48: Décollement de rétine et traumatismes à globe ouvert

Chapitre 48 Décollement de rétine et traumatismes à globe ouvert




Classification internationale des traumatismes à globe ouvert


L’analyse des publications sur les traumatismes à globe ouvert est rendue difficile par l’utilisation d’une terminologie variable [21], sauf pour certaines publications récentes. Dans ce chapitre, nous utilisons la classification de Birmingham [23], qui fait généralement référence. Cette classification définit un traumatisme à globe ouvert comme une plaie de pleine épaisseur de la paroi oculaire, ellemême définie comme l’ensemble formé par la sclère et la cornée. Quatre types de traumatismes à globe ouvert existent (fig. 48-1) :







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Fig. 48-2 Éclatement temporal d’un globe droit avec décollement de rétine d’emblée par incarcération.a. Aspect per-opératoire. Le muscle droit latéral a été déposé. La sclère est en cours de suture. Il y a une issue de choroïde et de vitré (flèche blanche) à la partie postérieure de la plaie sclérale. b. Cette photographie est prise pendant la vitrectomie, 60 heures après celle en a. On note des plis rétiniens convergeant vers le site d’incarcération temporal inférieur. Le décollement de rétine est hémorragique (sang sous-rétinien), étendu de 4 h à 10 h environ. Sur 10 h, il y a une déchirure (flèche noire) qui s’est probablement constituée suite à la mise en tension importante de la rétine par l’incarcération. Il existe des hématomes choroïdiens de 7 h à 10 h. Le centre du pôle postérieur est à plat. c. Échographie en coupe horizontale (sonde de 10 MHz) la veille de la vitrectomie. En haut à gauche est placée la vignette b en miniature où est figurée l’orientation grossière de la coupe par une flèche verte. La flèche jaune montre la voussure hyperéchogène de l’hématome choroïdien. La flèche rouge montre la zone du décollement de rétine hémorragique dont l’interprétation échographique est difficile, l’hyperéchogénicité de l’hémorragie ne permettant pas d’individualiser la couche rétinienne sus-jacente. d. Des impacts de diathermie ont été placés au point d’incarcération et sur la rétine périphérique de 4 h à 10 h. Un rétinectomie a ensuite été pratiqué de 4 h à 10 h en prenant soin de dégager la rétine incarcérée. La rétine n’est plus sous tension et ne présente donc plus de plis. e.La rétine étant inversée, une choriorétinectomie prophylactique (têtes de flèches noires) a été pratiquée en arrière de l’hématome choroïdien, qui siège dans la zone incarcérée, en espérant éviter la migration des fibroblastes du site d’incarcération vers la rétine adjacente. Après ablation du sang sousrétinien, mise à plat de la rétine par dékaline et endolaser, un tamponnement par silicone a été mis en place.






Épidémiologie


Les tableaux 48-I et 48-II fournissent des informations statistiques (décollements de rétine, hémorragies du vitré, prolifération vitréorétinienne) et sur le pronostic (acuité visuelle) des traumatismes à globe ouvert. Les deux types de traumatismes le plus souvent associés à un décollement de rétine et/ou une prolifération vitréorétinienne sont le traumatisme perforant et l’éclatement du globe, où la destruction et l’extériorisation des tissus limitent d’emblée le potentiel de récupération [21].



Tableau 48-I – Incidences du décollement de rétine et de l’hémorragie du vitré et acuité visuelle finale pour les différents types de traumatismes à globe ouvert [16,19].


Les calculs sont fondés sur les plus de quatorze mille cinq cents cas de la base de l’United States Eye Injury Register[16].

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Tableau 48-II – Fréquence et délai du diagnostic de la prolifération vitréorétinienne dans les différents types de traumatismes à globe ouvert [3].


La prolifération vitréorétinienne est définie ici comme : « N’importe quelle prolifération cellulaire associée à n’importe quel degré de décollement de rétine. »

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Les dégâts occasionnés par les traumatismes à globe ouvert sont parfois suffisamment importants pour justifier une énucléation ou une éviscération d’emblée, particulièrement dans un contexte de guerre ou d’actes terroristes [5,30,32]. Ce facteur introduit de façon variable un biais dans les chiffres de décollements de rétine ou de prolifération vitréorétinienne des différentes séries publiées, qui ne concernent que les globes conservés (par exemple, vingt-cinq énucléations et une éviscération pour soixante et un cas de traumatismes perforants pour Colyer et al.[5]).


