24: Les thérapeutiques psychologiques

Chapitre 24 Les thérapeutiques psychologiques




24.1 Introduction




Une question de définition


Pour la présentation de cette partie du Manuel, le terme de thérapeutiques psychologiques a été préféré à celui de psychothérapie. Ceci permet de prendre en compte des méthodes de natures diverses pour lesquelles des praticiens considèrent comme inapproprié le terme de psychothérapie. Le terme de thérapeutique psychologique accorde plus de place à des méthodes de l’ordre du conseil et de la rééducation fonctionnelle. On peut toutefois adopter une vue unitaire du champ en définissant la psychothérapie avec J. Laplanche et J.B. Pontalis : comme « toute méthode de traitement des désordres psychiques ou corporels utilisant des moyens psychologiques et, d’une manière plus précise, la relation du thérapeute et du malade. » [1]


Dans ce cadre, on peut distinguer trois formes de procédures thérapeutiques :



Mais ces procédures interviennent souvent de concert dans de nombreuses situations de psychothérapie, en dépit des principes théoriques et techniques propres à la méthode.



Quelques principes cliniques généraux


L’engagement dans une psychothérapie nécessite de prendre en considération trois facteurs :



Quelle relation y a-t-il entre la pratique psychothérapique et les autres formes de prise en charge ? S’agit-il de complémentarité ou d’exclusion réciproque ? Y a-t-il une séquence temporelle unissant ces deux approches ? Face à la souffrance psychique, vers quelle démarche se tourner en premier lieu ? Doit-on les associer ? Et si oui, quand et dans quel ordre ? Voici quelques questions pour lesquelles il n’y a pas de réponse univoque. C’est en examinant chaque situation particulière qu’il conviendra de préciser ce que l’on peut attendre d’une approche plutôt que d’une autre.


Schématiquement, on peut tenter d’éclairer le choix en prenant en considération les éléments suivants :



Quelle que soit la stratégie psychothérapeutique choisie, il faut prendre en compte trois ordres d’objectifs :




L’évaluation des pratiques et des compétences


Deux questions de fond se posent actuellement : l’évaluation des soins et le statut scientifique et professionnel des praticiens. Comment définir le champ des pratiques, et donc de compétence des professionnels ? Si l’on écarte la visée thérapeutique de l’acte, ce champ risque d’être illimité car, alors, quelle forme d’aide psychologique, sociale, religieuse, pourrait en être exclue ? Il convient de prendre conscience de l’ampleur des problèmes que pose le maintien de l’acte psychothérapique dans le cadre des thérapeutiques et celui de la psychopathologie. Du point de vue de la formation, la réponse est claire : la compétence du psychothérapeute s’inscrit dans une formation psychopathologique et la complète. C’est dire qu’elle s’offre naturellement comme spécialisation seconde, greffée sur une formation antérieure, soit médicale, soit psychologique, réalisant une forme de troisième cycle. Ceci n’empêche nullement des systèmes très ouverts d’équivalence permettant à des personnalités d’autres formations scientifiques et professionnelles d’exercer des actes psychothérapeutiques, à la condition d’acquérir la compétence clinique nécessaire.


La différenciation entre processus spécifique et non spécifique demeure plus délicate. Il s’agit de savoir si tous les psychiatres doivent ou peuvent acquérir une formation psychothérapique. On distinguera ici une formation générale, non spécifique, différente d’une réelle spécialité de psychothérapeute. Bien entendu, il ne s’agit pas de réduire l’application de la psychothérapie au seul traitement des troubles mentaux avérés. Il ne s’agit pas de nier l’utilité des psychothérapies chez des sujets présentant de simples difficultés psychologiques retentissant sur leur vie personnelle, professionnelle et sociale. Enfin, la question demeure irrésolue de distinguer les cas où la psychothérapie est une nécessité thérapeutique absolue de ceux où elle s’avère un complément utile ou simplement satisfaisant. Certes, il s’agit là d’une question de nature administrative et économique mais qui appelle le développement de recherches systématiques, selon des méthodes scientifiques à développer.




