Chapitre 67 Rétinopathie des prématurés
La rétinopathie des prématurés (ROP, Retinopathy Of Prematurity) a été décrite par Terry en 1942 sous sa forme évoluée de fibroplasie rétrolentale. Cette émergence est liée à l’amélioration de la survie des prématurés de petit poids. L’oxygénothérapie n’a été incriminée que bien plus tard, dans les années cinquante. Après une phase de diminution de l’incidence de la maladie mais d’augmentation de la mortalité dans les années soixante, le contrôle de la saturation en oxygène a permis de diminuer le nombre d’atteintes rétiniennes, sans toutefois les éradiquer.
Vasculogenèse
MÉTABOLISME, HYPOXIE ET DÉVELOPPEMENT VASCULAIRE RÉTINIEN
Les vaisseaux rétiniens se développent en suivant le patron de différenciation des cellules nerveuses. La différenciation neuronale provoque une hypoxie physiologique qui induit la sécrétion de VEGF par les astrocytes dont la migration est centrifuge, du disque optique vers la périphérie de la rétine. Cette sécrétion de VEGF permet aussi le développement des vaisseaux rétiniens superficiels. En arrière du front de migration, l’apport en oxygène stabilise le réseau vasculaire. L’activation fonctionnelle des photorécepteurs provoque une nouvelle hypoxie dans les tissus rétiniens profonds, l’expression de VEGF, cette fois par les cellules de Müller, et le bourgeonnement de nouveaux vaisseaux, qui forment le réseau interne (fig. 67-1). Le VEGF existe sous différentes isoformes (de 121, 165 et 189 acides aminés), générées par l’épissage alternatif d’un gène unique, mais toutes n’assument pas les mêmes fonctions au cours du développement de la vascularisation rétinienne.
Fig. 67-1 Représentation schématique du rôle de l’oxygène et des astrocytes dans le développement du réseau vasculaire rétinien. La différenciation neuronale provoque une hypoxie physiologique, qui induit la sécrétion de VEGF par les astrocytes, qui eux-mêmes migrent du disque optique vers la périphérie de la rétine. Cette sécrétion de VEGF permet le développement des vaisseaux rétiniens superficiels. En arrière du front de migration, l’apport en oxygène stabilise le réseau vasculaire. L’activation fonctionnelle des photorécepteurs provoque une nouvelle hypoxie dans les tissus rétiniens profonds, ainsi que l’expression de VEGF par les cellules gliales de Müller et le bourgeonnement de nouveaux vaisseaux, qui forment le réseau vasculaire rétinien interne.
(D’après Saint-Geniez M., 2002 [66].)
ANGIOGENÈSE ET RÉTINOPATHIE DU PRÉMATURÉ
L’exposition des prématurés à un fort pourcentage d’oxygène pour atténuer la détresse respiratoire conduit à la chute de l’expression du VEGF, à l’apoptose des cellules endothéliales et à l’oblitération des vaisseaux en formation. En revanche, l’excès en oxygène n’affecte pas le réseau mature (indépendant du VEGF). Le retour à une atmosphère normale (normoxie) entraîne alors une forte hypoxie relative (par rapport à l’hyperoxie antérieure) du tissu avasculaire et une néovascularisation excessive, semblable à celle observée au cours de la rétinopathie diabétique (fig. 67-2) [73].
FACTEURS IMPLIQUÉS DANS LA NÉOVASCULARISATION RÉTINIENNE
Comme dans le développement vasculaire normal, parmi tous les facteurs angiogéniques, le VEGF tient une place prépondérante dans la physiopathologie de la néovascularisation rétinienne, du fait de sa dépendance vis-à-vis des teneurs en oxygène. Cependant, son induction par l’hypoxie s’accompagne de variations dans l’expression d’autres molécules proangiogéniques ou antiangiogéniques. L’augmentation de facteurs angiogéniques (FGF-2, IGF-1, IL-8, PlGF, angiogénine…) et l’inhibition de facteurs angiostatiques (PEDF, TGFβ…) permettent de renforcer l’effet du VEGF au cours du processus de prolifération vasculaire de la rétine [7]. L’implication de toutes ces molécules, en premier lieu le VEGF, dans la cascade d’événements qui conduit à une néovascularisation rétinienne est schématisée en figure 67-3. Elles sont le centre d’attention pour des essais cliniques visant à contrecarrer la croissance vasculaire anormale et excessive.
