28: L’avenir de la psychiatrie

Chapitre 28 L’avenir de la psychiatrie



Au terme de ce panorama des principales connaissances disponibles à ce jour il convient de s’interroger sur les lendemains de notre discipline !


Ce sont surtout des questions qui viennent dans un premier temps, plus nombreuses que les réponses. Tout d’abord, quel est le bilan ? A-t-on pu délimiter enfin avec précision le champ de la psychiatrie ? Quelles voies suivent et suivront les progrès de la médecine ? Notre discipline doit-elle rester au sein de la médecine ou la dépasser ?


Plusieurs psychiatres français contemporains ont alimenté leur réflexion épistémologique à partir des principaux courants de pensée et de l’histoire de la psychiatrie comme P. Pichot, J. Postel ou J. Garrabé [7] ; d’autres comme G. Lantéri-Laura [11, 12] à partir des modèles théoriques et des principaux paradigmes (au sens de T.S. Kuhn [10]) ayant eu successivement une influence prédominante ; d’autres encore se sont surtout appliqués à étudier l’articulation de la psychiatrie avec d’autres disciplines pour, justement, permettre une meilleure délimitation du champ psychiatrique. C’est le cas de D. Widlöcher [20], de N. Delattre, ou de G. Darcourt [4] pour les rapports entre la psychiatrie et la psychanalyse, de C.J. Blanc [2, 3] pour les rapports de la psychiatrie avec la philosophie, de P. Marchais [16] pour ceux qu’entretiennent la psychiatrie avec les modèles mathématiques et la théorie des ensembles, de J.P. Changeux pour les relations entre psychiatrie et neurosciences, de E. Kandel pour biologie et psychanalyse, de E. Zarifian [21] pour la situation de la psychiatrie au regard de l’humanisme médical et des sciences sociales ou encore, chacun avec un angle de vue original, des auteurs comme G. Edelman, de P. Fedida, de A. Green, etc.


Nous voudrions rendre ici un hommage tout particulier à Georges Lantéri-Laura, dont la culture, l’originalité de la pensée et la profondeur de la réflexion étaient remarquables. Les ouvrages et articles qu’il a consacrés à l’épistémologie et aux principaux modèles théoriques en psychiatrie ont été publiés à partir de 1981 pour ses articles parus dans l’encyclopédie médicochirurgicale [15], 1991 avec son essai sur les fondements de la pathologie mentale intitulé Psychiatrie et Connaissance [13], 1996 avec l’épistémologie [14] et 1998 enfin avec Les paradigmes de la psychiatrie moderne [12].


Pour clore cette réflexion sur l’avenir de la psychiatrie il est sans doute utile de préciser que le passage de la psychiatrie à la santé mentale entraîne une inversion de nombre de nos perspectives. L’objectif primordial est moins aujourd’hui de lutter contre des maladies mentales que d’assurer la promotion d’une bonne santé mentale. L’avenir de notre discipline va donc inévitablement s’imprégner du concept de « santé positive », conformément à la définition que donne l’OMS de la santé : « état de complet bien-être physique, mental et social ».



Les paradigmes successifs de la psychiatrie


Si l’on situe généralement l’origine de la psychiatrie avec P. Pinel en 1802, le terme même de psychiatrie n’a été utilisé en français qu’à partir de 1842 supplantant alors celui de médecine mentale.


La psychiatrie est — selon la formule de G. Lantéri-Laura — « une pratique raisonnée de la sémiologie, du diagnostic et du traitement dans un certain champ de la pathologie ».


La délimitation de ce champ a été fixée — de façon certes erronée mais lumineuse — par H. Ey dans son modèle théorique d’organisation dynamique connu sous le nom d’organodynamisme. Selon G. Lantéri-Laura, l’œuvre de H. Ey constitue « la dernière synthèse grandiose qui vise à rendre compte du champ de la psychiatrie dans sa totalité ». Elle seule représente en effet une « pathologie de la liberté » impliquant une déstructuration globale du système nerveux — qu’il s’agisse de la conscience ou de la personnalité — tandis que la neurologie est le domaine des déstructurations partielles ou locales.


Les sources de l’anthropologie de H. Ey [5] se trouvent chez E. Husserl, chez S. Freud, mais surtout peut-être chez J.H. Jackson. La dissolution globale des fonctions supérieures comprend en effet toujours des signes négatifs : les conséquences directes de la dissolution, mais aussi des signes positifs, manifestations ou comportements inhibés à l’état normal et libérés par la dissolution.


Les schémas de pensée des psychiatres de notre génération ont largement été influencés à des degrés divers, par ce modèle néo-jacksonien de H. Ey [5].


Le paradigme des « structures psychopathologiques » qui a culminé avec E. Minkowski et H. Ey avait succédé à un premier paradigme, celui de l’aliénation mentale unique que G. Lantéri-Laura fixe de « Pinel à Falret », c’est-à-dire de 1793 à 1854, puis au second paradigme des maladies mentales multiples, allant jusqu’en 1926, avec E. Bleuler et son « groupe des schizophrénies ». C’est trois années après la disparition de H. Ey, survenue en 1977, qu’a été publiée la troisième version de la classification américaine des troubles mentaux, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux connu sous le nom de DSM-III.


