25: Pathologie fœtale des grossesses multiples

Chapitre 25 Pathologie fœtale des grossesses multiples



La fréquence des grossesses multiples a doublé en vingt ans, principalement en raison de l’augmentation de l’âge des femmes à la conception et d’un recours accru aux techniques de procréation médicalement assistée [13].


Le taux d’accouchements gémellaires était de 15,6 pour 1 000 en 2008, alors que les jumeaux nouveau-nés contribuaient pour environ 20 % des hospitalisations en unité de soins intensifs néonatals [48]. Cette sur-morbidité ainsi que le pronostic de ces grossesses sont largement conditionnés par leur type de placentation (chorionicité).



Zygocité et chorionicité


Les grossesses gémellaires sont monozygotes ou dizygotes. Les grossesses monozygotes sont celles issues d’un seul œuf fécondé qui s’est divisé par la suite, donnant naissance à des jumeaux ayant le même patrimoine génétique. Les dizygotes sont celles issues de deux œufs séparés, donnant naissance à des jumeaux ayant deux patrimoines génétiques différents.


Les grossesses dizygotes évoluent par la suite uniquement en grossesses gémellaires bichoriales bi-amniotiques. En revanche, les grossesses monozygotes peuvent donner, dans 30 % des cas, des grossesses bichoriales bi-amniotiques si la division a lieu précocement (< 4 jours après la fécondation). Les grossesses monochoriales (70 % des grossesses monozygotes) résultent de la division tardive (> 4 jours) d’un même zygote. Les grossesses monozygotes dans leur forme monochoriale représentent une grossesse sur 400. Toutes les grossesses monochoriales sont forcément monozygotes. Leur fréquence est multipliée par trois dans les grossesses obtenues par induction de l’ovulation ou fécondation in vitro (FIV) et par treize en cas d’ICSI (intracytoplasmic sperm injection) [9]. La classification des jumeaux monochoriaux prend essentiellement en compte le moment du clivage embryonnaire [1012]. Les jumeaux monochoriaux bi-amniotiques représentent deux tiers de ces grossesses monozygotes, et résultent d’une division située entre 4 et 8 jours après la fécondation. Les jumeaux monochoriaux mono-amniotiques non conjoints se séparent entre 8 et 13 jours après la fécondation, alors que les jumeaux conjoints le font au-delà de 13 jours après la fécondation [9].



Complications spécifiques des grossesses monochoriales


Toutes les complications prénatales sont trois à douze fois plus fréquentes au cours des grossesses monochoriales qu’au cours des grossesses bichoriales. Dans les grossesses multiples monochoriales, les fœtus partagent le même placenta. Toute masse placentaire unique est caractérisée par la présence d’anastomoses vasculaires entre les cordons de chaque fœtus [1316]. Ce partage de circulation fœtale est responsable de complications spécifiques telles que le syndrome transfuseur-transfusé (STT), le jumeau acardiaque ou la séquence TRAP (twin-reversed arterial perfusion), le retard de croissance d’un des deux jumeaux, l’hémorragie fœto-fœtale aiguë, en particulier lors de la mort fœtale intra-utérine (MFIU) d’un des deux jumeaux, et enfin la séquence TAPS (twin anemia polycythemia sequence) au cours de laquelle un jumeau saigne dans son cojumeau de façon chronique. Les cas sévères de STT peuvent être compliqués du décès d’un ou des deux jumeaux (90 % avant 28 SA) [17]. Dans les cas du jumeau acardiaque, le cojumeau (jumeau pompe) a un pronostic réservé avec un taux de mortalité de 50 % [18]. Le décès d’un jumeau introduit en plus le risque d’exsanguination du jumeau sain dans la circulation du fœtus décédé. Dans ces cas, ainsi que dans ceux où le pronostic d’un des jumeaux met en danger le bien-être de son cojumeau (sévère discordance de croissance, anomalies congénitales [19, 20]), l’indication du traitement chirurgical est posée.