Classification internationale de la rétinopathie des prématurés
Une classification internationale a été établie en 1984 puis clarifiée en 2005 [2]. Elle comprend une classification clinique et une classification topographique.
CLASSIFICATION CLINIQUE
La stadification (stades 1 à 5 : tableau 67-I ; fig. 67-4) comporte en outre un stade dit « plus » (+), reflet du degré d’activité de la rétinopathie, qui est défini par la présence ou non d’une dilatation et d’une tortuosité des vaisseaux rétiniens sur au moins deux quadrants de la papille, en estimant ce critère par rapport à une photographie de référence (fig. 67-5).
Stade 1 | Ligne signant la limite de la vascularisation rétinienne |
Stade 2 | Bourrelet évoquant une néovascularisation intrarétinienne |
Stade 3 | Bourrelet et présence d’une néovascularisation extrarétinienne |
Stade 4 | a : Décollement de rétine partiel excluant la macula b : Décollement de rétine incluant la macula |
Stade 5 | Décollement de rétine total |
Stade « plus » Défini indépendamment des précédents | Présence d’une dilatation et d’une tortuosité des vaisseaux rétiniens sur au moins deux quadrants de la papille (par rapport à une photographie de référence) |
Fig. 67-4 Classification clinique de la rétinopathie des prématurés : stadification. a. Rétinopathie des prématurés de stade 2, limite postérieure de zone 2 (stade pré-seuil de type 1), commençant à évoluer en nasal en stade 3. b. Stade 3 « plus » en zone 2 correspondant à un stade seuil et justifiant d’un traitement laser. c. Stade 4a peu actif. d. Stade 4b, vue périphérique et postérieure. e. Stade 5 avec fibroplasie rétrolentale.
CLASSIFICATION TOPOGRAPHIQUE
La classification topographique complète la stadification clinique : on définit les zones 1, 2 et 3, correspondant aux étapes du développement vasculaire rétinien (fig. 67-6). En pratique, la zone 1 correspond au champ rétinien vu en ophtalmoscopie indirecte à travers une lentille de 25 D ou de 28 D, en mettant le bord nasal de la papille en limite de champ.
Facteurs de risque
Les deux principaux facteurs de risque de la rétinopathie des prématurés sont :
Ils sont liés à l’incidence et à la sévérité de la rétinopathie. La rétinopathie est induite par toutes les conditions favorisant une hypoxie relative rétinienne : soit une hyperoxie initiale (oxygénothérapie prolongée et non contrôlée…), soit une hypoxie secondaire liée à des besoins métaboliques rétiniens augmentés ou non pourvus (infection néonatale, cardiopathie cyanosante…). D’autres facteurs plus indirects (lumière, vitamine E) ont été mis en cause sans que leur responsabilité soit clairement établie [64, 74].
Épidémiologie
La rétinopathie des prématurés touche les enfants prématurés de petit poids de naissance. Le tableau 67-II résume l’incidence de la maladie dans les pays développés et certains pays en voie de développement. L’amélioration de la prise en charge des prématurés, notamment par l’utilisation de corticoïdes chez la mère accélérant la maturation pulmonaire de l’enfant ainsi que l’utilisation de surfactant chez ce dernier, a permis de réduire l’atteinte rétinienne. Toutefois, la meilleure survie d’enfants de tout petit poids — sous 1 000 g, plus fréquemment atteints par la rétinopathie des prématurés — explique la faible évolution du taux des stades 1 à 3 au cours du temps. Enfin, dans les pays en voie de développement, une nouvelle épidémie a vu le jour ces dernières années, du fait de la survie des prématurés.
