20: Psychopathologie de l’adolescent

Chapitre 20 Psychopathologie de l’adolescent




20.1 Introduction


A. Braconnier


La psychopathologie de l’adolescent s’est profondément modifiée au cours des 30 dernières années. Il y a 30 ans l’approche psychopathologique de l’adolescence était dominée par trois grandes questions diagnostiques :



Aujourd’hui si ces trois repères diagnostiques et psychopathologiques restent toujours valides, deux avancées majeures ont marqué l’évolution des conceptions :



Quoi qu’il en soit, la clinique et la psychopathologie de l’adolescence s’inscrivent dans l’étude du développement du sujet, dans son histoire et celle de sa famille, nécessitant de prendre en compte ce qui s’est passé avant, dans l’enfance, et ce qui risquera de se passer ultérieurement à l’âge adulte.


Il existe incontestablement des adolescents qui ont présenté dès l’enfance des troubles psychopathologiques patents manifestes dont l’évolution à l’adolescence amène à considérer qu’il s’agit en effet d’adolescents dont le processus spécifique de développement lié à cet âge s’intrique avec l’organisation psychopathologique précédemment présente. Le devenir des enfants hyperactifs à l’adolescence en est un exemple frappant ; de même, l’enfant présentant une maladie somatique au long cours, diabète, asthme, insuffisance rénale, etc., en devenant adolescent, pose de nouvelles questions.


La clinique nous amène également à rencontrer des adolescents n’ayant pas présenté au cours de l’enfance de troubles manifestes. Nous mettons dans ce cadre les problèmes qui ne sont souvent apparus qu’à l’adolescence comme les troubles des conduites alimentaires et, à moindre degré, des addictions, mais aussi un nombre important de troubles psychotiques aigus, secondaires ou non à un abus de toxiques.


Enfin il existe un troisième groupe d’adolescents rencontrés en clinique : ceux qui présentent essentiellement des troubles des conduites. Ceux-ci ont pu déjà se présenter a minima sous des formes diverses dans l’enfance ou n’apparaître qu’à l’adolescence puis disparaître ou encore inaugurer une organisation psychopathologique stable à l’âge adulte, souvent sous la forme de troubles de la personnalité, en particulier borderline ou/et de troubles de l’humeur.


Aujourd’hui, la prise en compte de la pluralité des modèles de compréhension psychopathologique devient une nécessité pour permettre de répondre et de traiter de façon la plus adaptée et efficiente possible les différents troubles évoqués ci-dessus. Certains troubles peuvent être mieux compris d’un point de vue psychopathologique par un modèle que par un autre mais de plus en plus, quel que soit le trouble, la connaissance des différents modèles explicatifs de la clinique et de la souffrance ressentie par l’adolescent amène à faire des propositions d’accueil et de soin plus adaptées et surtout plus acceptées selon la subjectivité, les représentations personnelles et sociales qu’en ont le sujet et son environnement.



20.2 L’agir, le passage à l’acte



À l’adolescence, l’agir est volontiers considéré comme un mode privilégié d’expression des conflits et des angoisses, s’opposant en cela à la mentalisation [9, 20]. La puberté entraîne une activation de nombreux conflits et est source d’angoisse, que l’adolescent ne peut résoudre sans un travail de mentalisation. Celui-ci demande du temps et succède aux changements corporels qui, auparavant, avaient équipé le corps de capacités d’expression décuplées [1, 14].



Facteurs favorisant l’agir à l’adolescence


Ceux-ci sont nombreux : environnementaux et internes.


