30: Perspectives techniques et innovations

Chapitre 30 Perspectives techniques et innovations




L’avenir : la fin de la chirurgie vitréorétinienne ?


F. Behar-Cohen, M. El Sanharawi, M. Savoldelli



image objectifs de la vitréolyse enzymatique


Le vitré, plus spécifiquement l’interface vitréorétinienne, joue un rôle majeur dans la physiopathogénie de nombreuses affections rétiniennes, telles que les syndromes de traction vitréomaculaire et le trou maculaire mais aussi la rétinopathie diabétique, l’œdème maculaire diabétique, le décollement de la rétine et les proliférations vitréorétiniennes. Dans toutes ces pathologies, le vitré, même liquéfié, maintient des attaches solides entre son cortex et la rétine, formant un vitréoschisis et favorisant la prolifération cellulaire et fibrovasculaire, laquelle accroît les phénomènes tractionnels [57].


La vitrectomie est le geste de choix et la première étape chirurgicale permettant de libérer les attaches pathogènes. La résection complète du cortex vitréen n’est pas réalisable sans entraîner soit la persistance de reliquats de cortex vitréen, soit des arrachements de la limitante interne qui emportent des pieds des cellules de Müller ou des cellules ganglionnaires. Ces lésions étant microscopiques, elles ne sont pas apparentes pour le chirurgien mais peuvent avoir parfois des conséquences sur la récupération de la vision maculaire [1,26]. Les reliquats corticaux, quant à eux, peuvent être le lit d’une prolifération cellulaire anarchique, parfois délétère [17]. Une séparation enzymatique non traumatique et complète entre le cortex vitréen et la limitante interne devrait prévenir les risques de prolifération gliale et fibrovasculaire pathologique. Le décollement postérieur complet du vitré permet d’augmenter les échanges d’oxygène entre la cavité vitréenne, le cristallin et la neurorétine, ce qui pourrait avoir des effets bénéfiques dans certaines pathologies ischémiques [21].


Les objectifs théoriques de la vitréolyse enzymatiques sont :








image Quelles Enzymes Pour Quelles Fonctions ?



COMPOSITION ET STRUCTURE DU VITRÉ


Le vitré est constitué de fibrilles de collagène entrelacées dans de longues chaînes de glycosaminoglycanes anioniques, essentiellement des hyaluronanes.


C’est le collagène, pourtant en faible concentration (environ 300 pg/ml et moins de 0,1 % du volume vitréen composé de macromolécules), qui est responsable de la structure gélatineuse du vitré. Sa concentration varie peu avec l’âge et une néosynthèse serait possible au cours de la vie, expliquant la migration postérieure de la base du vitré avec l’âge [41]. On trouve dans le vitré des fibrilles hétérotypiques de collagène de type II (60 % à 75 %), de type I X (25 %), de types V/XI (10 % à 25 %)[4], comme dans le cartilage — l ui aussi avasculaire. Les fibrilles de collagène subiraient des remaniements permanents dès le plus jeune âge [53]. Les fibrilles hétérotypiques de collagène sont recouvertes d’opticine, une petite glycoprotéine riche en leucine de la matrice extracellulaire. L’opticine est particulièrement concentrée au niveau de l’interface vitréorétinienne, où elle interagit avec l’héparane sulfate, un protéoglycane de la membrane basale que forme la limitante interne [31]. La nature exacte de l’adhérence vitréoréti- nienne reste imparfaitement comprise. L’insertion des fibrilles de collagène dans la limitante interne est bien reconnue en périphérie, plus spécifiquement en arrière de l’équateur, dans une zone de possible néosynthèse de collagène à l’âge adulte. Au niveau du cortex postérieur, les fibrilles adoptent plus volontiers une disposition parallèle à la limitante interne. L’opticine est probablement impliqué dans des interactions moléculaires avec les héparanes sulfates de la membrane limitante interne [5]. Les images de microscopie électronique réalisées sur des tissus humains montrent très clairement l’absence de plan de clivage entre le cortex vitréen et la membrane limitante interne, mais aussi une véritable insertion de fibrilles corticales périphériques dans la membrane limitante interne. Ainsi, en périphérie, un clivage complet n’est pas possible sans lyser les fibrilles corticales (fig. 30-1). Au niveau de l’interface vitréorétinienne, la laminine, glycoprotéine majeure constituant les membranes basales, et la fibronectine, principal maillon d’attache des cellules à la matrice extracellulaire, ont été identifiées. À ce niveau, il est difficile de différencier les éléments appartenant à la structure de la membrane limitante interne de ceux appartenant au cortex vitréen.



