Chapitre 3 Imagerie du coude
Le coude est une articulation complexe, dont la pathologie traumatique est nombreuse et variée. Souvent la clinique est suffisante ; dans les cas difficiles, on aura recours à l’imagerie. Nous décrirons dans ce chapitre tout d’abord les principales techniques d’imagerie et leur application, puis les principales lésions traumatiques du coude, leur traduction clinique et leur aspect en fonction de chaque type d’examen radiologique.
Techniques D’imagerie [6, 9, 11, 18, 28, 42, 49, 54]
Radiographies standard
– l’incidence de face permet l’analyse des épicondyles, de l’interligne huméro-radiale, de la fossette olécrânienne et de l’angle en valgus du coude ;
– l’incidence de profil permet l’analyse de l’extrémité inférieure de l’humérus, des interlignes articulaires de l’olécrâne et, de façon inconstante, de la coronoïde, autorisant la mise en évidence une hémarthrose ;
– les incidences obliques peuvent compléter le bilan, notamment à la recherche de lésions traumatiques osseuses : l’oblique médial permet une meilleure analyse de l’épicondyle latéral, de l’olécrâne, de la coronoïde ; l’oblique latéral permet l’analyse des articulations capitulo-radiale, huméro-ulnaire, de l’épicondyle médial et de la coronoïde ;
– d’autres incidences sont parfois utiles : le faux profil (incidence condylo-radiale en inclinaison céphalique de 45° pour l’exploration de la tête radiale (fig. 3.1) ou inclinaison caudale de 45° pour l’exploration de la coronoïde) ; l’incidence axiale de l’olécrâne permet l’étude de l’olécrâne et de l’articulation olécrano-humérale.
– les clichés dynamiques en valgus forcé, coude fléchi à 25°, sont réalisés de façon comparative : l’élargissement de l’interligne huméro-ulnaire supérieur à 0,5 mm par rapport au côté controlatéral doit faire évoquer une rupture du ligament collatéral ulnaire.
Échographie [2, 13, 19]
L’étude du compartiment antérieur du coude est réalisée chez un patient face à l’examinateur, le coude en extension sur la table. Les principales structures analysables sont le muscle brachial, le tendon du biceps, l’artère brachiale, le nerf médian (fig. 3.2), le récessus synovial coronoïdien (fig. 3.3) et les articulations radio-humérale et huméro-ulnaire. La branche postérieure interosseuse motrice du nerf radial est analysable au coude. Elle chemine entre les chefs superficiels et profonds du muscle supinateur, sous l’arcade de Fröhse, une structure fibreuse épaisse, expansion de la partie superficielle du faisceau superficiel du supinateur.
Le tendon du biceps est analysable soit par voie antérieure en extension supination maximale, soit par voie latérale, soit par voie postérieure coude fléchi, soit par voie médiale [48].
Le compartiment médial est étudié le coude en extension, au contact de la table d’examen, en rotation externe forcée. Le tendon fléchisseur commun et le ligament collatéral ulnaire constituent les principales structures médiales à étudier (fig. 3.4).
Le compartiment postérieur est examiné le coude fléchi à 90°, la paume restant au contact de la table. Les principales structures à étudier sont le tunnel ulnaire, le nerf ulnaire (fig. 3.5), le muscle et le tendon tricipital, le récessus olécrânien et la bourse olécrânienne. Le tendon tricipital est formé d’une couche superficielle et d’une couche profonde ; il s’insère sur la partie postéro-supérieure de l’olécrâne. Une anomalie d’insertion sur la partie médiale de l’olécrâne peut être à l’origine d’un ressaut intermittent du tendon sur l’épicondyle médial, avec neuropathie ulnaire. L’échographie dynamique permet de révéler cette dislocation du nerf et du tendon durant la flexion progressive du coude.
Tomodensitométrie
Le scanner « simple » n’a d’intérêt dans le cadre du coude traumatique que pour la recherche de lésions osseuses fracturaires. Il précise le nombre, le déplacement des fragments et leur rapport avec les surfaces articulaires. L’examen est réalisé en une seule acquisition avec les scanners multidétecteurs, le coude en extension, au-dessus de la tête, en position neutre, suivie de reconstructions multiplanaires dont la qualité de résolution permet de surseoir aux acquisitions dans les deux plans orthogonaux.
