55: Décollements de rétine exsudatifs d’origine inflammatoire ou infectieuse

Chapitre 55 Décollements de rétine exsudatifs d’origine inflammatoire ou infectieuse



Les décollements de rétine exsudatifs regroupent un ensemble d’étiologies qui ont comme point commun la présence d’un décollement du neuroépithélium cliniquement significatif sans éléments rhegmatogènes ou tractionnels retrouvés pouvant expliquer ce décollement. Ils sont le plus souvent secondaires à une pathologie inflammatoire de la choroïde ou à une rupture de la barrière hématorétinienne. Leur fréquence est difficile à évaluer mais ils représenteraient moins de 2 % des décollements de rétine vus en consultation.


Après l’exposé des éléments permettant d’orienter le diagnostic, seront détaillées les causes d’origine inflammatoire et infectieuse de décollement de rétine exsudatif le plus fréquemment observées en pratique clinique, notamment la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada et les sclérites postérieures (fig. 55-1). Les causes vasculaires, tumorales, l’épithéliopathie rétinienne diffuse et le syndrome d’effusion uvéale sont traités dans d’autres chapitres.




Diagnostic



image ANAMNÈSE ET EXAMEN CLINIQUE


Un interrogatoire orienté vers la recherche de signes extraoculaires en faveur d’une maladie systémique et un examen ophtalmologique minutieux sont essentiels pour parvenir au diagnostic de décollement de rétine d’origine exsudative.


Les symptômes décrits par le patient peuvent également orienter vers la nature non rhegmatogène du décollement de rétine : on note l’absence habituelle de symptomatologie de décollement postérieur du vitré, en particulier l’absence de photopsie. La baisse d’acuité visuelle est très variable et non spécifique, allant de la perception de myodésopsies, notamment lorsqu’il existe une hyalite associée, jusqu’à l’absence de perception lumineuse dans les cas les plus sévères.


La baisse de vision liée au décollement de rétine rhegmatogène est habituellement unilatérale, brutale et survenant sur un œil blanc et indolore. Au contraire, la symptomatologie d’un décollement de rétine exsudatif est d’apparition le plus souvent progressive ou rapidement progressive, pouvant être bilatérale. Une douleur oculaire et une photophobie concomitantes orientent vers la nature inflammatoire du décollement de rétine et peuvent être liées à une uvéite antérieure ou à une sclérite associée.


Un examen détaillé des annexes oculaires, de la chambre antérieure, de l’iris, du fond d’œil, en examinant en particulier l’ora serrata, la macula et le nerf optique est nécessaire afin de rechercher des signes d’inflammation oculaire. On recherchera notamment l’existence d’une inflammation épisclérale ou sclérale, une kératite ulcérante périphérique, la présence de précipités rétrodescemétiques, un tyndall de chambre antérieure, des synéchies iridocristalliniennes et, au fond d’œil, une hyalite, une papillite, un œdème maculaire, des vascularites rétiniennes, la présence de plis ou de décollement choroïdien et/ou ciliaire associés.


En l’absence de ces signes d’orientation, la distinction entre un décollement de rétine exsudatif et un décollement de rétine rhegmatogène peut être difficile.


En effet, les déhiscences ne sont pas toujours visibles lors de l’examen d’un décollement de rétine rhegmatogène, notamment chez le patient pseudophaque où les déchirures sont souvent de très petite taille et localisées en extrême périphérie. Il y a alors un risque de diagnostic par excès. De plus, un décollement rhegmatogène peut s’associer à un décollement choroïdien ou à une inflammation en cas d’hypotonie prolongée et peut faire évoquer à tort un décollement exsudatif. Inversement, la présence d’une déhiscence peut être fortuite et n’élimine pas le diagnostic de décollement de rétine exsudatif, notamment lorsque la localisation de la déchirure n’est pas en accord avec la topographie du décollement de rétine.


Les décollements de rétine exsudatifs peuvent se présenter de manière extrêmement variable, sous forme de poches d’accumulation de liquide sous-rétinien unique ou multiples, localisées ou plus diffuses, pouvant prendre un aspect plan ou au contraire bulleux. L’aspect du liquide sous-rétinien est également variable, pouvant être clair ou jaunâtre (riche en protéines et en lipides et de forte densité) ou hémorragique.