Parmi les facteurs environnementaux, se trouvent :



Parmi les facteurs internes, citons :



l’excitation pubertaire caractérisée par une tension physique et psychique qui, pour parvenir à sa détente, doit auparavant trouver son « objet adéquat » [7]. L’adolescent est confronté à un état de frustration transitoire dont il ne peut faire l’économie sauf au travers d’un passage à l’acte ;


l’angoisse : elle resurgit à l’adolescence, et est toujours présente dans le passage à l’acte ;


le remaniement de l’équilibre : pulsions/défenses est la source du passage à l’acte, soit sexuel sous le poids de la pulsion sexuelle génitalisée, so it auto ou hétéroagressif sous le poids des pulsions prégénitales ;


l’antithèse activité/passivité : la peur de la passivité, renvoyant à la soumission infantile et aux tendances homosexuelles, conduit les adolescents à se servir de l’action et de l’affirmation de soi pour nier cette passivité ;


les modifications instrumentales ; le corps acquiert une puissance et une énergie qui poussent à l’agir. Il se transforme et induit un trouble du schéma corporel qui bouleverse sa fonction de construction de l’identité, d’où angoisse et passage à l’acte. Le langage devient à cet âge impropre à traduire ce que ressent l’adolescent, qui doit se forger un nouveau vocabulaire (« Je te kiffe », « Ça me saoule », etc.). La fonction de communication et de contact est aussi perturbée, d’autant que le besoin de communiquer s’accroît à cet age. Ce décalage est source de tension et de décharges motrices.



Passage à l’acte et psychopathologie – Significations


Par opposition aux troubles des conduites intériorisées, le passage à l’acte signe une pathologie des conduites externes agies [20]. Cliniquement on distingue :



Plus spécifiquement, à l’adolescence, trois éventualités diagnostiques [17] sont évoquées :



Nous aborderons ici brièvement les « agir » les plus caractéristiques de l’adolescent, à l’exclusion de ce qui a déjà été traité dans d’autres parties de cet ouvrage, même si — stricto sensu — ces pathologies font aussi partie des troubles de l’agir et du passage à l’acte, comme l’anorexie mentale ou la tentative de suicide, entre autres.


L’agir est un mode de communication : stratégie interactive, l’acte attire l’attention de l’autre. Il est un moyen de révéler une information ou de l’obtenir, que ce soit d’un adulte (l’adolescent interroge l’interdit, les limites) ou de ses pairs (il cherche l’intégration dans un groupe pour favoriser son estime de soi).


L’agir est aussi un mécanisme de défense : forme d’expérimentation au service de la fonction adaptative du Moi, l’agir peut être une forme de solution au conflit. De plus, en passant par l’acte, l’adolescent lutte contre cette passivité ressentie face au bouleversement de la puberté.


L’agir est enfin une entrave de la conduite mentalisée : l’agir s’oppose à la mise en pensée, à la prise de conscience et au ressenti douloureux qui l’accompagne. Les pulsions libidinales au début de l’adolescence sont éclatées, le travail de condensation des pulsions prégénitales et génitales n’est pas encore réalisé : les pulsions ont donc une fonction de déliaison, ce qui va entraver le développement des capacités fantasmatiques du sujet et — par-là — la mentalisation.




Les différentes conduites





Violence [18]


En dehors de toute extériorisation, l’adolescent éprouve une grande violence en lui et autour de lui, ressenti qui apparaît le plus souvent comme une réponse potentielle à la menace narcissique et à la dépressivité. Le monde externe exerce aux yeux de l’adolescent une pression qu’il juge souvent violente.



Hétéroagressivité






Troubles du comportement alimentaire


Classiquement, il s’agit de l’anorexie mentale et de la boulimie nerveuse. En réalité, ces troubles doivent aussi inclure d’autres perturbations des conduites alimentaires, volontiers atypiques, et n’entrant pas toujours dans un cadre précis, mais qui peuvent précéder un tableau de BN ou d’AM : fringale, grignotage, hyperphagie, régime restrictif plus ou moins fantaisiste pouvant conduire au yo-yo pondéral ascendant, repas solitaire pour divers motifs, repas sauté, manœuvres isolées de contrôle de poids, etc. Il est important de les dépister chez l’adolescent avant que ne se constituent des tableaux plus complets et plus fixés.