Les glycosaminoglycanes (GAG) sont de longues chaînes de disaccharides, toutes associées à un motif protéique, ce qui en fait des protéoglycanes, sauf les hyaluronanes, qui constituent 90 % des glycosaminoglycanes vitréens (65 g/ml à 400 g/ml). Les chaînes de hyaluronanes peuvent être très longues — le poids moléculaire des hyaluronanes dans le vitré est estimé à 2 à 4 millions — et ne sont pas sulfatées, contrairement aux autres glycosaminoglycanes. Leur densité n’est pas homogène dans le vitré : elle est maximale au niveau du cortex postérieur. Les autres glycosaminoglycanes sont des chondroïtines sulfates : le collagène de type IX et la versicane. La versicane possède des domaines de liaison aux hyaluronanes et se trouve ainsi très probablement associée à lui dans le vitré [66]. Des mutations dans les gènes codant la versicane sont identifiées dans des vitréorétinopathies héréditaires. Les glycosaminoglycanes ne sont pas des cibles idéales pour la vitréolyse enzymatique, destinée à créer ou favoriser un décollement postérieur du vitré, car la lyse des glycosaminoglycanes du vitré ne modifie pas les insertions de fibrilles corticales dans la limitante interne, laissant ainsi d’importants reliquats à sa surface.


Les fibrilles de collagène sont très résistantes à l’attaque enzy- matique, mais ce n’est que par leur fragilisation qu’un décollement postérieur du vitré peut être obtenu [5].



ACTIONS DES ENZYMES SUR LA STRUCTURE DU VITRÉ


Plusieurs enzymes ont été étudiées pour leur fonction de dégradation des glycosaminoglycanes ou de collagénase.



Hyaluronidases


Les hyaluronidases sont une classe d’enzymes qui dégradent les acides hyaluroniques en scindant le lien glucosaminidique entre le C1 du glucosamine et le C4 de l’acide glucuronique, abaissent ainsi leur viscosité. Il en résulte une liquéfaction plus ou moins prononcée du vitré, sans véritable décollement postérieur. En 1998, Harooni publiait que l’injection de 10 UI et 20 UI de hyaluronidase avait permis la création d’un décollement postérieur du vitré chez le lapin cinq semaines après l’injection, sans aucune toxicité rétinienne. C’est la seule étude, dans laquelle aucune analyse en microscopie électronique n’a d’ailleurs été effectuée, qui a rapporté une efficacité de la hyaluronidase [27]. En 1990, Gottlieb et al. ont montré que l’importance de la liquéfaction du vitré est proportionnelle à la dose injectée de hyaluronidase. Une dose supérieure à 1 UI de hyaluroni- dase induit une toxicité rétinienne avec apparition d’œdème, de blancheur des couches rétiniennes, d’inflammation dans le vitré et d’anomalies vasculaires, voire de nécroses rétiniennes aux doses élevées (plus de 50 UI) [24]. Pour autant, le cortex vitréen postérieur restait attaché à la rétine. Une forme purifiée de hyaluronidase ovine (Vitrase®, Ista Pharmaceutical, Ca, États-Unis) a été développée pour l’usage clinique, permettant essentiellement de favoriser la résolution des hémorragies intravitréennes [52]. La Vitrase® s’est avérée non toxique jusqu’à 50 UI [37,38]. Les formes purifiées de hyaluronidase ovines ne semblent pas présenter de toxicité.