24.2 Les thérapies psychanalytiques




Description


On distingue classiquement la cure psychanalytique ou cure « type » et les psychothérapies d’inspiration psychanalytique (PIP). Elles ont en commun de se référer à la même théorie du fonctionnement psychique mais se distinguent par des différences de méthode : l’organisation du cadre thérapeutique et la technique thérapeutique. Il n’y a toutefois pas de frontière nette entre les deux méthodes car de multiples aménagements intermédiaires sont possibles. Pour cette raison nous ne les étudierons pas séparément mais nous verrons, pour chaque paramètre, ce qui est nécessaire pour une cure psychanalytique et comment des aménagements conduisent à des pratiques qui s’en écartent tout en conservant l’inspiration psychanalytique. Les PIP ne sont pas à entendre comme des cures de moindre qualité, ce sont des cures à objectifs différents. Il peut s’agir, selon la formule de D. Widlöcher, de psychothérapie en moins ou de psychothérapie en plus [10, p. 16]. « En moins », ce sont des psychothérapies allégées, choisies soit par prudence pour des cas graves qui risqueraient de se décompenser, soit parce que le cas paraît léger, soit à cause du manque de motivation du patient, et « en plus », ce sont des méthodes qui ajoutent certaines contraintes comme la limitation dans le temps ou certains interdits.



Les fondements théoriques


Ce sont les mêmes pour les cures psychanalytiques et pour les PIP mais avec parfois un accent particulier mis sur telle ou telle notion.



La conception du fonctionnement affectif


Elle est commune, elle est certes plus complète pour les cures types que pour les PIP mais reste de même nature. Dans ce fonctionnement psychique, la sexualité occupe une place centrale. Son domaine ne se limite pas à la génitalité mais englobe toutes les excitations qui, depuis l’enfance, sous des formes diverses, ont provoqué et provoquent un plaisir. Elle ne se limite pas non plus à la perception de ces plaisirs mais concerne les représentations qui y sont liées. Parmi elles, le « complexe d’Œdipe » occupe une place déterminante, il est vécu par tout être humain entre 3 et 5 ans et joue un rôle fondamental dans la structuration de la personnalité. Toute psychothérapie s’inspirant de la psychanalyse tiendra compte de l’organisation œdipienne du patient et l’abordera à des niveaux de profondeur différents selon ses possibilités.


La théorisation se réfère aux concepts topique, dynamique et économique du psychisme qu’a élaborés S. Freud [7]. Le point de vue topique suppose que l’appareil psychique est divisé en plusieurs systèmes ayant des fonctions différentes. S. Freud a proposé successivement deux topiques, la première dans laquelle la distinction majeure se fait entre Inconscient, Préconscient et Conscient, la seconde différenciant trois instances : le Ça, le Moi, le Surmoi [9]. Pour la conduite d’une cure, les deux sont utiles, pour les PIP c’est surtout la première. Freud l’explique en comparant le psychisme à un appartement composé d’une pièce très peu accessible (lieu de l’inconscient), séparée par une antichambre (le préconscient) de la pièce de réception (le conscient). Le passage du contenu d’une pièce dans une autre est freiné par deux censures, la première entre l’inconscient et le conscient, la seconde entre le préconscient et le conscient. La première est la plus sévère, on l’appelle le refoulement, la deuxième est plus facile à forcer. Aussi le préconscient sera-t-il le domaine privilégié auquel auront accès les PIP alors que les cures analytiques viseront surtout l’inconscient. Cette notion de double censure sous-tendra, comme nous allons le voir, les méthodes thérapeutiques puisque le processus thérapeutique nécessite que ce qui était inconscient ou préconscient devienne conscient. Le point de vue dynamique envisage les phénomènes psychiques comme résultant du conflit et de la composition de forces exerçant une certaine poussée [9]. Toute psychothérapie s’inspirant de la psychanalyse se centrera sur la découverte et la résolution de ces conflits. Le point de vue économique se rapporte à l’hypothèse selon laquelle les processus psychiques consistent en la circulation et la répartition d’une énergie dite pulsionnelle [9]. Cette notion n’est pas essentielle pour les PIP.



