Chapitre 6 Jambe – cheville – pied
Syndrome des loges
Le syndrome des loges est défini par une ischémie musculaire d’effort provoquée par une augmentation anormale de pression dans une loge ostéo-aponévrotique peu ou pas extensible.
Ce syndrome peut toucher chacune des quatre loges de la jambe (fig. 6.1), mais l’atteinte de la loge antéro-externe, bilatérale dans 50 % des cas, vient de très loin au premier rang des localisations anatomiques.
Une augmentation pathologique des pressions au-delà de 30 mmHg provoque une compression du réseau lymphatique et veineux qui ne peut plus assurer la circulation de retour. La stase ainsi créée est à l’origine d’un œdème qui aggrave la situation et qui aboutit à une ischémie musculaire durable tant que le cercle vicieux n’est pas rompu. L’ischémie musculaire, responsable d’une altération des myofibrilles, pouvant aller jusqu’à la nécrose, se traduit par un syndrome de loge aigu ou chronique.
Dans les formes aiguës, l’aggravation aboutit en quelques heures à une nécrose musculaire dont les séquelles sont irréversibles. Cette atteinte, en tout point comparable à un syndrome de Volkmann du membre supérieur, est l’un des rares cas d’urgence vraie en traumatologie sportive.
Le diagnostic doit être précoce et le traitement, instauré en urgence, avant 4 heures d’évolution, consiste en une aponévrotomie de décharge.
Dans les formes chroniques de la loge antéro-externe, la symptomatologie est représentée par une claudication intermittente à l’effort ; le sportif se plaint d’une douleur siégeant à la face antéro-exteme de jambe, se produisant après un certain temps d’exercice, obligeant à l’arrêt ou à la diminution de l’effort et disparaissant au repos. La douleur, bilatérale dans 50 % des cas, est ressentie comme une lourdeur, une sensation de plénitude ou de tension interne. Le sportif se plaint parfois spontanément de crampes à l’effort disparaissant au repos en 10 à 15 minutes. À cette douleur, s’associe de façon inconstante des hernies musculaires, un œdème et, rarement, une parésie des releveurs et des éverseurs.
Examen clinique
L’examen vasculaire est normal, les pouls périphériques sont bien perçus.
L’interrogatoire et le bilan clinique devront systématiquement rechercher et écarter des signes évocateurs de tendinite, de périostite ou de fracture de fatigue (tableau 6.1).
Imagerie
Les radiographies, la scintigraphie osseuse, les Doppler artériels veineux, ainsi que l’électromyogramme sont normaux. En fait, le seul examen complémentaire capable de confirmer le diagnostic consiste à mesurer les pressions dans la loge suspecte (fig. 6.2). La réalisation en est assez simple, le seul désagrément pour le sportif examiné consistera en une piqûre intramusculaire de la loge antéro-externe. Les résultats obtenus montrent au repos une pression normale ou légèrement augmentée mais, après l’effort, cette pression, nettement supérieure à 50 mmHg, ne revient que lentement à la valeur de repos.
Évolution
L’évolution de ces syndromes de loges chroniques s’étale sur plusieurs années avec des douleurs de plus en plus précoces lors de l’effort et le risque de survenue d’un accident aigu.
Traitement
Le traitement de ces formes chroniques doit être, dans un premier temps, médical. Les anti-inflammatoires et la cryothérapie post-exercices, jambes en déclive, ont un effet antalgique momentané, les vasodilatateurs produisent un résultat modeste, les massages circulatoires apportent un confort relatif. Ce traitement doit s’accompagner d’une modification de l’entraînement en durée et en intensité. Malgré tous ces traitements symptomatiques, la seule thérapeutique réellement efficace, ayant une visée étiopathogénique, est la chirurgie consistant en une aponévrotomie. Cette chirurgie donne un résultat excellent et la reprise du sport au top niveau est rapide.
Périostites tibiales
Encore appelées périostoses ou shin splints, les périostites tibiales correspondent à un syndrome de surmenage microtraumatique siégeant classiquement en regard de la crête tibiale mais en fait le plus souvent à la face antéro-interne ou au bord interne du tibia (fig. 6.3). Cette affection est très fréquente chez les sportifs pratiquant des courses de fond (cross-country, jogging, steeple-chase, marathon). Le terme de périostite vient du fait que, dans de rares cas, une image d’apposition périostée est visible à la radiographie, signant le diagnostic. En fait, les pièces anatomopathologiques sont très rares et le diagnostic est essentiellement clinique.
Figure 6.3 Zone de projection de la douleur dans une périostite comparée aux insertions musculaires du tibia.
Physiopathologie
Rappelons que le périoste est une lame de tissu conjonctif qui entoure l’os, sauf au niveau du cartilage. Chez l’enfant, il est constitué de deux couches : une couche externe formée de collagène et une couche interne constituée d’ostéoblastes.
