Chapitre 28 Oligoamnios
L’oligoamnios correspond à une diminution du volume du liquide amniotique pour l’âge gestationnel. Quantitativement, on parle d’oligoamnios quand l’estimation du volume amniotique est inférieure à 400 mL dans les deux derniers trimestres de la grossesse [1]. Tout le problème réside dans l’appréciation non invasive de ce volume qui repose aujourd’hui sur l’échographie. La fréquence de l’oligoamnios varie selon les populations étudiées et les critères de diagnostic retenus. Globalement, elle est de 3 à 5 % au 3e trimestre [2, 3], mais seulement de 0,2 % au 2e trimestre [4].
Diagnostic
Clinique
Même lors de l’accouchement, le diagnostic clinique est en pratique difficile. Pendant la grossesse, la clinique est pauvre. Une hauteur utérine inférieure à la valeur attendue pour le terme, une diminution des mouvements fœtaux actifs, ainsi qu’une présentation transversale ou anormalement moulée par l’utérus avec une perte du ballonnement fœtal sont des points d’appel devant attirer l’attention du praticien [1].
Diagnostic échographique
Évaluation subjective du liquide amniotique
L’échographiste expérimenté sera frappé par la mauvaise qualité des images obtenues, une carence évidente de liquide amniotique, une diminution de l’interface liquide-fœtus, la diminution des mouvements fœtaux et une attitude du fœtus ramassé sur lui-même en hyperflexion [1]. Goldstein et Filly [5] ont rapporté une variation intra- et interobservateur de 96 et 84 % respectivement pour cette procédure diagnostique. Cela suggère que l’évaluation subjective de la quantité de liquide amniotique est fiable et reproductible pour un échographiste expérimenté pour le diagnostic d’oligoamnios [6].
Méthodes semi-quantitatives d’estimation du liquide amniotique
Elles reposent sur la mesure du diamètre vertical de la plus grande citerne ou sur la mesure de l’index amniotique. Mais les critères d’évaluation semi-quantitative pour le diagnostic d’oligoamnios varient d’un auteur à l’autre.
Mesure de la plus grande citerne
En 1981, Manning et al. [7] ont retenu comme définition de l’oligoamnios une plus grande citerne < 1 cm. La valeur prédictive positive est alors excellente mais aux dépens de la sensibilité [8]. Manning et al. [6] ont par la suite modifié leur pratique pour adopter comme critère une plus grande citerne < 2 cm dans les plans horizontal et vertical. Même si d’autres auteurs ont retenu une plus grande citerne < 3 cm [9, 10], la valeur seuil de 2 cm reste la plus utilisée en pratique.
Mesure de l’index amniotique
Phelan et al. [11] ont été les premiers à proposer l’évaluation de la quantité de liquide amniotique par l’index amniotique. Ils ont proposé comme critère diagnostique de l’oligoamnios entre 36 et 42 SA un index amniotique inférieur à 5 cm. Ce critère est aujourd’hui largement utilisé en clinique, en particulier en dépistage. Il faut cependant garder à l’esprit que la mesure de l’index amniotique a une variation intra- et interobservateur non négligeable de 3,1 et 6,7 % respectivement (soit une variation de 5 et 9,7 mm respectivement), cette variation intra- et interobservateur étant nettement majorée en cas d’oligoamnios [12]. Il est donc recommandé, dès que l’évaluation de l’index amniotique est inférieure à 5 cm, d’effectuer trois mesures d’index amniotique et de n’en retenir que la valeur moyenne afin de minimiser les erreurs [13].
Étiologies
Les oligoamnios du 1er trimestre sont exceptionnels, liés en général à une rupture précoce des membranes. Il existe une grande différence en termes d’étiologie et de pronostic entre les oligoamnios du 2e et du 3e trimestre. Au 2e trimestre, une fois éliminée une rupture asymptomatique de la poche des eaux, l’oligoamnios doit faire rechercher une pathologie malformative grave (essentiellement urinaire), un retard de croissance intra-utérin (RCIU) précoce et une anomalie chromosomique. Au cours du 3e trimestre, la survenue d’un oligoamnios a une valeur différente. Il s’agit rarement du signe d’appel d’une malformation non diagnostiquée lors des examens antérieurs. Cependant, si le fœtus est porteur d’une uropathie connue, la survenue secondaire d’un oligoamnios doit faire craindre une altération de la fonction rénale [14]. Dans le cadre de la surveillance du dépassement de terme, l’oligoamnios est le principal signe de postmaturité vraie [13].