La conception de la maladie


La maladie psychique est conçue comme la résultante de conflits psychiques inconscients. La psychanalyse ne considère pas que c’est le cas pour toutes les maladies, elle sait qu’il existe d’autres causes, notamment biologiques et elle n’envisage de traiter que celles qui relèvent de ces conflits. Pour les autres, elle peut jouer un rôle dans la mesure où des facteurs psychologiques sont associés aux facteurs biologiques mais c’est alors seulement un rôle complémentaire. Le schéma pathogène qui sert de modèle à ces pathologies est celui d’un traumatisme dans la petite enfance, au cours du développement libidinal, provoquant un blocage du processus évolutif. Cette fixation entraîne une perversion si elle se maintient sans changement et une névrose si le surmoi intervient pour la contrôler et la maîtriser. Ces fixations ne sont pas toujours apparentes dès l’enfance mais peuvent constituer des vulnérabilités et se révéler à l’occasion de régressions dues à des difficultés ou des traumatismes plus tardifs. La référence à ce modèle est commune à la cure classique et aux PIP.


Les symptômes sont considérés comme des formations de compromis entre des fantasmes inconscients qui, sous l’influence des pulsions, cherchent à accéder à la conscience et le contrôle vigilant qu’exerce la censure. On sait en effet que le surmoi chasse de la conscience et refoule les représentations qui lui sont intolérables. Il essaie de les maintenir dans l’inconscient et y parvient en grande partie mais il n’est pas tout puissant et certaines d’entre elles affleurent à la conscience. La censure met alors en œuvre des mécanismes de défense complémentaires pour camoufler ces représentations et les rendre plus acceptables. Ces mécanismes sont multiples : l’inversion, le renversement en son contraire, l’isolation de la représentation en la séparant des affects qui lui sont liés, son déplacement sur d’autres représentations plus anodines, sa négation, sa projection en l’attribuant à une autre personne, sa sublimation, son association à un élément conscient pour en faire une formation réactionnelle qui est un symptôme pathologique. De tels mécanismes protègent le moi de la tension psychique que cette émergence de l’inconscient provoquerait et lui procure ainsi un certain confort mais ils consomment beaucoup d’énergie et sont par-là appauvrissants. C’est en fonction de cette théorie de la maladie et de la formation des symptômes que les méthodes thérapeutiques ont été élaborées.



La conception du processus thérapeutique


La maladie étant due à des conflits psychiques inconscients, le traitement vise à résoudre ces conflits et pour cela il faut d’abord qu’ils soient reconnus par la conscience. S. Freud a écrit : « Là où était du ça, du moi doit advenir » (Wo Es war, soll Ich werden) [7, p. 163]. Le symptôme étant une formation réactionnelle qui cache un souvenir ou un fantasme inconscient, il s’agit de retrouver ce souvenir ou ce fantasme. La thérapeutique repose sur le principe de réversibilité. Le mécanisme de guérison est l’inverse du mécanisme pathologique. D. Widlöcher appelle cela l’« équation fondamentale » : « Elle rend compte de la genèse du symptôme (équation étiologique) et du processus de guérison (équation thérapeutique). Dans le premier cas, le symptôme se substitue au souvenir, dans le second c’est le souvenir qui se substitue au symptôme. » [11, p. 8] La technique thérapeutique doit donc, dans un premier temps, faciliter la remémoration. Cela paraît facile puisqu’il suffit de donner libre cours à ce qui se présente à l’esprit mais c’est en réalité difficile car cela se heurte à des résistances. Le refoulement n’est pas un banal oubli mais le rejet d’une représentation intolérable. Il faut donc identifier et analyser les résistances pour permettre le retour du refoulé. Nous verrons plus loin comment. Cela permet ensuite aux conflits et désirs inconscients d’affleurer à la conscience et d’être interprétés.


L’interprétation est-elle le seul levier thérapeutique ? Freud écartait la suggestion, elle n’intervient pas en effet dans une cure classique mais peut s’infiltrer dans les PIP. Un autre mécanisme peut intervenir, c’est un processus de « réparation ». Au cours de toute psychothérapie, le sujet éprouve des émotions multiples. La neutralité bienveillante de son thérapeute crée une ambiance comparable à celle des relations précoces de la mère et de l’enfant, elle est gratifiante et peut compenser et « réparer » des carences affectives.