Interrogatoire
Il retrouve un certain nombre de facteurs favorisants : reprise de l’entraînement, augmentation du nombre de kilomètres de course, courses sur des terrains durs avec mauvais amortissement des semelles, chaussures inadaptées (fig. 6.4), défaut technique de la course avec hyperpronation du pied ou rotation externe de la jambe, axe de la chaussure inadapté à la morphologie du pied (axes droits ou courbes), étirements insuffisants, période compétitive avec surmenage (encadré 6.1).
Encadré 6.1 Facteurs favorisants de la périostite tibiale
Défauts techniques de course et matériel
• Défaut d’alignement des foulées avec rotation externe du membre inférieur
• Course sur le bord interne du pied avec hyperpronation
• Pied en abduction à la phase propulsive de la foulée
• Épaulement de la route induisant une pronation du pied central
• Chaussures inadaptées à la morphologie du pied : axes droits ou axes courbes, mauvais serrage antérieur, coque talonnière trop large, semelle inadaptée à la surface
Clinique
L’examen objective trois signes positifs :
• la présence d’une tuméfaction allongée le long de la face antéro-interne du tibia, de faible épaisseur, faisant corps avec elle, bien distincte de la peau et du tissu cellulaire sous-cutané ;
• une douleur à la palpation de cette tuméfaction recréant les signes spontanément sentis par le sujet ;
• une légère augmentation de la température locale qui est parfois difficilement appréciable.
L’examen s’attachera également à étudier la statique générale du sujet et recherchera, à l’aide d’un bilan podoscopique, des troubles statiques du pied : pied-plat valgus, pied creux. Le bilan articulaire du genou, de la cheville et du pied est normal et on vérifiera l’absence de signes de tendinite du jambier antérieur (palpation, contraction isométrique, étirement).
Examens complémentaires
• la biologie est normale : il n’existe aucun syndrome inflammatoire ;
• la radiographie (incidences de face, profil, trois quarts) peut, dans les cas les plus typiques, montrer des appositions périostées linéaires par rapport à l’axe du tibia, mais il faut reconnaître que dans les trois quarts des cas, les images sont normales ;
• la scintigraphie osseuse est, elle aussi, souvent normale mais peut révéler une hyperfixation localisée tardive, ayant une répartition longitudinale inhomogène et peu intense.
En fait, le problème majeur posé par la périostite est celui du diagnostic différentiel. Quatre affections doivent être évoquées systématiquement devant une douleur tibiale chez un sujet jeune (voir tableau 6.1) :
• unefracture de fatigue doit être radicalement éliminée en ayant bien la notion que les radiographies peuvent être et sont négatives pendant une durée importante de l’évolution et que, seule, la scintigraphie apportera la clef du diagnostic montrant constamment une hyperfixation précoce, intense, localisée et le plus souvent transversale. La RMN affirmera également ce diagnostic. Le risque majeur de négliger ce diagnostic réside dans l’évolution spontanée vers une véritable fracture traumatique ;
• un syndrome des loges peut être également envisagé, d’autant que la symptomatologie est très voisine de celle de la périostite ;
• unetendinite du jambier antérieur peut être évoquée devant le siège des douleurs mais la palpation, les tests isométriques et la mise en tension analytique éliminent rapidement cette possibilité ;
• enfin, il ne faut pas oublier la possibilité de survenue d’une tumeur osseuse et de conclure trop rapidement par facilité à une périostite.
Traitement
La kinésithérapie sera centrée sur des étirements progressifs des muscles douloureux (fig. 6.5) (étirements manuels, décordage, stretching) effectués d’abord en balnéothérapie chaude, puis des exercices correctifs segmentaires visant à éviter les dysharmonies posturales ou gestuelles du sport incriminé.
Fracture de fatigue de jambe
Généralités sur les fractures de fatigue
La fracture de fatigue correspond à un processus localisé d’hyper-résorption ostéoclastique provoquée par d’importantes sollicitations itératives de la structure osseuse, survenant en dehors de tout traumatisme. Elle résulte d’une activité physique excessive entraînant des modifications du remodelage osseux et elle est donc à distinguer des fractures traumatiques, des fractures pathologiques sur os tumoral ou infectieux, et des fractures par insuffisance de la masse osseuse (ostéoporose).
Examen clinique
La chaleur locale est rarement augmentée et une ecchymose très inconstante peut apparaître.
L’examen des articulations sus et sous-jacentes est, par ailleurs, normal.
Bilan radiographique (tableau 6.2)
• la négativité des images dans 50 % des cas, même à distance de la symptomatologie initiale ;
• dans les cas positifs, le retard de plusieurs semaines des images par rapport à la symptomatologie clinique.