Plusieurs facteurs concourent à ces désordres de la fonction alimentaire à l’adolescence [5, 11, 16] :



l’augmentation rapide des besoins physiologiques due à la croissance pubertaire. La faim est augmentée, la satiété est modifiée, avec, chez certains, le sentiment de ne plus rien contrôler. L’adolescent est dominé par la sensation de faim et s’en ressent la victime ;


les conduites et les pensées se sexualisant à l’adolescence. Cette sexualisation attribue à la faim, à l’oralité une tonalité à la fois excitante et inquiétante. Tout plaisir – s’il est pris par et dans le corps – risque d’être sexualisé, suscitant une culpabilité affairante, ce qui peut renforcer le sentiment d’aliénation à l’égard du besoin physiologique ;


la recherche d’identifications : l’adolescent est avide d’identification, d’expériences et de rencontres qui lui permettent de se différencier (de ses parents). Cette avidité peut être perçue comme une menace (« toutes ces choses inconnues qui me tentent »), comme une aliénation (« plus j’en ai envie, plus je risque d’y perdre ma liberté »). Face à ce conflit, l’adolescent recourt à la régression et à la maîtrise : la régression aux pensées, plaisirs, buts pulsionnels de l’enfance et particulièrement ceux de l’oralité, permet le retour au connu. La maîtrise vise à rassurer le sujet par le sentiment d’activité et de contrôle qu’il déploie. Les alternances entre phases de boulimie/fringale et de restriction alimentaire illustrent des oscillations entre régression et maîtrise ;


l’interaction familiale [16] : l’adolescent veut s’approprier son corps, qui pendant l’enfance appartenait aux parents, à la mère. Il décide soudainement de ne pas prendre tel ou tel repas. Ce besoin psychique de maîtrise s’oppose donc parfois aux besoins physiologiques.


la symbolique du repas familial : le repas reste le symbole de la qualité des relations entre les membres de la famille. L’adolescent attaque ce symbole, arrive en retard, conteste ce moment, déclenchant une tension importante. De nombreuses adolescentes ne supportent pas le plaisir que leurs parents prennent à manger : ce plaisir trop chargé de connotation sexuelle est insupportable, il faut s’en éloigner. Mangeant seul, l’adolescent rencontre la technologie réfrigérateur – congélateur – micro-ondes qui permet à la fois le stockage et la préparation minute de plats ;


la dimension sociale et culturelle : la société dicte des règles paradoxales. D’une part un discours de réalisation de soi, de satisfaction des besoins et des désirs correspond à une consommation effrénée. D’autre part, les modèles de beauté dictent la loi de la minceur. Les adolescents vont être les premières victimes de ces paradoxes sociaux.


En conclusion on soulignera que manger étant une nécessité pluriquotidienne, les habitudes alimentaires s’installent très vite et quand elles prennent le sens d’un symptôme d’allure addictive, il devient très difficile d’y échapper. En effet, plusieurs fois par jour l’adolescent se retrouve confronté à ce qui devient un objet d’addiction incontournable !



Conduites sexuelles en forme de passage à l’acte : sexualité précoce, sexualité à risque


Certains comportements traduisent une difficulté à intégrer le corps pubère et ses possibilités nouvelles [2, 12, 13]. Seule une minorité de jeunes reconnaît avoir eu des relations sexuelles complètes avant l’âge de 15 ans. L’implication affective est alors le plus souvent superficielle. La fonction de l’acte sexuel apparaît ici principalement narcissique comme un moyen pour le jeune de vérifier la compétence et la fonctionnalité de ses organes sexuels (plutôt chez le garçon), ou d’obtenir un soutien affectif quand l’enfance a été dominée par un contexte abandonnique (plutôt chez la fille).


Toujours, dans ce cas, on note la fréquence des violences subies dans l’enfance (physiques ou sexuelles), et il n’est pas rare que les relations sexuelles précoces se déroulent elles-mêmes dans un contexte de violence. La sexualité précoce s’accompagne souvent d’une agressivité importante, non neutralisée par la libido. Parmi ces adolescents, certains ont des partenaires sexuels multiples ; au plan psychique les jeunes présentent souvent des troubles de la personnalité limite, associés ou non à des antécédents de carence affective ou éducative. Il est en général bien difficile de les engager dans une relation d’aide psychothérapeutique.



