, atteinte œsophagienne, sclérodactylie et télangiectasies) en représente une variante clinique.
La sclérodermie systémique cutanée diffuse représente 35 % des sclérodermies systémiques. Le phénomène de Raynaud, la sclérodermie s’étendant progressivement vers les cuisses et les bras, et les douleurs articulaires et tendineuses apparaissent habituellement en même temps.
La sclérodermie systémique sans atteinte cutanée (« sine scleroderma ») est rare (5 % des cas).
Les sclérodermies localisées affectent essentiellement les enfants. À la différence des sclérodermies systémiques, elles respectent habituellement les mains et ne s’accompagnent pas de phénomène de Raynaud ni d’atteinte viscérale significative.
La connectivite mixte intègre les éléments cliniques de plusieurs connectivites.
Les syndromes de chevauchement (overlap syndrome) associent plusieurs connectivites [267].
Les affections pouvant mimer une sclérodermie sont associées à une induration de la peau mais sans phénomène de Raynaud, sans atteinte viscérale et sans autoanticorps.
Clinique
Les signes cliniques sont relativement variables mais le tableau classique est celui d’une femme jeune ou d’âge moyen présentant des signes cutanés et un phénomène de Raynaud, associés à des manifestations musculosquelettiques et digestives (tableau 7.2).
Tableau 7.2
Signes cliniques de la sclérodermie systémique.
Phénomène de Raynaud | Avec possibles complications ischémiques |
Atteinte cutanée | Sclérodactylie, épaississement cutané, calcifications sous-cutanées, télangiectasies périunguéales ou péribuccales |
Atteinte musculosquelettique | Crissement tendineux Arthralgies, arthrites, myalgies et myosites Acroostéolyse |
Autres atteintes viscérales | Atonie œsophagienne et intestinale, fibrose pulmonaire interstitielle et HTA pulmonaire Complications cardiaques et rénales |
Phénomène de Raynaud
Souvent révélateur, il constitue la manifestation clinique la plus fréquente de la sclérodermie systémique (plus de 95 % des patients) [147]. Il témoigne d’une occlusion paroxystique des artères distales des doigts, orteils, nez et/ou oreilles favorisée par le froid ou un stress émotionnel, réversible à la chaleur. Il comporte trois phases : une pâleur (vasospasme), une cyanose (ischémie) et enfin parfois une rougeur (retour de la vascularisation) (fig. 7.1). Le patient perçoit des picotements ou engourdissements et parfois des douleurs à type de brûlure. À la différence du phénomène de Raynaud primitif (idiopathique) qui s’observe chez de jeunes adolescentes et ne se complique pas de phénomènes ischémiques, ce phénomène de Raynaud secondaire à la sclérodermie systémique peut se compliquer d’ulcérations digitales [319], voire de nécroses distales [127] et d’ulcères des membres inférieurs [144, 233].
Atteinte cutanée
Elle est quasi constante [32] (95 % des cas) et permet le diagnostic de l’affection. Le degré d’épaississement de la peau varie en fonction du sous-type de la maladie et de sa durée d’évolution. Précocement, une tuméfaction diffuse des doigts et des mains peut précéder l’épaississement cutané et orienter vers un diagnostic d’arthrite indifférenciée [147]. Puis, la peau devient indurée, luisante et gêne la mobilité articulaire (fig. 7.2). Elle ne peut être pincée ou déplissée. Au départ, elle affecte les mains et notamment les doigts (sclérodactylie, signe de la prière : impossibilité de mettre les mains à plat l’une contre l’autre), puis le visage (nez pincé, bouche rétractée limitant son ouverture) et le cou. Elle peut s’étendre aux avant-bras, aux pieds et aux jambes (sclérose systémique cutanée localisée) ou affecter la partie proximale des membres et le tronc (sclérose systémique cutanée diffuse).
Fig. 7.2 Sclérodermie systémique : sclérodactylie.
Notez la rétraction cutanée et les troubles de coloration des doigts.
Il existe tardivement une atrophie cutanée. On peut également observer [32, 147] :
des calcifications sous-cutanées, pouvant laisser sourdre un liquide granuleux blanchâtre lorsqu’elles s’ulcèrent à la peau ;
des télangiectasies périunguéales ou péribuccales ;
des troubles de la pigmentation (mélanodermie ou vitiligo) ;
Avec l’évolution de la maladie, des ulcérations en regard des articulations et des contractures en flexion des doigts, poignets et coudes peuvent s’observer [32].
Atteinte musculosquelettique
Fréquente et souvent invalidante, elle retentit sur la qualité de vie des patients [352]. L’atteinte articulaire, qui peut constituer le symptôme inaugural (12–66 % des cas), serait présente dans plus de la moitié des cas durant l’évolution de la maladie [257, 268, 352]. L’atteinte musculosquelettique est, cependant, très polymorphe, pouvant affecter plusieurs régions anatomiques. Les patients peuvent présenter :
des arthralgies, le plus souvent [352] ;
des arthrites [14] chroniques ou intermittentes, mono ou polyarticulaires. Elles seraient plus fréquentes et plus agressives dans les syndromes de chevauchement avec polyarthrite rhumatoïde (anticorps anti-CCP plus fréquents chez ces patients [206, 224]). Elles siègent essentiellement aux extrémités et surtout aux poignets ;
des tendinopathies, voire des ruptures. Des crissements tendineux palpables et parfois audibles [257] peuvent s’observer juste en amont du poignet (tendons extenseurs et fléchisseurs), à la cheville (tendons tibial antérieur, calcanéen, fibulaires), au genou (tendon patellaire) et à l’épaule [53, 268, 343]. Ils s’observent surtout en cas de forme diffuse et à un stade précoce. Ils sont importants à rechercher car ils semblent témoigner d’une forme plus sévère de la maladie [14, 16] ;
des myopathies proximales modérées et non évolutives. Elles s’observent fréquemment (80 % des cas) [278, 352] ;
des myosites, moins souvent (5 % des cas) [352]. Elles sont proches sur le plan anatomopathologique de celles des dermatomyosites [241] ;
des modifications de l’extrémité des doigts qui deviennent boudinés et raccourcis (acro-ostéolyse).
