Chapitre 33 Varicelle et grossesse
La varicelle est le nom donné à la primo-infection par le virus varicelle-zona (VZV). Il appartient à la famille des Herpesviridae, sous-famille des Alphaherpesvirinae, genre Varicellovirus. Le VZV comporte une capside icosaédrique, un tégument protéique et une enveloppe externe. Son génome est composé d’ADN bicaténaire généralement linéaire. Il s’agit d’un virus strictement humain. La primo-infection établit une infection définitive latente dans les ganglions sensitifs. Le zona, réactivation virale endogène, se rencontre principalement chez le sujet âgé ou immunodéprimé. La varicelle pergravidique a pour particularités des risques de complications maternelles et des risques d’infection fœtale et néonatale.
Épidémiologie
La varicelle est une maladie quasi obligatoire de l’enfance. De ce fait, seules 5 % des femmes en âge de procréer sont séronégatives. Cette séroprévalence varie selon les pays mais excède 90 % dans la plupart des pays occidentaux [1, 2].
Dans un même foyer, le taux d’attaque est d’environ 70 % pour les personnes en contact avec le malade atteint de varicelle, et de l’ordre de 20 % pour le zona. Les épidémies ont lieu surtout en automne et au printemps. La fréquence estimée des réactivations de type zona est de 2,16/1 000 par an entre 15 et 45 ans, avec une augmentation progressive en fonction de l’âge.
L’incidence de la varicelle pergravidique est de l’ordre de 0,7 pour 1 000 grossesses [3] dans les pays occidentaux, ce qui correspond en France à environ 500 cas par an.
L’incidence du zona en cours de grossesse est estimée à 1,5/10 000 [4]. Il est classiquement reconnu que le zona maternel n’expose pas le fœtus aux pathologies malformatives, même si quelques associations ont été rapportées [5].
Dans la physiopathologie de l’infection à VZV, il existe une première virémie environ 6 jours après le contage. Le virus poursuit ensuite sa réplication dans les tissus avant qu’une deuxième virémie ne survienne [6]. L’infection fœtale peut résulter de l’une ou l’autre des deux virémies. Lors des phases de zona, il n’existe pas de virémie à l’exception des sujets immunodéprimés. La réponse immunitaire avec synthèse d’anticorps spécifiques (IgG et IgM) apparaît entre 2 et 5 jours après le début de l’éruption, avec un pic atteint en 2 à 3 semaines [7]. Une immunité passive peut protéger le fœtus, par transfert transplacentaire d’IgG.
Diagnostic chez la mère
Diagnostic clinique
La présentation clinique de la varicelle chez la femme enceinte est similaire à celle de l’adulte hors grossesse. L’incubation dure 14 jours (extrêmes : 10-21). Des formes pauci-symptomatiques peuvent exister, même si elles sont exceptionnelles à l’âge adulte. Une phase d’invasion brève associe fébricule, signes généraux et parfois douleurs abdominales. L’éruption apparaît ensuite au niveau du tronc, s’étendant rapidement à tout le corps, y compris les paumes, les plantes, le cuir chevelu et les muqueuses. La lésion élémentaire est une macule érythémateuse, surmontée d’une vésicule à contenu clair en « goutte de rosée », qui se trouble ensuite, formant une croûte. Plusieurs poussées se succèdent entraînant des lésions d’âge différent. Un prurit intense peut causer des lésions de grattage.
La varicelle de l’adulte est souvent plus sévère et expose davantage au risque de pneumopathie varicelleuse de mortalité non négligeable. Sa fréquence chez l’adulte sain est de l’ordre de 13 à 16 % avec seulement 2 % de forme avec traduction clinique [8–10]. Harris et Rhoades [11] en 1965 rapportaient ainsi une mortalité de 40 % parmi 17 femmes enceintes atteintes de varicelle contre 17 % dans une population de 156 cas. Les méthodes de réanimation respiratoire ayant considérablement progressé depuis cette époque, les taux de mortalité rapportés ultérieurement semblent nettement plus faible (2 % pour Paryani et Arvin en 1986 [12], 3 % pour Stagno et Whitley [13], 11 % pour Esmonde et al. en 1989 [10]). Pierre et al. [14] en 1986 ont repris l’ensemble des publications concernant la mortalité de la pneumopathie varicelleuse en cours de grossesse et ont constaté un taux de mortalité proche 20 %. Dans l’étude d’Esmonde et al. [10], la mortalité liée à la pneumopathie varicelleuse chez la femme enceinte n’était pas différente de celle observée en dehors de la grossesse. En plus de la surmortalité liée à la pneumopathie varicelleuse, la fréquence de cette complication chez la femme enceinte est également débattue. On estime cependant que ce risque serait un peu augmenté, supérieur à 16 %, particulièrement au 3e trimestre de la grossesse. La survenue préférentielle au 3e trimestre pourrait être liée à la baisse relative de l’immunité cellulaire à cette période de la grossesse. Parmi les facteurs de risque de cette complication figure le tabagisme qui augmenterait d’un facteur 15 le risque de survenue de pneumopathie varicelleuse chez l’adulte sain [15]. Classiquement, la pneumopathie apparaît dans la semaine (2 à 5 jours) qui suit le début de l’éruption, allant d’une atteinte radiologique isolée à une symptomatologie respiratoire allant jusqu’à une détresse respiratoire aiguë. Toutefois, plus de 75 % des pneumopathies varicelleuses sont asymptomatiques. La réalisation systématique d’une radiographie pulmonaire en cas de varicelle chez la femme enceinte a été discutée par certains auteurs [14].
