Chapitre 3 Plans de traitement et prise en charge (situations cliniques)
La face peut être considérée comme un ensemble de pièces osseuses constituant autant de « tiroirs » mobilisables chirurgicalement (figure 3.1) avec des associations privilégiées et d’autres interdites car impossibles techniquement. Dans la plupart des cas, il s’agit de déplacer ces pièces en translation et/ou rotation.
Fig. 3.1 Tiroirs schématisant les différents constituants de la face.
Figure issue de « Chirurgie correctrice des malformations ou dysmorphies maxillomandibulaires. Avant d’agir », par M. Richter, C. Mossaz, F. Laurent, P. Goudot. Stomatologie, [22-066-C-10]. Encycl Med Chir, 1997.
Traitement orthodontico-chirurgical des classes II squelettiques
C’est au niveau incisif que se manifeste ou non la compensation sagittale antérieure :
Les décalages transversaux peuvent coexister avec une classe II squelettique.
Examen clinique
L’analyse du visage des patients présentant une classe II ne diffère guère de l’analyse esthétique conventionnelle (cf. plus loin cas clinique 1 : figure 3.7 et cas clinique 2 : figure 3.19). La distance sous-mentale est un élément important, car elle oriente ou non vers le diagnostic de rétromandibulie.
La lèvre inférieure vient souvent s’enrouler sur la face palatine des incisives maxillaires (cf. plus loin cas clinique 2 : figure 3.22) provoquant à la fois une accentuation du sillon labiomentonnier et un dysfonctionnement labial se traduisant par la contraction de l’orbiculaire des lèvres au moment de la déglutition.
Dans les cas de classe II division 2 d’Angle, il n’existe pas de déglutition atypique. Par contre, la contraction de l’orbiculaire des lèvres peut être telle que la rétroalvéolie maxillaire et mandibulaire associée à la supraclusion antérieure génère une importante dénudation vestibulaire des incisives mandibulaires. Cette situation doit être considérée à la fois au niveau parodontal et au niveau orthodontique, le pronostic de ces dents étant engagé. Le déplacement orthodontique de ces dents pouvant leur être fatal, un déplacement vertical et/ou sagittal doit être envisagé de façon chirurgicale grâce à une chirurgie segmentaire mandibulaire antérieure (cf. plus loin cas clinique 1 : figure 3.12 et cas clinique 2 : figure 3.26).
L’étude de l’occlusion dans les trois sens de l’espace doit tenir compte :
Principes thérapeutiques
Objectifs orthodontiques
Classe II division 1
La proalvéolie maxillaire doit être corrigée et les diastèmes interincisifs fermés.
Supraclusion antérieure
La supraclusion antérieure (figure 3.2) peut être corrigée de deux façons :
En fonction de l’état parodontal des dents et de l’importance du décalage vertical entre la zone antérieure et les secteurs latéraux de l’arcade mandibulaire, une ostéotomie segmentaire du groupe incisivocanin mandibulaire peut être envisagée pour éviter toute contrainte de la zone antérieure. Cette solution implique de préparer l’arcade mandibulaire en deux plans horizontaux bien distincts dont la distance correspond à la hauteur de l’ostectomie sous-apicale nécessaire à la correction de la supraclusion (cf. plus loin cas clinique 1 : figures 3.13 et 3.14 et cas clinique 2 : figures 3.24 et 3.25).
Dans les cas présentant une hypodivergence faciale, si le support parodontal incisif mandibulaire est sain, le nivellement de la courbe de Spee peut être réalisé en deuxième intention après l’ostéotomie sagittale d’avancée mandibulaire (figure 3.3). Le blocage maxillomandibulaire est réalisé sur une gouttière dont l’épaisseur latérale correspond à l’infraclusion latérale. Le traitement orthodontique postchirurgical permet alors de niveler les arcades par égression des molaires. Une génioplastie concomitante est ainsi possible.
Extractions orthodontiques
Ce protocole a comme conséquence une aggravation initiale de la symptomatologie interarcade (cf. plus loin cas clinique 1 : figure 3.11 et cas clinique 2 : figure 3.23).
Choix des ostéotomies
La prise en charge chirurgicale des classes II squelettiques peut être faite grâce au déplacement de l’une ou des deux arcades dentaires. L’ostéotomie de Le Fort I pour le maxillaire (figure 3.4) et l’ostéotomie sagittale transramale pour la mandibule (figure 3.5) sont les plus fréquemment utilisées, de façon isolée ou combinée en fonction de chaque cas.
Fig. 3.4 Ostéotomie de type Le Fort I.
Cette ostéotomie permet la mobilisation du plateau maxillaire dans les trois sens de l’espace.
