Chapitre 30 Interruption volontaire de grossesse (IVG)1
• Expliquer aux couples les différentes méthodes médicales d’interruption de grossesse en fonction du terme et leurs complications principales. (B)
• Expliquer aux couples les modalités et les obligations légales nécessaires pour obtenir une interruption de grossesse en application de la loi du 17.01.1975, du 31.12.1979 et du 4.07.2001. (A)
• Mettre en route la conduite la plus appropriée devant une complication post-IVG – (B) : hémorragie ; fièvre ; aménorrhée ; douleurs pelviennes.
En France, 220 000 IVG sont pratiquées tous les ans dont plus de la moitié par voie médicamenteuse soit 15 IVG pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans (figure 30.1).
Figure 30.1 Évolution des IVG et des naissances depuis 1990 (Dress, 2011).
Source : DREES (SAE), CNAM-TS (Erasme).
66 % de ces femmes avortent pour la première fois, 34 % d’entre elles ont déjà eu une ou plusieurs IVG.
45 % d’entre elles sont des nullipares, 21 % ont déjà un enfant.
34 % ont déjà deux enfants ou plus, 6 % sont mineures.
50 % des femmes en âge de procréer (15–45 ans) auront au moins une IVG dans leur vie et 25 % deux IVG, ce qui montre l’importance sociologique du problème (Vilain, 2011).
Le taux d’IVG en 1993 avoisinait 32 % des conceptions. Il est élevé chez les jeunes filles (60 %), baisse jusqu’à 25 ans (15 %) pour remonter ensuite. Le nombre moyen d’avortements pour 1000 femmes de 15 à 49 ans évolue à la baisse passant de 13,6 en 1990 à 12,3 en 1995 pour remonter à 14,6 en 2004. Le nombre d’IVG chez les mineures continue de progresser (plus 32 % entre 1990 et 2004) malgré les nouvelles contraceptions et la pilule du lendemain (Dress, 2006).
Le recours à des IVG répétées a tendance à représenter une proportion de plus en plus importante (Blayo, 1995). Les femmes ayant des IVG répétées ont un âge plus précoce à la première grossesse quelle qu’en soit l’issue (naissance ou IVG) et des grossesses successives rapprochées. Le risque d’IVG répétées est augmenté en cas de première grossesse avant 20 ans (Kaminski, 1997).
Modalités de l’IVG prévues par la loi
Le praticien qui la voit doit dès la première visite :
l’examiner pour confirmer l’existence de la grossesse par un examen clinique et une échographie qui permet à la fois la datation de la grossesse mais aussi la confirmation de sa localisation intra-utérine, de son évolutivité et de son caractère unique ou multiple ;
l’informer des méthodes médicales et chirurgicales d’interruption de grossesse et des risques et des effets secondaires potentiels ;
lui remettre un dossier guide, téléchargeable sur le site Internet du ministère de la Santé,2 comportant la liste des centres de planification familiale, des services sociaux et des établissements de santé publics ou privés où sont pratiquées les IVG. Le médecin de famille peut se procurer ce dossier à l’ARS de son département.
Remboursement. Depuis le 1er mars 1983, l’IVG est remboursée à 80 % par la Sécurité sociale. La femme ne paye que le ticket modérateur, soit 20 %, à condition de présenter sa carte Vitale mise à jour. Elle pourra demander le remboursement de ce ticket à sa mutuelle. Si elle n’est pas assurée et ne peut payer, elle peut demander l’assistance médicale gratuite. La mineure qui veut garder le secret peut demander la gratuité, les frais seront pris en charge par l’État. Les tarifs sont rapportés dans le tableau 30.1.
