6: Jambe – cheville – pied

Chapitre 6 Jambe – cheville – pied



Syndrome des loges


Le syndrome des loges est défini par une ischémie musculaire d’effort provoquée par une augmentation anormale de pression dans une loge ostéo-aponévrotique peu ou pas extensible.


Ce syndrome peut toucher chacune des quatre loges de la jambe (fig. 6.1), mais l’atteinte de la loge antéro-externe, bilatérale dans 50 % des cas, vient de très loin au premier rang des localisations anatomiques.



Ce syndrome représente environ 10 % de la pathologie microtraumatique du sportif et concerne essentiellement les hommes aux alentours de 25   ans, pratiquant des sports d’endurance, tels que la course de fond, la marche, la conduite automobile et le cyclisme.


Rappelons que la pression normale est d’environ 10 à 15   mmHg dans le tissu musculaire, 20 à 30   mmHg dans les capillaires et 100   mmHg dans les artères. Ce gradient de pression permet l’irrigation tissulaire et la circulation d’une façon générale. À l’effort, se produit une augmentation importante du volume musculaire par hyperhémie (la circulation peut être multipliée par 20 au cours d’un effort intense) déclenchant une élévation de pression tissulaire du muscle qui, normalement, ne dépasse pas 30   mmHg. À l’arrêt de l’effort, la pression décroît rapidement pour se normaliser.


Une augmentation pathologique des pressions au-delà de 30   mmHg provoque une compression du réseau lymphatique et veineux qui ne peut plus assurer la circulation de retour. La stase ainsi créée est à l’origine d’un œdème qui aggrave la situation et qui aboutit à une ischémie musculaire durable tant que le cercle vicieux n’est pas rompu. L’ischémie musculaire, responsable d’une altération des myofibrilles, pouvant aller jusqu’à la nécrose, se traduit par un syndrome de loge aigu ou chronique.


Dans les formes aiguës, l’aggravation aboutit en quelques heures à une nécrose musculaire dont les séquelles sont irréversibles. Cette atteinte, en tout point comparable à un syndrome de Volkmann du membre supérieur, est l’un des rares cas d’urgence vraie en traumatologie sportive.


Le syndrome de loge aigu se rencontre essentiellement après un traumatisme, une fracture, un bandage ou un plâtre trop serré. Les formes atraumatiques existent mais demeurent exceptionnelles : à la suite d’efforts sportifs inhabituels, le sujet se plaint d’une douleur aiguë de la loge antéro-externe de jambe obligeant à l’arrêt et persistant malgré cet arrêt.


À l’examen, la loge apparaît tendue, très douloureuse à la pression ; la mise en tension des muscles réveille les algies et l’on peut objectiver un déficit de force musculaire, ainsi que des troubles sensitifs dans le territoire du nerf concerné. Il faut préciser que, même dans cette forme aiguë, les pouls périphériques sont normalement perçus.


L’évolution spontanée se fait en quelques heures vers une paralysie et une anesthésie dans le territoire atteint, accompagnées d’une nécrose musculaire.


Le diagnostic doit être précoce et le traitement, instauré en urgence, avant 4   heures d’évolution, consiste en une aponévrotomie de décharge.


Dans les formes chroniques de la loge antéro-externe, la symptomatologie est représentée par une claudication intermittente à l’effort ; le sportif se plaint d’une douleur siégeant à la face antéro-exteme de jambe, se produisant après un certain temps d’exercice, obligeant à l’arrêt ou à la diminution de l’effort et disparaissant au repos. La douleur, bilatérale dans 50 % des cas, est ressentie comme une lourdeur, une sensation de plénitude ou de tension interne. Le sportif se plaint parfois spontanément de crampes à l’effort disparaissant au repos en 10 à 15 minutes. À cette douleur, s’associe de façon inconstante des hernies musculaires, un œdème et, rarement, une parésie des releveurs et des éverseurs.







Périostites tibiales


Encore appelées périostoses ou shin splints, les périostites tibiales correspondent à un syndrome de surmenage microtraumatique siégeant classiquement en regard de la crête tibiale mais en fait le plus souvent à la face antéro-interne ou au bord interne du tibia (fig. 6.3). Cette affection est très fréquente chez les sportifs pratiquant des courses de fond (cross-country, jogging, steeple-chase, marathon). Le terme de périostite vient du fait que, dans de rares cas, une image d’apposition périostée est visible à la radiographie, signant le diagnostic. En fait, les pièces anatomopathologiques sont très rares et le diagnostic est essentiellement clinique.