Des ostéotomies segmentaires peuvent leur être associées pour « asseoir » l’occlusion (figure 3.6). Dans les cas de classes II division 1 ou 2 sévères, la supraclusion antérieure associée génère une situation parodontale qui complique voire interdit le déplacement des incisives mandibulaires en raison de la faible épaisseur de corticale vestibulaire et de la diminution de la hauteur d’os alvéolaire. Dans ces conditions particulières, le déplacement des incisives ou du groupe incisivocanin peut se faire grâce à une ostéotomie segmentaire antérieure. Ce choix implique une préparation orthodontique spécifique a minima (cf. plus loin cas clinique 2 : figures 3.23 et 3.24).
Tout déplacement chirurgical sagittal aura une répercussion faciale verticale et réciproquement.
Le rétablissement d’une fonction harmonieuse des lèvres va en changer l’épaisseur.
La correction des anomalies transversales intéresse le maxillaire et plus rarement la mandibule.
Cas cliniques
Cas clinique 1 Traitement d’une classe II division 2
Âgé de 18 ans, ce patient vient consulter pour améliorer son profil et son sourire.
La hauteur de l’étage inférieur est diminuée. L’angle nasolabial est ouvert. La lèvre supérieure est courte et peu ourlée. La lèvre inférieure est épaisse et éversée. Le sillon mentonnier est marqué. Le menton est bien dessiné. La distance sous-mentale est diminuée (figure 3.7).
À l’arcade mandibulaire, la courbe de Spee est accentuée. On observe une cassure verticale de l’arcade entre le groupe incisivocanin et les groupes prémolomolaires (figure 3.8).
Toutes les dents sont présentes, y compris les germes des dents de sagesse (figure 3.9).
La céphalométrie révèle une rétromandibulie (SNB = 73°), un décalage squelettique de classe II (ANB = 8°) sur un schéma facial hypodivergent (FMA = 15°) (figure 3.10).
À l’arcade mandibulaire, le décalage vertical initial entre le segment antérieur et les secteurs latéraux est accentué. Le segment incisif est nivelé en aile d’hirondelle en prévision du redressement incisif chirurgical (figure 3.11).
Le cliché panoramique réalisé avant la chirurgie montre que les arcades sont nivelées avec un décalage vertical au niveau de l’arcade mandibulaire. L’indication d’extractions des dents de sagesse est posée (figure 3.12).
Sur la téléradiographie de profil avant la chirurgie, on peut apprécier la version coronovestibulaire des incisives maxillaires. L’overjet correspond au décalage sagittal molaire (figure 3.13).
L’arc chirurgical mandibulaire est placé en peropératoire. Il permet d’assurer la contention verticale et sagittale de l’ostéotomie segmentaire antérieure ainsi que le blocage maxillomandibulaire (figure 3.14).
À la fin du traitement qui n’a duré que 11 mois, la hauteur des étages faciaux est équilibrée. L’angle nasolabial est encore légèrement ouvert. La lèvre rouge supérieure est plus apparente. Son importance va s’accentuer avec la remise en fonction de la partie supérieure de l’orbiculaire des lèvres. La lèvre inférieure retrouve un dessin harmonieux. Le sillon labio-mentonnier s’est atténué. La distance sous-mentale est « normalisée » (figure 3.15).
En occlusion, on observe une classe I d’Angle. La supraclusion et le surplomb horizontal sont corrigés ainsi que le décalage des milieux interincisifs (figure 3.16).
Sur le cliché panoramique à la fin du traitement, les dents présentent des axes parallèles. Les traits d’ostéotomie ne sont plus visibles (figure 3.17).
Sur la téléradiographie de profil en occlusion à la fin du traitement, la classe II squelettique est corrigée (ANB = 3°) grâce à l’avancée mandibulaire (SNB = 78°). L’ostéotomie segmentaire mandibulaire a permis de redresser les incisives (IMPA = 95°) tout en nivelant la courbe de Spee (figure 3.18).
Cas clinique 2 Traitement d’une classe II division 1
La hauteur de l’étage inférieur de la face est diminuée. Le profil est convexe avec un nez proéminent. Les plis nasogéniens sont accentués. La lèvre supérieure est épaisse. La lèvre inférieure est éversée. Le sillon labiomentonnier est très marqué. La distance sous-mentale est diminuée (figure 3.19).
À l’arcade mandibulaire, la courbe de Spee est accentuée. Les incisives sont situées dans un plan vertical décalé de 6 mm avec les secteurs latéraux. L’encombrement antérieur est de 11 mm ; 33 est en ectopie vestibulaire (figure 3.20).
