5: Orthodontie

Chapitre 5 Orthodontie





Principes : biomécanique et réactions tissulaires



Réactions tissulaires au cours du déplacement orthodontique1


On sait depuis longtemps que les dents peuvent être déplacées, mais tous les mécanismes biologiques permettant ces déplacements sont encore loin d’être connus.


À la fin du xixe siècle, Farrar écrivait : « Les dents peuvent se déplacer selon deux types de changements tissulaires, soit par absorption de l’alvéole d’un côté et croissance d’un nouveau support de l’autre, soit par déformation de l’alvéole. » À partir de cette dernière hypothèse, Farrar élabore une technique avec des appareillages susceptibles de déplacer les dents par déformation du procès alvéolaire. Un peu plus tard, Angle développe, à partir des travaux d’Oppenhein, une nouvelle technique bannissant « les forces qui font ployer l’os », basée sur le déplacement dentaire par apposition-résorption osseuse. Contrairement aux autres auteurs, l’école d’Angle déclare employer des forces légères.


Cette notion de force légère va, elle aussi, évoluer en fonction des techniques, des connaissances histologiques et de l’observation des effets iatrogènes des traitements orthodontiques (résorption radiculaire, perte d’attache et d’os marginal).


Ces effets et l’observation de déplacements physiologiques au cours du vieillissement ou lors de pertes dentaires prématurées, ont amené les orthodontistes à rechercher des systèmes mécaniques permettant de réaliser des déplacements dentaires les plus proches possibles des déplacements physiologiques.


Tout l’art de l’orthodontiste est de mettre en place un système mécanique remplissant deux nécessités contradictoires :




C’est le plan de traitement initial qui va établir les déplacements souhaités, ou non, des différentes dents de l’arcade.



Remaniement physiologique


Ce sont les phénomènes de remodelage des éléments du parodonte qui vont, suite à l’application d’une force, s’adapter et permettre le déplacement dentaire.


Comme de nombreux autres tissus, les tissus péridentaires ont, à l’état sain, un rythme de renouvellement à la fois cellulaire et extracellulaire. Ce turn-over concerne les cellules, les fibres et la substance fondamentale du desmodonte, de l’os alvéolaire et, dans une moindre mesure, du cément.


Ce sont tous ces remaniements qu’il convient de comprendre, car c’est en fait la perturbation de ces phénomènes qui permet le déplacement orthodontique des dents.



Remaniement du desmodonte


Le ligament alvéolodentaire a une double responsabilité au niveau du remodelage :







Remodelage de l’os alvéolaire


L’os alvéolaire est un tissu conjonctif dont la substance intercellulaire, fabriquée par ses cellules, se minéralise.


Il est constitué de cellules osseuses et d’une matrice fibreuse (90 % collagène, 10 % glycoprotéines) qui est secondairement minéralisée.


Pour assurer ses fonctions d’homéostasie, d’hématopoïèse, de support et de protection, l’os alvéolaire, comme l’ensemble des os de l’organisme, est soumis à un remodelage assuré par les ostéoblastes (d’origine mésenchymateuse) et les ostéoclastes (d’origine hématopoïétique).


Ces remaniements ont lieu dans des foyers bien localisés appelés basic multicellular unit (BMU), et selon la séquence activation–résorption–inversion–formation (ARIF) :






Cette séquence ARIF est suivie par une phase dite de quiescence durant laquelle l’os nouveau est tapissé par des cellules bordantes.


La différence de constitution entre l’os cortical et l’os trabéculaire (moins de cellules, plus de substance minéralisée dans l’os cortical) entraîne des différences de comportement.


Le remodelage est soumis à une régulation par des facteurs généraux (hormones calciotropes) et des facteurs locaux (facteurs de croissance, cytokines, interleukines…).


L’activation du cycle cellulaire est déclenchée sous l’effet d’un message général, régional ou local, entraînant les phénomènes de résorption au niveau d’une surface osseuse déterminée.



