25: Sociothérapie et réhabilitation

Chapitre 25 Sociothérapie et réhabilitation




25.1 La réhabilitation psychosociale : le changement de paradigme



Les trente dernières années du xxe siècle ont été le témoin d’une « déshospitalisation » majeure : réduction drastique du nombre de lits psychiatriques dans la plupart des pays industrialisés, voire fermeture définitive des asiles, comme en Italie ou en Angleterre. Les indications de l’hospitalisation psychiatrique, jugée nocive lorsqu’elle se prolonge indûment, se voient désormais réservées aux soins intensifs et de courte durée. D’où le transfert des soins de réadaptation ou de postcure en extrahospitalier : leur importance n’est plus à souligner, surtout pour les personnes souffrant de maladies mentales graves et persistantes présentant des dysfonctionnements socioprofessionnels incapacitants.


La réhabilitation psychosociale se donne pour but l’amélioration des capacités relationnelles, sociales et professionnelles des patients, indépendamment des traitements médicaux prescrits dont elle s’avère complémentaire. Elle utilise des techniques spécifiques afin d’aider les patients à fonctionner dans le cadre de vie de leur choix, le moins restrictif possible, avec une qualité de vie et une autonomie fonctionnelle optimales.


Nous évoquerons les principales implications et méthodes nouvelles introduites par le courant de réhabilitation psychosociale qui viennent modifier sensiblement l’approche psychiatrique traditionnelle.







L’organisation des soins pour un suivi intensif dans le milieu


Traditionnellement en France [6], les prises en charge individuelles priment et s’organisent dans le cadre de la continuité des soins instaurée par la politique de sectorisation et par les techniques institutionnelles qui déterminent la philosophie des soins de la plupart des équipes publiques françaises pour réaliser une sorte de suivi psychiatrique intensif dans le milieu de vie ; les soins de réadaptation en établissement viennent compléter cette organisation mais ils relèvent la plupart du temps du domaine associatif (ou privé) ; deux des textes suivants (chapitres 25.2 et 25.4) traitent ci-après de ces questions.


Aujourd’hui, l’intervention de groupe qui domine largement en Amérique du Nord et dans les pays où la culture anglo-saxonne est prédominante, connaît une avancée importante sous nos climats. Ses avantages et son efficacité thérapeutique sont mis en avant : autorégulation et cohésion de groupe renforçant les sentiments d’appartenance et d’entraide, partage d’expériences et de stratégies, etc.







25.2 Thérapies institutionnelles




Histoire et définitions


Les thérapies institutionnelles visent à améliorer la valeur soignante de l’institution psychiatrique [1]. Elles sont liées à l’histoire de la psychiatrie en général et de la psychiatrie de secteur en particulier, qu’elles ont transformée à partir d’une critique radicale de « l’Asile » [6].


Le fait qu’elles soient qualifiées d’institutionnelles a pu faire penser que le développement de l’extrahospitalier les rendrait caduques. Nous verrons que c’était confondre établissement et institution [3].


L’actualité de la psychothérapie institutionnelle est manifeste, en particulier dans le mouvement de réhabilitation et de psychiatrie sociale, la question de la chronicité dans le médicosocial et le renouveau des clubs annoncé par les politiques sur l’initiative des associations d’usagers et de familles.


La théorie de l’utilisation à des fins thérapeutiques de l’établissement débute au xviiie siècle avec P. Pinel et son traitement moral qui libère les fous enchaînés à Bicêtre en 1793.


En 1838, J.E. Esquirol développe le premier modèle d’une institution thérapeutique à Charenton : l’Asile.


C’est autour de la période de la 2e guerre mondiale, avec 40 % des malades mentaux morts de faim dans les asiles (mais avec une variation de 0 à Saint-Alban à 60 % à Clermont de l’Oise) que des réflexions s’engageront.