Le cadre


Le matériel psychologique sur lequel vont travailler l’analysant et l’analyste est l’ensemble des productions venant du préconscient et surtout de l’inconscient parmi lesquelles le transfert que l’analysant fait sur son analyste occupe une place centrale. Il est donc important de créer un cadre facilitant cette émergence et la protégeant d’influences parasites. Dans toute relation, un sujet éprouve des sentiments et se fait une opinion sur son interlocuteur, il le trouve sympathique ou désagréable, intelligent ou borné, il évalue son caractère, il imagine ce que l’autre pense de lui… Cette construction affective et intellectuelle dépend à la fois de la personnalité du sujet (ce qu’on appelle le transfert) et de réactions aux événements qui se produisent dans la relation. Au cours d’une analyse, il en sera de même. Or, l’important étant ce qui vient du sujet, il convient de limiter le plus possible l’influence des événements extérieurs. D’où certaines dispositions.



La règle d’abstinence


Si l’analysant a des informations sur son analyste, s’il le rencontre en dehors des séances, si celui-ci intervient dans sa vie, son transfert ne sera plus le pur produit de ses fantasmes. Abstinence veut dire évitement, autant que possible, d’échanges entre l’analyste et l’analysant faisant intervenir des éléments de réalité. L’analysant ne doit pas connaître l’analyste auquel il s’adresse, il ne doit pas chercher à le rencontrer en dehors des séances et celui-ci doit rester neutre, ne pas intervenir dans la vie de son patient, ne pas lui donner de conseils, ne pas lui prescrire de médications. Cette règle s’impose ainsi aux deux partenaires. Elle est une exigence pour l’analysant et une limite de pouvoir pour l’analyste. Elle s’étend aussi aux décisions que peut prendre l’analysant et aux démarches qu’il peut faire. Il est en effet souhaitable qu’il ne prenne pas de décisions importantes pour sa vie pendant sa cure (car elles peuvent être prises pendant une période de crise), qu’il ne cherche pas à s’informer sur les théories psychanalytiques (leur connaissance sert plus les résistances que le processus thérapeutique), qu’il ne s’engage pas dans des « transferts latéraux » en consultant d’autres thérapeutes (nouvelle source de résistance). Cette règle est énoncée en début d’analyse. Elle n’est pas toujours totalement respectée. Si le sujet l’enfreint, cela pourra parfois rendre impossible la poursuite de la cure mais pourra souvent être analysé sur le divan car ces infractions sont révélatrices de fantasmes inconscients. Les libertés qui peuvent être prises par rapport à cette règle conduisent à s’écarter de la cure type et à s’orienter vers des formes de PIP. De multiples situations thérapeutiques sont possibles : psychiatre conduisant une psychothérapie tout en prescrivant des médicaments ou en intervenant dans sa vie, relations amicales entre le sujet et son thérapeute, etc. Plus il y a de dérogations à la règle d’abstinence, plus le transfert est parasité par des réactions à des événements et moins le cadre est propice à l’émergence de matériel inconscient.




Le nombre et la durée des séances


Pour que le processus analytique soit soutenu, il faut un nombre de séances suffisant et une durée de chacune suffisante. Freud recevait ses patients une heure six fois par semaine, actuellement les fréquences les plus habituelles sont de trois ou quatre séances par semaine. Les plus rigoristes réalisent ces séances des jours différents mais certains analystes acceptent parfois de pratiquer deux séances dans une même journée (par exemple avec des analysants habitant loin de leur analyste et pour qui trois ou quatre voyages par semaine entraîneraient une dépense et un effort excessifs). Chaque séance doit être suffisamment longue pour donner le temps au travail psychique de s’élaborer. Elle est généralement de 45 min. La durée de la cure n’est pas fixée à l’avance, il est en effet impossible de prévoir à quelle vitesse va se dérouler le travail psychanalytique : il y a des phases évolutives et des phases de stagnation en fonction des résistances et il faut laisser le temps nécessaire à cette évolution. Il est important que la durée des séances soit fixe et que les horaires soient stables. Si l’analyste interrompt la séance quand il le décide et s’il modifie souvent les horaires, il introduit des éléments de réalité et des manifestations de pouvoir qui provoquent dans le transfert des réactions venant s’ajouter au processus spontané et le perturber. Dans les PIP, la fréquence des séances est toujours plus faible, en moyenne une fois par semaine et leur durée est variable, souvent d’une demi-heure. Il faut signaler la technique préconisée par J. Lacan et utilisée par les psychanalystes qui se réfèrent à son enseignement : elle conserve les trois ou quatre séances par semaine mais celles-ci sont courtes (parfois de 5 min) et de durée variable. Ces analystes estiment qu’il s’agit toujours de psychanalyse mais cette pratique ne peut que modifier grandement la dynamique de la cure. Dans certaines PIP, la durée du traitement est fixée au départ. Par exemple, E. Gilliéron préconise une méthode qu’il appelle « psychothérapie psychanalytique brève » dans laquelle le thérapeute annonce en début de traitement quelle sera sa durée (6 mois à 1 an) [8].



