Chapitre 28 Complications Vasculaires du Diabète
Le diabète est défini par la constatation d’une glycémie > 1,26 g/L (7 mmol/L) à 2 reprises ou d’une glycémie > 2 g/L (11 mmol/L) à un quelconque moment du nycthémère accompagnée de signes cardinaux (amaigrissement, asthénie, polyuropolydipsie). Le dosage de l’hémoglobine glyquée et l’hyperglycémie provoquée par voie orale ne sont pas recommandés pour le diagnostic de diabète. En pratique clinique, la définition du diabète de type 1 repose sur les items suivants : âge de découverte < 40 ans, tendance à la cétose, insulinothérapie requise pour survivre dans l’année qui suit le diagnostic. Les arguments en faveur du diabète de type 2 sont des arguments cliniques de probabilité : âge supérieur à 40 ans, index de masse corporelle supérieur à 27 kg/m2 (poids/taille au carré = P/T2), absence de cétonurie (ou faible), antécédents familiaux de diabète de type 2, hypertension artérielle.
On a pu définir la notion de syndrome métabolique en présence d’au moins 3 des facteurs de risque suivants : obésité abdominale ou omentale (définie cliniquement par un tour de taille supérieur à 80 cm chez la femme et 94 cm chez l’homme), hypertriglycéridémie (> 1,5 g/L), élévation de la pression artérielle ≥ 130/85 mmHg, glycémie > 1,1 g/L à jeun, diminution des taux plasmatiques de HDL-cholestérol (< 0,4 g/L chez l’homme et 0,5 g/L chez la femme). Le syndrome métabolique est important à dépister car il multiplie le risque de développer un diabète de type 2 par un facteur de l’ordre de 10, et augmente le risque cardiovasculaire. Il est retrouvé chez 80 % des diabétiques de type 2 [1].
La prévalence des lésions vasculaires dépend de 2 facteurs essentiels :
ATTEINTE DES ARTÈRES CÉRÉBRALES
Les accidents ischémiques cérébraux représentent la 2e cause de morbimortalité chez le sujet diabétique de plus de 50 ans, après les accidents coronariens. La mortalité et le handicap liés aux AIC sont plus importants que chez les non diabétiques [2]. Les accidents vasculaires cérébraux hémorragiques ne sont pas plus fréquents [3]. Chez le diabétique de type 2, le risque d’AIC est augmenté par le cumul des facteurs de risque cardiovasculaire et notamment par l’association à une hypertension artérielle. En effet, seuls 10 % des patients diabétiques qui ont un AIC n’ont pas d’autre facteur de risque. Le rôle spécifique de l’hyperglycémie doit être souligné car le DT2 multiplie le risque d’AIC par 2 à 3 chez l’homme et par 3 à 5 chez la femme de façon indépendante des autres facteurs de risque. Le risque d’AIC des diabétiques de type 2 est 2 fois plus important lorsque l’hémoglobine glyquée est supérieure à 10,7 % [4].
Le diabète n’augmente pas la prévalence des sténoses carotidiennes mais augmente le risque de survenue d’un AVC en cas de sténose et constitue un facteur de risque de sténose des artères intracrâniennes. Un écho-Doppler des troncs supra-aortiques est indiqué s’il existe un souffle carotidien, une autre localisation de la maladie athéromateuse ou plusieurs facteurs de risque [5].
Les indications de l’endartériectomie carotidienne sont les mêmes, que les malades soient diabétiques ou non. Les résultats de la chirurgie sont sensiblement les mêmes que chez les non diabétiques, par contre la courbe de survie à distance est moins bonne en cas de diabète [6].
