45: Impact psychologique du diagnostic prénatal

Chapitre 45 Impact psychologique du diagnostic prénatal



Le cadre légal des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) prévoit la présence d’un psychologue ou d’un psychiatre (art. R2131 CSP, décret 2006-44). Il ne s’agit pas simplement d’un artifice ou d’un effet de mode mais sans doute d’une évidence clinique. En effet, au-delà de toute pathologie psychiatrique, les problèmes psychologiques soulevés par le diagnostic prénatal sont très prégnants, directement perceptibles ou masqués, tant pour les femmes et les couples que pour les équipes. Les enjeux sont majeurs, parmi lesquels : la prise de décision d’interruption médicale de grossesse (IMG), les conséquences et effets de l’IMG, à court et long termes. Ces situations n’existaient pas il y a une quarantaine d’années et l’ensemble des protagonistes, parents et professionnels, vivent aujourd’hui des épreuves dont l’importance des enjeux psychiques est devenue évidente.


Le psychiatre exerce son rôle aussi bien auprès des femmes (et des couples) que de l’équipe du CPDPN.



La maternité enfante autant d’ombre que de lumière


La médecine est aujourd’hui capable de toutes sortes d’interventions sur le corps (au moment de la procréation, avant la naissance ou dans les tout premiers temps de la vie) qui ajoutent à la réalité des problèmes inédits. Ceux-ci semblent parfois dépasser les limites de ce qui est représentable. Ainsi, médecins et parents se trouvent parfois pris de vertige face à des questions qui les amènent au-delà de ce qui peut être pensé [1].


Par ailleurs, les services de maternité et de néonatalogie, par leurs investissements, leurs motivations et leurs réussites, confortent les parents dans l’idée que le fœtus ou le nouveau-né est un bien de plus en plus précieux qui pourrait être livré avec « certificat de garantie et service après-vente » [2]. Ces assurances, si elles viennent à défaillir, plongent les parents dans une détresse d’autant plus profonde qu’ils n’y étaient pas préparés. Entre la vitrine céleste de ce temple moderne de la fécondité et la triviale arrière-boutique de ses drames quotidiens (fausses couches, morts fœtales, révélations d’anomalies, grossesses pathologiques, accidents prénataux, séparation néonatale mère/bébé, annonce de handicap, etc.), le contraste est parfois grand. Entre l’utopie scientiste de la totale maîtrise et le fatalisme de la répétition maléfique à travers les générations, l’élan créateur de la maternité et la prévention expriment fidèlement l’alliage humain d’Eros et Thanatos [3].



L’échographie obstétricale


L’échographie obstétricale constitue la première rencontre de la mère et du père avec la réalité du fœtus et avec l’image de leur bébé. Elle joue de ce fait un rôle fondamental dans le processus de parentalisation ; elle en constitue un des moments clés [4]. Entre émerveillement et angoisse, l’échographie constitue un moment attendu et redouté, un temps de rencontre mêlant désir et inquiétude. Et cet examen, en révélant le dedans et le dehors, en estompant la limite entre réel et imaginaire, renforce le sentiment d’inquiétante étrangeté. Son impact psychique chez tous les partenaires en présence est donc majeur et les mouvements psychologiques, conscients et inconscients, ne sont pas sans laisser de traces.


L’échographie participe donc à cette transformation qui permet de passer du fœtus au bébé. Les représentations conscientes se concrétisent et les processus d’idéalisation permettent d’annuler toute émergence de sentiments de haine [5]. Le bébé ne serait qu’objet d’amour ; il ne saurait être autre chose.


Mais cette haine de la mère pour son fœtus ressurgit quand celui-ci présente une malformation, un défaut, même des plus minimes [6, 7] ; elle réapparaît lorsqu’il ne répond pas aux attentes maternelles et paternelles et qu’il cesse d’être un objet sur lequel il est possible de superposer son enfant imaginaire, un être capable de remplir son mandat transgénérationnel [4].


Quant à l’échographiste, autorisé à explorer l’intime, il ne peut être insensible à ce qui se joue sous ses yeux. « L’émotion maternelle se transmet de corps à corps, le contact avec un corps ému touche le vôtre, une main qui vous touche sans plaisir ne provoque pas la même sensation que celle d’une main qui éprouve le plaisir de vous toucher. » (Aulagnier [8])




Impacts psychologiques du diagnostic prénatal sur la femme, le couple, mais aussi la fratrie, voire les grands-parents


Le psychiatre est interpellé par l’équipe médicale de la maternité (l’échographiste ou l’obstétricien le plus souvent), lors de la découverte de malformations fœtales. Le diagnostic prénatal nous confronte alors à une clinique du traumatisme et à une clinique du deuil.