Le paiement des séances


Il doit être assumé par l’analysant pour deux raisons qui semblent opposées, l’une semblant une facilité et l’autre une difficulté, mais qui sont complémentaires. La dynamique de la cure nécessite un certain degré de frustration. Le travail dans lequel s’engage celui qui entreprend une analyse est difficile et même douloureux ; il veut progresser puisqu’il a pris cette décision mais des forces en lui résistent et si une personne lui consacre, gratuitement, trois à quatre fois par semaine, 45 min de son temps ou si un organisme ou une personne prend en charge ses frais, il est dans une situation gratifiante qui ne l’incite pas à affronter ses obstacles intérieurs. Cela le met aussi dans une position de débiteur qui peut être lourde à supporter. Assumer les frais de sa cure est stimulant et libérateur de toute dette. S. Freud l’avait noté : « Bien des résistances du névrosé sont énormément accrues par le traitement gratuit… » [4, p. 173]. Il est également important que soient payées toutes les séances prévues même si elles ont été manquées. On constate en effet que, la plupart du temps, si la raison ou le hasard qui motive l’absence semble indépendant du sujet, il a, en fait, des motivations inconscientes. La « force majeure » en jeu, est la force de l’inconscient. Le paiement de ces séances facilite l’analyse de cette résistance. Et d’ailleurs l’application de cette mesure rend ces raisons et ces hasards très rares [4 p. 167]. Il y a des raisons sociales qui rendent impossible le respect de cette règle, cela ne veut pas dire qu’une psychothérapie est impossible mais seulement qu’elle devient une PIP. S. Freud lui-même avait envisagé la possibilité de traitements gratuits : « C’est alors que s’offrira à nous la tâche d’adapter notre technique aux nouvelles conditions… Nous serons obligés d’allier abondamment l’or pur de l’analyse au cuivre de la suggestion directe… » [6, p. 108]. On voit qu’il conçoit que la gratuité entraîne le retour à la suggestion.



La technique


Une fois le cadre mis en place, l’application de la technique devient possible.



La règle fondamentale


Elle est destinée à faciliter les associations d’idées. Dans la cure classique la seule règle donnée à l’analysant en début de traitement est de dire ce qui lui vient à l’esprit, sans faire de tri, sans écarter ce qui lui est désagréable ou qui lui paraît sans intérêt ou hors de propos, sans chercher à organiser son discours et à lui donner de la cohérence [4]. Si le souvenir d’un rêve lui revient, il convient qu’il le raconte puis qu’il laisse libre cours aux idées ou souvenirs qui se présentent spontanément [1]. Cette règle vaut autant pour les PIP que pour les cures analytiques mais elle y est parfois appliquée avec moins de rigueur. Elle y est pourtant tout aussi possible et tout aussi utile.



La névrose de transfert et son analyse


Le discours du patient, fait de ses souvenirs et de ses associations, est un matériel essentiel pour l’analyse mais il est limité par la résistance. Heureusement, l’ inconscient a une autre façon de se manifester. Il le fait par des mises en actes, c’est-à-dire par le transfert. L’analysant adopte un comportement vis-à-vis de son analyste qui répète des comportements anciens refoulés : « ses inhibitions, ses attitudes ne servant à rien, ses traits de caractère pathologiques. » dit S. Freud [5, p. 191]. C’est l’importance de ce processus et l’intérêt d’en conserver la pureté qui justifient la rigueur du cadre. Ce retour de réactions passées amène le plus souvent une certaine aggravation qu’on appelle névrose de transfert. Elle est bénéfique pour le traitement car elle apporte du matériel analysable. C’est « une maladie artificielle qui est en tout point accessible à nos interventions. » [5, p. 194]. L’analyse de ces répétitions ouvre la voie au réveil de souvenirs jusqu’ici refoulés. « Le transfert crée ainsi un royaume intermédiaire entre la maladie et la vie, à travers lequel s’effectue le passage de la première à la seconde ». La névrose est remplacée par une névrose de transfert qui peut être guérie par le travail thérapeutique. La place du transfert est toutefois très différente dans les cures analytiques et dans les PIP. Dans celles-ci, il est souvent fait de sentiments de confiance et d’estime et il facilite l’engagement du sujet dans son traitement. Dans les cures analytiques, le travail plus en profondeur fait surgir un transfert beaucoup plus complexe, avec des sentiments hostiles, passionnels et érotiques, qui sont dus à des sources archaïques et à des résistances. Le patient attribue ses réactions à la situation présente et refuse d’y voir une répétition. Le transfert est donc d’abord « la plus forte résistance contre le traitement » et il deviendra ensuite, lorsqu’il sera analysé, « le levier le plus puissant du succès » [2, p. 109]. Il provoque chez l’analyste des réactions affectives que l’on appelle contre-transfert. Elles tiennent en partie à sa personnalité mais en partie seulement car elles sont provoquées par l’inconscient de l’analysant. Son psychisme fonctionne comme une caisse de résonance et l’analyse qu’il peut faire de ses propres réactions l’éclaire sur la dynamique transférentielle qui se joue entre son patient et lui.



