Chapitre 41 Œil et grossesse

G. Brasseur

La grossesse peut retentir sur l’œil normal ou pathologique. On peut schématiquement distinguer trois conséquences : les changements physiologiques bénins et transitoires, les pathologies oculaires directement liées à la grossesse et à ses problèmes, l’aggravation d’une pathologie ophtalmologique préexistante.

Modifications oculaires physiologiques

Elles semblent dues essentiellement aux modifications hormonales qui vont retentir principalement sur la cornée, l’accommodation et la pression oculaire. Elles sont bénignes et transitoires.

Modifications de la cornée

La sensibilité cornéenne est diminuée et on observe un œdème cornéen discret mais mesurable secondaire à l’imprégnation hydrique du stroma cornéen. Il n’altère pas la transparence de la cornée mais peut changer légèrement la réfraction. C’est ainsi que l’on observe volontiers en début de grossesse un léger astigmatisme et en fin de grossesse une tendance à la myopisation. Ces troubles sont passagers et ne donnent pas lieu à une prescription optique.

Commentaire

Du fait de l’œdème cornéen et des modifications du film lacrymal, certaines patientes peuvent rencontrer une gêne au port de lentilles de contact, en particulier les lentilles souples, jusqu’alors bien tolérées. Il faut conseiller l’arrêt de leur port pendant la grossesse et la reprise quelques semaines après l’accouchement sans qu’il soit nécessaire de changer l’adaptation.

Troubles de l’accommodation

Une diminution transitoire de l’accommodation peut expliquer une certaine difficulté à la vision de près.

Cette « presbytie de la grossesse » ne nécessite pas de verres correcteurs.

Modifications de la pression oculaire

La pression intraoculaire a tendance à diminuer surtout après le 6^e mois et cette hypotonie relative peut se prolonger quelques mois après l’accouchement sans qu’elle soit habituellement ressentie par la patiente.

Pathologies oculaires liées à la grossesse normale

Il s’agit essentiellement de pathologies choriorétiniennes.

Hémorragies rétiniennes

Des hémorragies prérétiniennes peuvent s’observer au cours de la grossesse normale. Elles sont spontanées ou secondaires à des efforts de toux, des vomissements ou une constipation. Elles peuvent entraîner une baisse visuelle perceptible mais passagère car leur évolution spontanée est bonne en quelques semaines.

Choriorétinopathie séreuse centrale

Cette affection a une physiopathologie mystérieuse. Elle perturbe le fonctionnement de la rétine maculaire et entraîne une baisse visuelle ainsi qu’une déformation des images. Son évolution est spontanément favorable. Elle peut être observée à différentes périodes de la grossesse normale. Son association avec la grossesse n’est probablement pas fortuite car cette affection prédomine nettement chez l’homme. La grossesse pourrait donc favoriser sa survenue.

Mélanome

Le mélanome de l’uvée, en particulier de la choroïde, est la tumeur maligne oculaire la plus fréquente. Bien qu’il soit diagnostiqué habituellement dans une population plus âgée, il a été signalé une croissance accélérée de cette tumeur au cours de la grossesse, consequence probable de la stimulation hormonale des mélanocytes. La prise en charge thérapeutique et le pronostic ne diffèrent pas des autres patients.

Pathologies oculaires secondaires à une grossesse pathologique

Elles sont essentiellement liées à l’hypertension artérielle survenant pendant la grossesse. Cette HTA qui concerne environ 10 % des femmes enceintes peut être source de complications maternelles et fœtales. Le tableau le plus fréquemment rencontré est l’HTA induite par la grossesse chez une femme sans antécédents. La grossesse peut aussi aggraver une HTA connue préalablement.

L’HTA peut s’intégrer dans un tableau de pré-éclampsie qui survient typiquement chez la primipare sans antécédents (5 %). On note assez souvent dans ce contexte des répercussions visuelles à type de scotome, photopsies, baisse de vision, diplopie. L’examen du fond d’œil s’impose alors montrant une rétinopathie hypertensive plus ou moins sévère.

Le signe le plus fréquent et le plus précoce de cette rétinopathie est 1 ’angiospasme rétinien volontiers focal qui intéresse d’abord les artérioles de petit calibre puis des artères rétiniennes plus importantes. À un stade plus avancé, on pourra observer les signes que l’on rencontre dans toute rétinopathie hypertensive sévère, sans les signes d’artériosclérose. Ce sont des hémorragies rétiniennes, des nodules cotonneux, un œdème rétinien, des exsudats lipidiques, et éventuellement un œdème papillaire.

Il existe une bonne corrélation entre l’importance de la rétinopathie, l’élévation de la pression artérielle et la sévérité de la pré-éclampsie. En revanche, il ne semble pas que les altérations du fond d’œil puissent prédire le développement de la pré-éclampsie.

Les complications évolutives sont le décollement de rétine exsudatif. Il s’agit de décollements de rétine importants, bulleux, bilatéraux, entraînant habituellement une baisse visuelle majeure très angoissante pour la patiente. On les rencontre chez 1 à 2 % des patientes ayant une pré-éclampsie sévère et 10 % des patientes présentant une éclampsie. Ils sont la conséquence d’une occlusion vasculaire aiguë de la choroïde.

Commentaire

Ces décollements de rétine ont heureusement un bon pronostic et disparaissent sans séquelles visuelles quelques semaines après l’accouchement. Une pigmentation rétinienne séquellaire peut s’observer à distance ; ce sont les taches d’Elschnig qui correspondent à des micro-infarctus de la choroïde.

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