Les hyaluronidases n’ont pas de place aujourd’hui dans l’arsenal de la vitréolyse enzymatique, en tout cas en monothérapie. De possibles associations avec la microplasmine ne sont en revanche pas à exclure.




Plasmine et microplasmine


La plasmine, enzyme protéolytique de 560 acides aminés, a pour rôle principal de dégrader la fibrine, (fibrinolyse, étape de la coagulation sanguine). La plasmine provient de l’activation du plas- minogène. Elle hydrolyse la fibrine et le fibrinogène, mais aussi la fibronectine, la laminine et la thrombospondine. Il n’y a pas de plasminogène dans le vitré normal. Il est nécessaire de réaliser une injection intravitréenne directe de plasmine ou de microplasmine. La microplasmine est une protéine recombinante contenant le domaine catalytique de la plasmine humaine pour obtenir un effet biologique.


Bien que l’interface vitréorétinienne contienne de la laminine et de la fibronectine, cibles de l’attaque enzymatique par la plasmine, il n’a pas été montré que ces glycoprotéines contribuent à former l’attache vitréorétinienne.


L’action de la plasmine est en fait indirecte, via les métallopro- téinases de la matrice extracellulaire (MMP), et résulte de l’activation de proMMP-2 endogène en MMP-2 active par l’intermédiaire de la MT1-MMP (membrane-type 1 MMP). La MMP-2 dégrade ensuite le collagène de type IV, permettant ainsi la liquéfaction du vitré et facilitant le décollement postérieur du vitré [50,65].


La plasmine induit une liquéfaction du vitré et un décollement postérieur du vitré proportionnels à la dose de plasmine injectée et à la durée d’exposition. Dans tous les cas d’utilisation de plasmine, la limitante interne et la rétine sont préservées [30].



image vitrectomie assistée par la microplasmine


La microplasmine (Thrombogenics, Belgique) est une forme recombinante simplifiée de la plasmine humaine qui conserve toutes ses propriétés enzymatiques mais possède une stabilité accrue, facilitant la conservation et le stockage.


Les premières expériences ont été réalisées sur des yeux de porc en analysant les attaches vitréorétiniennes grâce à un système de gradation sur préparation en microscopie électronique permettant d’identifier le degré de décollement postérieur du vitré. Ainsi, Gandorfer a pu montrer que le décollement postérieur du vitré peut être induit avec 1 UI ou 2 UI de plasmine en trente ou soixante minutes respectivement [15]. Des études similaires ont été réalisées sur des yeux humains, confirmant un décollement postérieur du vitré complet avec une préservation de l’intégrité de la limitante interne et de la rétine [14]. Ces résultats ont été confirmés par d’autres équipes sur des yeux de cadavres, montrant, de plus, une diminution significative du taux de fibronectine et de laminine au niveau de la limitante interne sans signe de toxicité rétinienne, même à la dose de 3 UI [45]. Quand 1 UI de plasmine a été injectée trente minutes avant une vitrectomie, le décollement postérieur du vitré était complet sur l’œil injecté, tandis que des reliquats de cortex étaient observés sur les yeux controlatéraux non injectés avec de la plasmine en préopératoire [18].


Sur la base de ces résultats précliniques, la microplasmine a été développée par l’industrie pharmaceutique, reproduisant les résultats observés avec la plasmine. L’injection de microplasmine a permis l’induction en trente minutes d’un décollement postérieur du vitré à partir de la dose de 125 pg dans l’œil humain en post mortem, et ceci de manière dose-dépendante. Chez le chat, l’injection de microplasmine a permis l’obtention d’un décollement postérieur du vitré complet trois jours après une dose de 25 pg et trois semaines après une dose de 14,5 pg. Dans tous les cas, la structure de la limitante interne et de la rétine était préservée. Chez le chat, il n’y a pas eu de réponse cellulaire anormale des cellules gliales rétiniennes ni des cellules neuronales [16].


La microplasmine présente des avantages par rapport à la plasmine [56] :


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Jun 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 30: Perspectives techniques et innovations

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