40: Médicaments et grossesse

Chapitre 40 Médicaments et grossesse



Le risque embryofœtal potentiel des thérapeutiques maternelles en cours de grossesse vient souvent éclipser le bénéfice qu’elles présentent, et cette position concerne aussi bien les professionnels de santé que les patientes ou leur entourage proche. L’inquiétude générée par la prise de médicaments en cours de grossesse peut être à l’origine d’interruptions de grossesse non justifiées, ou plus souvent d’arrêts ou de modifications intempestifs de traitements, entraînant une mauvaise prise en charge de la pathologie maternelle, avec les risques de complications et de décompensation qui en découlent.


En pratique, très peu de médicaments sont réellement dangereux en cours de grossesse et, dans une grande majorité des cas, il est possible de proposer une thérapeutique maternelle efficace sans risque majeur pour l’embryon ou le fœtus. Néanmoins, si le recours à des traitements présentant un risque pour le fœtus et l’embryon est incontournable pour le bénéfice de la mère, la place du diagnostic prénatal devient primordiale dans la démarche stratégique.



Les différents types de situation


La problématique du risque pour le fœtus ou l’embryon des traitements en cours de grossesse peut se présenter sous plusieurs aspects pour l’intervenant de diagnostic prénatal.


À l’occasion des échographies prénatales systématiques, ou de tout autre consultation où la question du risque des traitements maternels peut être évoquée, il est primordial de ne pas inquiéter hâtivement la patiente car peu de médicaments justifient une réelle inquiétude et rares sont les traitements de fond qui nécessitent un arrêt brutal en raison du risque qu’ils font courir à l’embryon ou au fœtus.


Lorsque l’instauration d’un traitement s’avère nécessaire chez une femme enceinte, le diagnostic prénatal est indispensable à l’évaluation du retentissement éventuel de la thérapeutique maternelle sur le fœtus, qu’il s’agisse d’aspects malformatifs ou d’aspects fonctionnels. L’intervenant de diagnostic prénatal devra disposer des éléments de surveillance précis afin de mener ses examens dans les meilleures conditions.


Enfin, la recherche d’une prise médicamenteuse fait partie intégrante du bilan étiologique devant la découverte d’une anomalie fœtale, qu’elle soit malformative ou non (troubles de la croissance fœtale, anomalies du rythme cardiaque fœtal, pathologie du liquide amniotique, etc.). Cette évaluation étiologique nécessite, outre un compte rendu détaillé de la malformation ou de la pathologie fœtale, des éléments précis sur l’exposition au médicament, sur le déroulement de la grossesse (comorbidité) et de l’ensemble du bilan étiologique avec en particulier un bilan génétique.


Le recours à un service spécialisé en termes d’évaluation des risques ou du lien de causalité et qui enregistre les observations peut s’avérer utile, voire nécessaire en cas de dépistage d’une malformation (registres de malformations, structures de pharmacovigilance, Centre de référence sur les agents tératogènes).



Méthodes d’évaluation du risque


L’évaluation du risque des médicaments en cours de grossesse doit obéir à une méthodologie rigoureuse, claire et reproductible. La première étape repose sur l’analyse critique des données disponibles chez l’animal (toxicologie de la reproduction réglementaire pour toute demande de mise sur le marché d’un médicament ou études publiées) et dans l’espèce humaine (grossesses exposées au médicament). Ces dernières proviennent de différentes sources. Il s’agit essentiellement de données publiées dans la littérature scientifique (études épidémiologiques, séries de patientes traitées ou cas isolés de malformation), mais également des données non publiées : registres de grossesses exposées (registres nationaux, voire internationaux) et grossesses signalées aux firmes pharmaceutiques dans le cadre de leur pharmacovigilance.


Qu’il s’agisse de données cliniques ou expérimentales, leur prise en compte dans l’évaluation du risque du médicament en cours de grossesse est subordonnée à leur qualité méthodologique. Le croisement des données humaines et expérimentales déterminera un niveau de risque et obéit au principe fondamental de la prépondérance des données humaines sur les résultats des études animales. Ces dernières prennent toute leur valeur si les données humaines sont insuffisantes pour statuer : une absence d’effet tératogène chez l’animal est alors un élément rassurant quant à l’éventualité d’un risque chez la femme enceinte, alors que la présence de malformations chez l’animal ne permet pas de conclure systématiquement à un effet malformatif dans l’espèce humaine, mais permet d’adopter une attitude prudente lors de la prescription chez la femme enceinte, et surtout d’orienter la surveillance prénatale en cas d’exposition en cours de grossesse. Dans la quasi-totalité des cas, les résultats des études précliniques ne suffisent pas à eux seuls à motiver systématiquement une interruption de grossesse.


D’autres paramètres vont intervenir dans l’appréciation du risque d’un médicament en cours de grossesse, comme par exemple son mécanisme d’action et sa pharmacocinétique. En effet, le passage (ou non) dans la circulation systémique maternelle et le passage placentaire sont des paramètres qui conditionnent le degré d’imprégnation pharmacologique fœtal.


Le placenta, qui a longtemps été considéré à tort comme une barrière protectrice pour le fœtus, est en réalité une zone d’échange complexe entre le fœtus et sa mère. Au fur et à mesure de l’évolution de la grossesse, sa surface augmente et son épaisseur diminue, ce qui facilite considérablement le passage des molécules par diffusion passive. Seules quelques rares molécules comme l’insuline, l’héparine et l’interféron ne franchissent pas le placenta du fait de leur poids moléculaire très élevé.


Un transport actif contre un gradient de concentration, qui nécessite la présence de transporteurs à la surface du placenta, a récemment été observé. Il met en jeu des transporteurs d’influx (facilitant l’entrée des médicaments vers le fœtus) et des transporteurs d’efflux (limitant le passage dans le compartiment fœtal). Parmi ces transporteurs d’efflux, les plus étudiés actuellement sont la P-glycoprotéine (P-gp, ABCB1), la Breast Cancer-Resistance Proteine (BCRP, ABCG2) et les Multidrug-Resistant associated Proteins (MRP, ABCC).


Leur découverte dans les phénomènes de multidrug resistance dus à leur surexpression sur les cellules cancéreuses a permis de mettre en évidence leur rôle dans la limitation de l’exposition médicamenteuse. Depuis, leur présence de manière physiologique sur de nombreuses « barrières » (intestinale, hémato-encéphalique, placentaire) a permis de confirmer leur rôle protecteur. De nombreux médicaments sont substrats de ces transporteurs ; leur prise en charge par ces derniers permet donc de limiter leur passage transplacentaire et ainsi de diminuer l’exposition fœtale [1].


Au total, on gardera à l’esprit que la grande majorité des médicaments, sauf quelques rares exceptions, passent dans le compartiment fœtal en proportions variables et que leur degré de passage est peut-être conditionné par la présence de transporteurs présents sur le syncytiotrophoblaste.

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Jul 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 40: Médicaments et grossesse

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