Remaniement thérapeutique


L’application continue d’une force sur une dent va entraîner des réactions biologiques afin de diminuer les contraintes subies.


Il y a mise en jeu et orientation des phénomènes de remodelage avec, pour conséquence, le déplacement dentaire.




Effets à plus long terme


Un certain temps de latence va être nécessaire pour que le déplacement se poursuive. Il correspond à la mise en jeu des phénomènes histologiques de remodelage. Cependant, ce temps de latence est très variable (de un à une dizaine de jours). Cette différence s’explique par le niveau de pression qu’entraîne le système mécanique :




La dent se déplace, mais reste maintenue à l’os. Du côté en pression, il existe des zones en résorption et d’autres en apposition, mais avec, en valeur absolue, plus de résorption. C’est l’inverse du côté tension (figures 5.1 et 5.2).






Force idéale


De nombreux auteurs ont essayé de définir une force idéale ou optimale pour le déplacement dentaire. Cette force doit permettre un déplacement le plus rapide possible. Ainsi, Storey et Smith ont observé un déplacement plus rapide lors d’un recul canin avec des forces de l’ordre de 150–200 g.


La force idéale ne doit pas être iatrogène. Cependant, l’observation de cas cliniques montre certains effets iatrogènes :





Plusieurs éléments peuvent expliquer ces phénomènes :






Au vu de ces éléments, idéalement, la force optimale est celle qui permet le déplacement le plus rapide sans phénomènes de hyalinisation tout en contrôlant l’inflammation. Cela est vrai pour la dent à déplacer, mais, pour les dents d’ancrage, le niveau de force doit être suffisamment faible pour se situer sous le seuil d’enclenchement des réactions histologiques afin de limiter le déplacement de ces dents (figure 5.3).




Principes mécaniques généraux2


Les mouvements dentaires provoqués sont très lents et ne nécessitent pas l’application des lois de la dynamique. Une simple analyse de mécanique statique, étude de l’équilibre des forces et moments en présence, est suffisante pour évaluer les actions et réactions engendrées par les dispositifs orthodontiques.


Les principes de mécanique s’appliquent à tout appareil orthodontique, fixe ou amovible, à action orthodontique ou orthopédique. La bonne connaissance de ces principes permet de choisir le système de forces, le dispositif le plus adapté aux mouvements que l’on souhaite provoquer et d’en maîtriser l’action et les effets parasites éventuels.



Notion de force et de couple de forces


Une force se définit comme une action mécanique capable de déformer un corps ou de modifier la quantité de mouvement de ce corps, c’est-à-dire de le déplacer.


Une force est représentée par un vecteur, déterminé par :












Moment d’une force, d’un couple


Lorsque la ligne d’action ne passe pas par le centre de résistance, le corps effectue une translation associée à une rotation.


Le moment de la force M(f) caractérise cette rotation et correspond au produit de l’intensité de la force (F) par la distance orthogonale de sa ligne d’action au centre de résistance (d) :



image



Le moment d’un couple M(c), dont les forces sont d’intensité égale, correspond au produit de l’intensité d’une des deux forces (Fc) par la distance orthogonale entre les deux lignes d’action (dc) :



image



Le rapport moment/force est l’élément essentiel de la gestion mécanique du dispositif orthodontique. Il détermine le mouvement que l’on va réaliser et la position du centre de rotation :











Les dispositifs orthodontiques permettent aussi la réalisation de trois déplacements complémentaires :






Situations d’équilibre


Les déplacements orthodontiques sont très lents. Ainsi à un instant t, le système dento-alvéolaire est en équilibre. La somme des forces et des moments est alors nulle. Dans ce contexte, il est possible de mieux appréhender les effets recherchés ou parasites des dispositifs orthodontiques. Trois principales situations d’équilibre sont classiquement commentées.