L’analyse multivariée d’une étude rétrospective de mille six cent cinquante-quatre traumatismes oculaires — dont mille trois cent vingt-sept contusions (80,3 %) et trois cent vingt-sept traumatismes à globe ouvert (19,7 %) — montre que la présence d’une prolifération vitréorétinienne est le principal facteur de risque d’un mauvais résultat visuel (acuité visuelle inférieure à 1/40) avec un risque relatif de 11,7 (p < 0,001) [3]. Par ailleurs, la présence d’un décollement de rétine affecte négativement l’ocular trauma score[22], score de gravité développé à partir de deux mille cinq cents cas de traumatismes oculaires [22] donnant des informations statistiques sur l’acuité visuelle finale d’un traumatisme. Il est donc compréhensible que l’acuité visuelle finale soit la plus mauvaise pour les éclatements et les traumatismes perforants, qui comportent les taux les plus élevés de prolifération vitréorétinienne et de décollements de rétine.



Mécanismes du décollement de rétine dans les traumatismes à globe ouvert




PROLIFÉRATION VITRÉORÉTINIENNE


La prolifération vitréorétinienne (tableau 48-II) constitue la cause majeure, commune à tous les traumatismes à globe ouvert, de décollements de rétine [3-6, 8, 1 6-1 9, 21, 24, 26, 28, 29, 31, 34, 35]. La définition de la prolifération vitréorétinienne dans les traumatismes à globe ouvert retenue par Cardillo et al.[3] est « N’importe quelle forme de prolifération cellulaire associée à n’importe quel degré de décollement de rétine » ; elle donne un cadre suffisant pour décrire toutes les formes de prolifération vitréorétinienne associées aux traumatismes à globe ouvert. En effet, au-delà des formes décrites dans la classification révisée de 1991 [25] — formes rétroéquatoriales avec nœuds de rétraction (stade C, type 1 et type 2) ou prolifération sous-rétinienne (stade C, type 3), formes pré-équatoriales avec prolifération sous-rétinienne (stade C, type 3) et rétraction circonférentielle (stade C, type 4) ou antéro-postérieure (stade C, type 5) —, les traumatismes à globe ouvert se caractérisent par certaines formes spécifiques de prolifération vitréorétinienne. La prolifération aux plaies d’entrée et de sortie d’un traumatisme perforant [28,35](fig. 48-3) ou à la plaie d’entrée et au point d’impact postérieur d’un corps étranger intraoculaire [21,34] ou au site d’une incarcération rétinienne (cf. infra) peut être à l’origine d’un décollement tractionnel (fig. 48-6 et 48-7) puis éventuellement mixte (fig. 48-8). Les fibrilles de vitré convergent souvent vers ces plaies et offrent un support aux fibroblastes qui s’alignent dessus [35]. Dans les traumatismes perforants, les fibrilles vitréennes alignées forment un tractus entre les plaies d’entrée et de sortie (fig. 48-3) [35]. La prolifération des fibroblastes au sein de ce tractus — qui peut devenir fibrovasculaire (fig. 48-7) — et la rétraction qui s’ensuit génèrent des tractions antéropostérieures [4] qui peuvent aboutir à un décollement de rétine tractionnel [8](fig. 48-3 et 48-7). Les fibroblastes choroïdiens peuvent migrer à travers une ouverture la membrane de Bruch et proliférer sous la rétine (fig. 48-9), souvent dans une zone d’hémorragie sous-rétinienne [35]. La prolifération intraoculaire des fibroblastes dans la zone d’une plaie ou dans le vitré commence dans la première semaine qui suit un traumatisme à globe ouvert avec atteinte postérieure et peut être massive moins de deux semaines après le traumatisme [35]. La présence d’une hémorragie du vitré est le principal facteur de risque associé à la prolifération vitréorétinienne en analyse multivariée dans une grande série rétrospective [3]. La prolifération vitréorétinienne peut causer un décollement de rétine dans les premiers jours suivant le traumatisme à globe ouvert. Dans un article sur les traumatismes perforants, Colyer et al. rapportent un cas au deuxième jour par prolifération dans la zone de la plaie d’entrée, un cas au dixième jour par rétraction antéropostérieure de la rétine antérieure (stade C, type 5 [25]) et un cas au treizième jour par fibrose sousrétinienne dans la zone de la plaie de sortie [5]. La prolifération vitréorétinienne peut exister au moment de la vitrectomie [3,5,29]. Elle peut aussi se développer dans les suites de la vitrectomie [26,29] et constitue une cause fréquente d’échec (38,3 %, soit quarante-six de cent vingt yeux atteints de traumatismes à globe ouvert pour Sobaci et al.[29]).





