6: Traitements chirurgico-orthodontiques

Chapitre 6 Traitements chirurgico-orthodontiques




Lorsque les limites de l’orthodontie et de l’orthopédie sont dépassées, l’accomplissement des objectifs thérapeutiques (obtention d’une occlusion fonctionnelle stable dans le respect du contexte parodontal et articulaire et rétablissement de l’harmonie esthétique du visage et du sourire) impose le recours à la chirurgie orthognathique.


Initialement destinée aux traitements des grands syndromes, cette chirurgie a vu ses indications se multiplier dans le cadre de protocoles chirurgico-orthodontiques grâce à l’instauration d’un dialogue entre chirurgiens et orthodontistes [3,57], à l’amélioration constante des protocoles proposés, à la qualité des résultats obtenus et à l’allégements des procédures chirurgicales et postchirurgicales.


Ces traitements chirurgico-orthodontiques gardent des indications précises et ne doivent pas être systématisés. Ils ne peuvent concerner que des patients motivés et parfaitement informés.


Leur mise en œuvre doit être rigoureusement planifiée dans le cadre d’une étroite collaboration entre le chirurgien et l’orthodontiste, tout au long du traitement, de l’indication chirurgicale à la contention. L’équipe pluridisciplinaire [3] s’enrichit le plus souvent d’un odontologiste, d’un occlusodontiste, d’un orthophoniste ou d’un kinésithérapeute et parfois, en fonction des besoins du patient, d’un ORL, d’un somnologue ou d’un psychologue (cas clinique 1).



Le dialogue entre ces différents spécialistes, et tout particulièrement entre le chirurgien et l’orthodontiste, est la clé du succès de ces traitements. Il assure, en effet, la concordance des stratégies orthodontique et chirurgicale optimisant ainsi la préparation orthodontique préchirurgicale et facilite le soutien psychologique du patient. L’unité du discours et la cohérence du plan de traitement proposé renforcent la confiance du patient et le sécurisent pendant ce traitement long dont les répercussions psychologiques ne doivent pas être négligées [12].



Indications des protocoles chirurgico-orthodontiques


Si certains adultes consultent parfois le chirurgien en première intention, pour l’enfant ou l’adolescent l’indication d’un protocole chirurgico-orthodontique est posée par l’orthodontiste face à une dysmorphose sévère dont le potentiel évolutif semble défavorable tant sur le plan esthétique que fonctionnel. L’appréciation de ce potentiel est souvent délicate. Elle repose sur :






Le dépistage précoce d’une anomalie relevant d’une prise en charge orthodontico-chirurgicale permet d’informer le patient et ses parents et de les préparer progressivement à l’éventualité d’une chirurgie.


Pour préciser le potentiel évolutif de la dysmorphose, une action orthopédique peut être instaurée en test thérapeutique [6].


Ce diagnostic chirurgical découle de l’examen clinique et de l’analyse céphalométrique. Il repose sur l’analyse esthétique du visage et du sourire et sur l’évaluation des compensations alvéolaires naturelles qui posent les limites des possibilités thérapeutiques orthodontiques.


Les indications des protocoles chirurgico-orthodontiques concernent :



les décalages squelettiques sévères qui dépassent les possibilités de compensations alvéolaires (cf.cas clinique 1) ou dont les répercussions esthétiques nécessitent de rétablir l’équilibre et l’harmonie faciale chirurgicalement ;




Cas clinique 7 Distraction mandibulaire chez une jeune adulte


Cas rédigé par le Dr Frapier et le Dr Canal à partir des clichés du Dr Parent et du Dr Yachouh1


M., une jeune femme âgée de 20 ans, consulte pour corriger un encombrement mandibulaire. Elle présente des antécédents orthodontiques avec avulsions des premières prémolaires maxillaires. La mandibule est rétrognathe, asymétrique et obtuse (figure 6.18 A à C). L’angle nasolabial est ouvert. L’occlusion labiale se fait au prix d’une contraction du muscle mentalis. La ventilation est orale.


M. présente une classe II division 1 d’Angle, subdivision droite avec étroitesse maxillaire et DDM mandibulaire. Le parodonte est inflammatoire (figure 6.18 D à H).


Compte tenu de la sévérité de la classe II squelettique, la stratégie thérapeutique est orthochirurgicale. Le premier plan de traitement proposait une ostéotomie d’impaction maxillaire et une ostéotomie d’avancée mandibulaire associée à une génioplastie de réduction verticale et d’allongement sagittal. Des avulsions de premières prémolaires mandibulaires ont été programmées pour permettre une symétrisation des arcades (14–24 déjà avulsées), un alignement de l’arcade mandibulaire et un repositionnement lingual des incisives mandibulaires.