Situation en V asymétrique (encadré 5.2)


La courbure du fil est décentrée entre les attaches nivelées (figure 5.12). L’effort d’insertion du fil est plus important du côté décentré, le couple de forces apparaissant à l’entrée et à la sortie de cette attache sera plus important, générant un moment (et donc une rotation) plus fort et de sens inverse à celui apparaissant au niveau de l’attache opposée. La somme des forces mises en jeu est nulle, celle des moments ne l’est pas.



Encadré 5.2 Situation en V asymétique : exemple clinique


Courbure d’inclinaison antérieure (tip forward) d’une canine avant sa rétraction (figure 5.12). L’asymétrie des couples de forces mis en place est compensée par un couple d’arcade provoquant une égression canine et une ingression prémolaire associées dans une bascule anti-horaire du plan d’occlusion.



Le système doit donc être complété par un moment global, équilibrant, qui provoquera une force égressive du côté décentré et ingressive du côté opposé.



Situation en V très asymétrique et situation en escalier (encadré 5.3)


Ces deux situations produisent des actions et réactions similaires.


V très asymétrique (figure 5.13) : lors de l’insertion d’une courbure décentrée très accentuée, le fil subit une déformation particulière engendrant un moment important du côté décentré et moins important du côté opposé mais de même sens. Un moment global d’équilibre est donc nécessaire comportant une force égressive côté décentré et ingressive côté opposé.

Situation en escalier ou en gradin (figure 5.14) : deux courbures en épi appliquées au fil provoquent l’apparition de moments d’intensité égale ou non, mais de même sens. Un moment global d’équilibre est donc nécessaire comportant une force égressive d’un côté et ingressive du côté opposé.




La bonne connaissance et la maîtrise de ces principes simples de biomécanique sont indispensables à la gestion du déplacement dentaire. Trois idées fortes ressortent :






Appareils multi-attaches



Principes3


Même si certains déplacements dentaires peuvent être effectués avec des appareils amovibles et malgré les progrès des gouttières d’alignement, seuls les appareils multi-attaches permettent d’assurer un contrôle rigoureux des déplacements dentaires dans les trois dimensions de l’espace. Ce chapitre sur l’orthodontie se limite donc aux principes des techniques multi-attaches.


Dans ce type d’appareils, l’attache et le fil forment un couple indissociable qui assure le déplacement de la dent et son contrôle. Selon les phases et les techniques, l’arc peut, par son élasticité, assurer le déplacement d’une dent ou d’un groupe de dents (alignement, rétraction par arc ou sectionnel à boucle) ou guider le déplacement des dents mobilisées par un accessoire à la manière d’un rail (recul canin ou incisif en glissement).


La force exercée par l’arc sur la dent et le moment éventuel induit dépendent des caractéristiques mécaniques de l’arc et de sa déformation lors de l’insertion dans l’attache. En effet, par son élasticité, l’arc tend à retourner à sa forme initiale en délivrant sur la dent une force responsable de son déplacement.



Informations


La position finale recherchée pour la dent est contrôlée par les informations contenues dans l’arc (techniques non informées) ou dans l’attache (techniques pré-informées). Dans les deux cas, la lecture de l’information est assurée par la déformation de l’arc pour rentrer dans la gorge de l’attache.


Ces informations concernent les trois dimensions de l’espace (encadré 5.4).






La lecture de l’information dépend aussi du remplissage de la gorge par l’arc. L’information ne peut être lue en totalité par le couple « arc-attache » que s’ils sont de même dimension. L’utilisation d’arcs sous-dimensionnés induit un jeu entre l’arc et la gorge de l’attache d’où résulte une perte des informations de deuxième ordre et surtout de troisième ordre (figure 5.18).



De plus, en raison de la convexité des faces vestibulaires des dents, les informations de troisième ordre contenues dans l’attache dépendent de la position de l’attache sur la dent et de la régularité de l’épaisseur de colle sous l’attache (figure 5.19).