Imagerie par résonance magnétique
Séquences
Les séquences en saturation de graisse (T2 Fat Sat ou rho – densité de protons – Fat Sat) présentent un intérêt pour sensibiliser la détection d’œdème ou de zones liquidiennes et pour affiner la visualisation du cartilage articulaire. La séquence STIR (inversion-récupération) qui efface le signal de la graisse est particulièrement adaptée aux lésions œdémateuses intra-osseuses.
L’arthro-IRM [11, 49] semble présenter un intérêt dans les pathologies ligamentaires, notamment dans les bilans d’instabilité du coude, dans l’ostéochondromatose et l’ostéochondrite.
Il existe aussi des variantes de la normale en IRM à connaître : sur les coupes sagittales et coronales, l’image normale de pseudo-défect osseux située à la jonction de l’épicondyle latéral et du capitulum correspond à une zone punctiforme dépourvue de cartilage. Une lame liquidienne peut s’accumuler dans cette zone. Cette image ne doit pas être confondue avec une ostéochondrite ou une fracture. Il existe une crête osseuse transverse dépourvue de cartilage au niveau de l’incisure trochléaire à la jonction de l’olécrâne et du processus coronoïde. Elle est visualisée sur les coupes sagittales chez 80 % des sujets sains et apparaît comme une surélévation de la partie centrale de l’incisure trochléaire. Cette image peut faire évoquer à tort l’existence d’un ostéophyte intra-articulaire ou d’une fracture [42].
Pathologies
Pathologie épicondylienne
Épicondylite latérale
Clinique
Le coude est le siège d’insertion de nombreux groupes musculaires. Les muscles moteurs de la main, du poignet et des doigts s’insèrent sur l’épicondyle latéral et l’épicondyle médial (épitrochlée), où ils sont le siège fréquent de tendinopathies d’insertion. Après la première publication par Runge en 1873 de cette pathologie dont « l’étiologie est variée, la pathogénie obscure et le traitement incertain », les publications sont maintenant très nombreuses [3]. L’épicondylite ou le « tennis elbow » ou l’épicondylalgie désigne les douleurs de la face antéro-externe du coude pouvant irradier le long du bord radial de l’avant-bras. Cette pathologie touche avec une égale fréquence les hommes et les femmes, l’âge habituel des patients se situant entre 35 et 55 ans. Elle peut survenir au cours de toute activité nécessitant la prise en force et prolongée d’un manche. C’est le cas du tennis et de bien d’autres sports, tels que le golf, l’escrime ou l’aviron, et c’est le cas d’activités professionnelles variées. L’interrogatoire retrouve très souvent une surcharge fonctionnelle du coude (changement de matériel, modification du rythme de travail, etc.).
Formes neurologiques
La douleur nocturne est évocatrice d’une pathologie nerveuse. La mise en tension du nerf radial peut se faire en demandant une supination contrariée de l’avant-bras à un patient chez qui l’épaule est en élévation antérieure, le coude en extension maximale, l’avant-bras en pronation, et le poignet en flexion. Pour Lister et al. [26], trois signes sont évocateurs d’une atteinte du nerf radial : la douleur siège dans la masse musculaire, au-delà de la tête radiale ; l’extension contrariée du majeur avec le coude en extension reproduit la douleur ; la douleur est également reproduite par la supination contrariée. Pour Nirschl [34], il s’agit au contraire d’un argument en faveur d’une dégénérescence tendineuse profonde sur le court extenseur radial du carpe.
Échographie
La topographie des tendons épicondyliens se prête bien à l’exploration échographique, dans la position d’étude du compartiment latéral [6, 10, 28, 31]. Un artéfact fréquent à connaître, retrouvé essentiellement dans le plan axial, est celui d’anisotropie situé à l’insertion du court extenseur radial du carpe sur l’épicondyle.