Autres atteintes viscérales
Les autres complications viscérales sont fréquentes mais peu symptomatiques, sauf aux stades tardifs de l’affection. Elles conditionnent le pronostic de la maladie : atteintes pulmonaire (hypertension artérielle pulmonaire, fibrose interstitielle diffuse), cardiaque (fibrose myocardique et troubles de la conduction), rénale (hypertension artérielle et insuffisance rénale chronique). Une hypothyroïdie, une névralgie du trijumeau ou un syndrome sec ont également rarement été rapportés [15, 204, 221, 273, 335, 336].
Diagnostic
L’ACR a proposé des critères diagnostiques en 1981 (tableau 7.3) [66]. Le critère majeur (sensibilité : 91 %, spécificité : > 99 %) ou deux critères mineurs doivent être présents pour retenir le diagnostic de sclérodermie.
Le diagnostic de sclérodermie systémique repose donc avant tout sur l’interrogatoire et l’examen clinique du patient. Le score cutané modifié de Rodnan (palpation de régions cutanées prédéfinies avec cotation de la souplesse dermique ressentie) possède une valeur pronostique importante car il préjuge de la gravité des atteintes viscérales, notamment rénales [174, 352]. La biopsie cutanée n’est réalisée qu’en cas de doute avec d’autres affections (fasciite de Shulman, scléromyxœdème, etc.).
La capillaroscopie unguéale permet de déterminer si le phénomène de Raynaud est primitif ou secondaire à une sclérodermie. Dans ce dernier cas, il permet d’objectiver des mégacapillaires plus ou moins nombreux associés à des zones avasculaires. Les sensibilité et spécificité de cet examen sont respectivement de 83–98 et de 89–98 % [54, 75, 178, 290].
La présence d’autoanticorps caractéristiques (jusqu’à 90 % des patients) conforte le diagnostic de sclérodermie systémique mais leur absence ne permet pas de l’éliminer [131]. On citera notamment les anticorps anticentromères (spécifiques des sclérodermies systémiques cutanées localisées), antitopo-isomérase-I (Scl-70) (plus spécifiques des sclérodermies systémiques cutanées diffuses) [33], anti-RNA-polymérase ou U3-RNP [131].
Radiographie
La traduction radiographique de la sclérodermie est souvent très évocatrice, notamment à la main. On observe, de façon variable (encadré 7.1) :
des calcifications amorphes, globuleuses des tissus mous, témoignant de dépôts de cristaux d’apatite de calcium. Elles sont fréquentes (10 à 30 % des cas) et caractéristiques aux doigts, notamment à leurs extrémités (fig. 7.3) [26]. Elles sont de taille variable (ponctuations difficiles à repérer ou volumineux amas). Elles intéressent principalement l’hypoderme des doigts alors que les calcifications MPC ou du poignet sont essentiellement centrées sur les structures capsuloligamentaires [124, 207, 272]. Elles peuvent être plus proximales et forment parfois des amas périarticulaires très volumineux (calcinose pseudo-tumorale), notamment à la hanche (fig. 7.4), à l’épaule ou au rachis, surtout cervical (avec possible compression médullaire et radiculaire [203, 296]) (fig. 7.5). Elles peuvent également siéger dans des régions exposées à des microtraumatismes répétés (face antérieure des genoux, face postérieure des coudes) (fig. 7.6). Des érosions osseuses en regard (« de pression ») sont possibles. Les calcifications tendineuses sont plus rares ;
Fig. 7.5 Sclérodermie systémique : calcinose pseudo-tumorale cervicale essentiellement périvertébrale (flèches), rétrécissant peu le canal rachidien : radiographie de face (a), coupe axiale TDM (b) et IRM pondérée en T2 (c).
une atrophie des tissus mous de l’extrémité des doigts, notamment chez les patients présentant un phénomène de Raynaud. Elle se définit par une épaisseur inférieure à 20 % du diamètre transversal de la base de la phalange distale adjacente. Cette appréciation radiographique est cependant plus délicate que l’examen clinique. Elle est volontiers associée à des calcifications et à une acro-ostéolyse [26, 124, 207] ;
une acro-ostéolyse. Elle est fréquente (60–80 % [195] mais 20 % dans une revue de la littérature récente [352]) et caractéristique à l’extrémité des doigts où elle peut, dans les cas sévères, détruire une ou de plusieurs phalanges distales [124]. Elle intéresse habituellement l’extrémité de la phalange distale ; moins souvent, elle est un peu plus proximale (résorption en bande) (fig. 7.7 ; tableau 7.4). Il n’y a pas de raréfaction osseuse associée et les berges de la résorption sont nettes. Plusieurs phalanges sont généralement affectées. Cette ostéolyse intéresse plus rarement les phalanges intermédiaires, les orteils, les carpes, l’extrémité des os de l’avant-bras, les clavicules et les côtes (où elle est probablement secondaire à l’amyotrophie et à l’atteinte pulmonaire) et le rachis [27, 48]. À la mandibule, elle peut se traduire par une bande radiotransparente autour des dents (épaississement de la membrane périodentale), voire par une ostéolyse plus étendue [26] ;