Cet ouvrage marque bien une révolution en matière de classification psychiatrique mais il ne représente pas un nouveau paradigme. Désormais le champ de la psychiatrie est « un ensemble flou entouré par les neurosciences et la sociologie » (P. Marchais). Le DSM-III était bien révolutionnaire en ce qu’il fut un nouvel outil original de travail mais il n’est pas l’ouvrage athéorique qu’il prétend être car toute description implique des choix théoriques ! Dans le DSM-III, le choix a été fait de privilégier systématiquement les comportements observables dans les critères diagnostiques pour obtenir une meilleure fidélité interjuges. Le DSM-III indique un retour à une conception syndromique des troubles mentaux ; il s’agit par conséquent d’une révolution certes, mais inspirée par des auteurs comme K. Jaspers, K. Schneider, J.E. Esquirol ou P. Chaslin. Ce dernier auteur, aliéniste naturaliste, n’écrivait-il pas au début du xxe siècle que la pathologie mentale ne faisait que naître et qu’il valait mieux se borner à décrire des types cliniques « qui ne sont même pas des syndromes et encore moins des entités » quitte à « insérer quelques observations sur lesquelles il est difficile de placer une étiquette ordinaire ; les “types cliniques d’attente” ».


G. Lantéri-Laura n’entrevoyait pas, en 1998 [12], les prémices du prochain paradigme à venir. Il se contentait de constater sur un mode dubitatif mais sans pessimisme que nous assistions actuellement à « une fragmentation progressive de l’homogénéité de la psychiatrie ». Il pensait que nous devions accepter définitivement la diversité et l’hétérogénéité du champ psychiatrique, telle que l’avait pressentie, justement, un auteur comme P. Chaslin : « Nous devons bien reconnaître que les éléments constitutifs de cette pathologie mentale, et qui peuplent sa diversité, n’appartiennent pas à une catégorie homogène car il s’agit selon les cas de maladies, de syndromes, de structures et même de ce que P. Chaslin appelait les types cliniques ».


Il est de plus en plus vraisemblable que les progrès à venir ne consisteront pas à faire disparaître les syndromes au profit des maladies, contrairement aux espérances de E. Kraepelin. Les maladies elles-mêmes se réfèrent d’ailleurs à des ordres de connaissance disparates. Et G. Lantéri-Laura de conclure que la réduction de l’hétérogénéité « ne semble pas devoir être un devoir impérieux pour les progrès futurs. La psychiatrie se fonde essentiellement sur la sémiologie et la clinique ; elle use de multiples références à des disciplines de plus en plus nombreuses et variées : médecine, anatomie, physiologie du système nerveux central, épidémiologie, neurochimie… ». On ajouterait à ce jour : génétique, neurosciences, sciences sociales, etc. ; mais — poursuivait G. Lantéri-Laura — la psychiatrie ne dérive d’aucune de ces disciplines et « à aucune d’entre elles elle ne peut se réduire ».


La psychiatrie va donc devoir utiliser — et ce de façon croissante — des références empruntées à des disciplines variées. Certains y voient des motifs d’inquiétude, allant jusqu’à évoquer la menace de l’éclatement, de la « fin de la psychiatrie » (P. Marchais) ; d’autres comme C.J. Blanc y voient l’occasion de préconiser un retour à une certaine clinique relationnelle et une réflexion sur l’intérêt d’une démarche à visée scientifique originale. En effet, on assiste actuellement au sein de la psychiatrie à une « multiplication des sous-spécialités suscitant de nouveaux problèmes avec des apories et des paradoxes et de nouveaux cloisonnements. Le champ de la psychiatrie se présente comme un « patchwork » de théories et de pratiques thérapeutiques qui n’est pas sans évoquer le mythe de Babel ». Dans ces « sarabandes épistémologiques » qui se présentent comme une « quête sans fin d’une inaccessible unité en vue d’un métamodèle et d’une superthéorie encadrante », le retour à la pratique de terrain et à la « réalité des symptômes en direct » est en effet, peut-être, susceptible d’avoir un effet salutaire et de nous donner accès « aux clés d’une interdisciplinarité en acte, fondée sur l’intuition clinique, la perception de l’autre et l’empathie dans une approche médicale à visage humain ». C’est en tout cas l’espoir exprimé par ce psychiatre philosophe qui perçoit l’époque actuelle de façon somme toute positive, faite de mutations et de grands changements survenant enfin après « des décennies d’immobilisme, de dogmatismes, d’affrontements et de querelles de chapelles et de clans ». Le retour à une certaine humilité et à la modestie s’imposait sans doute après le constat d’échec des diverses théorisations proposées et l’observation de « l’impuissance épistémologique des métamodèles des années 1950 et 1960 ». Plus que l’éclatement de notre discipline existe sans doute le danger de son « annexion par les disciplines limitrophes en plein essor » (biologie, sciences du langage et de la communication, intelligence artificielle, cybernétique, anthropologie philosophique, etc.). Les pistes identifiées par C.J. Blanc pour assurer « la survie de la spécialité de la médecine de l’esprit » sont :


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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 28: L’avenir de la psychiatrie

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