La neutralité bienveillante et l’attention flottante


L’ attitude du thérapeute doit faciliter ce travail de remémoration et de répétition. Elle ne doit pas y introduire des éléments parasites et elle doit être à son écoute. La formule freudienne : neutralité bienveillante met en évidence cette association de disponibilité et de réserve. La réserve n’est pas que l’abstention d’interventions, elle est aussi une certaine distance par rapport à l’analysant. S. Freud dit bien « La justification de cette froideur de sentiment exigible de l’analyste est qu’elle crée pour les deux parties les conditions les plus avantageuses, pour le médecin la préservation souhaitable de sa propre vie d’affect, pour le malade l’aide la plus étendue qu’il soit possible de lui donner. » [3, p. 149]. Cette exigence de neutralité est moins impérieuse pour les PIP. Il est une autre prise de distance, celle-ci d’ordre intellectuel. Il n’est pas souhaitable que l’analyste concentre son attention, cherche à tout comprendre et à tout retenir de ce que dit l’analysant. Il vaut mieux qu’il ait une attention flottante, qu’il écoute « sans se soucier de savoir s’il porte ou non attention à quelque chose » [3, p. 146]. Il ne doit rien privilégier car ce sont souvent des choses qui paraissent insignifiantes qui sont les plus révélatrices. Freud disait : « réussissent le mieux ces cas où l’on procède comme sans intention, où l’on se laisse surprendre par chaque tournant et qu’on affronte constamment sans prévention et sans présupposition » [3, p. 148]. Ce conseil concerne moins les PIP que la cure analytique mais reste valable pour elles.



L’interprétation


Elle est la technique psychanalytique par excellence, encore faut-il préciser à quel niveau elle s’applique, sur quoi elle porte, ce qu’elle provoque et qui la fait. On pense généralement qu’elle ne concerne que l’inconscient et pas le préconscient. En fait elle concerne les deux. Dans les PIP, le travail sur le préconscient prédomine, dans les cures analytiques, c’est celui sur l’inconscient. L’interprétation du préconscient est plus facile. Elle porte sur les représentations qui ne sont pas très éloignées de la conscience et qui sont protégées par une faible censure. Celle qui concerne l’inconscient est autrement difficile et justifie les règles strictes qui ont été établies pour le cadre et pour l’attitude recommandée à l’analyste. L’interprétation porte sur l’ensemble du matériel analytique : le discours de l’analysant, ses rêves, son transfert. Le discours ne se limite pas à ce qui est énoncé, mais comprend aussi les émotions qui l’accompagnent, les hésitations, les lacunes, etc. Le but de l’interprétation est « d’amener le malade névrosé à la connaissance des motions refoulées, inconscientes, existant en lui et, à cette fin, de mettre à découvert les résistances qui se rebellent en lui contre de telles extensions de ce qu’il sait de sa personne » [6, p. 99], mais il ne suffit pas que l’analyste apporte une interprétation pour qu’elle soit acceptée, même — et surtout — si elle est exacte car la force du refoulement est telle que l’analysant résiste. Souvent elle a pour seul effet de relancer les associations, ce qui est déjà bénéfique, et prépare une réflexion future. Elle n’aura son plein effet que lorsque le sujet aura réalisé le travail psychique que nous allons envisager maintenant.