Rupture prématurée des membranes
Cette situation n’entre pas réellement dans le cadre nosologique des oligoamnios et doit être plutôt considérée comme un diagnostic différentiel de l’oligoamnios. La rupture prématurée des membranes (RPM) complique 3 à 17 % des grossesses [15] et est responsable de 25 % des cas étiquetés d’oligoamnios [2]. Plus la RPM survient tôt dans la grossesse, plus son incidence est faible [16]. Le pronostic fœtal est directement corrélé à l’âge de survenue de la RPM, ainsi qu’à la sévérité de l’oligoamnios secondaire à la rupture. Trois grands mécanismes sont impliqués dans l’issue défavorable des grossesses après rupture des membranes : la prématurité, l’infection et l’hypoplasie pulmonaire secondaire à l’oligoamnios. Le pronostic est dominé par l’occurrence d’une infection dans les ruptures au-delà de 24 SA, par le biais de ses conséquences périnatales mais également du fait de la prématurité spontanée ou induite qu’elle génère. Ainsi, une plus grande citerne < 1 cm ou un index amniotique inférieur à 5 cm sont corrélés à un taux significativement augmenté de sepsis néonatal, de césarienne et d’endométrite maternelle. L’hypoplasie pulmonaire est directement liée à la précocité de la rupture et à la sévérité de l’oligoamnios (voir plus loin).
Bien que la rupture des membranes précoces soit hors sujet dans un chapitre sur l’oligoamnios, il nous semble important de mentionner l’excellent travail de Manuck et al. [17] qui permet au praticien de préciser l’information à donner aux femmes ayant rompu précocement. Ces auteurs ont analysé le devenir néonatal de 159 patientes ayant rompu avant 24 SA et qui ont choisi initialement de poursuivre la grossesse. L’âge gestationnel moyen de survenue de la RPM et de la naissance était respectivement de 20,7 SA (minimum : 14 SA, maximum : 23,9 SA) et 25,6 SA (minimum : 15,4 SA, maximum : 34,1 SA). Parmi les 159 patientes, 7 ont finalement choisi une induction du travail (IMG), 34 ont accouché avant 23 SA (absence de prise en charge) et 112 ont accouché d’un enfant transféré en réanimation néonatale, tandis qu’une MFIU survint dans 6 cas [17]. Parmi les 112 enfants pris en charge (l’âge gestationnel moyen de survenue de la RPM et de la naissance était respectivement de 21,3 SA et 27,5 SA), 23 (20,5 %) sont décédés. Parmi les 89 (79,5 %) enfants vivants, 46 (51,7 % des survivants) ont eu une morbidité néonatale sévère (définie par la présence d’au moins un des items suivant : hémorragie intraventriculaire de grade III ou IV, leucomalacie périventriculaire, entérocolite ulcéronécrosante nécessitant un traitement chirurgical, dysplasie bronchopulmonaire et hypoplasie pulmonaire) [17]. L’âge gestationnel de naissance et le poids de naissance étaient significativement plus élevés dans le groupe des enfants sans morbidité sévère (n = 43) en comparaison avec ceux décédés en postnatal ou présentant une morbidité sévère (n = 69), contrairement à l’âge gestationnel moyen de survenue de la rupture (21,6 vs 21,1 SA ; p = 0,2). Les nouveau-nés présentant une hypoplasie pulmonaire avaient une poche des eaux rompue environ 2 semaines plut tôt que ceux n’ayant pas d’hypoplasie pulmonaire (18,9 vs 20,9 SA ; p = 0,006). Chaque semaine supplémentaire au moment de la rupture diminuait le risque d’hypoplasie pulmonaire de 21 %. Le taux d’arthrogrypose était de 7 % (8/112) et il n’était pas corrélé à celui de l’hypoplasie pulmonaire [17]. L’index amniotique moyen était significativement différent entre les enfants décédés et les survivants (1,8 vs 3,4 cm ; p < 0,001). De plus, un anamnios à un moment donné de la surveillance et un index amniotique moyen inférieur à 2 cm étaient présents pour respectivement 57 et 71 % des nouveau-nés ayant une hypoplasie pulmonaire. Bien que l’index amniotique fût corrélé au pronostic néonatal, sa sensibilité et spécificité étaient faibles. Par exemple, la survenue d’un anamnios n’avait une sensibilité et spécificité que de respectivement 43 et 64 % pour prédire le risque de morbidité néonatale sévère [17]. Enfin, les taux de décès néonatal et de survie sans morbidité néonatale sévère en fonction de l’âge gestationnel moyen de la rupture et de l’âge de la grossesse sont résumés dans les tableaux 28.1 et 28.2 [17]. Ces chiffres sont cependant à interpréter prudemment vu le faible nombre de cas pour chaque classe d’âge.