Interrogatoire


Il retrouve un certain nombre de facteurs favorisants : reprise de l’entraînement, augmentation du nombre de kilomètres de course, courses sur des terrains durs avec mauvais amortissement des semelles, chaussures inadaptées (fig. 6.4), défaut technique de la course avec hyperpronation du pied ou rotation externe de la jambe, axe de la chaussure inadapté à la morphologie du pied (axes droits ou courbes), étirements insuffisants, période compétitive avec surmenage (encadré 6.1).


image

Figure 6.4 Caractéristiques techniques requises par une chaussure de jogging.


Échancrure pour le tendon d’Achille (1), bord rembourré évitant les conflits cutanés et tendineux (2), échancrure malléolaire (3), languette protégeant les fléchisseurs dorsaux du pied (4), serrage supérieur correspondant à la bande de serrage talonnière postérieure et permettant l’adaptation à la morphologie du cou de pied (5), serrage intermédiaire plus lâche (6), serrage inférieur correspondant à la bande de serrage antérieur (7), tissu aéré permettant la transpiration (8), renfort remontant sur le 1er orteil (9), bande de roulement antérieur permettant la propulsion sur le 1er orteil (10), cramponnage léger évitant la glisse postérieure lors de la propulsion des orteils (11), renfort des orteils (12), semelle intercalaire viscoélastique amortissant lors de l’attaque du bord externe du pied au sol (13), échancrure permettant la dors-flexion des orteils (14), bande de serrage des têtes métatarsiennes (voûte antérieure) permettant de stabiliser la chaussure (15), semelle intermédiaire (16), semelle première (avec renfort plantaire interne) (17), bande de serrage talonnière postérieure (18), talon compensé (19), semelle intercalaire viscoélastique amortissant lors de l’attaque au sol (20), biseautage talonnier stabilisant le pied en pronosupination à l’attaque du talon au sol (21), renfort directionnel calcanéen (22), coque talonnière servant de hamac à l’arrière-pied (23).



La symptomatologie est essentiellement axée sur l’existence d’une douleur tibiale au niveau de son tiers moyen sur une zone siégeant sur le bord interne, faisant environ 5   cm de haut, de façon bilatérale dans 50 % des cas.


II s’agit d’une douleur mécanique survenant exclusivement lors de la pratique sportive, calmée partiellement par le repos et entraînant progressivement une diminution des performances.




Examens complémentaires


Ils sont plus précieux par leur négativité, qui éliminera les diagnostics différentiels, que par leurs résultats :



En fait, le problème majeur posé par la périostite est celui du diagnostic différentiel. Quatre affections doivent être évoquées systématiquement devant une douleur tibiale chez un sujet jeune (voir tableau 6.1) :





Fracture de fatigue de jambe



Généralités sur les fractures de fatigue


La fracture de fatigue correspond à un processus localisé d’hyper-résorption ostéoclastique provoquée par d’importantes sollicitations itératives de la structure osseuse, survenant en dehors de tout traumatisme. Elle résulte d’une activité physique excessive entraînant des modifications du remodelage osseux et elle est donc à distinguer des fractures traumatiques, des fractures pathologiques sur os tumoral ou infectieux, et des fractures par insuffisance de la masse osseuse (ostéoporose).


Plus que d’une véritable fracture, il s’agit d’un trouble circonscrit du remodelage osseux faisant se succéder une phase de résorption ostéoclastique responsable d’une fragilisation osseuse puis, après quelques semaines, une phase d’hyperostéoblastose compensatrice. L’évolution, en l’absence de traitement, se fait vers une fracture vraie.


Beaucoup plus fréquente au niveau des membres inférieurs, touchant le tibia, le péroné, le fémur, les métatarsiens, etc., les fractures de fatigue peuvent, en fait, toucher n’importe quel os et atteindre, bien que plus rarement, les membres supérieurs : diaphyse humérale, clavicule, os crochu et même le rachis (lyse isthmique responsable d’un spondylolisthésis, apophyse épineuse).


L’âge de prédilection d’une fracture de fatigue est l’adulte jeune et concerne aussi bien les garçons que les filles pour peu qu’ils pratiquent un sport intensif.