Après 18 mois de décompensation dento-alvéolaire orthodontique, le surplomb horizontal est tel qu’une distraction mandibulaire est indiquée (figure 6.19). L’ostéotomie de Lefort I sera à réévaluer.


Au total, la distraction mandibulaire apporte un gain sagittal de 13 mm avec un bon contrôle du vecteur directionnel. L’avancée mandibulaire est réalisée grâce à un distracteur interne de type McCarthy, sur une durée de 18 jours, activé au rythme de 1 mm/j. Une stabilisation de 3 mois avec ajustement occlusal orthodontique a été réalisée avant la dépose du distracteur. Trois mois de finition orthodontique ont été encore nécessaires afin d’assurer les objectifs esthétiques et fonctionnels. Une rééducation neuromusculaire a été menée en postopératoire afin de rétablir une ouverture buccale normale et une mastication solide.


Après traitement, la mandibule est mieux projetée. Les rapports labiaux sont améliorés. Et l’angle nasolabial est un peu moins ouvert. Cependant, le manque de soutien de la lèvre supérieure du fait de la rectitude de l’incisive maxillaire est à regretter. En outre, bien que la ventilation ne soit plus exclusivement orale, la fermeture labiale se fait toujours avec contraction du mentalis (figure 6.20). L’idéal serait de compléter cette chirurgie par une impaction maxillaire qui favoriserait une rotation mandibulaire plus antérieure et une diminution de l’étage sous-nasal. La patiente, très satisfaite de son résultat esthétique et fonctionnel, mais estimant le protocole très contraignant, ne souhaite pas de reprise chirurgicale.


1 Dr Audrey Parent : Odontologiste, étudiante 4e CECSMO, Service d’Orthopédie Dento-Faciale, Université de Montpellier I.


Dr Jacques Yachouh : Chirurgien Maxillo-Facial, PHU, Service de Chirurgie Maxillo-Faciale, Hôpital Lapeyronie, Université de Montpellier I.







Établissement de la stratégie thérapeutique


La stratégie thérapeutique repose sur l’observation clinique et l’analyse des examens complémentaires en particulier d’imagerie.


L’examen clinique permet d’évaluer au niveau facial les déséquilibres du visage dans les trois dimensions de l’espace et le préjudice esthétique qui en découle.


Il détermine aussi les caractéristiques et la sévérité de la malocclusion associée ainsi que l’importance des compensations alvéolaires. Il précise le contexte dentoparodontal et articulaire du patient et les éventuelles dysfonctions associées.


Les examens complémentaires permettent de confirmer le siège des différentes anomalies, d’en quantifier l’importance et servent de base aux différentes simulations occlusales et surtout céphalométriques.


Différentes analyses céphalométriques à visée chirurgicale (analyses de Delaire, Coben, Arnett et Gunson… [20]) complètent les analyses céphalométriques orthodontiques habituelles.


Dans les dysmorphoses complexes où l’atteinte est le plus souvent tridimensionnelle, la tomodensitométrie est indispensable. L’analyse développée par Treil et Casteigt aide à « visualiser les sites pathologiques et quantifier les déséquilibres volumétriques [et par suite] à codifier les programmes chirurgicaux et apprécier l’impact des ostéotomies » [6] (cas clinique 3 : cf.figures 6.3 F à H).



Cas clinique 3 Apport de la tomodensitométrie dans les asymétries faciales


Cas traité par le Dr Faréou1 et le Dr Casteigt


Patient présentant une forte asymétrie faciale dans un contexte squelettique de classe III hyperdivergente (figure 6.3 A et B).


La préparation orthodontique réalisée par le Dr Faréou a maintenu la bascule du plan d’occlusion et a permis le recentrage des points interincisifs respectivement dans le plan sagittal médian au maxillaire, et par rapport au menton, au niveau de la mandibule (figure 6.3 C à E).


La tomodensitométrie préchirurgicale réalisée et analysée par le Dr Treil (figure 6.3 F à I) montre la déviation de la partie inférieure de la charpente maxillofaciale ainsi que la tendance à la prognathie mandibulaire dans un contexte vertical d’hyperdivergence. L’analyse des arcades met en évidence la forte bascule de l’arcade maxillaire à gauche vers le haut ainsi que l’asymétrie des inclinaisons dentaires des secteurs latéraux.


