Chapitre 34 Toxoplasmose
Parasitose fréquente due à Toxoplasma gondii, la toxoplasmose est une affection souvent bénigne mais potentiellement grave chez le patient immunodéprimé et le fœtus. La toxoplasmose congénitale est la conséquence d’une transmission maternofœtale du parasite qui résulte elle-même d’une primo-infection toxoplasmique survenue en cours de grossesse. L’atteinte fœtale est très variable, allant de formes asymptomatiques à une mort in utero en passant par des atteintes oculaires retardées survenant pendant l’enfance ou l’adolescence. La prévalence des atteintes oculaires est d’environ 1 % des sujets atteints en Europe et en Amérique du Nord, tandis qu’elle peut atteindre jusqu’à 20 % des personnes infectées en Amérique du Sud où les lésions oculaires sévères potentiellement responsables de cécité semblent aussi plus fréquentes.
Données épidémiologiques
La toxoplasmose est une parasitose cosmopolite mais sa fréquence varie beaucoup selon les pays. En France, la séroprévalence est assez élevée, même si elle tend à régresser. En effet, les enquêtes nationales réalisées en 1995 puis en 2003 montrent une diminution significative de la séroprévalence chez les femmes enceintes, passée respectivement de 54 à 45 %, alors qu’elle atteignait 80 % dans les années 1960 [1]. La séroprévalence augmente progressivement avec l’âge et la primo-infection toxoplasmique survient assez fréquemment chez des femmes en âge de procréer.
L’incidence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes est ainsi estimée entre 6,1 et 7,2 pour 1 000 grossesses [1]. Ces chiffres issus de l’enquête nationale de 2003 ont été obtenus par modélisation à partir de la séroprévalence et de l’âge des patientes et doivent donc être confirmés. Le Centre national de référence de la toxoplasmose mis en place récemment a notamment pour objectif d’actualiser ces données épidémiologiques [2]. L’incidence de la toxoplasmose congénitale en France en 2007 était de 2,9 pour 10 000 naissances vivantes, soit inférieure aux estimations antérieures [3].
Transmission maternofœtale
Seuls le chat et les félidés sauvages constituent les hôtes définitifs de T. gondii. Le cycle sexué du parasite se déroule dans leur tube digestif et conduit à l’excrétion d’oocystes dans le milieu extérieur. L’homme ainsi que l’ensemble des animaux à sang chaud sont des hôtes intermédiaires, hébergeant le parasite sous sa forme asexuée (fig. 34.1)
En France, le principal mode de contamination des femmes enceintes est lié à l’absorption de kystes (formes quiescentes du parasite) contenus dans la viande insuffisamment cuite et n’ayant pas subi de congélation. L’infestation peut également résulter de l’absorption d’oocystes lors de la consommation de fruits et légumes crus mal lavés, ou d’une hygiène des mains insuffisante après contact avec la terre (jardinage) ou les chats. Paradoxalement, la présence d’un chat dans l’entourage d’une femme enceinte n’apparaît pas aujourd’hui comme un facteur de risque majeur, compte tenu à la fois de la période très courte d’émission des oocystes chez les jeunes chats, de la part plus importante dans l’alimentation des chats de produits industriels contrôlés, mais aussi des conseils prophylactiques donnés aux femmes enceintes. Dans les pays en voie de développement, la consommation d’une eau non filtrée est une source de contamination.
Après l’étape digestive qui suit la contamination orale survient une phase de parasitémie habituellement de courte durée et au cours de laquelle peut se produire la transmission maternofœtale du parasite. Cette phase de parasitémie n’est généralement présente que lors de la primo-infection toxoplasmique, sauf en cas d’immunodépression où des récurrences parasitémiques peuvent être observées par réactivation d’une toxoplasmose ancienne. Une fois dans le sang maternel, le parasite infecte d’abord le placenta avant de passer secondairement dans la circulation fœtale. Cette phase placentaire précédant l’éventuelle atteinte fœtale est un élément physiopathologique pris en compte pour établir la date de l’amniocentèse, fixée 4 semaines au moins après la date présumée de la contamination.