À Saint-Alban, hôpital psychiatrique de Lozère, se nouèrent des rencontres autour de la nécessaire transformation de l’assistance psychiatrique. P. Balvet, alors médecin directeur, rappelle dès 1942 le principe esquirolien du maniement de l’institution comme instrument de soins. Autour de lui se retrouvent L. Bonnafé, psychiatre communiste, et F. Tosquelles, psychiatre républicain catalan fuyant l’Espagne franquiste. Ce dernier fait partager sa connaissance de la psychiatrie allemande, rejetée en France, en particulier H. Simon (« pour une thérapeutique plus active à l’hôpital psychiatrique » autour de son expérience à Guttersloch), ainsi que son intérêt pour la psychanalyse : il apporte avec lui la thèse de J. Lacan sur la personnalité paranoïaque qui ouvre la question du traitement des psychoses.


S’y croisent également de nombreux intellectuels : G. Canguilhem, philosophe et médecin, P. Eluard, poète surréaliste, et des psychanalystes, cachés en ce lieu car résistants à l’occupation nazie.


C’est en 1952 que se cristallisent ces divers courants : l’année du début de l’utilisation des neuroleptiques mais aussi d’une circulaire, le 2 août, qui permettra d’étendre au-delà de quelques expériences la transformation de l’asile en instrument de soins (attribution d’une secrétaire médicale et d’une assistante sociale par service et amélioration de l’accueil des patients) [2].


C’est aussi cette année-là que G. Daumezon, qui à l’hôpital de Fleury Les Aubrais avait mis en place des activités diversifiées au bénéfice des patients pour lutter contre le cadre aliénant de l’hôpital psychiatrique, et P. Koechlin, qui avait été son interne, inventent le terme de psychothérapie institutionnelle désignant ainsi « l’utilisation ordonnée à des fins psychothérapiques du lieu d’échanges et de rencontres où est accueilli et traité le malade ».


Parmi les expériences, sans être exhaustif, on peut citer l’ouverture en 1951 de la clinique de Laborde par J. Oury et celles de deux internes de Daumezon : P. Koechlin qui ouvre l’hôpital de Charcot en 1960 et P. Paumelle qui s’engage dans la création d’un secteur de santé mentale sous la forme juridique d’une association loi 1901 entouré de psychanalystes qui ont produit autour de P.C. Racamier l’ouvrage Le psychanalyste sans divan [12].


D’autres fondateurs ont laissé leur nom tel P. Sivadon à Ville Evrard qui s’oriente vers une psychiatrie enrichie en personnel (assistants) et institue des réunions de soignants. Il sera le 1er médecin directeur de l’hôpital de la Verrière (MGEN).


G. Daumezon attachera toujours une grande importance au rôle des infirmiers pour qui il a créé en 1949 des stages de formation en collaboration avec G. Le Guillant, permanente aux Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA).


C’est autour de la question du rôle des infirmiers et de leur participation à la psychothérapie que le groupe de Sèvres qui se réunira deux ans en 1957–1958 éclatera. De cette disparition naîtra le Groupe de travail sur la psychothérapie et sociothérapie institutionnelle (GTPSI) qui deviendra en 1965 la Société de psychothérapie institutionnelle. Dans le discours inaugural de celle-ci, F. Tosquelles énonce la fameuse métaphore des deux jambes de la psychothérapie institutionnelle : « la psychanalyse et la sociologie ».


Historiquement liée, voire intriquée à la psychothérapie institutionnelle, la psychiatrie de secteur est reconnue sur le plan juridique par la circulaire du 15 mars 1960, qui institue un chef de secteur pour 67 000 habitants avec 200 lits (normes OMS de l’époque) et un extrahospitalier.


Les principes de la psychiatrie de secteur sont de traiter à un stade précoce, d’assurer une postcure, de séparer le moins possible le malade de sa famille et d’accueillir tous les malades d’une région donnée.


Le programme de 1960 sera activé autour du changement des mentalités lié au mouvement de mai 1968, en particulier l’idéologie antiautoritaire et l’antipsychiatrie : l’institution psychiatrique devient le symbole de l’enfermement et de l’exclusion.


De même, la création d’un enseignement universitaire de la psychiatrie séparé de la neurologie, l’amélioration du statut de psychiatre (loi du 3 juillet 1968 intégrant les hôpitaux psychiatriques dans le statut commun avec revalorisation salariale et perte du statut de fonctionnaire) et la création de nombreux postes auront un effet sur la mise en place de la sectorisation.