Prostitution et adolescence


Les études épidémiologiques montrent une augmentation de la fréquence de la prostitution des mineurs, féminine et masculine. On retrouve chez les adolescents des conditions de vie sociales et économiques qui favorisent le commerce sexuel avec les adultes, ainsi qu’une rencontre avec une « initiatrice », souvent prostituée elle-même, identifiée à une figure maternelle. Leur fréquente immaturité psychoaffective correspond le plus souvent à un évitement d’une sexualité génitale mature avec investissement contraphobique et paradoxal de la séduction que ces adolescents exercent auprès de certains adultes. Cet investissement paradoxal peut aussi être alimenté par la persistance du fantasme de toute puissance sexuelle infantile et par la peur du renoncement à la bisexualité. La mise en jeu du corps associée au défi de la mort peut aussi renvoyer à la mise en acte d’une transgression incestueuse. Un grand nombre d’incestes ou d’autres abus sexuels est retrouvé dans les antécédents des adolescents prostitués. Ces adolescents peuvent être les porteurs d’un secret familial honteux, concrétisé par ce comportement de prostitution. Dans leur prise en charge se dévoile alors souvent une position sacrificielle qui se traduit par un besoin mystique alliant souillure, purification et sacré, autopunition et rédemption. En cela ces adolescents sont particulièrement sujets à des événements tels que les infections sexuellement transmissibles, les grossesses précoces [10], la toxicomanie, les violences sexuelles.





La question de la psychopathie


Émergeant chez le grand adolescent (à partir de 15–16 ans), la psychopathie associe deux ordres de conduites : les unes bruyantes de dyssocialité, les autres moins évidentes, témoins de la souffrance psychique [3, 4].



Impulsivité et agressivité


Les passages à l’acte des psychopathes [3, 20] sont brusques et répétitifs, ils peuvent survenir à la moindre frustration, plus souvent hétéroagressifs, ils sont parfois autoagressifs (tentatives de suicide, scarifications, conduites à risque). Leur gravité et leurs conséquences ne sont aucunement prises en compte si bien que la culpabilité est très fluctuante [7].












Références



[1] Alvin P., Marcelli D. Médecine de l’adolescent. 2e éd Paris:Masson; 2005.


[2] Castagnet F. Sexe de l’âme, sexe du corps. Paris: Centurion, 1981.


[3] Debray Q. Le psychopathe. Paris: PUF, collection Nodules, 1981.


[4] Diatkine G. Les transformations de la psychopathie. Paris: PUF, 1983.


[5] Flament M., Jeammet P. La boulimie. Études et perspectives. Paris: Masson, 2000.


[6] Gibello B. Pathological cognitive disharmony and reasoning homogeneity index. J Adolesc. 1983;6:109-130.


[7] Gutton P. Culpabilité et remords. Adolescence. 2001:805-812.


[8] Jeammet P. Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence. Rev Fr Psychanal. 1980;44:481-522.


[9] Jeammet P. Actualité de l’agir. À propos de l’adolescence. Nouv Rev Psychanalyse. 1985;31:201-222.


[10] Kafe H., Boruard N. Comment ont évolué les grossesses chez les adolescents depuis 20 ans ? Popul Soc. 2000;361:1-4.


[11] Kestemberg E., Kestemberg J., Decobert S. La faim et le corps. Paris: PUF, 1972.


[12] Lagrange H., Lhomond B. L’entrée dans la sexualité. Paris: La Découverte, 1997.


[13] Ladame F., Le développement psychique de l’adolescent et le passage de la sexualité infantile à la sexualité adulte. Arvis G., Forest M.G., Sinonenko P.C., editors, La puberté masculine et ses pathologies. Doin. Paris, 1993;4:71-78. Progrès en andrologie


[14] Laufer M., Laufer M.E. Adolescence et rupture du développement. Paris: PUF, Collection Fil Rouge, 1989.


[15] Le Breton D. La peau et la trace : sur les blessures de soi. Paris: Métailié, 2003.