Lorsqu’elle est symptomatique, la pneumopathie varicelleuse peut se manifester par une toux sèche, une dyspnée, une hémoptysie ou une douleur thoracique. L’auscultation pulmonaire objective la présence de râles crépitants bilatéraux et/ou des signes d’épanchement pleural [16]. Il s’agit d’une atteinte interstitielle prédominante liée à un œdème et un infiltrat de cellules inflammatoires, associée à une desquamation épithéliale des voies respiratoires.
Diagnostic biologique de la varicelle maternelle
La varicelle dans sa forme clinique classique ne nécessite pas de confirmation biologique du diagnostic. En cas de doute, une PCR-VZV sur produit de grattage d’une vésicule peut être effectuée. La sérologie maternelle associant la détection d’IgG et IgM spécifiques peut également être utile pour apporter la preuve formelle de l’infection.
L’exposition d’une femme enceinte au VZV impose de déterminer en urgence son statut immunitaire.
Retentissement fœtal et néonatal
Fausses couches spontanées et morts fœtales in utero
Elles sont classiquement décrites en association avec la varicelle maternelle (3 % pour Enders et al. [17], 7 % pour Balducci et al. [3]). Cependant dans une étude prospective comprenant 106 femmes enceintes ayant présenté une varicelle en cours de grossesse, il n’a pas été mis en évidence d’augmentation significative du taux de fausse couche (5,6 %) par rapport à une population témoin [18].
Accouchement prématuré
Pour Pasturszak et al. [18], le taux d’accouchement prématuré est de 14,3 % (parmi 106 femmes enceintes ayant présenté une varicelle pergravidique), ce qui était statistiquement supérieur au taux constaté dans une population témoin (5,6 %). Pour Smego et Asperilla [19], cette augmentation concernerait surtout les formes compliquées d’une pneumopathie varicelleuse. Les taux d’accouchement prématuré rapportés dans plusieurs études de petits effectifs étaient compris entre 10 et 14 % [3, 12].
Varicelle congénitale
Ce syndrome a été décrit par Laforêt et al. en 1947. Les anomalies fœtales s’intégrant dans ce syndrome sont rapportées dans le tableau 33.1. Alkalay et al. [20] ont proposé en 1987 de définir le syndrome de varicelle congénitale devant l’association :
Lésions observées | Fréquence* | |
---|---|---|
Cutanées [21, 22] | Cicatrices, atrophies, défects, bulles nécrotico-hémorragiques, distribution unilatérale en dermatome | 100 %** |
Neurologiques [23–28] | Microcéphalie, hydrocéphalie, atrophie corticale et cérébelleuse, paralysie des membres, atteinte des nerfs crâniens, nystagmus, troubles sphinctériens, syndrome de Claude-Bernard-Horner, anisocorie, calcifications | 77 % |
Ophtalmologiques [29, 30] | Microphtalmie, cataracte, choriorétinite, opacités cornéennes | 68 % |
Musculo-squelettiques [22] | Hypotrophies et hypoplasies musculaires, hypoplasies des membres, des clavicules, des mandibules ou d’un hémithorax, malpositions des extrémités, retard de développement osseux radiologique | 68 % |
Viscérales | Sténoses duodénales, dilatations digestives, atrésie du sigmoïde, calcifications hépatiques, spléniques, myocardiaques | 23 % |
Génito-urinaires | Hydronéphroses, reflux vésico-urétéraux | 23 % |
Autres | Retard de croissance, hydramnios, anasarque, diminution des mouvements actifs |
** Plusieurs cas de varicelle congénitale sans lésions cutanées ont été publiés depuis l’article d’Alkalay et al.
En italique, sont indiqués les signes pouvant être visualisés par échographie anténatale.
Le risque de varicelle congénitale est lié au terme de l’infection maternelle. Enders et al. [17], dans une vaste étude prospective de 1 739 cas de varicelle pergravidique, ont montré que le risque est le plus élevé entre 13 et 20 SA. Les auteurs montrent ainsi que, lors d’une varicelle maternelle survenant entre 0 et 36 SA, au moins 7 % des fœtus sont contaminés, 1,2 % des fœtus dont les mères sont infectées avant 20 SA font un syndrome de varicelle congénitale et 0,8 % font un zona dans la première année de vie.
Il convient par ailleurs de différencier contamination fœtale et risque malformatif fœtal (notion assez habituelle en pathologie infectieuse fœtale). En effet, Mouly et al. [31] ont estimé à 8,4 % le taux de contamination fœtale (évaluée par PCR dans le liquide amniotique) lors des infections maternelles survenant entre 0 et 24 SA. Cependant, dans cette série, le risque de varicelle congénitale n’était que de 2,8 %. Le risque de zona dans la première année de vie était, dans cette étude, de 3,8 %.