Chapitre 4 Le Lymphœdème Constitutionnel ou Primaire
DÉFINITION DU LYMPHŒDÈME ET CLASSIFICATION
Le lymphœdème est caractérisé par l’accumulation interstitielle de lymphe responsable d’une augmentation de volume des tissus et d’un ensemble de modifications cutanées et sous- cutanées d’un membre, du tronc, de la tête ou des organes génitaux externes.
Le lymphœdème constitutionnel ou primaire est la conséquence d’une insuffisance de drainage liée à une malformation constitutionnelle tronculaire du système lymphatique. Il peut être isolé, sporadique (95 %) ou familial. Il peut être l’un des éléments d’un syndrome malformatif plus ou moins complexe, qu’il soit restreint ou non au système vasculaire. L’ISL classe les lymphœdèmes en trois stades évolutifs [1] :
DESCRIPTION PRINCEPS DU LYMPHŒDÈME : LE LYMPHŒDÈME PRIMAIRE FAMILIAL
Nonne puis Milroy décrivent les premiers cas de lymphœdèmes congénitaux familiaux [2]. Milroy est médecin à Omaha aux États-Unis. Un pasteur de 31 ans le consulte en août 1891 pour souscrire une assurance-vie. Il souffre d’une « enflure » congénitale des deux jambes qui, hormis la gêne esthétique, ne lui cause aucune complication. L’étude généalogique de la famille identifie une transmission autosomique dominante avec 22 personnes sur 97 atteintes en 6 générations (tableau 4-1). Ils présentent tous un œdème congénital peu évolutif de la partie distale de la jambe. Chez l’un d’entre eux l’œdème apparaît à l’adolescence; il s’associe à un œdème pénien chez un autre.
Six ans plus tard, en 1898, Henry Meige [3] décrit dans la Presse Médicale une famille au sein de laquelle 8 personnes développent un œdème distal de la jambe au moment de la puberté. Cet œdème pubertaire touche toutes les générations avec une expression variable.
PRÉSENTATION CLINIQUE DES LYMPHŒDÈMES PRIMAIRES
Le lymphœdème primaire isolé peut être congénital, apparaître dans l’enfance ou être plus tardif, posant alors le problème de son caractère primaire et non secondaire à un processus néoplasique sous-jacent.
Le lymphœdème primaire ou constitutionnel est la forme la plus fréquente du lymphœdème de l’enfant. La prévalence est estimée à 1,15 cas pour 100 000 habitants, mais cette estimation basée sur le recrutement d’un seul centre aux États-Unis sera probablement remise en cause avec les données génétiques actuelles [4]. Il existe une prépondérance féminine de 3 pour 1 garçon, surtout dans les formes qui apparaissent à l’adolescence et dans les formes congénitales. Le lymphœdème est isolé, alors sporadique, dans l’immense majorité des cas (plus de 90 %) ou familial avec une transmission mendélienne. Il peut être un des symptômes de malformations syndromiques plus complexes.
Lymphœdèmes constitutionnels familiaux caractérisés sur le plan moléculaire
PHÉNOTYPE CLINIQUE
Lymphœdème pendant la grossesse
Le lymphœdème est présent lors du développement in utero et être dépisté pendant la grossesse [5]. L’échographie retrouve un aspect de bombement en verre de montre du dos du pied visible dès la 12e semaine d’aménorrhée. Il existe parfois un œdème plus diffus qui peut diminuer pendant la vie fœtale et surtout pendant les premiers jours de vie.
Le lymphœdème
Si l’œdème infiltre massivement l’avant-pied et à un moindre degré la jambe, le diagnostic est relativement aisé (fig. 4-1). La consistance du lymphœdème congénital est élastique et ne prend pas le godet jusqu’à la puberté, il prend ensuite les caractéristiques évolutives du lymphœdème adulte ou du lymphœdème pubertaire.
Autres signes cliniques
Les orteils sont dystrophiques, petits, et les bords sont retournés vers le haut en donnant un aspect de cupule. Une papillomatose très importante peut se développer au niveau des 2e et 3e orteils prenant parfois des aspects verruqueux majeurs (fig. 4-2). Les veines sont très visibles, larges, et il apparaît avec l’âge des signes d’insuffisance veineuse associés au lymphœdème (fig. 4-3) [6].
Relation phénotype-génotype
Dans sa forme familiale, le mode de transmission est autosomique dominant avec une pénétrance élevée de près de 85 % sans prédominance de sexe. Mais il existe aussi des lymphœdèmes congénitaux sporadiques associés à la mutation VEGF-R3 et des transmissions récessives. Il existe une importante variation de l’expression phénotypique intra et interfamiliale [8].
En 1998, Ferrel [9] a relié le lymphœdème familial de Milroy à la région télomérique du chromosome 5q. Dans les familles étudiées, le lymphœdème apparaît avant trois ans, congénital ou non. Cette région télomérique du chromosome 5 (5q34- 5q35) contient le gène du récepteur 3 du VEGF. Un séquençage du gène candidat a permis d’identifier plusieurs mutations hétérozygotes qui modifient la séquence d’acides aminés du domaine tyrosine kinase du récepteur-3 du VEGF. Ces mutations inhibent in vitro l’autophosphorylation du VEGFR3 induite par la liaison avec son ligand, le VEGF-C. La coexpression de l’allèle muté avec l’allèle sauvage diminue l’activité du récepteur et son internalisation cellulaire. Il s’en suit une accumulation des récepteurs inactifs à la surface cellulaire et une impossibilité de liaison du VEGF-C au récepteur normal [10, 11]. De nombreuses mutations fonctionnelles ont été décrites sur ce récepteur [7, 12].
SYNDROME LYMPHŒDÈME-DISTICHIASIS, MUTATION DU GÈNE FOXC2
Atteinte ophtalmologique
Le lymphœdème est constant, associé à une distichiasis qu’il faut savoir rechercher par un examen ophtalmologique spécifique (double rangée de cils sur la face conjonctivale de la paupière, fig. 4-4). Le signe d’appel le plus évocateur est une histoire de conjonctivite ou de kératite infectieuse récidivante mais il peut être asymptomatique dans 25 % des cas. Il est présent dès la naissance. Il existe d’autres signes ophtalmologiques et en particulier un ptosis, présent dans 30 % des cas (fig. 4-5).