Chapitre 39 Allo-immunisations érythrocytaires
suivi et prise en charge
L’anémie fœtale est une pathologie rare mais dont les conséquences peuvent être particulièrement graves, à type d’anasarque fœtale, de lésions neurologiques fœtales hypoxiques et, au pire, de mort fœtale ou néonatale.
Les étiologies de l’anémie fœtale sont multiples mais les plus fréquentes restent les allo-immunisations, au premier rang desquelles l’immunisation anti-RhD, suivie des autres incompatibilités à risque fœtal (Kell et petit c notamment).
La découverte d’une anémie fœtale peut conduire à plusieurs attitudes thérapeutiques en fonction de l’étiologie, de l’évolution et de l’âge gestationnel : transfusion fœtale intravasculaire en cas de terme précoce et/ou d’anasarque, extraction fœtale lorsque l’âge gestationnel est avancé, compatible avec une prématurité modérée, et éventuelle transfusion fœtale intrapéritonéale à des âges gestationnels très précoces.
Allo-immunisations érythrocytaires
L’allo-immunisation anti-RhD est devenue une pathologie rare depuis la généralisation de la prévention par immunoglobulines anti-D au cours des années 1970. Elle reste pourtant de très loin la première cause d’anémie fœtale, concernant environ une femme enceinte RhD-négative sur 100. On estime qu’une forme sévère de maladie hémolytique chez le fœtus ou le nouveau-né risque de se produire chez 10 % de ces patientes, soit de l’ordre d’une centaine de cas par an en France [1, 2].
Les autres immunisations pouvant être fréquemment à l’origine d’une anémie fœtale sont, par ordre de fréquence décroissante, l’immunisation anti-K1 (Kell) et l’immunisation anti-c. Des allo-immunisations anti-C et anti-E sont très fréquemment associées à l’immunisation anti-D mais, dans ce cas, c’est toujours la sévérité de cette dernière qui fait le pronostic de l’affection. Enfin, de très nombreuses autres immunisations peuvent provoquer des anémies fœtales mais de manière beaucoup plus rare (M, Duffy, Kidd, etc.).
A contrario, la surveillance doit permettre d’éviter des gestes invasifs inutiles, dans les situations qui ne présentent pas de risque immédiat pour le fœtus. Il est donc primordial de privilégier le recours à des méthodes de surveillance non invasives telles que le Doppler cérébral avec mesure du pic systolique de vélocité de l’artère cérébrale moyenne (PSV-ACM) [3].
Diagnostic de l’anémie fœtale
Le diagnostic de l’anémie fœtale, quelle qu’en soit la cause, a été révolutionné par la mesure du PSV-ACM [3].
Mesure du pic systolique de vélocité de l’artère cérébrale moyenne
Après avoir testé différents sites de mesure Doppler, Mari et al. [5, 6] ont montré dès 1990 des variations de pulsatilité dans différentes artères fœtales, dont l’artère cérébrale moyenne, après transfusion intravasculaire. En 2000, une grande étude multicentrique a rapporté une sensibilité du PSV-ACM de 100 % pour la détection des anémies modérées et sévères, faisant de ce test non invasif l’examen de référence dans une population sélectionnée [3]. L’augmentation de vitesse, liée principalement à la diminution de la viscosité sanguine, est très bien corrélée au taux d’hémoglobine fœtale.
Sous réserve de conditions techniques optimales (axe du faisceau Doppler dans l’axe de l’artère cérébrale, absence de correction d’angle, absence de pression sur la tête fœtale, mesure au tiers proximal-tiers moyen de l’artère, mesure en dehors de mouvements fœtaux) (fig. 39.1), cette technique permet de limiter le recours aux gestes invasifs (ponction de sang fœtal en particulier) et de retarder le moment de la première transfusion in utero lorsqu’elle est nécessaire.
À partir de près de 500 mesures réalisées au CNRHP (Centre national de référence en hémobiologie périnatale) dans le cadre du suivi de 46 femmes enceintes ayant une allo-immunisation érythrocytaire, nous avons retrouvé une corrélation hautement significative entre le taux d’hémoglobine fœtale et la valeur de PSV-ACM (R2 0,6545 ; p < 0,0001 ; fig. 39.2), ainsi qu’une valeur prédictive négative de 97,8 % [6]. La courbe ROC (Receiver operating characteristic) montre que la performance de la mesure de PSV-ACM est très bonne avec une aire sous la courbe 0,851 (IC 95 % : 0,742–0,927 ; p < 0,0001) pour la prédiction d’une anémie inférieure à 0,5 MoM.