L’échographie permet de confirmer le diagnostic d’épicondylite dans les cas douteux, de préciser la sévérité des lésions et de suivre la réponse sous traitement : épaississement hypo-échogène du tendon en regard de son insertion, perte de son aspect fibrillaire, zones de clivage en rapport avec la rupture, partielle ou totale, épaississement des parties molles péritendineuses, fine lame liquidienne superficielle à l’origine du tendon (fig. 3.6). La partie antéro-latérale et moyenne du tendon extenseur commun est le plus souvent atteinte. Lors de lésions de dégénérescence tendineuse, l’échographie montre l’épaississement hétérogène des tendons et la présence de nodules hypo-échogènes à l’insertion des épicondyliens. Les sites initialement atteints sont les fibres des faces profonde et antérieure du court extenseur radial du carpe.
Selon Miller et al. [31], la sensibilité de l’échographie dans la détection de l’épicondylite est de 64 à 82 %, et celle de l’IRM de 90 à 100 %.
On met en évidence dans certains cas une bursite, le plus souvent associée aux anomalies tendineuses, située à la face profonde des tendons. Les calcifications sont rares et peuvent être visualisées sous la forme d’images hyperéchogènes sans cône d’ombre postérieur le plus souvent.
Le ligament collatéral latéral radial ou le ligament collatéral latéral ulnaire peuvent être pathologiques, en association avec l’atteinte tendineuse. Leurs fibres sont visualisées à la partie profonde des extenseurs communs. Le ligament pathologique apparaît alors épaissi, partiellement ou complètement rompu, associé à divers degrés d’atteinte tendineuse. En cas d’épicondylalgies rebelles, l’étude du système ligamentaire en échographie ou IRM doit compléter l’analyse tendineuse. En effet, certains tableaux douloureux sont en rapport avec une lésion ligamentaire.
Imagerie par résonance magnétique
L’IRM permet l’exploration des tendons épicondyliens latéraux et médiaux [6, 9, 18, 31, 35, 45, 54]. Elle est indiquée dans certaines formes atypiques, dans les tendinopathies résistantes au traitement (4 à 10 % des patients) ou dans le cadre d’un bilan lésionnel préopératoire. Elle permet de quantifier la dégénérescence tendineuse, le degré de rupture, et précise l’atteinte des structures adjacentes. L’IRM sera donc réalisée pour situer et quantifier de façon précise l’atteinte tendino-ligamentaire et orientera la technique chirurgicale ultérieure. Nous allons détailler la sémiologie IRM des épicondylites latérales ; la description des lésions tendineuse est identique sur le compartiment médial.
Anomalies tendineuses
En cas de dégénérescence, le tendon est d’épaisseur normale ou augmentée, et il existe des anomalies de signal de la portion distale du tendon épicondylien. Le tendon est continu, avec une augmentation de son signal en T1, un hypersignal modéré intratendineux en T2 et avec une prise de contraste peu marquée (fig. 3.7). Cet aspect est de loin le plus fréquent et correspond sur le plan histologique à des remaniements dégénératifs, avec désorganisation du collagène et néovascularisation, expliquant la prise de contraste, sans élément inflammatoire notable. Dans certains cas, on peut voir une petite collection liquidienne intratendineuse compatible avec une dégénérescence kystique. La séquence T1 constitue la séquence la plus sensible aux lésions de dégénérescence du tendon extenseur commun. Par ailleurs, il a été décrit chez des sujets asymptomatiques de plus de 40 ans des anomalies de signal au niveau du tendon extenseur commun, à type d’hypersignal, particulièrement sur les séquences T1.
Dans le cadre des ruptures tendineuses, elles peuvent être partielles, caractérisées par un amincissement du tendon entouré par du liquide, ou bien totales, avec interruption du tendon épicondylien, comblée par un hypersignal franc T2 et prise de contraste nette au niveau de l’insertion, traduisant la désinsertion tendineuse, avec rétraction tendineuse plus ou moins importante (fig. 3.8). L’injection répétée de corticoïdes au niveau du coude peut aggraver les ruptures.
Anomalies ligamentaires
La présence d’une lésion ligamentaire latérale représente une des causes de résistance au traitement de l’épicondylite. Les atteintes du ligament collatéral latéral ulnaire sont souvent associées à l’épicondylite. La rupture du ligament est source d’instabilité rotatoire postéro-latérale. L’IRM peut mettre en évidence une réaction œdémateuse périligamentaire ou, plus rarement, une rupture partielle du ligament. La lésion se situe généralement à l’origine du ligament en regard de l’épicondyle latéral. Une séparation anormale entre le ligament collatéral radial et l’origine du tendon du court extenseur radial du carpe est en rapport avec une dégénérescence sévère du tendon. De même, une atteinte associée du ligament collatéral latéral radial peut être mise en évidence en IRM, ainsi que des signes d’œdème dans les muscles extenseurs [55].