ATTEINTE RÉTINIENNE
L’atteinte microvasculaire de la rétine est la plus sévère des complications oculaires du diabète. En effet, la rétinopathie diabétique (RD) reste une cause majeure de malvoyance et de cécité dans les pays développés. Les principaux facteurs de risque de la RD sont la durée d’évolution du diabète et le mauvais contrôle glycémique [7]. À la fin des années 1980, l’incidence de la RD après 10 ans d’évolution du diabète était comprise entre 67 % et 89 % [8]. Les taux d’incidence de la RD dans des études plus récentes sont plus faibles, car les diabétiques sont mieux traités. Les autres facteurs de risque de la RD sont l’hypertension artérielle et de façon moins certaine la protéinurie. Malgré ces facteurs de risque bien identifiés, certains patients ne développent pas de RD, même après une longue durée d’évolution, et des cas familiaux de RD sévère peuvent être observés, ce qui suggère l’existence de facteurs de risque de RD d’origine génétique.
Chez le diabétique de type 1 et de type 2, le contrôle optimal et prolongé de la glycémie permet de réduire l’incidence de la RD et sa progression. Chez le diabétique de type 2, le contrôle de la pression artérielle renforce ces résultats [9]. Des effets favorables des traitements antiagrégants plaquettaires, aspirine et ticlopidine, ont été rapportés pour des stades initiaux de RD. De même le lisinopril (IEC) a permis une réduction de 50 % de la progression de la RD chez des patients diabétiques de type 1 normotendus. En dehors des traitements médicamenteux, la RD proliférante peut nécessiter un traitement par photocoagulation panrétinienne par laser à argon.
ATTEINTE DES CORONAIRES
La coronaropathie est la première cause de mortalité chez le diabétique adulte mais l’hyperglycémie peut aussi être responsable d’une cardiomyopathie avec insuffisance cardiaque. Par rapport au non diabétique, l’infarctus du myocarde est plus fréquent, plus grave avec un risque accru de troubles du rythme, d’insuffisance cardiaque et de décès, et le risque de récidive est plus important. Le risque cardiovasculaire d’un patient diabétique non coronarien se rapproche du risque d’un patient coronarien non diabétique du même âge et cette augmentation de risque touche aussi les femmes diabétiques. Ce risque augmente avec l’ancienneté et le degré de l’hyperglycémie [10]. Les lésions athéromateuses évoluent plus rapidement et la gravité évolutive repose surtout sur l’instabilité de la plaque. Une plaque instable échappera au dépistage si elle est peu sténosante. Chez le patient diabétique, l’ischémie myocardique ne s’accompagne pas d’angor dans 70 % des cas. Au-delà de 60 ans, le taux d’IDM silencieux découverts sur un ECG systématique dans la population diabétique est de l’ordre de 30 % contre seulement 5 % dans la population générale [11].
Le dépistage coronarien chez le patient diabétique n’a pas montré une amélioration du pronostic. Revascularisation et traitement médical donnent des résultats comparables chez les diabétiques stables. Les recommandations actuelles se basent donc sur l’extrapolation aux malades diabétiques de résultats d’études réalisées chez des non-diabétiques entre 1974 et 1984 [12]. Ces résultats sont actuellement discutables car le traitement a depuis beaucoup évolué : statine, IEC, ARA2, antiagrégants, anti-GPIIb/IIIa, pontage utilisant la mammaire interne, stents actifs [13]. Chez le patient diabétique, un des facteurs prédictifs d’événements cardiaques graves est une diminution de la fraction d’éjection au repos inférieure à 40 %. Chez ce type de patients, avec une atteinte tritronculaire ou bitronculaire comprenant l’interventriculaire antérieure, le pontage coronarien améliore la durée de vie. La mortalité opératoire est multipliée par deux par rapport aux sujets non diabétiques et les resténoses intrastent sont plus fréquentes. Il n’est pas possible de dire quel est le meilleur mode de revascularisation entre pontage et angioplastie [14]. Le pontage coronarien ne prévient pas la survenue d’un infarctus mais diminue sa gravité. Il semble cependant exister, chez les diabétiques, une supériorité du pontage coronarien à condition de réaliser une revascularisation de l’interventriculaire antérieure avec l’artère mammaire interne. La Société francaise de cardiologie et l’Alfediam (Association de langue française pour l’étude du diabète et des maladies métaboliques) ont édicté des recommandations dont le but est de définir une population à haut risque chez qui le dépistage de l’ischémie silencieuse sera efficace [15]. Ce sont tous les diabétiques lorsqu’il existe une artériopathie des membres inférieurs, une atteinte carotidienne, une protéinurie ou une microalbuminurie et deux facteurs de risque. Ce sont les diabétiques de type 2 âgés de plus de 60 ans ou ayant un diabète évoluant depuis plus de 10 ans et deux autres facteurs de risque. L’existence d’une ischémie sur l’ECG justifie la réalisation d’une coronarographie. Sinon l’épreuve d’effort est l’examen de première intention dans la population à haut risque mais elle n’est réalisable que chez environ 65 % des patients. Lorsqu’elle n’est pas réalisable ou faiblement positive, la scintigraphie de perfusion ou l’échographie de stress seront pratiquées. Les épreuves de stress ont une bonne valeur prédictive négative d’événements coronariens mais doivent être plus fréquemment répétées que dans le reste de la population compte tenu d’une évolution plus rapide des lésions.
