Chapitre 49 Décollement de rétine post-chirurgical
Modifications communes induites par le traumatisme chirurgical
TRAUMATISME INDIRECT : LE DÉCOLLEMENT POSTÉRIEUR DU VITRÉ
Le décollement postérieur du vitré normal est la conséquence des modifications de la structure macromoléculaire du gel vitréen, entraînant sa liquéfaction, et de l’altération concomitante de la matrice extracellulaire au niveau de l’interface vitréorétinienne, permettant au cortex vitréen postérieur de se détacher de la membrane limitante interne de la rétine. Si un facteur extérieur, comme l’acte chirurgical et l’inflammation qui l’accompagne, vient perturber ces processus physiologiques progressifs, la fréquence de survenue du décollement postérieur du vitré sera augmentée [61] et un décollement du vitré qualitativement anormal — liquéfaction du vitré sans séparation concomitante du cortex vitréen de la rétine — se développera [72]. Ceci aura pour conséquence le développement de tractions au niveau des zones d’adhérence vitréorétinienne, en particulier à la partie postérieure de la base du vitré, entraînant des déchirures rétiniennes et éventuellement un décollement de rétine.
Décollement de rétine après chirurgie du segment antérieur
CHIRURGIE RÉFRACTIVE
CHIRURGIE RÉFRACTIVE CORNÉENNE
Pour les anciennes techniques devenues inusitées comme la kérato- tomie radiaire [62] ou la photokératectomie réfractive [9, 21], le décollement de rétine survenant à distance de la procédure est plutôt l’expression de la maladie myopique et non de la technique elle-même.
Plusieurs études ont rapporté l’incidence, les caractéristiques et la prise en charge chirurgicale du décollement de rétine survenant après une chirurgie réfractive par Lasik [3, 57, 66]. L’incidence du décollement de rétine après Lasik est, selon les études, de 0,033 % à 0,36 %. Si on considère que le risque de décollement de rétine chez le myope est estimé de 2,2 % [15] à 7 % [53], il ne semble pas y avoir de relation de cause à effet entre la survenue d’un décollement de rétine et la procédure de Lasik. Pourtant, les modifications anatomiques de l’œil myope lors de la réalisation du Lasik font craindre la création d’un décollement postérieur du vitré et de tractions vitréorétiniennes aiguës au niveau de la base du vitré. Ceci peut conduire au développement d’un décollement de rétine aigu dans les heures qui suivent le Lasik [60]. Il est donc nécessaire de bien informer le patient avant le Lasik des risques et des symptômes du décollement de rétine et d’effectuer un examen attentif de la périphérie rétinienne. Actuellement, il n’y a pas d’arguments pour que la prophylaxie du décollement de rétine soit différente en cas de Lasik [44], d’autant que le traitement prophylactique pré-Lasik n’empêche pas la survenue de lésions rétiniennes périphériques post-Lasik [8]. Les caractéristiques du décollement de rétine observé après Lasik ne sont pas différentes de celles du décollement de rétine du myope fort, mais le diagnostic peut être retardé [3].
Lors d’une chirurgie vitréorétinienne sur un œil ayant été traité par Lasik, il est recommandé de ne pas débrider l’épithélium cornéen et d’opter plutôt pour l’utilisation d’un système de visualisation « grand champ » non-contact, afin d’éviter le déplacement du capot cornéen [39, 46].
CHIRURGIE RÉFRACTIVE INTRAOCULAIRE
Indiquée dans les myopies trop fortes pour être accessibles à la chirurgie cornéenne réfractive, la chirurgie intraoculaire s’adresse à des yeux présentant spontanément un fort risque de développer un décollement de rétine. Pour la chirurgie du cristallin clair, l’incidence du décollement de rétine est corrélée à la capsulotomie et augmente avec la durée du suivi : elle passe de 1,9 % [13] ou 5,5 % [4] de décollements de rétine avec, respectivement, 36 % et 7,3 % de capsulotomies à quatre ans, à 8,1 % de décollements de rétine avec 61 % de capsulotomies après sept ans de recul [14]. Malgré les bons résultats réfractifs de la chirurgie du cristallin clair [4], l’incidence du décollement de rétine y est inacceptable, plus élevée que celle attendue dans la même population de myopes non opérés.