Diaphyse d’un os long | |
Stade I (1re semaine d’évolution) | Signes négatifs ou tout au plus existence d’une mince fissure corticale comme « un cheveu sur de la porcelaine » |
Stade II (2e et 3e semaines) | Apposition périostée linéaire de part et d’autre de la fracture Renflement fusiforme de la corticale Trait transcortical perpendiculaire à la diaphyse donnant une ligne claire soulignée par une bande d’ostéocondensation |
Stade III (3e et 4e semaines) | Ossification endostale et périostée Le trait de fracture et l’ostéocondensation apparaissent nettement |
Stade IV (après 1 mois) (fig. 6.6) | Corticale déformée en fuseau en regard de la densification osseuse avec modelage progressif dans le temps |
Os court | |
Première période | Signes négatifs ou rétrospectivement existence de très fines images floues de condensation |
Deuxième période | Bandes de condensation à bords flous perpendiculaires aux travées osseuses |
Il conviendra donc, en cas de présomption clinique, de répéter les clichés et, en cas de négativité, de demander une scintigraphie osseuse utilisant des complexes phosphatés au technétium 99. La scintigraphie confirmera le diagnostic en mettant en évidence une hyperfixation intense localisée à la zone douloureuse. Elle permettra aussi de localiser d’autres foyers de fractures de fatigue. L’interprétation de la scintigraphie doit s’effectuer dans le contexte clinique car l’hyperfixation observée n’est pas spécifique des fractures de fatigue, mais peut s’observer également dans d’autres pathologies (ostéomyélite, prolifération tumorale, etc.). L’imagerie par résonance magnétique se caractérise par une grande sensibilité, montrant aussi précocement que la scintigraphie les premiers remaniements osseux et pouvant écarter les diagnostics différentiels par la spécificité des signes obtenus.
Traitement
Il consiste uniquement en un repos segmentaire avec, s’il s’agit du membre inférieur, une mise au repos complet ou relatif en fonction du siège de la fracture et des douleurs pendant 4 à 6 semaines. L’immobilisation plâtrée est à proscrire car pouvant être responsable de raideur, d’amyotrophie et d’algoneurodystrophie réflexe. La reprise de l’activité sportive s’effectuera progressivement en tenant compte des douleurs et le top niveau sera retrouvé environ 3 mois après.
tibia
Le tibia constitue la localisation préférentielle des fractures de fatigue pouvant toucher, soit la partie supérieure de l’os en regard du plateau tibial de la métaphyse (fig. 6.7) (jeunes sportifs), soit une zone située à environ 4 cm au-dessus de la malléole interne (fig. 6.8).
Figure 6.8 Signes radiographiques caractéristiques des fractures de fatigue.
– Stade I : signe négatif ou existence d’une mince fissure corticale.
– Stade II : apposition périostée linéaire de part et d’autre de la fracture avec un renflement légèrement fusiforme de la corticale.
– Stade III : ossification endostale et périostée. Le trait de fracture et l’ostéocondensation apparaissent nettement.
– Stade IV : la corticale est déformée en fuseau en regard de la densification osseuse.
Ces localisations juxta-articulaires peuvent en imposer pour une arthropathie.
Le problème, en fait, est d’éliminer une arthropathie du genou ou de la cheville et, lorsque le siège se situe au tiers moyen du tibia, une périostite, voire un syndrome des loges (voir tableau 6.1).
Le traitement consiste en un repos de 6 semaines. Il peut être complet (cannes anglaises) en cas de douleur ou relatif : arrêt du sport, suppression des marches et des stations debout prolongées.
péroné
Le diagnostic radiologique peut être fait soit précocement car l’état de résorption ostéoclastique est assez facilement mis en évidence, soit tardivement au stade de cal hypertrophique. Le traitement est identique à celui des fractures de fatigue du tibia mais pour une durée beaucoup moins importante de 2 à 3 semaines.
Ces trois pathologies ont de nombreux points communs :
le sport en cause : course ou marche prolongées avec défaut de dosage de l’entraînement ou pratique sur sol dur ;
le siège des douleurs : sur le tibia à la face antérieure, antéro-externe ou antéro-interne ;
les signes fonctionnels : douleur mécanique apparaissant à l’effort et progressivement invalidante ;
certains signes d’examen : douleur à la palpation, possibilité de chaleur locale, parfois tuméfaction.