[16] Lewy J.M. Les parents de l’anorexique. In: Alvin P., editor. Anorexies et boulimies à l’adolescence. Paris: Doin; 2001:62-66.


[17] Marcelli D. Enfants tyrans et violents. Bull Acad Natl Med. 2002;186(6):991-1109.


[18] Marcelli D., Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. 5e éd Paris:Masson, Collection Les âges de la vie; 2004.


[19] McKibben A., Jacob M. Les adolescents. In: Aubut J., editor. Les agresseurs sexuels. Théorie, évaluation et traitement. Montréal: Éditions de la Chenelière; 1993:267-279.


[20] Millaud F. Le passage à l’acte : aspects cliniques et psychodynamiques. Paris: Masson, 1998.



20.3 Les troubles affectifs à l’adolescence



Les troubles affectifs chez l’enfant et l’adolescent appartiennent à un registre se trouvant sur une ligne de crête entre le normal et le pathologique et ne peuvent être appréhendés que dans une perspective développementale. Devant toute manifestation anxieuse ou dépressive à l’adolescence, le clinicien a le souci d’en évaluer le caractère pathologique eu égard à l’importance du vécu douloureux exprimé par l’adolescent et sa famille, et au retentissement de ce dernier. En effet, certains troubles évoqués parfois a minima mettent en péril les investissements affectifs, scolaires, sociaux d’un adolescent qui risque d’être en rupture avec son environnement. La banalisation de telles manifestations, « diluées » trop vite dans une problématique adolescente, constitue l’une des raisons pour lesquelles les troubles affectifs à l’adolescence sont sous-diagnostiqués et donc sous-traités.



Troubles anxieux



Description


L’anxiété est un sentiment qui appartient au registre émotionnel normal et fait partie intégrante du processus de maturation de l’enfant et de l’adolescent. Néanmoins elle peut s’avérer pathologique et constituer un motif fréquent de consultation, de par son caractère invalidant. Dans ce cas, son évaluation doit prendre en compte :



Il convient aussi de s’interroger sur la valeur du symptôme pour l’adolescent et son entourage et du décalage entre son moment d’apparition et le moment de la consultation ; le symptôme peut avoir été un temps respecté de par son inscription particulière dans une dynamique relationnelle et familiale. La première consultation peut faire suite à une majoration de la souffrance de l’adolescent, ou au déséquilibre de la dynamique évoquée précédemment.


En référence au DSM-IV, les troubles anxieux comportent plusieurs entités cliniques.




Attaque de panique ou crise d’angoisse aiguë


Cette crise à début spontané et paroxystique, et qui atteint son acmé en quelques minutes, comporte des signes psychiques associés à une symptomatologie somatique (cf. chapitre 11). Le trouble panique correspond, quant à lui, à la survenue de manière récurrente et inattendue d’attaques de panique, associée à la crainte anticipatoire, durant au moins un mois, d’en être à nouveau victime, crainte qui peut avoir pour conséquence une modification, dans le sens d’un protectionnisme, de l’habitus du sujet. T.H. Ollendick [13] souligne que la symptomatologie d’un tel trouble apparaît chez l’adolescent de manière moins franche et moins tranchée que chez l’adulte où elle peut facilement mimer une pathologie organique et notamment un infarctus du myocarde. Par ailleurs la crise répond souvent à une situation ou un événement à connotation anxiogène pour le sujet. Il faut noter que chez l’adolescent la sémiologie d’un tel trouble peut évoquer la spasmophilie, entité dont la validité nosographique est plus que discutable. En conséquence, comme le souligne A. Braconnier [1], bon nombre d’adolescents étiquetés « spasmophiles » ne bénéficient pas de soins adéquats. L’étude de V. Reed et al. [15] réalisée en population générale sur 3 021 adolescents et jeunes adultes âgés de 14 à 24 ans, indique que la prévalence du trouble panique est de 1,6 % et que la moitié d’entre eux souffre d’une agoraphobie qui peut se traduire par une déscolarisation. L’étude de G. Masi et al. [12] révèle que dans une population d’adolescents suivis en neurologie et en psychiatrie, 10,4 % présentent un trouble panique. Cette pathologie invalidante touche donc fréquemment les sujets jeunes, chez qui elle a pour conséquence un retentissement important sur le plan social et notamment scolaire.