La pose d’implant intraoculaire sur œil phake paraît plus sûre par rapport au risque de décollement de rétine [28]. L’incidence de décollement de rétine après implant phake est de 4,06 % au-delà de sept ans de suivi ; le décollement survient surtout pour les yeux dont la longueur axiale est supérieure à 30 mm [67]. Le temps relativement long entre l’implantation et la survenue du décollement de rétine — un an et demi pour les implants phakes de chambre antérieure [65], deux ans et demi pour ceux de chambre postérieure [48] — suggère que la plupart des décollements de rétine ne sont pas liés directement à l’implantation. Si la présence d’un implant phake de chambre antérieure rend la visualisation de la périphérie rétinienne difficile lors de la chirurgie pour décollement de rétine, il n’en est pas de même pour l’implant phake de chambre postérieure, sauf en cas de cataracte associée [6]. Dans les cas où la gêne visuelle ne permet pas une analyse correcte du décollement de rétine, une chirurgie invasive d’emblée concernant le segment antérieur (avec ablation de l’implant phake plus ou moins associé à la chirurgie du cristallin) et le segment postérieur sera volontiers envisagée pour privilégier la réapplication rétinienne.
KÉRATOPLASTIE TRANSFIXIANTE ET KÉRATOPROTHÈSE
Le risque de décollement de rétine après kératoplastie transfixiante est très faible chez le phake ; elle est surtout accentuée chez l’aphake lorsqu’une vitrectomie antérieure a été réalisée [1] ou après la mise en place d’un implant de chambre postérieure suturé à la sclère. Le décollement est souvent sévère, avec une incidence de prolifération vitréorétinienne augmentée, en particulier lorsqu’un geste sur le vitré a été nécessaire lors de la kératoplastie trans- fixiante [77].
La survenue d’un décollement de rétine après une kératopro- thèse est une complication particulièrement grave sur des yeux déjà très remaniés. Le diagnostic du décollement est rendu difficile par le développement fréquent d’une membrane rétroprothétique dans 35 % des cas. La prise en charge chirurgicale du décollement de rétine nécessite une adaptation des techniques conventionnelles, avec une attention particulière pour le site des sclérotomies et l’utilisation de l’endoscopie si la visualisation par l’optique est mauvaise. La récupération anatomique et fonctionnelle après chirurgie du décollement de rétine est plutôt bonne (neuf réapplications sur treize décollements de rétine) pour certains [59], alors qu’elle est très décevante (une réapplication sur cinq décollements de rétine) pour d’autres [30].
CATARACTE COMPLIQUÉE
La perte d’intégrité de la capsule postérieure avec la fuite subséquente de l’acide hyaluronique dans la chambre antérieure joue un rôle central dans la dépolymérisation des macromolécules vitréen- nes conduisant à la liquéfaction du vitré et au décollement postérieur du vitré. Ceci est confirmé par une étude post mortem dans laquelle le décollement postérieur du vitré était moitié moins fréquent dans les yeux opérés de cataracte avec capsule intacte [47]. Cette perte d’intégrité de la capsule postérieure est un élément clé dans la pathogenèse du décollement de rétine rhegmatogène.
RUPTURE ZONULAIRE OU CAPSULAIRE POSTÉRIEURE AVEC ISSUE DE VITRÉ
L’issue de vitré per-opératoire accentue le risque de décollement de rétine après chirurgie de la cataracte [56], en particulier dans les trois mois qui suivent l’intervention, avec un risque dix à treize fois plus élevé de déchirures rétiniennes ou de décollement de rétine [18, 82]. Cette différence persiste au cours du temps : avec un recul de vingt ans, la probabilité cumulée de survenue d’un décollement de rétine après une intervention de cataracte est cinq fois plus importante si une rupture capsulaire avec issue de vitré s’est produite [20]. Par ailleurs, à partir d’un modèle prédictif élaboré à partir de l’analyse rétrospective de trois mille quatre-vingt-dix-huit patients opérés de décollement de rétine, nous avons pu établir que le risque de récidive de décollement de rétine chez le pseudophake était 2,8 fois plus important en cas d’antécédent de cataracte compliquée [5].