Anomalies de la bourse
Il existe une bourse radio-humérale située au-dessous du tendon du court extenseur radial du carpe. Une bursite ou l’inflammation de cette bourse a été considérée par certains auteurs comme un élément associé et intriqué à l’épicondylite. Elle ne serait que rarement la première manifestation de l’épicondylite. Des corrélations chirurgicales ont montré que, dans certains cas d’épicondylite, il existait un épaississement de la bourse. En IRM, l’épaississement de cette bourse n’est pas individualisé et donne alors l’apparence d’épaississement du tendon ou du ligament.
Anomalies de l’articulation huméro-radiale
L’IRM permet la détection d’anomalies de l’interligne huméro-radial pouvant être associées à l’épicondylite. Un épanchement intra-articulaire modéré est rarement présent. Les lésions de chondropathie se manifestent par des irrégularités de l’os sous-chondral du condyle ou de la tête radiale, ainsi que par des ostéophytes condyliens, qui sont parfois visualisés (fig. 3.9). Ce sont des signes indirects de chondropathie huméro-radiale. Les anomalies cartilagineuses directes sont parfois difficilement visibles en IRM. En l’absence de lésion cartilagineuse évidente, l’exploration arthroscopique du coude en cas d’épicondylite peut être proposée en première intention.
Arthro-TDM et arthro-IRM
Certaines épicondylites résistantes au traitement médical peuvent justifier une exploration intra-articulaire par arthrographie à la recherche de corps étrangers intra-articulaires, de lésions cartilagineuses du compartiment épicondylo-radial ou de frange méniscale pathologique hypertrophiée. Une épicondylite peut favoriser, en dehors de tout traumatisme violent, une lésion capsulo-ligamentaire du ligament collatéral latéral ulnaire pouvant être à l’origine d’une instabilité difficile à reconnaître cliniquement, justifiant dans certains cas une intervention chirurgicale stabilisatrice. L’arthro-IRM semble alors l’examen de choix dans ce contexte [49].
Traitement
Plus récemment est apparue la technique d’injection de concentrés plaquettaires plasmatiques autologues dans le traitement des épicondylites rebelles au traitement habituel ; elle représente une alternative à l’infiltration de corticostéroïdes. L’injection plaquettaire entraîne une diminution de la douleur et stimule la régénération tendineuse et des structures péritendineuses par activation macrophagique et libération locale de facteurs de croissance au sein de la zone inflammatoire [22, 32, 36]. Des études ont également démontré l’effet bénéfique des concentrés plaquettaires sur la douleur et l’amélioration fonctionnelle, avec une durée d’efficacité prolongée par apport à l’infiltration de corticoïdes. Il n’y a pas d’effet secondaire à décrire.
D’autres techniques, moins récentes, sont également utilisées dans le traitement des épicondylites sous repérage échographique : injection de sang autologue, prolothérapie, injection de polidocanol (agent sclérosant), dont l’efficacité a été démontrée par certains dans la littérature [12, 41].
Épicondylite médiale
Clinique
L’épicondylite médiale ou « golfer’s elbow » est une tendinopathie dégénérative située à l’insertion des épicondyliens médiaux (le tendon fléchisseur superficiel des doigts est le plus souvent atteint). Elle est beaucoup moins fréquente, se rencontre au cours du golf, du tennis et des sports de lancer, mettant en tension le compartiment interne. La douleur se situe sur le compartiment médial, irradiant vers le bras ou l’avant-bras. Les mouvements contrariés de flexion du poignet, des doigts, de pronation et d’inclinaison ulnaire du poignet reproduisent la douleur.
Échographie
Le coude est étudié dans la position d’étude du compartiment médial. L’aspect échographique est similaire à celui de la plus commune épicondylite latérale (fig. 3.10). L’échographie permet de distinguer une épicondylite d’une atteinte ligamentaire ulnaire.