En cas de primo-infection toxoplasmique pendant la grossesse, le risque de transmission maternofœtale du parasite est d’autant plus élevé que l’infection survient tardivement pendant la grossesse. Évalué à 6 % à 13 semaines de grossesse, ce risque augmente progressivement pour atteindre environ 70 % à 36 semaines, avec un risque global estimé à 29 % [4]. À l’inverse, la gravité de l’atteinte diminue avec le terme. Ainsi, une contamination maternelle au cours du 1er trimestre expose aux lésions fœtales les plus graves, tandis qu’une contamination tardive ne provoque que des formes dégradées, retardées ou mêmes inapparentes de toxoplasmose congénitale. Les réinfections ne sont que très exceptionnellement à l’origine de toxoplasmose congénitale [5].
Diagnostic chez la mère
Diagnostic sérologique
Règles générales du sérodiagnostic
Le sérodiagnostic de la toxoplasmose associe au minimum un dosage des IgG antitoxoplasmiques, avec expression des résultats en unités internationales, et un test de détection des IgM. Le laboratoire doit en outre mentionner sur son compte rendu la nature exacte des techniques utilisées avec leur seuil significatif, et a l’obligation de conserver pendant un an les échantillons de sérum analysés.
Techniques de sérodiagnostic
Aujourd’hui, les techniques de première intention habituellement employées dans les laboratoires sont des techniques immuno-enzymatiques automatisées détectant IgG et IgM antitoxoplasmiques. Lorsque les résultats obtenus par ces tests de dépistage soulèvent un problème d’interprétation, des techniques de seconde intention réalisées habituellement dans un laboratoire spécialisé sont nécessaires pour clarifier le profil sérologique [6].
Des tests complémentaires doivent ainsi être entrepris devant un profil associant IgG et IgM antitoxoplasmiques de façon à préciser le stade évolutif de l’infection toxoplasmique. La détermination de l’avidité des IgG utilisée comme test d’exclusion d’une infection toxoplasmique récente est un bon outil pour dater la contamination par rapport au début de la grossesse [7]. De même, la détection des IgA antitoxoplasmiques peut contribuer à cette datation. La présence simultanée d’IgA et d’IgM spécifiques est en effet en faveur d’une infection toxoplasmique à la phase aiguë [8]. Toutefois, ce marqueur sérologique doit être interprété avec prudence car, s’il est présent habituellement dans les premiers mois après la séroconversion, il est parfois absent lors d’une primo-infection et, à l’inverse, peut persister au-delà d’un an dans certains cas.
Des tests de seconde intention sont également nécessaires pour préciser le statut immunitaire d’une patiente dont le taux sérique d’IgG antitoxoplasmiques est égal ou très légèrement supérieur au seuil significatif de la technique utilisée [9]. Le dye-test ou l’immunofluorescence indirecte peuvent alors être employés, mais ces techniques, bien que de grande valeur diagnostique, sont difficiles à mettre en œuvre et de moins en moins pratiquées. Des méthodes telles que l’agglutination directe hypersensible ou l’immunoblot, de réalisation plus aisée et qui possèdent une très bonne sensibilité dans la détection des IgG, constituent des alternatives de choix dans ce contexte.
Une expertise sérologique est également indiquée face à une positivité du seul test de détection IgM antitoxoplasmiques qui peut traduire une infection toxoplasmique débutante ou une réaction non spécifique dans la détection des IgM. Il convient alors de réaliser une seconde technique de détection des IgM telle que la méthode d’immunocapture-agglutination qui se positive habituellement très tôt en début d’infection et possède par ailleurs une bonne spécificité [10]. Une recherche d’IgA spécifiques, marqueur d’apparition précoce lors d’une primo-infection toxoplasmique, peut venir compléter l’expertise.
Interprétation du sérodiagnostic
L’interprétation du sérodiagnostic, qui nécessite de bien connaître les limites propres à chaque méthode, est une étape essentielle car elle conditionne toute la conduite à tenir ultérieure, à la fois prénatale et postnatale, dans la prévention de la toxoplasmose congénitale. Un guide simplifié d’interprétation du sérodiagnostic est proposé dans la figure 34.2.