Malformations fœtales (tableau 28.3)
Elles sont retrouvées dans 4 à 7 % des grossesses compliquées d’oligoamnios [2, 18], mais cette fréquence atteint 26 à 35 % pour les grossesses compliquées d’oligoamnios au 2e trimestre [19, 20]. La fréquence des malformations fœtales est d’autant plus grande que l’oligoamnios est sévère (52 % en cas d’oligoamnios sévère vs 14 % en cas d’oligoamnios modéré) [19]. Ces malformations concernent avant tout l’appareil urinaire (33 à 57 % des cas) et peuvent être isolées ou s’intégrer dans un syndrome polymalformatif [2, 19]. Les plus fréquentes malformations urinaires associées à un oligoamnios sont les agénésies rénales bilatérales, les dysplasies multikystiques bilatérales, les uropathies basses ou bilatérales et les polykystoses rénales de type infantile [13].
Malformations urinaires |
Malformations rénales bilatérales |
Agénésie rénale bilatérale |
Dysplasie rénale multikystique bilatérale |
Maladie polykystique infantile |
Uropathies obstructives |
Valves de l’urètre postérieur |
Atrésie de l’urètre |
Obstruction de la jonction pyélo-urétérale bilatérale |
Obstruction de la jonction urétéro-vésicale bilatérale |
Associations polymalformatives impliquant l’arbre urinaire |
Syndrome de Prune-Belly |
Syndrome de Meckel-Gruber |
Association VACTERL |
Syndrome de Fraser |
Association MURCS |
Sirénomélie |
Dysgénésie cloacale |
Malformations n’impliquant pas l’arbre urinaire |
Anomalies chromosomiques |
Trisomie 18 |
Triploïdie |
Syndrome de Turner |
Cardiopathies |
Tétralogie de Fallot |
Fibro-élastose endocardique |
Défects septaux |
Anomalies du système nerveux |
Holoprosencéphalie |
Microcéphalie |
Encéphalocèle |
Méningocèle |
Maladie des brides amniotiques |
Twin reverse arterial perfusion (TRAP) |
Syndrome transfuseur-transfusé |
Stuck twin syndrome |
Hypothyroïdie |
Retard de croissance intra-utérin
Les RCIU s’accompagnent d’un oligoamnios, celui-ci précédant le RCIU dans 80 à 85 % des cas [3, 7]. C’est donc un signe d’appel particulièrement important à repérer. Son mécanisme a été exploré dans différents modèles animaux. L’hypoxie expérimentale entraîne une réponse vasculorénale avec une redistribution vasculaire privilégiant le cerveau au détriment des poumons, viscères abdominaux et reins [21, 22]. Il en résulte une diminution de la diurèse fœtale et des sécrétions pulmonaires chez 70 à 100 % des RCIU [23, 24], et donc de la quantité de liquide amniotique [13–14]. Deutinger et al. [25] ont montré que la diurèse fœtale horaire est significativement diminuée en cas de RCIU. Le RCIU pose le problème des malformations associées et des aneuploïdies (triploïdie), leurs incidences étant augmentées en présence d’un oligoamnios sévère [13].