La sectorisation psychiatrique est organisée par arrêtés et circulaires : le 14 mars 1972 pour la psychiatrie générale et le 16 mars 1972 pour la psychiatrie infantojuvénile.


Jusqu’en 1985, les structures extrahospitalières et le personnel travaillant sur le secteur étaient financés par le département sur des fonds de prévention (remboursés à 85 % par l’État). Il existait donc une dichotomie entre les hôpitaux, financés par l’assurance-maladie, et le secteur par l’État. Les décideurs financiers de l’extrahospitalier étant les conseils généraux, les disparités étaient grandes.


En 1985, une réforme du financement et de l’organisation de la psychiatrie publique l’intègre au système de santé général et met fin au monopole des placements sous contrainte dans les hôpitaux psychiatriques.


La sécurité sociale finance l’ensemble de la psychiatrie dont la gestion, structures et personnels, est confiée aux établissements hospitaliers.


Le 14 mars 1986 un décret et un arrêté listent et définissent les services et les structures qui peuvent être mis en œuvre.


Aujourd’hui, les patients de la file active d’un secteur sont suivis pour environ 85 % en dehors de l’hôpital.


Pratiquement, chaque secteur est équipé, en plus de lits d’hospitalisation, d’un centre médicopsychologique (CMP), d’un centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), d’appartements communautaires ou associatifs, d’accueil familial thérapeutique, d’un hôpital de jour, voire d’un foyer de postcure.


Les patients utilisent ce dispositif concret de continuité des soins en fonction de leur pathologie et des moments de leur vie, comme une trajectoire de soins. Cette continuité des soins est un pilier fondamental de la psychiatrie de secteur dans laquelle les équipes soignantes doivent être soutenues.



Psychothérapie institutionnelle et psychiatrie de secteur


La mise en œuvre de la psychiatrie de secteur a pu laisser penser que l’institution allait être abandonnée. C’était confondre établissement et institution. Institution désigne en français l’action d’instituer, contrairement à l’usage anglo-saxon pour lequel l’institution est hôpital.


Pour éclairer cette différence, J. Ayme a pu parler de « l’institution secteur » et a comparé la psychiatrie de secteur à une bande de Moebius où le patient peut passer d’une face à l’autre sans solution de continuité : hôpital, CMP, CATTP, appartement thérapeutique, etc. [3].


Pour P.H. Rappard : « le secteur n’est qu’une évolution de l’assistance psychiatrique favorisée par le mouvement de psychothérapie institutionnelle » [14]. Il explique les différences entre la France et l’Italie par les modèles différents de l’État : en France grâce aux associations loi 1901, obéissant au contractuel, l’omnipotence de l’établissement, organe de l’État, a pu être contrebalancée, ce qui n’était pas possible en Italie. Il explique ainsi le chemin italien de la loi du 13 mai 1978 décrétant la fermeture des établissements psychiatriques, solution extrême mais nécessaire. Les combats idéologiques ont été violents, confondant désinstitutionnalisation et déshospitalisation.


La psychiatrie de secteur serait un outil et la psychothérapie une méthode, l’articulation se faisant autour du transfert et dessinant une trajectoire de soins pour chaque patient [5].



Pratiques et concepts de la psychothérapie institutionnelle


La fonction asilaire reposait, en grande partie, sur des cascades hiérarchiques : le savoir psychiatrique imposait une hiérarchie des disciplines et des personnes à l’intérieur de ces mêmes disciplines, qui pouvait aboutir à des pratiques aveugles, ne prenant pas en compte la façon dont le patient recevait les soins, c’est-à-dire que le transfert était exclu (toute analyse fine et immédiate des réponses au traitement).


M. Foucault a repris cette critique de l’asile [8]. Il s’est intéressé aux processus de subjectivation, en particulier, ceux qui apparaissent dans le cadre du pouvoir disciplinaire qu’il évoque dans son cours Le pouvoir psychiatrique. Il y décrit la « prise exhaustive des corps » par une procédure de contrôle permanente (par exemple le panoptique). « Tout système disciplinaire tend à être une occupation du temps, de la vie et du corps de l’individu ».


