Chapitre 33 Hémorragie expulsive, effusion uvéale
L’hémorragie expulsive et l’effusion uvéale représentent deux entités distinctes. Elles correspondent à un décollement choroïdien, c’est-à-dire une séparation entre l’uvée et la sclère, formant un espace suprachoroïdien, contenant du sang dans le cas de l’hémorragie expulsive ou un liquide séreux dans le cas de l’effusion uvéale.
Anatomie de l’espace suprachoroïdien
À l’état normal, l’espace suprachoroïdien est l’espace virtuel qui existe entre la couche la plus externe de la choroïde et la sclère. Il s’agit d’une zone de transition d’environ 30 pm d’épaisseur entre le stroma choroïdien, qui contient les gros vaisseaux choroïdiens, et la sclère. Limité en avant par l’éperon scléral et en arrière par la papille optique, cet espace suprachoroïdien est formé principalement par des fibrilles de collagène qui ancrent modérément la surface externe de la choroïde à la sclère. L’adhérence de la choroïde à la sclère est surtout dense du pôle postérieur à l’équateur, en particulier au niveau de la pénétration des veines vortiqueuses, ce qui explique l’aspect typique quadrilobé des décollements choroïdiens importants [8, 14]. En revanche, le corps ciliaire n’ayant, en dehors de l’éperon scléral, aucun ancrage avec la sclère, le décollement ciliaire présentera un aspect annulaire homogène [11].
Le tissu conjonctif situé au niveau des ouvertures sclérales pratiquées par les vaisseaux et les nerfs qui traversent la sclère permet l’évacuation progressive, par l’intermédiaire de l’espace suprachoroïdien, d’un liquide protéique (équivalent de la lymphe) composé en partie d’humeur aqueuse : c’est la voie uvéo-sclérale [15].
Physiologie de l’espace suprachoroïdien
EQUILIBRE PRESSIONNEL AU SEIN DE L’ESPACE SUPRACHOROÏDIEN
La pression normale dans l’espace suprachoroïdien est inférieure de 2 mm Hg environ à la pression intraoculaire [21]. Cette pression plus basse s’explique par l’élasticité de la choroïde, la perméabilité sclérale normale permettant un passage liquidien de la suprachoroïde vers l’espace épiscléral, et par l’absorption des fluides dans les vaisseaux choroïdiens par différence de pression oncotique [8]. Il en résulte un gradient de pression négatif dans la suprachoroïde, qui plaque la choroïde à la paroi interne de la sclère.
EFFET DE L’HYPOTONIE ET DE L’INFLAMMATION
En cas d’hypotonie, le gradient de pression entre la suprachoroïde et la surface sclérale externe diminue, favorisant l’accumulation liquidienne dans la suprachoroïde. En cas d’inflammation associée, la concentration en protéines augmente dans l’espace suprachoroïdien, ce qui diminue la résorption liquidienne par la choroïde et accélère l’accumulation de liquide exsudatif dans l’espace suprachoroïdien [1, 12].
Effusion uvéale
PATHOGENESE
Des décollements choroïdiens ont été déclenchés expérimentalement en provoquant une hypotonie, une inflammation ou un traumatisme, une ligature des veines vortiqueuses ou l’injection de fluide dans l’espace suprachoroïdien [8]. En l’absence de malformation oculaire (nanophtalmie), le décollement choroïdien chez l’homme résulte probablement de la combinaison de ces facteurs à différents degrés. Même si on ne comprend pas bien la physiopathologie exacte du décollement choroïdien chronique, il semble qu’un cercle vicieux s’établisse entre l’hypotonie, qui semble favoriser le décollement choroïdien, et le décollement choroïdien, qui semble favoriser l’hypotonie. L’inflammation et l’hypotonie accompagnant tout décollement de rétine sont à l’origine du décollement choroïdien fréquemment associé au décollement de rétine en préopératoire.
Dans le cas du décollement de rétine traité chirurgicalement, l’hypotonie postopératoire éventuellement associée au drainage du liquide sous-rétinien et les lésions des vaisseaux choroïdiens par la cryothérapie ou la photocoagulation initient le soulèvement choroïdien. L’accumulation de liquide séreux s’accentue avec l’augmentation de la pression veineuse dans la circulation choroïdienne, comme en cas d’indentation étendue et marquée, particulièrement si les veines vortiqueuses sont comprimées [5]. Les lésions de la circulation choroïdienne liées à l’âge augmentent le risque de décollement choroïdien.
Dans le cas de la nanophtalmie, la malformation oculaire bilatérale s’accompagne d’un épaississement scléral important (plus de 2 mm) qui entraîne une résistance à l’écoulement dans les veines vortiqueuses et augmente la pression dans la choriocapillaire. Combiné à une perturbation de l’évacuation des protéines par la voie uvéo-sclérale, ceci conduit à une effusion uvéale chronique [33].
