43: Médicaments, vaccins et grossesse

Chapitre 43 Médicaments, vaccins et grossesse



L’inquiétude induite par l’exposition à un agent exogène en cours de grossesse (médicaments, vaccins, etc.) est toujours réelle et trouve sa source dans la catastrophe du thalidomide.


Le risque malformatif est celui sur lequel les inquiétudes sont les plus vives (avec une sous-estimation des risques fœtaux et/ou néonatals lors de certaines expositions en fin de grossesse). Il en découle encore des interruptions de grossesses non justifiées ou des arrêts intempestifs de traitements nécessaires à la mère, l’exposant ainsi à un risque de décompensation de sa pathologie.


Pour autant, cette inquiétude est loin d’être toujours justifiée ou appropriée aux circonstances dans lesquelles une grossesse a été exposée. Les difficultés rencontrées pour trouver des informations adaptées à la pratique quotidienne sont certainement en cause.



Échanges maternofœtaux


Le placenta a longtemps été considéré à tort comme une « barrière » protégeant le fœtus des molécules prises par la mère. Il est en réalité une zone d’échanges banale entre les deux organismes. Il est constitué d’une couche de cellules syncitiales séparant l’endothélium vasculaire fœtal du sang maternel, doublée d’une couche de cellules du cytotrophoblaste, continue au 1er trimestre puis discontinue, ne couvrant que 20 % des 10-12 m2 de sa surface à terme. Ainsi, au fur et à mesure du développement placentaire en une arborisation villositaire complexe, la surface d’échange augmente, tandis que l’épaisseur diminue, atteignant 2 à 4 ptm en fin de grossesse, ce qui facilite le passage des molécules.


Le transfert placentaire des médicaments se fait principalement par diffusion passive, mécanisme non saturable qui dépend du gradient de concentration entre la mère et le fœtus et ne nécessite pas d’énergie. Le petit poids moléculaire, la non-ionisation, la liposolubilité et la faible liaison aux protéines plasmatiques des molécules sont des facteurs favorisant ce transfert par diffusion passive à travers le placenta qui se comporte comme une membrane bicouche lipidique.


Un transport actif contre un gradient de concentration, et qui nécessite la présence de transporteurs à la surface du placenta, a récemment été observé. Il met en jeu des transporteurs d’influx (facilitant l’entrée des médicaments vers le fœtus) et des transporteurs d’efflux (limitant le passage dans le compartiment fœtal). Parmi ces transporteurs d’efflux, les plus étudiés actuellement sont la P-glycoprotéine (P-gp, ABCB1), la Breast Cancer Resistance Proteine (BCRP, ABCG2), et les Multidrug Résistant associated Proteins (MRPs ABCC). Leur découverte dans les phénomènes de multidrug resistance dûs à leur surexpression sur les cellules cancéreuses, a permis de mettre en évidence leur rôle dans la limitation de l’exposition médicamenteuse. Depuis, leur présence de manière physiologique sur de nombreuses « barrières » (intestinale, BHE, placentaire) a permis de confirmer leur rôle protecteur. De nombreux médicaments sont substrats de ces transporteurs, leur prise en charge par ces derniers permet donc de limiter leur passage transplacentaire et ainsi de diminuer l’exposition fœtale.


Par ailleurs, certains médicaments, comme la prednisolone, sont métabolisés au niveau du placenta et certaines immunoglobulines, comme les IgG, sont transportées par pinocytose.


Peu de médicaments ne passent pas le placenta. Il s’agit pour l’essentiel de molécules de gros poids moléculaire comme par exemple l’insuline, l’héparine ou l’interféron alpha.


On peut donc retenir que presque tous les médicaments sont susceptibles de passer le placenta dans des proportions diverses et que leur degré de passage est peut-être conditionné par la présence de transporteurs présents sur le syncitiotrophoblaste.



Nature des risques en cours de grossesse


Les conséquences d’une exposition en cours de grossesse sont différentes en fonction de l’âge gestationnel.



Risque malformatif (ou risque tératogène)


La période embryonnaire (dite d’organogenèse) se déroule du 13e au 56e jour après la conception, c’est-àdire jusqu’à la fin du 2e mois (10 SA). Tous les organes se mettent en place, selon un calendrier chronologique précis (morphogenèse).


C’est au cours de cette période que les risques tératogènes (du grec teratos : monstre) sont les plus importants. La survenue d’une malformation dépend essentiellement de la molécule et de la date d’exposition par rapport au calendrier de l’organogenèse. Par exemple, un médicament connu pour provoquer des anomalies de fermeture du tube neural n’en produira plus s’il est administré après la fermeture du tube neural, qui est achevée au 29e jour après la conception.


