Chapitre 6 Traitements chirurgico-orthodontiques
Initialement destinée aux traitements des grands syndromes, cette chirurgie a vu ses indications se multiplier dans le cadre de protocoles chirurgico-orthodontiques grâce à l’instauration d’un dialogue entre chirurgiens et orthodontistes [3,5–7], à l’amélioration constante des protocoles proposés, à la qualité des résultats obtenus et à l’allégements des procédures chirurgicales et postchirurgicales.
Leur mise en œuvre doit être rigoureusement planifiée dans le cadre d’une étroite collaboration entre le chirurgien et l’orthodontiste, tout au long du traitement, de l’indication chirurgicale à la contention. L’équipe pluridisciplinaire [3] s’enrichit le plus souvent d’un odontologiste, d’un occlusodontiste, d’un orthophoniste ou d’un kinésithérapeute et parfois, en fonction des besoins du patient, d’un ORL, d’un somnologue ou d’un psychologue (cas clinique 1).
Cas clinique 1 Nécessité d’une collaboration pluridisciplinaire
Dans le sens transversal, l’endognathie maxillaire avec une discordance des diamètres intercanins nécessite une disjonction intermaxillaire chirurgicale pré-orthodontique.
compromis. Avant toute prise en charge chirurgico-orthodontique, des soins doivent être réalisés et les solutions prothétiques concernant les molaires mandibulaires doivent être envisagées car elles peuvent influencer le plan de traitement chirurgico-orthodontique.
Le dialogue entre ces différents spécialistes, et tout particulièrement entre le chirurgien et l’orthodontiste, est la clé du succès de ces traitements. Il assure, en effet, la concordance des stratégies orthodontique et chirurgicale optimisant ainsi la préparation orthodontique préchirurgicale et facilite le soutien psychologique du patient. L’unité du discours et la cohérence du plan de traitement proposé renforcent la confiance du patient et le sécurisent pendant ce traitement long dont les répercussions psychologiques ne doivent pas être négligées [12].
Indications des protocoles chirurgico-orthodontiques
Si certains adultes consultent parfois le chirurgien en première intention, pour l’enfant ou l’adolescent l’indication d’un protocole chirurgico-orthodontique est posée par l’orthodontiste face à une dysmorphose sévère dont le potentiel évolutif semble défavorable tant sur le plan esthétique que fonctionnel. L’appréciation de ce potentiel est souvent délicate. Elle repose sur :
Pour préciser le potentiel évolutif de la dysmorphose, une action orthopédique peut être instaurée en test thérapeutique [6].
Ce diagnostic chirurgical découle de l’examen clinique et de l’analyse céphalométrique. Il repose sur l’analyse esthétique du visage et du sourire et sur l’évaluation des compensations alvéolaires naturelles qui posent les limites des possibilités thérapeutiques orthodontiques.
Les indications des protocoles chirurgico-orthodontiques concernent :
Cas clinique 7 Distraction mandibulaire chez une jeune adulte
Cas rédigé par le Dr Frapier et le Dr Canal à partir des clichés du Dr Parent et du Dr Yachouh1
M., une jeune femme âgée de 20 ans, consulte pour corriger un encombrement mandibulaire. Elle présente des antécédents orthodontiques avec avulsions des premières prémolaires maxillaires. La mandibule est rétrognathe, asymétrique et obtuse (figure 6.18 A à C). L’angle nasolabial est ouvert. L’occlusion labiale se fait au prix d’une contraction du muscle mentalis. La ventilation est orale.
M. présente une classe II division 1 d’Angle, subdivision droite avec étroitesse maxillaire et DDM mandibulaire. Le parodonte est inflammatoire (figure 6.18 D à H).
Après 18 mois de décompensation dento-alvéolaire orthodontique, le surplomb horizontal est tel qu’une distraction mandibulaire est indiquée (figure 6.19). L’ostéotomie de Lefort I sera à réévaluer.
Après traitement, la mandibule est mieux projetée. Les rapports labiaux sont améliorés. Et l’angle nasolabial est un peu moins ouvert. Cependant, le manque de soutien de la lèvre supérieure du fait de la rectitude de l’incisive maxillaire est à regretter. En outre, bien que la ventilation ne soit plus exclusivement orale, la fermeture labiale se fait toujours avec contraction du mentalis (figure 6.20). L’idéal serait de compléter cette chirurgie par une impaction maxillaire qui favoriserait une rotation mandibulaire plus antérieure et une diminution de l’étage sous-nasal. La patiente, très satisfaite de son résultat esthétique et fonctionnel, mais estimant le protocole très contraignant, ne souhaite pas de reprise chirurgicale.
Cas clinique 2 Classe II division 1 hypodivergente Cas traité par le Dr Boileau et le Dr Caix1
Une chirurgie d’avancement mandibulaire avec nivellement post-chirurgical de la courbe de Spee a permis de maintenir l’équilibre labial et d’ouvrir la hauteur faciale inférieure.
Une génioplastie pourra éventuellement être envisagée après adaptation des tissus mous.
Établissement de la stratégie thérapeutique
Il détermine aussi les caractéristiques et la sévérité de la malocclusion associée ainsi que l’importance des compensations alvéolaires. Il précise le contexte dentoparodontal et articulaire du patient et les éventuelles dysfonctions associées.