Les conditions anatomiques défavorables (pupille étroite, cataracte blanche, noyau dur, syndrome pseudoexfoliatif…) favorisent la déchirure capsulaire ; l’expérience du chirurgien intervient également, puisqu’on retrouve une incidence de 6 % à 7 % de rupture capsulaire chez les chirurgiens en formation [84], alors que l’incidence chez les chirurgiens confirmés est estimée de 0,45 % à 3,6 % selon les études [88].
La prise en charge chirurgicale de l’issue de vitré comporte deux contraintes :
Fig. 49-1 Rupture capsulaire postérieure avec issue de vitré lors de la première intervention pour cataracte. Secondairement, un nettoyage du segment antérieur visant à enlever le vitré résiduel et les masses persistantes en supérieur est effectué, au mieux par une vitrectomie par voie postérieure, avant d’envisager une implantation dans le sulcus ciliaire chez ce patient.
LUXATION POSTÉRIEURE DU CRISTALLIN OU DE L’IMPLANT
La bascule de fragments cristalliniens plus ou moins importants dans la cavité vitréenne peut favoriser, outre l’inflammation et l’hypertonie, l’apparition d’un décollement de rétine [49]. Les tractions per-opératoires sur la base du vitré secondaires à la chute du matériel cristallinien et aux manœuvres chirurgicales entraînent fréquemment des déchirures souvent étendues, voire un décollement de rétine per-opératoire (fig. 49-2). L’inflammation et la rétraction réactionnelle du vitré dues aux morceaux cristalliniens luxés jouent aussi un rôle dans l’apparition ultérieure de déchirures rétiniennes. Une vitrectomie secondaire de nettoyage dans la semaine qui suit l’intervention de cataracte compliquée, plus ou moins associée à une phacoémulsification du noyau par voie postérieure, est recommandée pour limiter l’inflammation et les risques d’œdème maculaire [64, 89]. L’incidence du décollement de rétine se situe entre 5 % et 15 % selon les séries chez les patients qui ont bénéficié d’une vitrectomie [24, 50, 52, 68]. L’existence d’un décollement de rétine étendu avec macula soulevée est un facteur de mauvaise récupération fonctionnelle [27]. Le traitement du décollement de rétine après vitrectomie pour luxation postérieure de morceaux cristalliniens par simple rétinopexie-gaz n’est pas recommandé car le décollement de rétine récidive alors dans plus de la moitié des cas [68].
Les mêmes complications se retrouvent en cas de luxation postérieure d’un implant cristallinien par une brèche capsulaire, zonulaire, ou lors de la luxation en bloc du sac capsulaire et de l’implant. La chirurgie est recommandée car une abstention thérapeutique, outre la gêne liée aux déplacements de l’implant devant l’axe visuel, fait courir le risque de difficultés opératoires majorées en cas de survenue d’un décollement de rétine [86] (fig. 49-3). Une fragilité zonulaire se développe fréquemment après une vitrectomie postérieure et constitue un risque majeur de luxation de l’implant pendant ou après la chirurgie de la cataracte. Dix-neuf pour cent des patients présentant une luxation spontanée de l’implant à distance de la chirurgie du cristallin ont des antécédents de vitrectomie postérieure. De plus, la luxation de l’implant survient en moyenne huit ans et demi après l’implantation. Cette latence suggère que l’altération zonulaire secondaire à la vitrectomie s’effectue progressivement de façon continue dans le temps [16].
Fig. 49-3 Décollement de rétine total avec prolifération vitréorétinienne associé à une luxation postérieure de l’implant chez une patiente myope forte. a. On constate qu’une des anses de l’implant est enchâssée sous la rétine maculaire (entre les flèches), où elle a créé une déhiscence rétinienne à l’origine du décollement de rétine. b. et c. L’injection d’une bulle de PFCL permet de stabiliser la rétine au pôle postérieur (la flèche pointe le bord inférieur de la déhiscence maculaire) et de déplacer doucement l’implant en le verticalisant avant d’effectuer son ablation.
Il n’est donc pas recommandé d’essayer de replacer l’implant luxé dans le sac capsulaire fragilisé.