Chapitre 32 Parvovirus B19 et grossesse
Le parvovirus B19 fut découvert de façon fortuite en 1975 lors de la recherche systématique de l’AgHBs dans des sérums de donneurs de sang. Le nom de B19 fait référence au numéro de la poche de sang dans laquelle le virus fut découvert. Ce n’est qu’en 1984 que sa responsabilité dans la survenue de l’anasarque fœtoplacentaire a été prouvée.
Le parvovirus B19 appartient à la famille des Parvoviridae, sous-famille des Parvovirinae, genre Erythrovirus (dont il est le seul membre). Il s’agit d’un virus nu mesurant 20 nm, comportant une capside icosaédrique porteuse de deux protéines, VP1 et VP2 (protéine très largement majoritaire), et dont le génome est de type ADN monocaténaire linéaire comportant 5 594 nucléotides de polarité positive ou négative. Ses extrémités forment chacune une épingle à cheveux par autohybridation sur 364 nucléotides au niveau de séquences répétées inversées. Ces structures terminales sont nécessaires à la réplication virale. La variabilité nucléotidique du parvovirus est faible (< 1 %). Une souche variant V9 a cependant été décrite et présente 14 % de variabilité par rapport aux souches habituelles.
Le tropisme du parovirus B19 est restreint aux seuls précurseurs érythroïdes. La pénétration dans la cellule s’effectue par l’intermédiaire de l’antigène P de groupe sanguin (ou globoside). L’antigène P est exprimé par les érythrocytes et leurs précurseurs médullaires. Les patients qui en sont naturellement dépourvus (phénotype p) sont naturellement résistants à l’infection. L’ADN est ensuite transporté dans le noyau où ont lieu la décapsidation et la réplication virale au moyen d’une ARN polymérase cellulaire qui assure la transcription des protéines virales.
Épidémiologie
L’infection à parvovirus B19 est commune entre 4 et 11 ans. La séroprévalence augmente avec l’âge. Elle est inférieure à 10 % entre 1 et 5 ans et serait de 40 à 70 % entre 20 et 30 ans selon les pays [2]. De ce fait, on considère que 50 % des femmes en âge de procréer sont susceptibles de faire une primo-infection en cours de grossesse. Ce risque semble augmenté en cas d’activité au contact de collectivités d’enfants ou en cas d’enfants en bas âge à domicile (de 6 à 7 ans surtout) [3, 4]. Le risque de contamination pour une personne non immunisée en cas d’exposition à un membre infecté dans une même famille est de 50 %, et de 20 à 30 % en cas d’exposition au sein d’une collectivité d’enfants [2, 5–7]. Cependant, dans 77 % des cas, l’origine du contage est inconnue.
L’infection à parvovirus survient sur un mode endémo-épidémique. Les phases épidémiques se déroulent surtout au printemps dans les collectivités d’enfants. On constate des cycles viraux d’environ 4 ans avec 2 années de faible incidence (période endémique) suivies de 2 années de forte incidence (période épidémique). Le risque de primo-infection maternelle est estimé entre 1 à 13 % selon qu’il s’agit d’une période d’épidémie ou d’endémie [2].
Infection maternelle
Clinique
On estime en France que la moitié des femmes en âge de procréer sont immunisées contre le parvovirus. Deux pour cent d’entre elles feront une primo-infection en cours de grossesse en dehors des périodes d’endémie [3, 8] et 10 % en période d’épidémie [9]. Cliniquement, l’infection de la femme enceinte ne se différencie pas de celle de l’adulte bien portant décrite plus haut. Le rash est présent dans 40 % des cas, la fièvre dans 20 % des cas [3]. On notera la fréquence plus élevée de l’atteinte articulaire chez la femme jeune. L’infection maternelle reste asymptomatique dans environ un tiers des cas.
Diagnostic biologique de l’infection à parvovirus B19
Méthodes de détection directe
La recherche du génome viral par polymerase chain reaction (PCR) peut cependant être effectuée dans le sang et différents tissus.
Méthodes de détection indirecte
Chez les sujets immunocompétents, le diagnostic biologique de l’infection maternelle à parvovirus repose sur la détection des anticorps spécifiques du parvovirus. La présence d’IgM spécifiques seules témoigne d’une infection récente. En effet, celles-ci apparaissent 3 à 4 jours après le début de la symptomatologie et persistent 2 à 3 mois. Leur recherche s’effectue par immunocapture avec des anticorps monoclonaux.