La mise en évidence de décollements séreux rétiniens périphériques plans peut être facilitée par l’examen du fond d’œil à l’aide d’une lumière verte, qui permet de mieux individualiser la présence de liquide sous-rétinien par contraste avec le fond choroïdien plus sombre. Dans le cas d’un décollement bulleux périphérique, les éléments sémiologiques évocateurs de l’origine non rhegmatogène du décollement sont résumés dans le tableau 55-I. Aucun n’est cependant pathognomonique d’un décollement exsudatif.


Tableau 55-I – Caractéristiques sémiologiques en faveur de l’origine exsudative d’un décollement de rétine.















Absence de pigments intravitréens (« tobacco dust » ou PVR de stade A)
(une hyalite, même modérée, ne doit pas être confondue avec ce tyndall vitréen pigmenté ou un décollement postérieur du vitré)
Mobilité gravitationnelle du décollement de rétine n’atteignant pas l’ora serrata
(plus facilement mise en évidence lors d’un examen au casque sur un patient allongé pouvant orienter la tête dans différentes directions)
Absence de plis intrarétiniens (également possible dans les décollements de rétine rhegmatogènes) avec une surface lisse et non plissée de la rétine décollée
Absence de ligne de démarcation caractérisant les décollements de rétine rhegmatogènes anciens
Présence fréquente d’une PVR sous-rétinienne (membranes et cordages sous-rétiniens) en l’absence de PVR épirétinienne (nœuds de PVR)
Présence d’exsudats rétiniens de contiguïté dans les formes chroniques de décollements de rétine exsudatifs

PVR, prolifération vitréorétinienne.



image APPORT DES EXAMENS D’IMAGERIE


Plusieurs examens d’imagerie peuvent apporter une aide diagnostique en fournissant des éléments sémiologiques supplémentaires.


L’imagerie en OCT permet d’observer les décollements séreux rétiniens et leur réapplication après traitement. Selon l’étiologie, les décollements séreux rétiniens sont isolés, sans épaississement du tissu rétinien sus-jacent, ou bien associés à un œdème maculaire ou à des décollements de l’épithélium pigmentaire.


L’angiographie à la fluorescéine est utile lorsque le liquide sous-rétinien est relativement clair et le décollement pas trop bulleux. Elle permet d’étudier notamment la cinétique du remplissage des poches de décollements séreux rétiniens et de confirmer l’existence d’une papillite ou de vascularites rétiniennes. L’opacité des milieux ou le caractère total du décollement peuvent cependant en limiter l’utilité.


L’angiographie au vert d’indocyanine permet d’étudier la circulation choroïdienne en analysant le délai de remplissage de la choriocapillaire et en recherchant des signes de vasculopathie inflammatoire choroïdienne.


L’échographie oculaire peut être utile en cas d’opacité des milieux rendant l’examen du fond d’œil difficile. Elle peut mettre en évidence une infiltration pariétale pouvant consister en des lésions pariétales saillantes et localisées (granulomes sarcoïdosiques hyperéchogènes, par exemple) ou plus diffuses. Ces dernières peuvent se localiser au niveau de la paroi antérieure et consister en un épaississement choroïdien diffus hypoéchogène et régulier (maladie de Vogt-Koyanagi-Harada, par exemple) ou se développer aux dépens de la paroi postérieure, comme dans le cas des sclérites postérieures où la sclère épaissie est associée à un élargissement hypoéchogène de l’espace sous-ténonien. L’échographie permet également d’étudier l’espace rétro-oculaire, en recherchant un œdème rétrobulbaire et une éventuelle infiltration musculaire pouvant s’intégrer dans le cadre d’une maladie systémique.



Uvéites postérieures et décollement de rétine exsudatif



image MALADIE DE VOGT-KOYANAGI-HARADA


Dans sa forme typique, la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada est une panuvéite bilatérale associée à des manifestations extraoculaires méningées, cutanées et intéressant l’oreille interne. Lors de la phase aiguë de la maladie, les décollements séreux rétiniens bilatéraux pouvant parfois prendre un aspect bulleux constituent les éléments les plus caractéristiques conduisant au diagnostic.