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Fig. 48-9 Traumatisme pénétrant avec plaie sclerale temporale inférieure par tronçonneuse.a. Résultat postopératoire d’un œil opéré plus de trois semaines après le traumatisme. L’incarcération temporale inférieure et la prolifération vitréorétinienne de stade C antérieure et postérieure[25]ont nécessité un pelage de membranes et une rétinectomie inférieure sur 270″ environ. Cinq mois après l’intervention, on note une récidive par prolifération sur les berges de la rétinectomie (flèche blanche) et rétraction d’un tissu prérétinien sous-papillaire. Les cordages sous-rétiniens (flèches noires) témoignent de la chronicité du décollement. L’œil est tamponné par silicone. L’acuité visuelle est à « compte les doigts à 1 mètre ». Les sommets des triangles verts et jaunes, opposés deux à deux, matérialisent la zone des deux coupes OCT.b.Coupe OCT verticale de 10 mm montrant le décollement tractionnel.c.Coupe OCT horizontale de 10 mm montrant l’épaississement et l’aspect d’hyper-réflectivité (membrane épirétinienne) de la rétine sous-papillaire.d.Reprise chirurgicale comportant un pelage du tissu glial sous-papillaire, un pelage d’une membrane épirétinienne maculaire et de la membrane limitante interne, l’ablation des cordages sous-rétiniens, un complément de rétinectomie inférieure et un nouveau tamponnement par silicone. L’acuité visuelle est à 1,6/10. Il persiste un fin décollement tractionnel de la partie inférieure du pôle postérieur lié à une traction résiduelle de la fibrose sous-papillaire qui est intrarétinienne. L’hypotonie et la traction résiduelle, sans traitement possible, ont fait renoncer à l’ablation d’huile de silicone. Cet œil vitrectomisé après avoir été adressé plus de trois semaines après le traumatisme pénétrant aurait probablement eu un meilleur pronostic anatomique et fonctionnel avec une vitrectomie plus rapide.



INCARCÉRATIONS TISSULAIRES


L’incarcération (choroïde, rétine, vitré) concerne surtout les éclatements (fig. 48-2 et 48-10) et les traumatismes pénétrants [34]. Un décollement de rétine immédiat existe toujours au voisinage immédiat d’une incarcération rétinienne, qui arrache la rétine des plans sous-jacents. Une incarcération de vitré dans une plaie cornéenne ou sclérale antérieure (limbique) peut aussi décoller immédiatement la rétine antérieure, attirée d’arrière en avant par le vitré incarcéré tendu [35]. Ce phénomène peut s’accentuer suite à la migration des fibroblastes le long des fibrilles incarcérées [35]. Un décollement de rétine par incarcération peut se compléter à distance soit d’emblée (fig. 48-2) soit de façon retardée. Le rôle inducteur de fibrose du traumatisme [34] aggrave fréquemment l’attraction de la rétine vers la zone d’incarcération (composante tractionnelle), peut fixer les plis rétiniens d’incarcération (composante de type prolifération vitréorétinienne) et peut créer des déchirures à distance (composante rhegmatogène) (fig. 48-2).



Jun 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 48: Décollement de rétine et traumatismes à globe ouvert

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