Différentes analyses céphalométriques à visée chirurgicale (analyses de Delaire, Coben, Arnett et Gunson… [20]) complètent les analyses céphalométriques orthodontiques habituelles.
Dans les dysmorphoses complexes où l’atteinte est le plus souvent tridimensionnelle, la tomodensitométrie est indispensable. L’analyse développée par Treil et Casteigt aide à « visualiser les sites pathologiques et quantifier les déséquilibres volumétriques [et par suite] à codifier les programmes chirurgicaux et apprécier l’impact des ostéotomies » [6] (cas clinique 3 : cf.figures 6.3 F à H).
Cas clinique 3 Apport de la tomodensitométrie dans les asymétries faciales
Cas traité par le Dr Faréou1 et le Dr Casteigt
Patient présentant une forte asymétrie faciale dans un contexte squelettique de classe III hyperdivergente (figure 6.3 A et B).
La préparation orthodontique réalisée par le Dr Faréou a maintenu la bascule du plan d’occlusion et a permis le recentrage des points interincisifs respectivement dans le plan sagittal médian au maxillaire, et par rapport au menton, au niveau de la mandibule (figure 6.3 C à E).
La tomodensitométrie préchirurgicale réalisée et analysée par le Dr Treil (figure 6.3 F à I) montre la déviation de la partie inférieure de la charpente maxillofaciale ainsi que la tendance à la prognathie mandibulaire dans un contexte vertical d’hyperdivergence. L’analyse des arcades met en évidence la forte bascule de l’arcade maxillaire à gauche vers le haut ainsi que l’asymétrie des inclinaisons dentaires des secteurs latéraux.
Les photographies exobuccales (figure 6.3 J et K) et endobuccales (figure 6.3 L à N) après chirurgie montrent l’harmonisation du visage et la correction de l’occlusion.
La comparaison des analyses 3D avant et après chirurgie confirme le rétablissement de la symétrie faciale, la fermeture du sens vertical et la normalisation des plans d’arcade (figure 6.3 O à V).
Ce dialogue s’organise le plus souvent autour de simulations occlusales et surtout céphalométriques : les set-up préchirurgicaux [5,6,10]. Ils permettent en effet de visualiser l’impact des différentes thérapeutiques envisagées, d’apprécier leur faisabilité et de les coordonner. Grâce à ces simulations, les deux praticiens peuvent affiner la stratégie thérapeutique et quantifier les déplacements dentaires et chirurgicaux à effectuer.
Le projet thérapeutique est présenté conjointement au patient dans sa globalité avant toute action thérapeutique. Au cours de cette consultation initiale, les praticiens évaluent la motivation du patient, les raisons de sa démarche et déterminent sa capacité à adhérer au protocole choisi et à supporter sur le plan psychologique ses conséquences. Les patients non motivés ou trop fragiles ne doivent pas être opérés [3,6,7].
Préparation orthodontique préchirurgicale
Calendrier thérapeutique
Même lorsque l’indication chirurgicale est posée précocement, la chirurgie orthognathique n’intervient qu’en fin de croissance, vers 16 ou 17 ans chez les filles, 18 ans chez les garçons afin d’éviter les risques de récidive liés à une croissance mandibulaire tardive défavorable, surtout dans les classes III et les asymétries.
Une préparation orthodontique précoce ne semble donc trouver d’intérêt que dans les cas de très forte dysharmonie dentomaxillaire pour prévenir les risques d’inclusion, protéger l’environnement parodontal et rétablir un alignement dentaire plus harmonieux qui améliorera le sourire du patient.
Objectifs de la préparation orthodontique
Cette phase orthodontique remplit quatre objectifs essentiels.
Gérer les problèmes intra-arcades (cas clinique 4)
Comme un traitement orthodontique classique, elle assure :
Cas clinique 4 Préparation chirurgicale : gestion des problèmes intra-arcades
Cas traité par le Dr Pujol et le Dr Casteigt
Préparation orthodontique préchirurgicale, réalisée par le Dr Pujol, d’une jeune patiente présentant une hyperdivergence mandibulaire associée à une classe III squelettique. La préparation orthodontique doit gérer plusieurs problèmes intra-arcades (figure 6.4 A) : la présence de deux canines incluses maxillaires (figure 6.4 B), l’encombrement mandibulaire asymétrique lié à l’extraction unilatérale d’une prémolaire mandibulaire (44), la déviation dentaire des points interincisifs.
La préparation chirurgicale a assuré le nivellement de la courbe de Spee maxillaire et a levé les compensations alvéolaires verticales des incisives maxillaires permettant ainsi l’affrontement des deux plans d’occlusion après chirurgie.
Lors de la préparation chirurgicale, le milieu maxillaire a été recentré par rapport au plan sagittal médian et le milieu mandibulaire, initialement dévié à droite en raison de l’extraction asymétrique mandibulaire, a été recentré par rapport à la symphyse (figure 6.4 A et 6.4 E). L’intervention chirurgicale, réalisée par le Dr Casteigt, a rétabli la concordance des milieux lors du recul asymétrique de la mandibule au cours de la chirurgie (figure 6.4 G).