Le cliché panoramique montre que toutes les dents, sauf 14 et 24, sont présentes en bouche y compris les dents de sagesse. On peut noter le décalage vertical des incisives mandibulaires et la faible hauteur de l’os alvéolaire (figure 3.21).
La céphalométrie révèle une rétromandibulie (SNB = 68°), un décalage squelettique de classe II (ANB = 7°) sur un schéma facial hypodivergent (FMA = 18°) et une proalvéolie maxillaire (figure 3.22).
Le protocole chirurgico-orthodontique suivant a été choisi :
À la fin de la préparation orthodontique, l’arcade maxillaire est nivelée. Les diastèmes antérieurs sont fermés et la proalvéolie corrigée. L’arc chirurgical comportant des éperons soudés en regard de chaque papille interdentaire est placé en bouche la veille de l’intervention. À l’arcade mandibulaire, les incisives présentent un décalage vertical de 8 mm. (figure 3.23).
Sur le cliché panoramique avant la chirurgie, les arcades apparaissent nivelées avec un décalage vertical au niveau de l’arcade mandibulaire (figure 3.24).
Sur la téléradiographie de profil avant la chirurgie, l’overjet correspond au décalage sagittal molaire (figure 3.25).
L’arc chirurgical mandibulaire est placé en peropératoire. Il permet d’assurer la contention verticale de l’ostéotomie segmentaire antérieure ainsi que le blocage maxillomandibulaire (figure 3.26).
En fin de traitement, la hauteur des étages faciaux est équilibrée. Sur le profil, le nez est proéminent, les lèvres paraissent en retrait, le menton bien dessiné est proéminent et la distance sous-mentale normale (figure 3.27).
À l’arcade maxillaire, les diastèmes sont fermés et la proalvéolie réduite.
À l’arcade mandibulaire, l’encombrement et la courbe de Spee sont corrigés (figure 3.28).
Sur le cliché panoramique à la fin du traitement, les dents présentent des axes parallèles. Les traits d’ostéotomie ne sont plus visibles (figure 3.29).
Sur la téléradiographie de profil en occlusion à la fin du traitement, la classe II squelettique est corrigée (ANB = 1°) grâce à l’avancée mandibulaire (SNB = 75°). L’ostéotomie segmentaire mandibulaire a permis de niveler la courbe de Spee sans risque pour le parodonte des incisives (figure 3.30).
Traitement orthodontico-chirurgical des classes III squelettiques
Classe III consécutive à une promandibulie (cas clinique 3)
Examen endobuccal (figure 3.32)
Analyse des moulages (figure 3.33)
Objectifs du traitement
Globalement, le traitement doit :
Pour y parvenir, l’orthodontiste doit :
Un set-up, sur moulages en plâtre ou digitalisés, permet de positionner idéalement les dents avec des espaces adéquats pour les futures restaurations prothétiques (implants et ponts). On réalise des prédictions céphalométriques en deux temps : premièrement pour la préparation orthodontique préchirurgicale (figure 3.35A), ensuite pour planifier le geste chirurgical (figure 3.35B et C).
Déroulement du traitement
Le déroulement du traitement comporte cinq étapes :
Traitement orthodontique préchirurgical
L’orthodontie a quatre objectifs :
Chirurgie orthognathique
Set-up chirurgical
Dans un cas d’ostéotomie sagittale de recul des branches montantes (OSBM) isolée, les modèles ne doivent pas nécessairement être montés sur articulateur à l’aide d’un arc facial. Après découpe horizontale du modèle inférieur, on positionne les dents en classe I mais en sur-corrigeant le déplacement postérieur du modèle inférieur pour conserver un léger surplomb antérieur. On prévient ainsi une éventuelle récidive. La gouttière chirurgicale en résine prévoit deux « crochets boules latéraux », orientés vers le bas (figure 3.36A). Ils permettront de fixer la gouttière, avec des élastiques, aux crochets orthodontiques supérieurs afin que la patiente puisse facilement la décrocher pour la nettoyer pendant sa convalescence.
Particularités du geste chirurgical
La partie antérieure des deux valves latérales est réséquée à la demande (figure 3.37). Ces valves sont placées en position idéale en éliminant les éventuelles interférences corticales et spongieuses.
Deux drains aspiratifs transcutanés sont placés entre le périoste et l’os, et les voies d’abord sont suturées par un surjet direct au fil résorbable 3/0. La gouttière de méthacrylate est fixée aux crochets orthodontiques avec des élastiques (figure 3.36B). Le blocage maxillomandibulaire est retiré, ce qui permet une extubation sans risque. Le blocage n’est pas replacé. La mobilisation précoce autorisée par les ostéosynthèses stables prévient les dysfonctions douloureuses d’origine musculaire et les limitations de l’ouverture buccale, voire des ankyloses fibreuses.