Bilan radiographique (tableau 6.2)


Le bilan radiographique comprendra des clichés d’excellente qualité selon les diverses incidences possibles pour une région donnée (face, profil, {3/4}) centrés sur la portion suspecte de l’os. Deux notions doivent être d’emblée soulignées :



Tableau 6.2 Signes radiographiques caractéristiques d’une fracture de fatigue

























Diaphyse d’un os long
Stade I
 (1re semaine d’évolution)
Signes négatifs ou tout au plus existence d’une mince fissure corticale comme « un cheveu sur de la porcelaine »
Stade II
 (2e et 3e semaines)
Apposition périostée linéaire de part et d’autre de la fracture
Renflement fusiforme de la corticale
Trait transcortical perpendiculaire à la diaphyse donnant une ligne claire soulignée par une bande d’ostéocondensation
Stade III
 (3e et 4e semaines)
Ossification endostale et périostée
Le trait de fracture et l’ostéocondensation apparaissent nettement
Stade IV
 (après 1 mois)  (fig. 6.6)
Corticale déformée en fuseau en regard de la densification osseuse avec modelage progressif dans le temps
Os court
Première période Signes négatifs ou rétrospectivement existence de très fines images floues de condensation
Deuxième période Bandes de condensation à bords flous perpendiculaires aux travées osseuses

Il conviendra donc, en cas de présomption clinique, de répéter les clichés et, en cas de négativité, de demander une scintigraphie osseuse utilisant des complexes phosphatés au technétium 99. La scintigraphie confirmera le diagnostic en mettant en évidence une hyperfixation intense localisée à la zone douloureuse. Elle permettra aussi de localiser d’autres foyers de fractures de fatigue. L’interprétation de la scintigraphie doit s’effectuer dans le contexte clinique car l’hyperfixation observée n’est pas spécifique des fractures de fatigue, mais peut s’observer également dans d’autres pathologies (ostéomyélite, prolifération tumorale, etc.). L’imagerie par résonance magnétique se caractérise par une grande sensibilité, montrant aussi précocement que la scintigraphie les premiers remaniements osseux et pouvant écarter les diagnostics différentiels par la spécificité des signes obtenus.





Fractures de fatigue du

tibia


Le tibia constitue la localisation préférentielle des fractures de fatigue pouvant toucher, soit la partie supérieure de l’os en regard du plateau tibial de la métaphyse (fig. 6.7) (jeunes sportifs), soit une zone située à environ 4   cm au-dessus de la malléole interne (fig. 6.8).




Ces localisations juxta-articulaires peuvent en imposer pour une arthropathie.


La symptomatologie de cette localisation qui se rencontre essentiellement chez les gymnastes, les coureurs, les danseurs et les escrimeurs, est caractérisée par une douleur mécanique, d’apparition progressive, responsable d’une boiterie.


L’examen clinique retrouve un point douloureux électif à la palpation et une éventuelle tuméfaction locale souvent discrète.


La scintigraphie montre une hyperfixation et la radiographie ne sera que tardivement évocatrice, objectivant alors une fracture transversale partielle, plus rarement totale.


Il faut également signaler la possibilité, bien que beaucoup plus rare, de fractures de fatigue du tibia dont la localisation ne se fait pas perpendiculairement à l’axe de l’os mais, au contraire, longitudinalement, le trait étant parallèle à la corticale.


Le problème, en fait, est d’éliminer une arthropathie du genou ou de la cheville et, lorsque le siège se situe au tiers moyen du tibia, une périostite, voire un syndrome des loges (voir tableau 6.1).


Le traitement consiste en un repos de 6 semaines. Il peut être complet (cannes anglaises) en cas de douleur ou relatif : arrêt du sport, suppression des marches et des stations debout prolongées.


Fractures de fatigue du

péroné


Beaucoup moins fréquente que la précédente, cette localisation se rencontre chez les sauteurs, les danseurs et les sprinters. La fracture siège plus volontiers au tiers inférieur du péroné.


Le diagnostic radiologique peut être fait soit précocement car l’état de résorption ostéoclastique est assez facilement mis en évidence, soit tardivement au stade de cal hypertrophique. Le traitement est identique à celui des fractures de fatigue du tibia mais pour une durée beaucoup moins importante de 2 à 3 semaines.