En ce qui concerne les phases très précoces du développement, rappelons que l’implantation du blastocyste dans la muqueuse utérine débute 5 jours après la conception. Elle s’achève au 12e jour post-conception. Jusque-là, les échanges maternofœtaux sont encore peu importants, et le risque de retentissement d’un agent exogène sur l’embryon est considéré comme très faible. Il faut toutefois tenir compte de la demi-vie d’élimination de l’agent. En effet, même en cas d’arrêt de l’exposition pendant cette phase précoce, l’exposition à un médicament dont la demi-vie est longue peut déborder sur la période d’organogenèse. Pour mémoire, il faut 5 demi-vies pour éliminer 96 % d’un médicament (en cinétique linéaire).


Dans la population générale, environ 2 à 4 % des enfants naissent avec une malformation, dont moins de 5 % seraient dues à une cause médicamenteuse ou toxique. Ceci signifie qu’il existe un risque malformatif pour toute grossesse (« risque de base ») et que le « risque zéro » n’existe pas.


Un médicament tératogène augmente la fréquence globale des malformations ou seulement la fréquence d’un type de malformation, mais le risque n’est jamais de 100 %. Le risque malformatif du médicament tératogène humain le plus puissant connu à ce jour (thalidomide) est d’environ 30 %.





Notion de risque pendant la grossesse… et notion de bénéfice


L’évaluation des risques (malformatif, fœtal et néonatal) repose sur l’analyse conjointe de données diverses : études de sécurité préclinique sur la toxicologie de la reproduction (données animales), pharmacologie de la molécule et données humaines sur des grossesses exposées (études épidémiologiques, séries de patientes exposées, cas isolés de malformation ou d’effet néonatal).


Quand un risque est identifié, il n’est pas toujours possible d’estimer sa fréquence.


Pour de nombreux médicaments, les données ne sont pas suffisantes pour conclure mais elles permettent de dégager une tendance qui, dans la grande majorité des cas, est rassurante.


D’autre part, nous l’avons vu, le risque pour le futur enfant est différent selon la période d’exposition intrautérine. L’appréciation de ce risque résulte donc d’une évaluation au cas par cas pour chaque patiente.


Chez une femme enceinte (ou souhaitant l’être) comme chez tout autre patient, la prescription d’un médicament repose sur l’analyse individuelle du rapport bénéfice/risque. Le bénéfice maternel du traitement peut prendre le dessus sur les risques malformatifs, fœtaux et/ou néonatals, si les conséquences d’une abstention thérapeutique sont plus graves pour la mère (et le fœtus) que celles du maintien du traitement. Dans certains cas, un médicamentexposant le fœtus à un risque identifié sera donc prescrit ou poursuivi, car il est indispensable à la bonne santé de la mère et il n’existe pas d’alternative moins « risquée ». Une surveillance adaptée à ce risque est alors mise en place : diagnostic anténatal orienté (échographie voire IRM…) et/ou surveillance néonatale.



Médicaments à risque pendant la grossesse


Seuls les médicaments ayant une AMM sont traités dans ce chapitre. Les chimiothérapies anticancéreuses ne sont pas abordées, à l’exception du méthotrexate car il est aussi utilisé dans diverses pathologies chroniques (psoriasis, polyarthrite rhumatoïde, etc.).


Les principaux médicaments pour lesquels un effet est documenté en cas d’exposition pendant la grossesse sont présentés dans les tableaux qui suivent. Ils sont regroupés selon le type de risque, tératogène ou fœtal/néonatal, en séparant ceux qui du fait de ce risque sont formellement contre-indiqués en cas de grossesse, et ceux qui sont parfois utilisés malgré un risque connu, en raison d’un bénéfice thérapeutique important et d’une absence d’alternative possible.



Médicaments contre-indiqués pendant la grossesse


Les médicaments présentés tableaux 43.1 et 43.2 sont formellement contre-indiqués en cours de grossesse à la fois en raison de leurs effets tératogènes ou fœtotoxiques reconnus dans l’espèce humaine, et du fait de l’existence d’alternatives thérapeutiques ou de l’absence de caractère indispensable de leur prescription en cours de grossesse.


Tableau 43.1 Médicaments contre-indiqués en raison d’un effet tératogène.











Médicament Risque tératogène Conduite à tenir





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Sep 24, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 43: Médicaments, vaccins et grossesse

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