Les pratiques de la psychothérapie institutionnelle se sont mises en place pour lutter contre le rôle aliénant des structures asilaires, s’attaquant à la hiérarchisation des services et reconnaissant le savoir du patient sur sa maladie mais aussi sur l’institution.


On retrouve ici l’apport de la psychanalyse qui remet la personne qui parle au centre de son histoire.


Le concept de transfert désigne en psychanalyse, depuis S. Freud, le processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établie avec eux et éminemment dans le cadre de la relation analytique [10]. Il s’agit là d’une répétition de prototypes infantiles vécue avec un sentiment d’actualité marqué.


Le contre-transfert est l’ensemble des réactions inconscientes de l’analyste à la personne de l’analysé et plus particulièrement au transfert de celui-ci.


Ces concepts sont à la base de toute psychothérapie et de toute psychothérapie institutionnelle.


Les réflexions de l’équipe soignante sur son organisation interne et les rapports hiérarchiques externes s’élaborent sur ces notions qui ont donné lieu à des batailles idéologiques entre les psychanalystes lacaniens pour qui l’analyse du milieu thérapeutique est indispensable et les psychanalystes « orthodoxes » pour qui il est impossible d’appliquer directement la psychanalyse au champ institutionnel [15].


La psychothérapie des psychoses s’appuie sur la notion de « transfert dissocié » et de « transfert multiréférentiel » (F. Tosquelles).


La personne psychotique ne peut « transférer » sur un seul psychanalyste mais le peut sur l’établissement et l’équipe soignante qui l’accueille par le biais « d’identification projective » [7].


Ces investissements différents que F. Tosquelles a appelés « constellation transférentielle » sont repris en réunion pour élaborer, pour approcher « la réalité psychique » du patient [1]. Pour qu’ils soient possibles, il est nécessaire que le patient puisse librement circuler, échanger et faire des rencontres.


Pratiquement, un patient est accueilli par une équipe soignante. Il va rencontrer des soignants de différents statuts et d’autres patients, il va participer à des groupes et s’intégrer à la vie de l’établissement [7]. Cette organisation des soins, en partie prescrite, tient compte des choix du patient : « ce qui suffit » pour chaque patient [4].


Pour Tosquelles, l’institution est « l’endroit où le plus important est la démarche permanente pour créer et maintenir des lieux et des espaces disponibles afin que les échanges soient possibles et continus ». Cette définition insiste sur l’amélioration nécessaire de la communication et sur le rôle des activités.




Activités


Pour favoriser les processus de transfert, il faut multiplier les possibilités de rencontre entre le patient et les soignants, le patient et les autres patients et avec des intervenants extérieurs.


Dans les activités, il s’agit de créer et de restaurer du lien grâce à une médiation thérapeutique définie par un cadre (temps, lieu, durée, groupe ouvert ou fermé, etc.). Les indications médicales sont discutées en équipe.


Les activités peuvent être à médiation corporelle, artistique ou ergothérapeutique. L’activité occupationnelle, qui n’a pour but que de lutter contre l’ennui, n’est pas comme son nom l’indique du champ du soin. Ce qui fait la différence c’est l’indication médicale, la formation du soignant et la reprise et l’échange en réunion autour de l’activité.


Les activités thérapeutiques permettent de retrouver un contact avec la réalité, de la créativité mais surtout de pouvoir médiatiser les processus psychopathologiques (expression du délire, conflits déplacés) [9].


Ces pratiques se sont largement développées en dehors de l’hôpital, en particulier dans les hôpitaux de jour et les CATTP. Les clubs thérapeutiques, structures associatives rendues possibles par la circulaire du 4 février 1958 (le produit du travail des malades appartient aux malades et non plus à l’établissement), avaient permis d’ouvrir l’hôpital sur l’extérieur [13]. Ils ont le plus souvent évolué en club de secteur. Le club thérapeutique a été considéré comme « l’essence de la psychothérapie institutionnelle » [15].

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 25: Sociothérapie et réhabilitation

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