Résultats des études



Les psychothérapies psychanalytiques ont fait l’objet de nombreuses études d’évaluation, portant sur leurs résultats en référence aux objectifs poursuivis et aux modèles de changement. Elles sont caractérisées par l’interaction psychologique qui s’établit entre le thérapeute et le patient pour parvenir à plusieurs objectifs principaux : prise de conscience de souffrances et de conflits psychiques importants, acquisition de nouvelles capacités et reprise du développement psychologique (construction de la subjectivité et mise en place de relations matures). Le processus de changement est attribué à la prise de conscience progressive (insight) par le patient avec l’aide du psychanalyste des bases du processus pathologique, qui implique la mise en relation de l’histoire ancienne et de l’histoire actuelle, et à l’expérience réactualisée dans le transfert du caractère pathologique de certaines relations interpersonnelles. Ce processus est associé à une réduction des défenses et à une transformation de styles d’interaction et de perception interpersonnelles. Depuis quelques années, différentes études ont montré que l’investigation psychologique est susceptible de se perpétuer entre les séances et après la terminaison du traitement, ce qui constitue un gain important dans la faculté de penser la réalité et de s’en distancier.




Méthodologie des études


Les situations appréhendées et la gravité des troubles traités par les psychothérapies psychanalytiques peuvent être très diverses. Différentes études épidémiologiques, dont celles de N. Doidge et de S.W. Stirman, ont montré qu’une proportion importante des patients traités par les psychothérapies psychanalytiques souffre de troubles multiples et complexes, souvent associés à une histoire traumatique. Ces caractéristiques ont réduit la possibilité de réaliser avec eux des études contrôlées randomisées (considérées, depuis les années 1980, comme l’étalon or de la recherche) du fait des exigences méthodologiques de ces études : durée limitée, trouble unique, objectif focalisé, manuel de traitement, patients randomisés. Cela explique le peu d’études de ce type existant dans le champ psychodynamique, mais également le rôle qu’ont joué ses chercheurs dans la sophistication progressive de leurs méthodes et leur évolution vers une nouvelle génération de recherches. Actuellement cinq axes sont privilégiés : études en conditions réelles, précision des caractéristiques psychopathologiques des patients (en particulier personnalité), description des psychothérapies suivant leurs ingrédients actifs et leur processus plutôt que de façon globale, mise au point d’études de cas contrôlées réunies en bases de données permettant d’associer données quantitatives et qualitatives, indicateurs de résultat multi-origines et dimensionnels associant des variables fonctionnelles au suivi des symptômes.


Cette présentation des résultats porte sur les résultats issus d’essais contrôlés menés à partir de psychothérapies brèves. Nous avons complété les études sélectionnées au cours l’expertise collective de l’Inserm [1] par celles publiées depuis ou rappelées dans la méta-analyse récente de F. Leichsenring [2]. Il faut souligner que dans le cadre des psychothérapies psychanalytiques, les études ont été menées dans des conditions cliniques et sont pour la plupart accompagnées d’une présentation du modèle théorique particulier dans lequel elles ont été menées. Les psychothérapies brèves comprennent habituellement 16 à 30 séances avec un éventail de 7 à 40 séances. Elles sont réalisées en face à face à un rythme de 1 à 2 séances par semaine. Les thérapeutes y sont habituellement actifs et stimulent le développement d’une alliance thérapeutique. L’ attention est portée sur l’objectif, la configuration des buts à atteindre et les questions liées à la terminaison. Le travail porte beaucoup sur l’ici et maintenant, et les symptômes qui s’y expriment, ainsi que sur la relation présente entre le patient et le psychothérapeute (transfert) qui n’est pas nécessairement rapportée au passé. Les dimensions principales prises en compte sont l’affect, la résistance, l’identification de répétitions portant sur les relations, les sentiments et les comportements, les expériences passées, les expériences interpersonnelles, les désirs, les rêves et les fantasmes.


Pour les études portant sur les psychothérapies longues (M. Leuzinger-Bohleber, 2002 ; R. Sandell et J. Blomberg, 2001 ; K.A. Menninger 1973 ; 1986), nous renvoyons le lecteur au texte du chapitre 5 de l’expertise collective [1] et au site techniques psychothérapiques [3].

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 24: Les thérapeutiques psychologiques

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