ATTEINTE DES ARTÈRES RÉNALES
Microangiopathie rénale
La néphropathie diabétique débute précocement, par une hyperfiltration glomérulaire. Aux stades ultérieurs, une microalbuminurie puis une protéinurie sont observées [16]. La microalbuminurie pathologique se définit par la présence d’albumine dans les urines de 24 heures comprise entre 30 et 300 mg/24 heures. Une valeur inférieure à 30 mg/24 heures est considérée comme physiologique. Le caractère permanent est affirmé par la positivité de deux examens sur trois, pratiqués sur une période de six mois. La macroalbuminurie ou protéinurie se définit par une quantité d’albumine dans les urines supérieure à 300 mg/24 heures. Il existe une grande variabilité intra et interindividuelle de l’excrétion urinaire de l’albumine. Le recueil urinaire sur 24 heures représente la méthode de référence pour quantifier l’excrétion urinaire d’albumine, mais l’utilisation du rapport albumine/créatinine sur une miction permet de pallier la difficulté d’obtenir un recueil correct des urines sur une période donnée. On définit classiquement 5 stades à la néphropathie diabétique :
L’hyperglycémie chronique ne suffit pas à expliquer l’apparition d’une néphropathie diabétique, laissant supposer le rôle d’un facteur prédisposant ou protecteur génétique ou l’intervention d’autres facteurs. Ainsi, tous les diabétiques de type 1 mal équilibrés ne développent pas une néphropathie diabétique et après 15 ans d’évolution 60 % sont épargnés. D’autre part ce risque devient très faible après la trentième année d’évolution. Au contraire le risque de développer une néphropathie augmente constamment au cours du diabète de type 2. L’apparition d’une microalbuminurie puis d’une protéinurie représente deux grands tournants dans l’évolution de la néphropathie et doit être dépistée [16]. La microalbuminurie constitue un facteur prédictif de la dégradation de la fonction rénale surtout dans le diabète de type 1. La néphropathie diabétique est présente dès le diagnostic de diabète de type 2 dans 10 % des cas. Sur 100 malades avec une microalbuminurie environ 30 développent une protéinurie et 6 atteignent le stade d’insuffisance rénale chronique terminale. Le risque d’apparition d’une microalbuminurie est de 2 % par an, celui de progression de la microalbuminurie vers la protéinurie de 2,8 % par an. Cependant, la microalbuminurie peut régresser [17]. Les facteurs associés à cette régression sont l’équilibre glycémique, le contrôle de la pression artérielle, la correction de l’hyperlipidémie et l’utilisation d’inhibiteur de l’enzyme de conversion ou d’antagoniste du système rénine angiotensine ou sartans. La microalbuminurie constitue aussi un marqueur de risque de mortalité cardiovasculaire surtout pour les diabétiques de type 2. La mortalité de ces patients est multipliée par 2 à 3 en présence d’une microalbuminurie sur une période de 10 ans [18]. Ce risque augmente encore avec l’apparition d’une protéinurie et l’évolution vers l’insuffisance rénale.