Durée de séjour | Tarif IVG + examens complémentaires |
---|---|
IVG instrumentale : 0 à 12 h sans AG 0 à 12 h avec AG 12 à 24 h sans AG 12 à 24 h avec AG | 306,14 € 383,32 € 364,34 € 441,82 € |
IVG médicamenteuse en établissement IVG médicamenteuse en ville (prise en charge et fourniture de Mifégyne® et Gymiso®) | 257,91 € 191,74 € |
20 % de ces prix restent à la charge de la patiente si elle n’a pas de mutuelle et si l’IVG est faite en hospitalisation ou 30 % si l’IVG est faite en ville. |
*AG anesthésie générale.
Réalisation de l’IVG
L’échographie bien que non obligatoire est le moyen le plus adapté pour dater la grossesse, confirmer son évolutivité, son unicité, sa localisation intra-utérine mais aussi pour dépister des malformations utérines comme un utérus cloisonné. La détermination de l’âge gestationnel de la grossesse est importante car elle permet le choix de la technique la plus appropriée. Elle repose sur plusieurs mesures : longueur craniocaudale (LCC), mesure du bipariétal (BIP) voire de l’abdominal transverse. À 14 SA, terme maximum autorisé par la loi, la longueur craniocaudale est (LCC) de 80 mm, le bipariétal (BIP) de 28 mm, le diamètre abdominal transverse (DAT) de 24 mm pour le 50e percentile. Le DAT est toujours inférieur au BIP. Si les trois mesures sont discordantes, le BIP reste la mesure de référence. L’incertitude échographique est de l’ordre d’une demi-semaine. Le BIP au 97e percentile est à 14 SA de 32 mm et cette mesure est retenue dans de nombreux centres comme mesure limite pour accepter la prise en charge de l’IVG.3 L’échographie permet aussi d’éliminer une fausse couche spontanée, une GEU, une maladie trophoblastique.
Techniques d’interruption de grossesse et complications
Dans tous les cas où cela est possible, les femmes doivent pouvoir choisir la technique, médicale ou chirurgicale, ainsi que le mode d’anesthésie, locale ou générale (Anaes, 2001 ACOG, 2005).
IVG instrumentale
L’aspiration est la méthode la plus employée (58 % des IVG en 2004). On utilise alors une canule de Karman (figure 30.2) branchée sur une grosse seringue de 50 cc en tout début de grossesse et le plus souvent une vacurette (cf. figure 30.4) branchée sur un aspirateur électrique. Le diamètre de la canule d’aspiration sera choisi en fonction du terme de la grossesse en ne dépassant pas 12 mm.
La dilatation du col peut être précédée d’une préparation cervicale médicamenteuse.
Lorsqu’elle est recommandée, la technique de préparation cervicale repose sur :
mifépristone (Mifégyne®) 200 mg per os 36 à 48 heures avant aspiration (Np1) ; (Prescrire, 1990).
ou misoprostol (Cytotec®) 400 mcg par voie orale ou vaginale 3 à 4 heures avant aspiration (Np1).
La préparation cervicale, quel que soit le produit utilisé, ne nécessite pas d’hospitalisation.
En France, l’interruption de grossesse est faite sous anesthésie générale dans 57 % des cas, sous anesthésie locale dans 40 % des cas et sans anesthésie dans 13 % des cas (Dress, 2006).
On dilate le col avec des bougies en gomme souple de Dalsace (figure 30.3) ou un dilatateur de Dubreuil (Prescrire, 2001) jusqu’au no 24, puis on introduit la vacurette de 8 mm si la grossesse est de 8 ou 9 semaines d’aménorrhée, on aspire alors en tournant la vacurette sur elle-même, en prenant soin de relâcher l’aspiration de temps en temps, et surtout quand on franchit le col pour éviter les synéchies (figure 30.4).
On vérifiera, en examinant les débris ovulaires que l’on fait flotter sur l’eau, qu’il y a bien le chevelu du trophoblaste (figure 30.5). En cas de doute, on peut prélever des débris pour faire rechercher des villosités placentaires par l’anatomopathologiste. L’hospitalisation dure quelques heures, pendant lesquelles on surveillera l’importance du saignement vaginal, le pouls, la tension, le volume utérin. Avant la sortie, on vérifiera que l’utérus est de petite taille, bien dur et rétracté, et que le ventre est souple.