Le programme chirurgical réalisé par le Dr Casteigt a consisté en une chirurgie bimaxillaire avec une ostéotomie de Lefort I d’impaction de 4 mm du côté droit avec superposition des structures et d’impaction de 1 mm du côté gauche associée à un clivage sagittal de recentrage mandibulaire avec un recul de 4 mm du côté droit et un avancement de 2 mm du côté gauche.


Les photographies exobuccales (figure 6.3 J et K) et endobuccales (figure 6.3 L à N) après chirurgie montrent l’harmonisation du visage et la correction de l’occlusion.


La comparaison des analyses 3D avant et après chirurgie confirme le rétablissement de la symétrie faciale, la fermeture du sens vertical et la normalisation des plans d’arcade (figure 6.3 O à V).




Le dialogue entre le chirurgien et l’orthodontiste au cours de cette phase initiale permet de confronter leur approche esthétique et surtout de préciser les impératifs et les limites thérapeutiques de chaque spécialité, dans le cas précis du patient, afin d’accorder les stratégies chirurgicale et orthodontique pour optimiser sa prise en charge esthétique et fonctionnelle. La chirurgie modifie les références et les objectifs orthodontiques habituels par la disparition des références intermaxillaires et les nécessaires décompensations alvéolaires. L’intervention chirurgicale doit s’intégrer dans une prise en charge globale de l’état buccodentaire (correction de la dysharmonie dentomaxillaire ou des anomalies dentaires, réhabilitation prothétique éventuelle…). La réflexion thérapeutique sur ce projet dont les différentes phases sont en étroite dépendance doit donc être conjointe.


Ce dialogue s’organise le plus souvent autour de simulations occlusales et surtout céphalométriques : les set-up préchirurgicaux [5,6,10]. Ils permettent en effet de visualiser l’impact des différentes thérapeutiques envisagées, d’apprécier leur faisabilité et de les coordonner. Grâce à ces simulations, les deux praticiens peuvent affiner la stratégie thérapeutique et quantifier les déplacements dentaires et chirurgicaux à effectuer.


Le projet thérapeutique est présenté conjointement au patient dans sa globalité avant toute action thérapeutique. Au cours de cette consultation initiale, les praticiens évaluent la motivation du patient, les raisons de sa démarche et déterminent sa capacité à adhérer au protocole choisi et à supporter sur le plan psychologique ses conséquences. Les patients non motivés ou trop fragiles ne doivent pas être opérés [3,6,7].



Préparation orthodontique préchirurgicale



Calendrier thérapeutique


Même lorsque l’indication chirurgicale est posée précocement, la chirurgie orthognathique n’intervient qu’en fin de croissance, vers 16 ou 17 ans chez les filles, 18 ans chez les garçons afin d’éviter les risques de récidive liés à une croissance mandibulaire tardive défavorable, surtout dans les classes III et les asymétries.


La préparation orthodontique est, le plus souvent, réalisée juste avant la chirurgie, vers 15 ou 16 ans en fonction de sa durée estimée et de la date présumée de l’intervention.


Certains auteurs ont préconisé une préparation plus précoce, vers 12 ans, à l’âge habituel des traitements orthodontiques multi-attaches. Si l’appareil est peut-être mieux accepté à cet âge, ce calendrier présente plusieurs inconvénients majeurs :





Une préparation orthodontique précoce ne semble donc trouver d’intérêt que dans les cas de très forte dysharmonie dentomaxillaire pour prévenir les risques d’inclusion, protéger l’environnement parodontal et rétablir un alignement dentaire plus harmonieux qui améliorera le sourire du patient.



Objectifs de la préparation orthodontique


Cette phase orthodontique remplit quatre objectifs essentiels.



Gérer les problèmes intra-arcades (cas clinique 4)


Comme un traitement orthodontique classique, elle assure :







Dans le cadre d’un traitement chirurgico-orthodontique, l’analyse des besoins d’espace reste identique à celle d’un traitement orthodontique classique. Le choix des extractions éventuelles et les modalités de fermeture des espaces doivent cependant intégrer les nécessités de décompensation alvéolaire.


Dans certains cas d’encombrement sévère, la correction des problèmes intra-arcades impose parfois une réduction des objectifs de décompensation.

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May 14, 2017 | Posted by in DENTAIRE | Comments Off on 6: Traitements chirurgico-orthodontiques

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