Désinsertion partielle ou totale du jumeau interne (tennis leg)


La désinsertion du jumeau interne est classiquement l’apanage du sportif d’âge mûr, aux alentours de 40   ans, bréviligne, hypertonique, pratiquant plus volontiers le tennis, le ski, le football ou le jogging et respectant peu les règles élémentaires d’hydratation, de diététique, d’échauffement, d’étirement et de musculation habituellement préconisées. Fréquent en début de saison sportive ou au décours d’un entraînement inhomogène (interruption liée à une maladie ou aux activités professionnelles, modification de l’entraînement sans progressivité, jeu contre un adversaire de niveau supérieur), le tennis leg résulte le plus souvent d’un mécanisme endogène qui associe une contraction maximale brutale du muscle à un étirement asynchrone du système suro-achilléo-calcanéo-plantaire : impulsion, le genou étant en extension et la cheville en flexion dorsale (fig. 6.9).





Clinique


À l’examen, l’appui est très douloureux, voire impossible du côté blessé et le sujet se déplace précautionneusement sur la pointe du pied, genou fléchi, en esquivant le demi-pas postérieur (fig. 6.10) (cette boiterie est à différencier d’une rupture du tendon d’Achille). Le mollet apparaît tendu, gonflé, œdématié. Une ecchymose survient, dans les jours suivant l’accident, à la face postérieure de la jambe pour s’étendre secondairement vers les gouttières rétromalléolaires.



L’élévation sur la pointe du pied, genou tendu, en appui unipodal est impossible, mais la manœuvre de Thompson et le signe de Brunet sont négatifs et la palpation du tendon d’Achille ne révèle ni douleur, ni modification de volume par rapport au côté sain.


La palpation prudente du mollet retrouve une douleur exquise en regard du tiers supéro-interne de la face postérieure de jambe à la jonction musculotendineuse. Dans de rares cas, si la rupture est vue suffisamment tôt, on percevra une encoche très douloureuse (comblée ultérieurement par l’hématome), surmontée du jumeau interne rétracté (fig. 6.11).



La mise en tension du triceps sural est douloureuse lorsque le pied est mobilisé en flexion dorsale et les douleurs s’accentuent si l’on ajoute une extension du genou (fig. 6.12).



La contraction isométrique contre résistance manuelle réveille des douleurs, aussi bien à la flexion plantaire du pied qu’à la flexion du genou.





Traitement


Le traitement en urgence est univoque : cryothérapie, bandage compressif cruro-jambier-pédieux, immobilisation en équin dans une gouttière capitonnée, décharge et surélévation du membre inférieur. Le sportif est alors évacué et une échographie est réalisée, dont les résultats dicteront l’attitude thérapeutique.





Traitement particulier des désinsertions anciennes


Certains sportifs gardent à distance des séquelles de désinsertions du jumeau interne qui ont été incorrectement traitées. Il s’agit le plus souvent d’une boiterie résiduelle avec léger déficit de la flexion dorsale du pied, défaut de propulsion, amyotrophie, rétraction du jumeau interne et surtout noyau fibreux douloureux et lâche, objectivés par des zones hyperéchogènes à l’échographie.


Devant l’échec du traitement médical ou physiothérapique, un traitement chirurgical peut être indiqué, consistant en une excision du tissu fibreux et une réinsertion anatomique du jumeau interne.




Tendinopathies d’Achille


Le tendon d’Achille est le tendon de terminaison du triceps sural, formé par la réunion des lames terminales des jumeaux et du soléaire. Il se termine à la moitié inférieure de la face postérieure du calcanéum. Ses fibres superficielles se prolongent jusqu’à l’aponévrose plantaire superficielle pour former le système suro-achilléo-calcanéo-plantaire, véritable unité anatomique et fonctionnelle de la propulsion (fig. 6.13).



Ce tendon, riche en cellules hydrophiles, est le plus volumineux et le plus puissant de l’organisme. Sa structure spiralée lui permet de subir des forces de traction de 300   kg.


Recevant une double innervation (nerf sciatique poplité interne et nerf tibial postérieur), il est par contre mal vascularisé à sa partie moyenne.


Le tendon d’Achille est entouré de la profondeur à la superficie par un péritendon, un paratendon constitué de deux feuillets séparés par une cavité virtuelle contenant un liquide comparable au liquide synovial et, enfin, une gaine aponévrotique formée par un dédoublement de l’aponévrose jambière (fig. 6.14).


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May 29, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on 6: Jambe – cheville – pied

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