Syndrome transfuseur-transfusé


Le STT, encore appelé twin oligoamnios polyhydramnios sequence (TOPS), complique environ 10 à 15 % des grossesses monochoriales. Sa survenue traduite la compensation endocrinienne et hémodynamique de la transfusion chronique d’un jumeau par son cojumeau à travers les anastomoses vasculaires placentaires qui empêchent l’exsanguination d’un fœtus dans l’autre. L’apparition et la gravité du STT sont conditionnées par le nombre, le diamètre et la répartition de ces anastomoses qui représentent le substratum anatomique indispensable au développement du déséquilibre hémodynamique [7, 8, 2126]. La dilatation cardiaque du receveur entraîne une sécrétion autonome précoce de facteur atrial natriurétique responsable d’une polyurie compensatrice de l’hypervolémie [27]. Cependant, l’hypo-osmolalité marquée des urines fœtales précoces entraîne une hyperosmolalité plasmatique marquée en situation de polyurie. Cette hyperosmolalité fœtale est corrigée par une dilution hypervolémiante provenant du compartiment maternel extracellulaire. Ce cycle hypervolémie-polyurie-hyperosmolalité-dilution s’autonomise et est responsable d’un excès de liquide amniotique confinant à l’hydramnios dans les formes symptomatiques [28]. Le jumeau donneur compense son hypovolémie précoce par une stimulation autonome de son système rénine-angiotensine-aldostérone aboutissant à une oligo-anurie chronique, qui se traduit dans les formes symptomatiques par un anamnios dans le sac de ce jumeau. L’intensité et la durée de cette exposition à l’angiotensine peut conduire à une séquence malformative de dysgénésie tubulaire rénale [29]. Le passage inapproprié d’angiotensine du donneur vers un receveur hypervolémique par les anastomoses placentaires peut induire une hypertension systémique de ce dernier. L’hypertrophie myocardique ainsi créée peut conduire à une séquence malformative à type de sténose pulmonaire à septum intact [30].


Le diagnostic de STT est le plus souvent facile et peut être posé, fréquemment au 2e trimestre, par l’association :




Dans les cas d’anamnios complet, le syndrome peut être pris à tort pour une grossesse mono-amniotique si l’échographie du 1er trimestre avec un diagnostic de chorionicité n’est pas disponible. L’existence d’une discordance de taille ne fait pas partie des critères diagnostiques. Toutefois, l’apparition d’une discordance de mesure de la clarté nucale au 1er trimestre, d’un plissement des membranes (folding sign), d’une discordance dans les quantités de liquide amniotique [31] ou d’une discordance de croissance [32] au décours de la surveillance d’une grossesse monochoriale doit faire redouter un STT et renforcer la surveillance une à deux fois par semaine [33].


L’essai clinique Eurofœtus [34] a établi un seuil de la mesure de la plus grande citerne de 8 cm avant 20 SA et de 10 cm après 20 SA pour le diagnostic d’hydramnios dans le cadre du STT. Un seuil inférieur à 2 cm a été adopté quel que soit l’âge gestationnel pour le diagnostic d’oligoamnios. Le bilan initial comprend un bilan morphologique complet des deux fœtus, une étude Doppler détaillée ainsi qu’une échographie endovaginale pour la mesure de la longueur cervicale. Bien que cela ne modifie pas la prise en charge dans la majorité des cas, le syndrome est stadifié selon la classification en cinq stades proposée par Quintero [35] (tableau 25.1). La valeur pronostique de cette classification est débattue [36].


Tableau 25-1 Classification de Quintero.


















Stade 1


Stade 2 Identique au stade 1 mais la vessie du donneur n’est pas visible
Stade 3 Identique au stade 2 mais anomalies
Doppler : diastole nulle ou négative dans l’artère ombilicale, onde a nulle ou négative dans le ductus venosus, ou veine ombilicale pulsatile
Stade 4 Épanchement péricardique, pleural, péritonéal ou anasarque
Stade 5 Mort fœtale in utero d’un jumeau


Jumeau acardiaque


Le jumeau acardiaque, ou séquence TRAP (twin-reversed arterial perfusion), ou acardius acranius, est une pathologie sévère des grossesses gémellaires monochoriales. Cette pathologie est retrouvée dans 1 % des grossesses gémellaires monochoriales [37] ou dans une grossesse sur 35 000. L’absence de développement des structures cardiaques, associée à un spectre de malformations développementales et réductionnelles (acranie, formation de larges kystes dans la partie supérieure du thorax, malformations extrêmes des extrémités, etc.) et à l’hydramnios massif sont typiques de la séquence TRAP. Le jumeau affecté, ou masse acardiaque, a une perfusion inversée à partir du cojumeau sain (jumeau pompe) via des anastomoses artério-artérielles et venoveineuses de large calibre au niveau de la plaque choriale (fig. 25.1) [38].