Sténose de l’artère rénale
Il est théoriquement intéressant de dépister une sténose d’une ou des deux artères rénales car il s’agit d’une cause potentiellement curable d’hypertension artérielle et de dégradation de la fonction rénale. Cependant la sensibilité et la spécificité des examens de dépistage ne sont pas excellentes et les indications de revascularisation ne sont pas encore bien définies. Pour une population de diabétiques de type 2 hypertendus avec une créatinine inférieure à 150 μmol/L, la prévalence de la sténose de l’artère rénale est de 20 % [19]. L’intérêt de dépister et traiter une sténose unilatérale est surtout d’améliorer le contrôle de la pression artérielle et peut-être de préserver la fonction rénale. En revanche, une sténose bilatérale impose un geste de revascularisation. Aucun critère ne permet de prédire l’amélioration de la fonction rénale après angioplastie sauf peut-être un index de résistance inférieur à 0,80. L’angioplastie a un effet favorable sur la fonction rénale surtout si elle est normale ou peu altérée [20]. Chez les malades ayant une créatinine supérieure à 120 μmol/L, l’angioplastie peut stabiliser une fonction rénale déclinante surtout si le déclin est rapide. Par contre si la fonction rénale est stable, son intérêt est moins évident. Une angioplastie n’est pas indiquée si les reins mesurent moins de 8 centimètres et si la créatinine est supérieure à 400 μmol/L. En cas d’insuffisance rénale chronique, lorsqu’il existe une association d’une sténose de l’artère rénale et d’une microangiopathie avec protéinurie, il n’est pas possible de connaître la responsabilité respective des deux acteurs et il n’y a donc pas de critère permettant de prédire si l’angioplastie va améliorer ou stabiliser la fonction rénale. Si l’angioplastie améliore la fonction rénale, c’est un facteur de bon pronostic car le parenchyme est peu atteint. Enfin, en cas de protéinurie, l’angioplastie d’une sténose des artères rénales aura pour intérêt de permettre sans arrière-pensée la poursuite des IEC ou des ARA2. En pratique, le problème non résolu reste la sélection des sujets à dépister et pour quel bénéfice. Un mauvais équilibre de la pression artérielle chez un patient traité, une augmentation rapide des chiffres de créatinine en particulier lors de l’introduction d’un traitement par IEC ou ARA2, avec un index de résistance inférieur à 0,80, des reins de taille supérieure à 8 cm et une protéinurie absente ou modérée doivent faire rechercher une sténose des artères rénales. L’angioplastie avec mise en place d’un stent est la technique dont la morbimortalité est la plus faible et ses résultats sont identiques aux non-diabétiques. Le pontage doit être discuté si une chirurgie aortique est par ailleurs indiquée pour un anévrisme ou des lésions occlusives.
ATTEINTE DES ARTÈRES DES MEMBRES INFÉRIEURS
La présence d’une AOMI constitue le marqueur d’un risque majoré d’AVC et de décès cardiovasculaire.
Macroangiopathie
Il n’existe pas d’anomalie histologique pathognomonique permettant d’isoler une artériopathie spécifique du diabète. Cependant la macroangiopathie diabétique a des particularités. L’athérosclérose des grosses artères est accélérée par la maladie diabétique et ses complications surviennent en moyenne 10 ans plus tôt que chez les sujets non diabétiques à facteur de risque équivalent. L’athérome touche l’intima des artères de gros et moyen calibre. Il se surajoute des lésions qui touchent la média des artères de moyen calibre, essentiellement les artères situées en dessous du genou. L’épaississement de la média contribue à la réduction du calibre artériel et à une perte de leur élasticité, elle définit les lésions d’artériosclérose : les artères deviennent rigides, parfois incompressibles en cas de médiacalcose (30 fois plus fréquente que chez les sujets non diabétiques). La distribution des lésions est particulière et intéresse les artères sous-gonales en respectant habituellement les artères du pied, en particulier l’artère pédieuse. L’artère fémorale profonde serait plus fréquemment atteinte ainsi que l’iliaque interne.