Des IgG seules témoignent d’une infection ancienne. Ils apparaissent dans les 7 jours suivant les premiers signes cliniques et persistent probablement à vie. Leur présence témoigne d’une infection ancienne, alors que la présence d’IgM correspond à une primo-infection. Cependant, lors de l’apparition d’une anasarque (en moyenne 6 semaines après la primo-infection maternelle), les IgM peuvent avoir disparu du sang maternel (20 % des cas) ; de ce fait, la recherche du génome viral par PCR dans le liquide amniotique ou le sang fœtal est nécessaire. La recherche d’IgG sur un sérum de début de grossesse peut permettre également de mettre en évidence une séroconversion. On notera également la possibilité de faux positifs dans la détection des IgM liées à des infections croisées avec les IgM du cytomégalovirus. La recherche d’ADN dans le sang maternel peut quelquefois apporter une aide au diagnostic car la PCR est positive dans le 1er mois qui suit la primo-infection ; l’ADN décroît par la suite progressivement.
Retentissement fœtal
Il existe plusieurs types d’atteinte fœtale : anémie fœtale, anasarque fœtoplacentaire, mort fœtale in utero ou avortement spontané du 1er trimestre ; cependant, l’infection fœtale peut être totalement asymptomatique.
Le risque de transmission maternofœtale est globalement de 30 % [8]. Il varie avec le terme de la grossesse de 0 % en période périconceptionnelle, 14 % en fin de 1er trimestre, 50 % à la fin du 2e trimestre, et plus de 60 % en fin de grossesse.
Il faut dissocier le risque de transmission maternofœtale du risque de perte fœtale qui ne semblerait être majeur que dans les infections de la première moitié de la grossesse. Le groupe de travail anglais sur la 5e maladie a étudié en 1990 de manière prospective une cohorte de patientes ayant une primo-infection prouvée en cours de grossesse [10]. La recherche de primo-infection a été effectuée du fait d’un contage ou d’une symptomatologie évocatrice. Dans cette étude, le taux de mortalité fœtale était supérieur parmi les femmes infectées avant 20 SA (28 cas sur 166 femmes avant 20 SA et 1 cas sur 17 femmes après 20 SA). Dans la même étude, le risque de perte fœtale était de 9 % et le taux de transmission verticale de 33 %.
Enders et al. [11] ont publié en 2004 les résultats d’une étude observationnelle comprenant 1 018 patientes ayant présenté une primo-infection à parvovirus en cours de grossesse. Le taux de mortalité fœtale globale était de 6,3 % (64/1 018 fœtus). Le risque de perte fœtale avant 20 SA était de 64 sur 579 (11 %). Ce risque était maximal pour les infections maternelles survenues avant 16 SA (55 % des cas). Aucun décès n’a été constaté lorsque l’infection maternelle avait eu lieu après 20 SA. Le taux global d’anasarque était de 3,9 % (40/1 018) mais seul un cas a été observé lorsque l’infection maternelle était survenue après 32 SA. Le risque d’anasarque était maximal lorsque l’infection maternelle avait lieu entre 13 et 20 SA (30 cas). Cependant, ces chiffres ne reflètent pas l’histoire naturelle de l’infection par le parvovirus B19 car la cohorte de patientes était construite à partir des sérologies effectuées pour suspicion clinique d’infection maternelle par le parvovirus ou du fait d’une notion de contage. Par ailleurs, les taux de mortalité ne sont pas interprétables car 20 des 40 fœtus présentant un tableau d’anasarque ont été transfusés in utero.
Lorsque l’infection maternelle survient au 1er trimestre, il est classiquement décrit un risque d’avortement spontané. Lorsque l’infection survient au 2e trimestre, l’évolution peut se faire vers l’anasarque (dans 3 % des cas d’infections maternelles avant 20 SA [12]) ou vers une mort fœtale in utero dans 10 % des cas (parfois sans passage par un stade d’anasarque [13, 14]). Si la transmission fœtale dès le 1er trimestre de la grossesse (7 à 8 SA) a été démontrée [15], seuls quelques cas d’avortements spontanés attribuables au parvovirus ont été décrits [16–20]. Nyman et al. [21] ont publié en 2002 les résultats d’une étude prospective visant à déterminer la présence du génome de parvovirus par PCR dans les produits d’avortements spontanés du 1er trimestre de la grossesse en dehors d’une période épidémique. Parmi 36 prélèvements, un seul était positif (3 %). Parmi les morts fœtales in utero du 2e trimestre, l’ADN B19 était présent dans 8 cas sur 64 (12 %). Dans l’étude de Tolfvenstam et al. [13] publiée en 2001, parmi 84 pertes fœtales (47 après 22 SA et 37 avant 22 SA), le génome du parvovirus a pu être détecté dans les tissus fœtaux dans 9 cas (20 %) (7 cas après 22 SA et 2 cas avant 22 SA). Dans 8 cas sur 9, le fœtus n’était pas en anasarque. Dans cette étude, l’histologie standard était prise en défaut dans 6 des 9 cas où la PCR était positive.