Très fréquemment, l’insertion des deux cordons ombilicaux est très rapprochée, allant même jusqu’à avoir une insertion en V, le cas extrême étant une insertion en Y (voir fig. 25.1) si le cordon de la masse acardiaque s’insère sur celui du jumeau pompe. Un sang peu oxygéné et pauvre en nutriments va donc circuler dans la masse acardiaque de façon rétrograde à travers l’artère ombilicale, principalement vers la partie inférieure du corps. Le jumeau acardiaque dépend hémodynamiquement de son cojumeau, et sa croissance menace la survie de ce dernier, soit par le risque augmenté d’insuffisance cardiaque congestive et de MFIU, soit par le risque d’hydramnios, de rupture prématurée des membranes, de travail prématuré ou d’accouchement prématuré. Le taux de mortalité périnatale pour le cojumeau sain a été rapporté entre 35 et 55 % [3941]. La chirurgie a permis d’améliorer le taux de survie jusqu’à 74–94 % [42, 43].



Physiopathologie


Deux conditions sont nécessaires pour le développement d’un fœtus acardiaque [44] :




Par la suite, le corps de la masse acardiaque est perfusé par le jumeau avec un cœur normal, le jumeau pompe, lui permettant de grandir malgré l’absence d’activité cardiaque (fig. 25.2). La perfusion des artères ombilicales de la masse acardiaque (souvent artère ombilicale unique) et de l’aorte se fait en un flux rétrograde, d’où la dénomination de séquence twin-reversed arterial perfusion (TRAP).



Typiquement, les fœtus acardiaques sont sévèrement malformés, souvent n’ayant pas développé les organes de l’hémicorps supérieur, ainsi que les membres supérieurs et le pôle céphalique (fig. 25.3) [44]. Le développement caractéristique du jumeau pompe commence par une croissance initiale normale, suivie par une installation rapide de complications, d’une décompensation cardiaque et d’une anasarque, aboutissant à une MFIU durant le 2e trimestre [44].



Sans traitement, environ 50 % des jumeaux pompes meurent d’insuffisance cardiaque congestive, d’hydramnios et des séquelles de la prématurité [18, 39, 40, 45].



Diagnostic


La précocité du diagnostic d’un jumeau acardiaque est cruciale pour une prise en charge optimale. C’est un diagnostic échographique où les Doppler couleur et pulsé jouent un rôle important. Le diagnostic doit être suspecté devant l’absence d’activité cardiaque sur un fœtus malformé lors d’une grossesse monochoriale bi-amniotique. Puisqu’une structure cardiaque rudimentaire peut être présente chez le jumeau acardiaque, la visualisation d’une activité cardiaque n’exclut pas le diagnostic de la séquence TRAP [46]. Ce n’est que la visualisation de la vascularisation rétrograde du fœtus acardiaque au Doppler couleur qui permettra de confirmer le diagnostic (fig. 25.4).



L’échographie permet d’évaluer par ailleurs le volume de la masse acardiaque, considéré comme un facteur pronostique de survie du cojumeau [39]. L’évolution du rapport de la circonférence abdominale du jumeau sain sur celle du tronc de la masse acardiaque au cours des échographies, la croissance de la masse acardiaque, les indices Doppler, ainsi que la fonction cardiaque du jumeau sain ont été proposés par Wong et Sepulveda [47] comme facteurs pronostiques. Ces auteurs proposent, en se fondant sur ces mêmes critères, une classification des masses acardiaques pour poser l’indication de l’intervention.


Le principal facteur pronostique reste cependant l’apparition de signes de décompensation cardiaque du jumeau sain. L’apparition d’un hydramnios, une cardiomégalie, un épanchement péricardique, une insuffisance tricuspide (fig. 25.5), une onde A négative sur le ductus venosus, une veine ombilicale pulsatile, ainsi que des signes d’anémie sont tous considérés aussi comme facteurs de mauvais pronostic [46, 47].




Autres pathologies


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Jul 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 25: Pathologie fœtale des grossesses multiples

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