Étiologie
Les nombreuses causes à l’origine de l’effusion uvéale agissent en perturbant l’équilibre pressionnel de l’espace suprachoroïdien (tableau 33-I). La chirurgie intraoculaire représente la cause la plus fréquente, en particulier après une intervention pour décollement de rétine avec indentation. Le risque de faire un décollement choroïdien postopératoire est alors d’autant plus important que l’indentation est étendue (cerclage), large [22]], postérieure [2, 22], associée à une ponction du liquide sous-rétinien [2, 12, 13, 22], chez un patient âgé [2, 12, 22]. Le décollement choroïdien postopératoire est nettement moins fréquent après chirurgie endoculaire du décollement de rétine, surtout dû à l’hypotonie postopératoire et à l’inflammation déclenchée par la cryopexie.
Causes oculaires | Traumatisme (inflammation et/ou hypotonie) : Cataracte, glaucome Décollement de rétine, vitrectomie Photocoagulation ou cryocoagulation extensive Atteinte sclérale (épaississement scléral) : |
Causes extraoculaires | Origine hydrodynamique : Origine osmotique : |
Idiopathique | Syndrome d’effusion uvéale |
TRAITEMENT
En dehors du traitement de la cause (tableau 33-I), il n’y a pas de traitement spécifique du décollement choroïdien. Dans les cas secondaires à la chirurgie, le décollement choroïdien disparaît habituellement spontanément dans les huit à quinze jours qui suivent l’intervention. Afin de diminuer le risque de synéchies, le traitement de l’inflammation par corticoïdes locaux ou systémiques est recommandé, associé à un cycloplégique. Le drainage chirurgical du décollement choroïdien est rarement nécessaire. Il n’est indiqué dans les suites d’un décollement de rétine qu’en cas de complications au niveau du segment antérieur : glaucome secondaire par fermeture de l’angle et décompensation cornéenne par contact cristallinien ou de l’implant cristallinien sur l’endothélium [30]. L’apposition rétinienne centrale (kissing choroidal detachment) est la seule complication au niveau du segment postérieur indiquant le drainage chirurgical (cf. infra).
Le drainage simple est inefficace dans le cas de la nanophtalmie : des complications iatrogènes fréquentes peuvent survenir si les techniques conventionnelles ab externo ou ab interno sont utilisées (cf. infra). Dans ce cas particulier, une chirurgie de délamination sclérale et de décompression des veines vortiqueuses est indiquée [7] (fig. 33-1). Pour ces yeux très fragiles, toute indication chirurgicale doit être mûrement posée, afin d’éviter la survenue d’un décollement choroïdien souvent majeur et réfractaire.
Fig. 33-1 Nanophtalmie. a. Œil nanophtalme opéré précédemment de cataracte et ayant développé à la suite un décollement choroïdien inférieur chronique associé à des synéchies iridocapsulaires. b. Développement d’un décollement de rétine inférieur non rhegmatogène avec exsudats protéiques (flèche). c. Le traitement chirurgical consiste en un amincissement scléral au niveau de chaque quadrant par ablation d’un volet scléral de 7 mm à 8 mm de large autour de la zone de pénétration des veines vortiqueuses dans la paroi sclérale. d. L’ablation du volet scléral permet la décompression de chaque veine vortiqueuse au niveau de son trajet intrascléral.
Hémorragie suprachoroïdienne
C’est Terson qui, en 1894, introduisit le terme d’hémorragie expulsive pour objectiver le caractère aigu et massif d’une hémorragie suprachoroïdienne expulsant hors de l’œil les tissus intraoculaires [32]. Le terme d’hémorragie suprachoroïdienne, plus précis anatomiquement, sera utilisé ici car il englobe les différents types d’hémorragie suprachoroïdienne, fonction du volume ou du délai d’apparition par rapport à l’acte chirurgical.
INCIDENCE
Une hémorragie suprachoroïdienne peut apparaître lors de la chirurgie intraoculaire avec une incidence globale de 0,05 % à 6,1 % en fonction des études [10], particulièrement au cours des interventions chirurgicales entraînant des fluctuations importantes de la pression intraoculaire. La chirurgie du décollement de rétine n’échappe pas à cette complication et l’incidence de survenue d’une hémorragie suprachoroïdienne après chirurgie vitréorétinienne varie de 0,17 % à 1,9 % [12, 23, 26, 27]. Dans une étude de mille cinq cents décollements de rétine traités par indentation [12], Hawkins et Schepens ont retrouvé quinze cas d’hémorragie suprachoroïdienne massive (expulsive) survenant à la suite d’une hypotonie oculaire provoquée par le drainage transchoroïdien du liquide sous-rétinien. Dans trois quarts des cas, l’hémorragie suprachoroïdienne était localisée dans le même quadrant que celui du site de perforation. Dans une autre étude concernant treize cas d’hémorragies suprachoroïdiennes péri-opératoires après vitrectomie, l’hémorragie suprachoroïdienne survenait dans dix cas en per-opératoire (1,5 %) et dans trois cas en postopératoire précoce (0,44 %) [23].