L’anasarque est diagnostiquée par échographie. Le fœtus peut également développer une anasarque d’origine non immune en rapport avec la transmission maternofœtale du parvovirus. Les signes échographiques de l’anasarque sont un œdème placentaire, un polyhydramnios, un œdème sous-cutané généralisé, une ascite importante et des épanchements des autres séreuses qui sont moins fréquents. L’anasarque est le reflet d’une anémie fœtale non régénérative (ce qui la distingue d’une anémie par allo-immunisation érythrocytaire) et parfois d’une défaillance myocardique associée. La responsabilité du parvovirus parmi les anasarques d’origine non immune serait de 10 à 20 % [22, 23]. Les cas décrits dans la littérature concernent majoritairement des infections maternelles survenues entre 11 et 18 SA. Il existe une période de latence de quelques semaines (3 à 12) avant l’apparition des signes échographiques. Le terme moyen de découverte d’une anasarque liée à l’infection par le parvovirus est 22 SA (exceptionnellement au 3e trimestre) [2].
L’atteinte cardiaque fœtale peut être la conséquence de l’anasarque fœtale (dilatation fonctionnelle des cavités cardiaques) ou le témoin d’une réelle myocardite [24] liée à l’infection virale. Elle se manifeste par une cardiomégalie, une hypocontractilité myocardique et une hypertrophie des parois cardiaques.
Quelques rares cas de malformations oculaires [25, 26], d’anomalies cérébrales [27] (calcifications intracérébrales, hydrocéphalies, etc.), de calcifications spléniques, d’iléus et péritonites méconiales [28] et d’hypospadias [29] ont également été décrits dans le cadre d’infections congénitales par le parvovirus. Cependant, l’association entre infection à parvovirus et malformations congénitales est difficile à étayer.
Il peut également exister une symptomatologie maternelle en rapport avec l’anasarque fœtale : le syndrome en miroir ou syndrome de Ballantyne [30]. Il s’agit d’un tableau clinique maternel non spécifique de l’atteinte par le parvovirus. En effet, une grande partie des étiologies d’anasarques fœtales a été décrite comme causes potentielles de syndrome de Ballantyne. Il s’agit d’une entité rare caractérisée par un œdème maternel, parfois associé à une hypertension, une protéinurie, une cytolyse hépatique et une hyperuricémie. Ce syndrome peut parfois mimer une pré-éclampsie ; cependant, l’hémodilution observée contraste avec l’habituelle hémoconcentration des pré-éclampsies [31].
Le traitement de l’anasarque fœtale liée au parvovirus fait appel à la transfusion in utero [32]. Ce traitement améliore le pronostic des anasarques liées au parvovirus avec un taux de survie qui passe de 30 % environ en l’absence de traitement à 75 % en cas de transfusion [32]. Le suivi à long terme des enfants dont la mère avait fait une primo-infection à B19 pendant la grossesse montre par ailleurs, dans deux séries comprenant 480 cas, l’absence d’excès de risque d’anomalie tardive imputable au virus chez les enfants survivants [12, 33]. Par ailleurs, il ne semble pas que l’existence de manifestations maternelles soit corrélée au pronostic de la grossesse. Il semblerait en outre exister un plus mauvais pronostic fœtal et néonatal en cas de taux élevé d’alpha-fœtoprotéines dans le sang maternel (MAFP) [34, 35]. Ce lien n’a pas pu être mis en évidence de façon formelle dans une étude allemande publiée en 1997 [36], même si une élévation du taux de MAFP a été observée dans les 35 cas d’infections par le parvovirus au cours de grossesses marquées par des complications fœtales. Le devenir des enfants ayant bénéficié d’une transfusion érythrocytaire in utero pour anasarque consécutive à une infection par le parvovirus est quant à lui habituellement favorable. Dembinski et al. [37] ont ainsi évalué le devenir de 20 nouveau-nés infectés in utero jusqu’à l’âge de 13 mois de vie et n’ont pas constaté de retard de développement neurologique. Cependant, dans cette étude, les auteurs déploraient 35 % de perdus de vue. Récemment, Nagel et al. [38] ont cependant décrit des retards de développement psychomoteur chez 5 des 16 enfants infectés in utero et suivis jusqu’à l’âge de 6 mois à 8 ans. Des études de plus vastes effectifs sont à ce jour nécessaires pour évaluer l’effet à long terme de la transfusion fœtale in utero dans cette indication.
Enfin, plusieurs observations d’anasarques fœtales à parvovirus spontanément résolutifs ont été publiées [39–41]. Il n’existe cependant aucun critère pour prédire une évolution spontanément favorable.