À ce traitement pourront être ajoutés :
Désinsertion partielle ou totale du jumeau interne (tennis leg)
La désinsertion du jumeau interne est classiquement l’apanage du sportif d’âge mûr, aux alentours de 40 ans, bréviligne, hypertonique, pratiquant plus volontiers le tennis, le ski, le football ou le jogging et respectant peu les règles élémentaires d’hydratation, de diététique, d’échauffement, d’étirement et de musculation habituellement préconisées. Fréquent en début de saison sportive ou au décours d’un entraînement inhomogène (interruption liée à une maladie ou aux activités professionnelles, modification de l’entraînement sans progressivité, jeu contre un adversaire de niveau supérieur), le tennis leg résulte le plus souvent d’un mécanisme endogène qui associe une contraction maximale brutale du muscle à un étirement asynchrone du système suro-achilléo-calcanéo-plantaire : impulsion, le genou étant en extension et la cheville en flexion dorsale (fig. 6.9).
Interrogatoire
En dehors des facteurs étiologiques que nous venons de voir, il retrouve la notion d’une douleur du mollet violente, aiguë, en « coup de fouet », ressentie au décours d’une accélération, d’un changement de direction ou d’un saut.
Clinique
À l’examen, l’appui est très douloureux, voire impossible du côté blessé et le sujet se déplace précautionneusement sur la pointe du pied, genou fléchi, en esquivant le demi-pas postérieur (fig. 6.10) (cette boiterie est à différencier d’une rupture du tendon d’Achille). Le mollet apparaît tendu, gonflé, œdématié. Une ecchymose survient, dans les jours suivant l’accident, à la face postérieure de la jambe pour s’étendre secondairement vers les gouttières rétromalléolaires.
L’élévation sur la pointe du pied, genou tendu, en appui unipodal est impossible, mais la manœuvre de Thompson et le signe de Brunet sont négatifs et la palpation du tendon d’Achille ne révèle ni douleur, ni modification de volume par rapport au côté sain.
La palpation prudente du mollet retrouve une douleur exquise en regard du tiers supéro-interne de la face postérieure de jambe à la jonction musculotendineuse. Dans de rares cas, si la rupture est vue suffisamment tôt, on percevra une encoche très douloureuse (comblée ultérieurement par l’hématome), surmontée du jumeau interne rétracté (fig. 6.11).
La mise en tension du triceps sural est douloureuse lorsque le pied est mobilisé en flexion dorsale et les douleurs s’accentuent si l’on ajoute une extension du genou (fig. 6.12).
La contraction isométrique contre résistance manuelle réveille des douleurs, aussi bien à la flexion plantaire du pied qu’à la flexion du genou.
Traitement
Traitement des désinsertions partielles récentes
Il comprend un traitement général anti-inflammatoire, anti-œdémateux, associé à un repos relatif (le sujet pouvant marcher avec 2 cannes), une contention adhésive inextensible, pied en varus équin, un traitement physiothérapique (cryothérapie, électrothérapie) pendant 15 jours à 3 semaines. Au stade cicatriciel, seront entrepris des massages à base de pétrissage, le massage transversal profond, l’ultrasonothérapie et la balnéothérapie chaude visant à limiter l’organisation du tissu fibreux. Après 45 jours, seront entreprises les techniques véritablement kinésithérapiques avec étirements manuels progressifs, stretching et réentraînement pliométrique.
Traitement des désinsertions totales et récentes
Il est chirurgical ou orthopédique :
• le traitement chirurgical s’adresse aux jeunes sportifs assidus ayant une désinsertion totale large avec hématome volumineux (image en battant de cloche avec poche séro-hématique hypoéchogène). Il consiste en un drainage de l’hématome suivi d’une réinsertion du jumeau interne sur la lame aponévrotique du soléaire, complétés par une immobilisation plâtrée en équin de 45 jours ;
• le traitement orthopédique s’adresse aux sportifs vétérans, moins exigeants sur le plan sportif ou ayant une lésion moins sévère. Il consiste en une immobilisation plâtrée, pied en équin, pendant 3 semaines, puis pied à angle droit pendant 15 jours à 3 semaines supplémentaires.
Tendinopathies d’Achille
Le tendon d’Achille est le tendon de terminaison du triceps sural, formé par la réunion des lames terminales des jumeaux et du soléaire. Il se termine à la moitié inférieure de la face postérieure du calcanéum. Ses fibres superficielles se prolongent jusqu’à l’aponévrose plantaire superficielle pour former le système suro-achilléo-calcanéo-plantaire, véritable unité anatomique et fonctionnelle de la propulsion (fig. 6.13).
Ce tendon, riche en cellules hydrophiles, est le plus volumineux et le plus puissant de l’organisme. Sa structure spiralée lui permet de subir des forces de traction de 300 kg.
Recevant une double innervation (nerf sciatique poplité interne et nerf tibial postérieur), il est par contre mal vascularisé à sa partie moyenne.
Le tendon d’Achille est entouré de la profondeur à la superficie par un péritendon, un paratendon constitué de deux feuillets séparés par une cavité virtuelle contenant un liquide comparable au liquide synovial et, enfin, une gaine aponévrotique formée par un dédoublement de l’aponévrose jambière (fig. 6.14).