Autres paramètres de surveillance dans un contexte d’allo-immunisation connue
Il est donc primordial de privilégier le recours à des méthodes de surveillance non invasives, ce que permet la mesure du PSV-ACM. De plus, la surveillance pourra de nos jours être limitée aux cas pour lesquels le Rhésus fœtal D aura été confirmé par le génotypage non invasif sur sang maternel [7, 8]. Depuis 2010, il est également possible de réaliser un génotypage fœtal Kell en cas d’allo-immunisation K1 dans votre laboratoire de référence du CNRHP.
Concentration d’anticorps
Elle peut être évaluée par le titrage grâce au test de Coombs ou par le dosage pondéral. Le dosage pondéral des anticorps est plus précis que le seul titrage dans l’évaluation du risque d’anémie, mais il n’est possible que pour les anticorps dirigés contre les antigènes du groupe Rhésus (D, C, c, E). Il n’existe pas de dosage fiable des anticorps anti-Kell. Ni le dosage, ni le titrage ne sont corrélés de manière stricte avec l’existence d’une anémie. Néanmoins, en deçà d’un taux de 250 unités CHP/ml (1 μg/ml) d’anti-D, le risque d’anémie fœtale est pratiquement nul. Il faut être particulièrement attentif à l’évolution de ce taux au cours de la grossesse, car une réactivation brutale peut survenir à l’occasion d’un passage occulte d’hématies fœtales dans la circulation maternelle. Du fait de la rapidité d’installation d’une anémie fœtale en cas de réactivation massive, une surveillance du dosage et/ou du titrage maternel d’anti-D toutes les deux semaines est recommandée, même en cas d’allo-immunisation minime.
Signes échographiques
Ils sont fondés sur les manifestations débutantes d’anasarque fœtale : épanchement péricardique, péritonéal ou pleural, œdème sous-cutané, excès de liquide amniotique, épaississement du placenta (fig. 39.3). L’existence d’une anasarque franche est le signe d’une anémie déjà profonde et évoluant depuis un certain temps. C’est clairement un signe de gravité de l’anémie, exposant à un risque de mortalité périnatale plus élevé. A contrario, des anémies sévères peuvent être rencontrées en l’absence complète d’anasarque. Les techniques actuelles permettent d’identifier de manière fiable l’anémie, bien avant la constitution d’une anasarque.
L’amniocentèse pour mesure de l’indice optique à 450 nm
Cette mesure, rapportée au diagramme de Liley [9], n’est plus mentionnée ici qu’à titre historique. La bilirubinamnie ne donne en effet qu’un reflet indirect du degré d’hémolyse et non de l’anémie du fœtus. Elle est encore moins fiable dans les immunisations anti-Kell dans lesquelles il existe également une atteinte centrale, non hémolytique. Enfin, la réalisation de ce geste invasif peut également être une source de réactivation franche de l’allo-immunisation.
Enregistrement du rythme cardiaque fœtal
Dans les situations à haut risque, les anomalies caractéristiques du rythme cardiaque fœtal (RCF), comme le tracé sinusoïdal (fig. 39.4), sont tardives. Le RCF ne fait pas partie des examens de dépistage de l’anémie car des tracés parfaitement normaux peuvent se rencontrer en cas d’anémie profonde. De même, la diminution franche ou la disparition des mouvements fœtaux ne surviennent qu’à des stades très sévères de l’anémie fœtale.
Apport du génotypage RhD fœtal
Le génotypage RhD fœtal est depuis longtemps possible sur liquide amniotique mais cette technique nécessite la réalisation d’une amniocentèse, cause fréquente de réactivation de l’allo-immunisation lorsque le fœtus est RhD-positif.
Le génotypage RhD fœtal non invasif, décrit plus récemment, consiste en l’amplification de séquences du gène RHD dans le sang maternel [7, 8]. Chez le sujet caucasien, le phénotype RhD-négatif correspond dans plus de 98 % des cas à une délétion du gène D. La présence du gène RHD, dont la mère est dépourvue, signe donc l’origine fœtale. Il existe cependant des gènes D mutés (type Dy), en particulier dans la population africaine sub-saharienne, qui correspondent à un phénotype RhD-négatif mais donnent un résultat de génotypage faussement positif. Cette situation (moins de 1 % des cas chez les caucasiens) n’aura pas de conséquence clinique grave puisque le fœtus sera considéré comme positif et n’échappera pas à la surveillance, bien qu’elle soit ici inutile. Dans les cas de gènes hybrides D-CE-D, le résultat du test sera indéterminé, car discordant pour différents exons amplifiés. Le fœtus doit alors être considéré comme positif jusqu’à l’accouchement [7, 8].