Concernant l’interprétation des marqueurs, la présence d’IgM doit être considérée comme un signal d’alarme mais ne peut constituer à elle seule un argument suffisant pour affirmer le caractère récent de la toxoplasmose [11]. En effet, les IgM peuvent être détectées parfois plus d’un an après le début de l’infection, et des réactions non spécifiques peuvent être observées dans certains cas. Par conséquent, en présence d’IgM et IgG chez une femme enceinte à la déclaration de grossesse, sans antécédent sérologique connu ou avec un antécédent de sérologie ancienne négative, une datation précise de l’infection toxoplasmique par rapport au début de la grossesse s’impose. Elle requiert l’utilisation de tests sérologiques complémentaires spécifiques et l’analyse de la cinétique des marqueurs sur des échantillons de sérum prélevés à 3 semaines d’intervalle.
Les taux faibles d’IgG antitoxoplasmiques, voisins du seuil significatif, sont également à l’origine de fréquentes difficultés d’interprétation [6]. Dans cette situation, si des analyses successives sont effectuées dans différents laboratoires, le statut immunitaire des patientes peut apparaître « fluctuant ». En fait, ces apparentes fluctuations sont liées aux techniques utilisées qui varient d’un laboratoire à un autre, et pour lesquelles il existe une hétérogénéité des valeurs seuils. Les taux faibles d’IgG entretiennent aussi une ambiguïté sur la notion d’immunité protectrice. En fait, les anticorps circulants, s’ils sont largement utilisés pour le diagnostic, jouent en réalité un rôle mineur dans les mécanismes de défense contre le toxoplasme qui dépendent avant tout de l’immunité à médiation cellulaire. En pratique, en présence d’un titre faible d’IgG, il convient de réaliser une seconde technique de détection des anticorps comme le prévoit la législation actuelle, et de contrôler ce résultat sur un second sérum prélevé 3 semaines plus tard. Si les deux tests sont positifs et que l’analyse du second échantillon confirme la stabilité, la notion d’infection toxoplasmique ancienne est confirmée et la surveillance sérologique ultérieure est alors inutile. Dans le cas d’une discordance entre les techniques, il paraît en revanche souhaitable d’inclure la patiente dans le groupe à risque et de la surveiller sérologiquement pendant la grossesse.
Des examens complémentaires sont également nécessaires devant une augmentation significative du taux d’IgG sans IgM chez une patiente sans antécédent sérologique connu. Il convient ici de discriminer une séroréactivation d’une séroconversion toxoplasmique avec IgM fugaces, non détectables à la date de l’analyse. Dans notre expérience, la détermination de l’avidité des IgG peut présenter un intérêt dans cette situation, en écartant l’hypothèse d’une séroconversion récente sans IgM, si l’indice d’avidité est élevé [6].
Atteinte fœtale
L’atteinte fœtale dépend du terme de transmission du parasite pendant la phase de parasitémie. On distingue les séroconversions périconceptionnelles entre 2 semaines avant et après le début de la grossesse, où le risque de transmission maternofœtale est faible mais l’atteinte embryonnaire grave avec arrêt spontané précoce de la grossesse. Les séroconversions maternelles du 1er trimestre et du début du 2e sont les plus à risque de lésions fœtales graves, à savoir des lésions cérébrales avec nécrose tissulaire responsables de dilatation ventriculaire et de calcifications intracrâniennes (fig. 34.3). La triade classique de la toxoplasmose congénitale associe calcifications intracrâniennes, hydrocéphalie et choriorétinite maculaire. Les formes sévères septicémiques se manifesteront plutôt par une hépatosplénomégalie, un épanchement des séreuses, des calcifications intra-abdominales et une atteinte hématopoïétique (fig. 34.4). Les lésions oculaires de choriorétinites peuvent survenir quel que soit le terme de l’infection fœtale et leur survenue peut être retardée après la naissance. À 4 ans, 16,5 à 18 % des enfants dépistés et traités en période prénatale ont une atteinte oculaire rétinienne [12, 13]. À côté de l’âge gestationnel de survenue de l’infection maternelle, d’autres facteurs de gravité sont le type, la virulence de la souche de toxoplasme et la réaction immunitaire maternelle. Une étude européenne prospective a observé 19 % d’enfants symptomatiques à un an ; dans cette étude, il a été retrouvé 9 % de lésions cérébrales, 14 % de choriorétinites, tandis que 5 % des enfants présentaient des séquelles neurologiques [14].