Chapitre 6 Formes cliniques – Cas particuliers
Rétinopathie diabétique et grossesse
Épidémiologie
La grossesse expose à un risque majoré de progression de la rétinopathie diabétique. Ce risque a été chiffré dans plusieurs études : il varie de 10 à 70 % [1–5]. Dans les études les plus récentes, ce risque a été évalué autour de 25 % [1]. Plusieurs facteurs de risque de progression de la rétinopathie diabétique au cours de la grossesse ont été identifiés : l’ancienneté du diabète, la sévérité initiale de la rétinopathie diabétique, et surtout l’importance de la chute glycémique en début de grossesse.
En effet, un équilibre strict de la glycémie tout au long de la grossesse est indispensable pour limiter les risques de morbidité et de mortalité fœtales et maternelles ; lorsque la grossesse n’est pas programmée, un renforcement du traitement hypoglycémiant est habituellement nécessaire (augmentation du nombre des injections d’insuline, mise à la pompe à insuline) ; dans ce cas, le risque de progression de la rétinopathie diabétique est proportionnel à l’amplitude de la chute glycémique du début de grossesse [1].
Évolution
Le risque de progression de la rétinopathie diabétique est maximal à la fin du 2e trimestre et au début du 3e trimestre de la grossesse. Il se traduit par une augmentation des microanévrismes et de l’ischémie rétinienne, avec parfois une évolution vers la néovascularisation (Fig. 6.1). Le risque néovasculaire est d’autant plus élevé que la rétinopathie diabétique est initialement sévère : faible, de l’ordre de 5 % en l’absence de rétinopathie diabétique initiale ou en cas de rétinopathie diabétique non proliférante minime, il augmente avec la sévérité de la rétinopathie diabétique pour atteindre un risque de néovascularisation de l’ordre de 60 à 70 % en cas de rétinopathie diabétique non proliférante sévère en début de grossesse [1]. L’aggravation de la rétinopathie diabétique s’accompagne le plus souvent de l’apparition d’un œdème maculaire, qui dans la majorité des cas, s’améliore en post-partum (Fig. 6.2). Il n’est donc pas nécessaire, dans la majorité des cas, de le traiter pendant la grossesse.
Conduite à tenir
Si la grossesse est programmée, l’examen du fond d’œil fait partie du bilan préconceptionnel.
Toute rétinopathie diabétique préproliférante ou proliférante constatée avant la grossesse ou à son début doit être traitée par photocoagulation panrétinienne avant la fin du 2e trimestre (Fig. 6.3).
Absence de rétinopathie diabétique :
Rétinopathie diabétique non proliférante minime ou modérée :
Rétinopathie diabétique non proliférante sévère ou rétino pathie diabétique proliférante :
Rétinopathie diabétique floride
Épidémiologie
La rétinopathie diabétique floride est une forme rare, mais grave (elle représente environ 1 % des rétino pathies diabétiques proliférantes) [6–9]. Elle atteint les diabétiques de type 1 jeunes, âgés de moins de 40 ans. Elle survient typiquement chez des femmes dont le diabète est mal équilibré (HbA1C > 10 %) et qui évolue depuis plusieurs années (durée typiquement supérieure à 5 ans). Le diabète est généralement multicompliqué (néphropathie, neuropathie, hypertension artérielle). Cette rétinopathie survient spontanément, ou peut être déclenchée par une rééquibration glycémique rapide et/ou une grossesse.
Aspect du fond d’œil
Au fond d’œil, il existe une rétinopathie diabétique non proliférante sévère bilatérale, ou une rétinopathie diabétique proliférante caractérisée par des proliferations de néovaisseaux souvent exubérants, associée à une prolifération fibreuse importante et rétractile, évoluant parfois malgré la photocoagulation panrétinienne. Les zones d’ ischémie étendues sont marquées par la présence de nombreuses hémorragies rétiniennes, d’ AMIR et d’ anomalies veineuses moniliformes, parfois spectaculaires (Fig. 6.3, 6.4 et 6.5). Un œdème maculaire diffus et étendu est habituel.
Fig. 6.4 Rétinopathie diabétique floride apparue en quelques mois chez une jeune patiente diabétique de 25 ans dont le diabète est très mal équilibré. Photomontage du fond d’œil.
Conduite à tenir
Le meilleur traitement est un traitement préventif de la rétinopathie diabétique floride, grâce à un équilibre de la glycémie dès la découverte du diabète, une éducation des patients et un suivi ophtalmologique régulier, en particulier au cours de l’adolescence. Il faut par ailleurs se méfier des rééquibrations glycémiques chez les sujets jeunes, dont le diabète est ancien et a été longtemps mal équilibré ; une surveillance ophtalmologique attentive pendant cette période est recommandée.