Enfin, il est important de préciser que chez un adolescent souffrant de trouble panique, il faut évaluer une consommation de toxiques ou d’alcool, et que la recherche d’une comorbidité avec un trouble dépressif et l’évaluation d’un risque suicidaire sont de rigueur. À ce sujet l’étude de D.J. Pilowski et al. [14] indique de manière significative que les adolescents souffrant d’un trouble panique expriment plus d’idées suicidaires et présentent plus d’antécédents de suicide que les autres.







Trouble obsessionnel compulsif


L’importance épidémiologique d’un tel trouble et son retentissement patent ne sont pris à leur juste mesure que depuis ces 20 dernières années. Si des symptômes obsessionnels sont fréquents à l’adolescence, la prévalence du TOC chez l’enfant et l’adolescent est de 0,3 à 2 %. Cette fourchette révèle la difficulté de situer la limite entre le normal et le pathologique [6]. Le TOC est défini par l’existence de deux séries de symptômes :




Syndrome de stress post-traumatique


Ce syndrome regroupe un ensemble de manifestations anxieuses sous-tendues par l’exposition du sujet, en tant que témoin ou victime, à un événement dont le caractère traumatique est défini par la confrontation à une menace de mort ou à une menace relative à l’intégrité physique. « La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. » (DSM-IV) Ce trouble peut apparaître après un intervalle libre allant de quelques jours à plusieurs années. Le sujet est soumis à une remémoration sous forme de flash-back ou de cauchemars de l’événement traumatique et des émotions qui lui sont associées. Chez l’adolescent, ce syndrome peut être secondaire à des situations de mauvais traitements répétés ou d’abus sexuel.


L’expression anxieuse à l’adolescence semble présenter certaines particularités :



J.G. Elliott [5] précise que si l’on suit le DSM-IV, les principaux diagnostics posés face à un tel trouble sont, à côté de l’anxiété de séparation, la phobie simple, la phobie sociale et le syndrome dépressif majeur. Évoquons enfin le syndrome de menace dépressive à l’adolescence, décrit par A. Braconnier [2], dans un entre-deux entre troubles anxieux et dépressifs, par l’apparition plus ou moins brutale d’une appréhension concernant l’avenir, pouvant aller jusqu’à la crainte intense de se sentir envahi par des affects dépressifs et l’apparition d’une idéation suicidaire. L’angoisse et un climat de tension physique et psychique sont l’expression d’une lutte constante contre l’envahissement dépressif. Ce mouvement défensif peut s’exprimer sous forme de colère, de conduites agies ou de plaintes somatiques, et peut de fait précéder ou masquer chez l’adolescent une véritable dépression.




Dépression et conduite suicidaire à l’adolescence


Par sa fréquence et sa morbidité, la dépression de l’adolescent pose un problème de santé publique majeur, et ce d’autant que son intrication aux conduites suicidaires est très fréquente. La dépression et la conduite suicidaire chez l’adolescent présentent, au plan du traitement et des conduites de prévention, un certain nombre de spécificités, se distinguant clairement de la dépression du jeune adulte [9]. Dans le champ de la dépression, on distingue schématiquement deux tableaux cliniques différents : l’épisode dépressif majeur, qui est aigu et franc, et le trouble dysthymique, qui est marqué par une symptomatologie plus larvée et chronique. Ces deux tableaux peuvent coexister chez un même adolescent.



Épidémiologie


La prévalence de la dépression à l’adolescence oscille en fonction des études en population générale entre 2 et 5 %. Le sex ratio est de deux filles pour un garçon à partir de l’âge de 15 ans. Chez les plus jeunes, la dépression est aussi fréquente chez les filles que chez les garçons [8]. La dysthymie, forme chronique et modérément sévère de dépression, est largement sous-estimée, alors que ses conséquences à l’adolescence sur le plan de l’insertion psychosociale sont tout aussi sévères que pour la dépression majeure [7]. Enfin, le risque de récidive après un épisode dépressif varie de 35 à 55 % dans les 4 ans qui suivent le premier accès.