L’intensité de la force délivrée dépend des caractéristiques du fil utilisé : section, longueur et module d’élasticité.


De plus, le déplacement dentaire obtenu, surtout dans les phases de glissement, est aussi fonction des phénomènes de friction entre l’arc et la gorge de l’attache. Plus cette friction est importante, plus la force utilisée pour un même déplacement devra être importante.


La friction dépend principalement :







Choix des différentes attaches


Chaque type d’attaches présente des avantages et des inconvénients qui, selon les diverses techniques, sont plus ou moins compensés par d’autres éléments de l’appareil. Sans entrer dans le détail de chaque technique, on peut retenir les principaux éléments suivants.





Attaches non informées ou attaches pré-informées (figure 5.20)


Lors de l’utilisation d’attaches non informées (technique de Tweed-Merrifield ou Edgewise standard), la réalisation des informations sur l’arc :





De plus, ces courbures sont difficiles à réaliser de manière strictement identique d’un arc à l’autre et peuvent ainsi imposer aux dents de très légers mouvements de va-et-vient non souhaitables.


En échange, les arcs façonnables permettent tout au long du traitement une individualisation des informations en fonction :





Ces arcs assurent aussi un meilleur contrôle et un meilleur respect de la forme d’arcade.


À l’opposé, les attaches pré-informées :




En revanche, ces arcs préfabriqués modifient le plus souvent, dans les premières phases de traitement la forme d’arcade.


Ce type d’attaches nécessite une individualisation des informations en fin de traitement.




Baguage et collage4




Collage



Principes et systèmes de collage


L’application des progrès des techniques de collage en orthodontie permet d’assurer la stabilité des attachements sans utilisation de bagues, facilitant ainsi la prophylaxie.


L’émail est un substrat essentiellement minéral (86 à 98 %). Le mécanisme d’adhésion à l’émail repose sur un ancrage micromécanique. Les substrats non amélaires, rares chez l’enfant, ne sont pas envisagés ici.


Le collage s’effectue en quatre étapes dont la qualité conditionne le succès de l’assemblage.


1. Le nettoyage et l’activation de la surface : le nettoyage de la surface amélaire avec une brossette enduite de ponce est préconisé pour éliminer les glycoprotéines salivaires et les résidus de plaque dentaire. Il entraîne une activation de cette surface améliorant sa mouillabilité.


2. La déminéralisation de l’émail : selon le système utilisé, la déminéralisation de l’émail suit et complète le nettoyage de la surface amélaire ou s’effectue simultanément avec la pénétration de la colle dans les zones déminéralisées (colles auto-mordançantes). Le traitement de l’émail est adapté au matériau de collage utilisé :




Il est suivi dans tous les cas d’un rinçage soigneux et d’un séchage.


Dans les colles auto-mordançantes, la déminéralisation est obtenue grâce au monomère acide contenu dans l’adhésif.


En cas de collage sur une reconstitution partielle au composite, la déminéralisation est effectuée en deux temps. Le traitement de la partie reconstituée est réalisé à l’acide fluorhydrique pendant environ 2 min. La partie amélaire est préparée à l’acide orthophosphorique comme le reste de l’arcade.


3. La pénétration de la colle dans les zones déminéralisées.


4. La polymérisation de la colle.


Selon le mécanisme initiateur de la réaction de polymérisation, on distingue :




Le collage de l’attachement sur la dent constitue un assemblage présentant deux interfaces :





Cahier des charges des systèmes de collage orthodontique


Les systèmes de collage utilisés en orthodontie doivent répondre à un certain nombre d’impératifs :






Actuellement, aucun système de collage ne peut remplir toutes ces conditions imposant une sélection en fonction des propriétés des colles utilisées et de la situation clinique (tableaux 5.2 et 5.3).


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May 14, 2017 | Posted by in DENTAIRE | Comments Off on 5: Orthodontie

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