Prévention du décollement de rétine : dépistage et traitement des formes précoces
STADE SEUIL
La réalisation de l’étude CRYO-ROP, dont les premiers résultats ont été publiés en 1988 puis en 1990 [53, 59], a permis de définir le stade seuil de la rétinopathie des prématurés à partir d’une population de 4 099 enfants de moins de 1 251 g et de moins de trente-deux semaines d’aménorrhée, étudiés de manière rigoureuse dans vingt-trois centres américains : ce seuil a été défini comme correspondant au stade où la probabilité d’évolution défavorable de la maladie est de 50 % (fig. 67-4) : stade 3 sur cinq méridiens non contigus ou huit contigus, associé à un stade « plus ».
TRAITEMENT HISTORIQUE : LA CRYOTHÉRAPIE
La photocoagulation à l’arc xénon a été le premier traitement proposé, en 1968 [56], suivi par la cryothérapie, largement étudiée au cours des décennies suivantes. Elle fut proposée en 1972 à la fois aux États-Unis et au Japon ; le doute sur son efficacité a subsisté jusqu’à la publication du premier rapport préliminaire de l’étude CRYO-ROP mettant en évidence son effet indiscutable [53]. Les différentes publications qui ont suivi ont permis de confirmer les résultats tant anatomiques que fonctionnels [14, 16, 54, 59, 60] (tableau 67-III).
TRAITEMENT ACTUEL : PHOTOCOAGULATION ET STADE PRÉ-SEUIL
PHOTOCOAGULATION AU LASER
La photocoagulation au laser est devenue le traitement de référence. Mieux tolérée que la cryoapplication, notamment sous anesthésie topique, elle induit moins de myopie secondaire (15 % après laser contre 47 % après cryoapplication) [1, 13, 41] et donne des résultats fonctionnels supérieurs à la cryothérapie. Cette efficacité est notamment observée dans les rétinopathies postérieures touchant la zone 1 et sans bourrelet, classiquement de pronostic plus réservé de par leur potentiel évolutif.
Son efficacité est telle que seules quelques études randomisées de faible effectif ont été nécessaires à affirmer sa supériorité, en particulier en termes de tolérance, par rapport à la cryoapplication [12, 49, 57, 61, 69, 81].
Résultats
La rétinopathie régresse dans 85 % à 90 % des yeux traités et une acuité visuelle supérieure à 20/40 est observée dans plus de 70 % des cas [5, 9, 22, 65].
TRAITEMENT PRÉCOCE DE LA RÉTINOPATHIE DES PRÉMATURÉS
L’efficacité du traitement au laser de la rétinopathie des prématurés au stade de seuil a conduit certains auteurs à proposer un traitement plus précoce (fondé sur la définition d’un stade « préseuil », cf. encadré), afin d’en améliorer encore les résultats. La publication en 2003 puis 2010 des résultats définitifs de l’étude ETROP (Early Treatment for Retinopathy of Prematurity) a montré l’efficacité de ce type de prise en charge (tableau 67-IV) et énonce les nouveaux critères de traitement de la rétinopathie des prématurés [19, 26].
Échec anatomique à 6 ans (type 1) | Échec fonctionnel à 6 ans (< 1,85 c/d) (type 1) | |
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Traitement au seuil | 15,2 % n = 303 | 32,8 % n = 204 |
Traitement précoce | 8,9 % (p < 0,001) n = 305 | 25,1 % (p < 0,001) n = 203 |
Le stade de pré-seuil a été défini selon les critères suivants :
Un algorithme utilisant différents critères pouvant constituer des facteurs de risque (poids de naissance, terme, oxygénothérapie) et des facteurs aggravants (race, grossesse gémellaire, complications) permet de définir un sous-groupe ayant un risque supérieur à 15 % d’évolution vers le seuil [58], qui justifie le traitement précoce (stade pré-seuil de type 1). Le stade pré-seuil de type 2 (à risque inférieur à 15 %) relève d’une surveillance bihebdomadaire.