Concernant les conduites suicidaires à l’adolescence, 800 à 1 000 jeunes (15–24 ans) meurent chaque année en France. Le suicide constitue la deuxième cause de mortalité dans cette tranche d’âge. Les tentatives de suicide (TS) sont évidemment beaucoup plus fréquentes. On estime à 40 000 leur prévalence annuelle parmi les 15–20 ans. Si les garçons décèdent de suicide deux à trois fois plus que les filles, celles-ci font deux à trois fois plus de tentatives de suicide que les garçons. Dans 80 % des cas, les jeunes suicidants ont absorbé des médicaments. Sur le plan épidémiologique, on note clairement une corrélation entre idées et tentatives de suicide, surtout si les idées suicidaires perdurent. En effet, le ratio idée de suicide/TS se situe autour de quatre. Il semblerait que 8 % des garçons et 13 % des filles pensent souvent au suicide, et que parmi eux 41 % auraient fait une TS [3].


Dépression, idéation et passage à l’acte suicidaire sont chez l’adolescent fortement corrélés puisque, en fonction des études, 25 à 75 % des adolescents rencontrés au décours d’une tentative de suicide présentent un épisode dépressif patent.



Aspects cliniques


Les signes cliniques cardinaux de la dépression de l’adolescent sont proches de ceux décrits chez le sujet adulte (cf. chapitre 11). En dehors de la dépression majeure dont les signes varient peu en fonction de l’âge, la clinique de la dépression chez l’adolescent est polymorphe, certaines conduites pathologiques pouvant occuper le devant de la scène. C’est le cas du syndrome de menace dépressive où l’adolescent exprime parfois un sentiment d’ennui, de morosité tel qu’il a été décrit par P. Mâle [11]. Les signes cliniques qui peuvent être sous-tendus par une souffrance dépressive, et qui apparaissent seuls ou en association, sont :



Au sujet des adolescents qui présentent des idées suicidaires, les plaintes semblent équivalentes à celles rencontrées dans la dépression. Ajoutons que si l’idéation suicidaire revêt un caractère pathologique, elle ne correspond pas toujours pour l’adolescent à un désir de mort lié de près ou de loin à un mouvement dépressif.



Traitement


Il semblerait utopique de vouloir proposer une synthèse des différentes pratiques thérapeutiques utilisées, même s’il s’agit dans tous les cas de distinguer les soins dans un contexte d’urgence de la prise en charge à moyen ou à long terme.


La question de l’hospitalisation se pose lorsqu’il existe un risque de rupture franche de l’adolescent avec son environnement. C’est le cas devant un risque suicidaire, ou lorsque l’épuisement de l’entourage, qu’il soit scolaire, éducatif et/ou familial, est patent. De plus l’hospitalisation, systématiquement préconisée après un passage à l’acte suicidaire, a notamment pour but d’éviter une éventuelle récidive qui malheureusement se produit dans un tiers des cas, et la même année dans plus de la moitié des cas.


La psychothérapie, quelle que soit sa modalité, est l’abord thérapeutique de référence et de première intention. Sa finalité est d’engager l’adolescent dans une démarche active, de traiter le trouble thymique, mais aussi de tenter d’en prévenir la chronicisation ou les éventuelles rechutes. L’utilisation des psychotropes est limitée à cet âge, d’autant plus que leur efficacité reste débattue et qu’une augmentation des passages à l’acte suicidaire en début de traitement a été démontrée dans des méta-analyses [16]. Le tableau 20.1, proposé par D. Cohen et al. [4], offre une conduite à tenir concernant l’évaluation et le traitement d’un adolescent déprimé.


Tableau 20.1 Conduite à tenir pour l’évaluation et le traitement d’un adolescent déprimé






(1) Manager le risque suicidaire si nécessaire

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 20: Psychopathologie de l’adolescent

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