Aucune antibioprophylaxie systématique n’est nécessaire, à ceci près qu’il faut :
rechercher toutes les IST, naturellement en fonction du contexte, et les traiter avant l’IVG ;
faire une prévention systématique de l’infection à C. trachomatis chez les moins de 25 ans. La solution la plus cost-effective consiste à préscrire systématique 4 cp de Zithromax® monodose (ou à défaut doxycycline 200 mg per os pendant 7 jours). Cette stratégie est plus simple qu’une recherche par PCR suivie d’un traitement systématique ;
en cas de vaginose bactérienne avérée – qui n’est pas une infection et encore moins une IST mais un déséquilibre de la flore –, une prévention par métronidazole (2 g par voie orale) est suffisante. Le secnidazole (1 sachet de 2 g) n’a pas encore l’AMM mais est tout aussi efficace ;
l’antibioprophylaxie classique par l’amoxicilline s’impose par ailleurs pour les femmes porteuses de valvulopathies.
IVG médicamenteuse
Plus de la moitié des IVG sont réalisées par la technique médicamenteuse soit en ville soit dans un établissement de santé (Dress, 2011). On utilise le RU 486 (mifépristone) ou Mifégyne® associé avec une prostaglandine, le misoprostol (Cytotec® ou Gymiso®) ou géméprost (Cervagème®). Actuellement, on utilise surtout le misoprostol qui se conserve à la température ambiante et a peu de contre-indications. Seul le Gymiso®, beaucoup plus cher, a l’AMM pour l’IVG.
Le jour de la prise de Mifégyne®, la grossesse doit être au plus égale à 63 jours d’aménorrhée.
Il ne doit pas exister de contre-indications aux analogues des prostaglandines ou à la Mifégyne® (tableau 30.2).
Contre-indications aux IVG médicamenteuses | Contre-indications liées à la mifépristone | Contre-indications liées aux analogues des prostaglandines E1 |
---|---|---|
Réalisation pratique
La prise en charge de l’IVG médicamenteuse peut se faire :
en établissement de santé (public ou privé) jusqu’à 9 SA avec ou sans hospitalisation. La structure de prise en charge est soit intégrée dans un établissement de soins ayant un service de gynécologie-obstétrique ou de chirurgie, soit en convention avec un établissement disposant d’un plateau technique permettant de prendre en charge l’ensemble des complications de l’IVG ;
hors établissement de santé par des médecins de ville jusqu’à 7 SA. Les médecins des centres de planification et d’éducation familiale (CPEF) sont désormais autorisés à pratiquer des IVG médicamenteuses. Ces médecins doivent justifier d’une expérience professionnelle adaptée et avoir passé une convention avec un établissement de santé autorisé (HAS, 2010).
Posologie
Pour les grossesses de moins de 7 semaines
Les séquences de traitement recommandées sont celles de l’AMM de la Mifégyne® :
une prise de 600 mg de mifépristone par voie orale suivie, 36 à 48 h plus tard, de 400 μg de misoprostol par voie orale ;
une prise de 200 mg de mifépristone par voie orale suivie, 36 à 48 h plus tard, de 1 mg de géméprost par voie vaginale.
Pour les grossesses de 7 à 9 semaines
Le traitement indiqué par l’AMM de la Mifégyne® est une prise de 200 mg de mifépristone suivie, 36 à 48 h plus tard, de 1 mg de géméprost par voie vaginale. La dose de 600 mg de mifépristone, également indiquée dans l’AMM de la Mifégyne®, ne permet pas d’améliorer les taux de succès et de grossesses évolutives. Les taux de grossesses évolutives obtenus avec la séquence mifépristone 600 mg–misoprostol 400 μg par voie orale (utilisé hors AMM entre 7 et 9 SA) sont supérieurs à 2 %.