Clinique du traumatisme


Les effets les plus violents semblent se rencontrer lors de la découverte d’une anomalie morphologique, au cours d’une échographie. La vision prolongée et soucieuse d’une image à l’écran, la modification du ton ou du débit de la voix ou de la concentration de celui qui réalise l’examen et, plus tard, la confirmation de ces premières appréhensions dans la discussion qui suivra l’examen, sont le plus souvent décrites comme l’effraction brutale d’une réalité. Le diagnostic prénatal vient briser le rêve et l’idéalisation inhérents à tout processus de parentalisation, il vient bousculer l’imaginaire et enrayer le désir. Le réel du diagnostic vient asséner une vérité qui fait violence. Les sentiments de l’absurde et du non-sens absolu sont alors envahissants. Ce temps du traumatisme réalise une fracture dans les processus de parentalisation, une rupture dans la filiation et des blessures narcissiques considérables.


On assiste alors régulièrement, passés les premiers moments de sidération, à une tentative de dépassement du désarroi existentiel sous la forme de deux mouvements opposés (mais souvent associés) : celui d’un sentiment d’injustice associé à un vécu de révolte et celui d’une fixation culpabilisée sur des événements ou des conduites responsables du problème, voire une destinée personnelle marquée par l’échec. Les doutes et l’attente anxieuse des résultats complémentaires viennent majorer cette détresse.


Face aux sentiments de haine ressentis (mais rarement exprimés verbalement) et de révolte et face à cet impensable, chacun des protagonistes réagit différemment selon sa propre histoire, ses ressources psychiques, ses représentations personnelles, ses mythes familiaux, ses propres traumatismes anciens, refoulés ou non. Il faut d’ailleurs noter qu’il existe fréquemment un décalage entre le vécu des parents, la compréhension de l’événement, la gravité du diagnostic et ce que pensent transmettre les soignants. Pour les parents, il s’agit d’un réel traumatisme, alors que pour les équipes, ce drame fait partie de leur quotidien ; elles l’ont apprivoisé par leur professionnalisme et la technique [4].


Ainsi, face à ce traumatisme, des mécanismes de défense, inconscients, prennent place chez les parents. Projection, identification, clivage, déni apparaissent au sein des entretiens avec ces parents blessés. À leur rêve d’idéal, succède un monde grave, inquiétant, où il s’agit de prendre des décisions impossibles, de porter des responsabilités pesantes : décision d’IMG, choix de continuer la grossesse…



Clinique du deuil


Le traumatisme provoque stupeur et sidération. Puis, s’ensuit un effondrement, un anéantissement du sentiment de soi. Chagrin, haine, douleur, culpabilité, agressivité… Les émotions sont fortes, envahissantes et traduisent le travail psychique en cours.


Qu’il s’agisse du deuil de l’enfant idéal ou, en cas d’IMG, du deuil de l’enfant, cette période est fondamentale ; elle doit être respectée et accompagnée. Le deuil est en effet un phénomène normal et nécessaire pour surmonter la perte d’un être aimé. C’est un travail psychique comportant un temps de dépression et de fixation à l’objet aimé. S’instaure ensuite progressivement un détachement de cette image permettant d’investir de nouveaux objets d’amour. Ce processus prend du temps.



Deuil de l’enfant idéal


Quand une malformation est dépistée sans pour autant donner lieu à une IMG, les parents sont tout autant choqués. Ils doivent faire face à l’insupportable. Le degré de malformation n’est d’ailleurs pas proportionnel à l’intensité des angoisses et des souffrances narcissiques vécues par les parents.


L’attente des examens complémentaires (IRM, bilans biologiques, etc.) est parfois interminable et les couples vivent de véritables « montagnes russes émotionnelles ».


Parfois, certaines mères (et souvent les pères dans un second temps) vont très rapidement désinvestir le fœtus et réclamer une IMG. C’est le cas de cette femme qui, du premier jour de l’annonce de la malformation d’un membre inférieur de son bébé jusqu’à l’IMG, restera radicalement déterminée sur l’issue de sa grossesse.


Généralement, dans ces situations, l’équipe du CPDPN ne désinvestit pas aussi vite le fœtus que les parents. Des décalages de perceptions sont donc possibles et peuvent être source d’incompréhension.


Enfin, lorsque la grossesse se poursuit, l’impact psychologique de tous ces événements retentit sur les interactions précoces mère-enfant. « Le vers est dans le fruit ! » L’existence d’une suspicion de trouble ou de malformation entraîne toujours des perturbations sur les relations ultérieures entre la mère et son bébé. Les doutes restent prégnants et à la moindre difficulté ultérieure (parfois des années après), le souvenir de cette période, des mots prononcés à cette époque ressurgissent, comme si c’était hier. C’est le cas de cette mère qui, devant les piètres résultats scolaires de sa fille, se demandait si les doutes de l’échographiste sur la mesure du périmètre crânien ne venaient pas trouver là une concrétisation. L’angoisse aurait enfin trouvé son objet.


La prévention de ces perturbations des interactions précoces constitue une mission importante du psychiatre intervenant dans le cadre du diagnostic prénatal [9]. Le rôle de l’équipe du CPDPN est fondamental. Une attitude d’accompagnement et d’écoute, en acceptant de ne pas tout savoir, de ne pas tout maîtriser et de laisser sa part de rêverie à l’autre peut aider la mère à retrouver un corps émotionnel qui préparera la venue du bébé.

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Jul 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 45: Impact psychologique du diagnostic prénatal

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