CRITÈRES DIAGNOSTIQUES


En 1999, une conférence internationale de consensus (Vogt-Koyanagi-Harada Syndrome : First International Workshop) a réuni les ophtalmologistes experts de la maladie et a défini des critères diagnostiques révisés de la maladie (tableau 55-II) [32]]. Ces critères permettent de classer les formes de la maladie selon leur caractère « complet », « incomplet » ou « possible », lesquelles regroupent les atteintes oculaires isolées. Le caractère tardif de l’apparition de certaines manifestations, en particulier cutanées, est à l’origine du classement en tant que forme incomplète de nombreux cas, notamment chez les patients européens.


Tableau 55-II – Critères diagnostiques révisés de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada [32].


Forme complète : les critères 1 à 5 doivent être présents.


Forme incomplète : les critères 1 à 3 doivent être présents et 4 ou 5.


Maladie possible ; forme oculaire isolée : les critères 1 à 3 doivent être présents.










































1. Absence d’antécédent de traumatisme oculaire pénétrant ou de chirurgie oculaire ayant précédé le début de l’uvéite
2. Absence d’élément clinique ou d’examen complémentaire évoquant une autre maladie oculaire
3. Atteinte oculaire bilatérale, pour laquelle les critères « a » ou « b » doivent être remplis, selon le stade de la maladie lorsque le patient est examiné
 

 
4. Manifestations neurologiques ou auditives (pouvant avoir été résolutives au moment de l’examen) (n’importe laquelle des manifestations ci-dessous est suffisante)
  a. Signes méningés : malaise, fièvre, céphalées, nausées, douleurs abdominales, raideur de la nuque et du dos ou combinaison de ces manifestations
(Cependant, des céphalées à elles seules ne peuvent suffire pour définir des signes méningés)
  b. Acouphènes
  c. Pléiocytose à l’examen du liquide cérébrospinal
5. Manifestations tégumentaires (qui ne peuvent pas avoir précédé le début de l’atteinte oculaire ou du système nerveux central) (n’importe laquelle des manifestations ci-dessous est suffisante)
  Alopécie
  Poliose
  Vitiligo

L’évolution de la maladie a été classiquement décrite en quatre phases :






Toutefois, d’importantes variations peuvent être observées par rapport à cette description.


L’atteinte est bilatérale, le plus souvent d’installation simultanée des deux côtés.



MANIFESTATIONS OCULAIRES


La présentation la plus typique de l’uvéite antérieure de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada est granulomateuse, avec des précipités rétrodescemétiques en « graisse de mouton ». Des synéchies iridocristalliniennes sont fréquentes et des nodules de Koeppe ou de Busacca peuvent également être observés. L’uvéite antérieure est susceptible d’avoir une évolution indépendante des manifestations du segment postérieur.


À la phase aiguë de la maladie, les décollements séreux rétiniens et l’œdème papillaire constituent les éléments les plus caractéristiques conduisant au diagnostic de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada [31]. L’inflammation vitréenne est d’intensité variable, parfois absente.


Le décollement séreux rétinien est classiquement multifocal, débutant dans la région maculaire et pouvant être soit localisé au pôle postérieur et/ou à la moyenne périphérie, soit étendu jusqu’à l’extrême périphérie. Il faut souligner l’importance du décollement séreux rétinien bilatéral survenant dans un contexte inflammatoire comme signe très évocateur de la maladie. Des plis rétiniens et choroïdiens au pôle postérieur peuvent accompagner l’apparition du décollement séreux rétinien.


Sous traitement, l’évolution est marquée par une réapplication des décollements rétiniens. Toutefois, plusieurs complications peuvent influencer le pronostic, comme la survenue de néovascularisation choroïdienne et de fibrose sous-rétinienne.


Jun 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 55: Décollements de rétine exsudatifs d’origine inflammatoire ou infectieuse

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