La rétinopathie diabétique floride est une urgence ophtalmologique. Son traitement repose sur une prise en charge intensive de ces patients peu compliants, un traitement immédiat et rapide par photocoagulation panrétinienne et une vitrectomie précoce si survient une hémorragie du vitré gênant la réalisation de la photocoagulation panrétinienne, ou si des proliférations fibrovasculaires continuent à se développer en dépit de la photocoagulation panrétinienne [8, 10]. Malgré cela, le pronostic fonctionnel de ces formes de rétinopathie diabétique reste très sombre. Il existe un risque majeur de prolifération fibrovasculaire antérieure après la vitrectomie. Néanmoins, le pronostic de ces formes très graves est amélioré par les anti-VEGF intravitréens, administrès notamment en préou peropératoire de chirurgie vitréorétinienne.
Équilibration glycémique rapide
Épidémiologie
La rééquilibration rapide de la glycémie chez des patients dont le diabète était mal équilibré peut s’accompagner d’une aggravation de la rétinopathie diabétique. Ce phénomène s’appelle phénomène de réentrée normoglycémique. Il s’observe notamment lors du renforcement du traitement insulinique, de la multiplication des injections d’insuline, de la mise sous pompe à insuline chez des diabétiques de type 1, ou encore lors du passage à l’insuline chez des diabétiques de type 2 mal équilibrés[11–17] (Fig. 6.6 et 6.7). Il peut également s’observer lors de la prise en charge d’un diabète non diagnostiqué, mais évoluant à bas bruit depuis de nombreuses années.
Fig. 6.6 Femme diabétique âgée de 55 ans ayant un diabète évoluant depuis 12 ans, traité par hypoglycémiants oraux. Le diabète étant très mal équilibré, un traitement par insuline est institué. Évolution de l’œil gauche.
L’aggravation de la rétinopathie diabétique survient typiquement entre 6 à 12 mois après la rééquilibration glycémique [16]. Les principaux facteurs de risque de cette aggravation sont un taux initial d’HbA1c élevé, l’ampleur de la chute glycémique, la sévérité initiale de la rétinopathie diabétique et une longue durée de diabète [18]. Cette aggravation est le plus souvent transitoire et sans gravité. Néanmoins, elle peut être préoccupante chez des patients présentant une rétinopathie diabétique non proliférante sévère ou une rétinopathie diabétique proliférante : la rééquilibration glycémique peut provoquer l’apparition rapide d’une néovascularisation ou aggraver celle-ci. Ces cas nécessitent donc une surveillance attentive et une éventuelle photocoagulation avant de normaliser la glycémie.
Mécanismes pathogéniques à l’origine de cette aggravation
Les mécanismes à l’origine de cette aggravation ne sont pas encore complètement élucidés [19]. Plusieurs hypothèses existent. La première est que la baisse glycémique brutale entraînerait une réduction du flux sanguin rétinien à l’origine d’une aggravation de l’ischémie rétinienne [12]. Cette hypothèse est néanmoins peu compatible avec le délai observé entre la chute glycémique et l’aggravation de la rétinopathie. L’autre hypothèse est que l’aggravation de la rétinopathie diabétique serait due à l’augmentation des taux d’IGF1 sériques qui accompagnent l’intensification du traitement insulinique et l’amélioration du contrôle glycémique [11].
Rétinopathie diabétique et hypertension artérielle
Épidémiologie
L’hypertension artérielle est deux fois plus fréquente chez les diabétiques de type 2 que dans la population générale : 40 % des diabétiques de type 2 sont hypertendus à l’âge de 45 ans et 60 % après 75 ans [20]. Les données épidémiologiques concernant le lien entre rétinopathie diabétique, œdème maculaire et hypertension artérielle sont discordantes [21–26]. Mais l’étude de l’ UKPDS a clairement démontré que l’équilibration stricte de la tension artérielle réduisait la survenue et la progression des complications microvasculaires du diabète, ainsi que la baisse visuelle [27]. Cette réduction de la baisse visuelle a été principalement obtenue grâce à la réduction de l’incidence de l’œdème maculaire.
Enfin, l’expérience clinique suggère une plus grande susceptibilité des diabétiques à l’hypertension artérielle, des signes de rétinopathie hypertensive surajoutés à la rétinopathie diabétique apparaissant pour des chiffres d’hypertension artérielle modérés [28]. Ce phénomène est fréquent chez les diabétiques de type 2.
Aspect du fond d’œil
Les signes de rétinopathie hypertensive peuvent être difficiles à reconnaître car ils sont intriqués avec ceux de la rétinopathie diabétique. Néanmoins, la présence de nombreuses hémorragies rétiniennes en « flammèches » et de nodules cotonneux péripapillaires, une ischémie localisée à la rétine péripapillaire, associées à un œdème maculaire diffus et à une exsudation, doivent faire évoquer la possibilité d’une rétinopathie hypertensive associée (Fig. 6.8 et 6.9). Des néovaisseaux prépapillaires peuvent être présents. Les artères ont un calibre réduit, il existe des signes d’artériolosclérose.