Chapitre 27 Hydramnios
La fréquence des hydramnios varie de 1/1 500 à 6 000 grossesses pour les hydramnios aigus et de 0,2 à 2,3 % des grossesses pour les hydramnios chroniques [1].
Il est historiquement défini par un excès de liquide amniotique supérieur à 2 litres à l’accouchement [2, 3]. Cette définition est un peu caduque depuis le développement de l’échographie qui permet l’évaluation de la quantité du liquide amniotique pendant la grossesse.
Il est important de savoir dépister l’hydramnios car (i) c’est un signe d’appel de malformation fœtale ; (ii) son apparition peut constituer une donnée importante du suivi évolutif d’une pathologie (diabète, allo-immunisation érythrocytaire, malformation fœtale connue) ; (iii) il existe parfois une indication à drainer cet hydramnios. Devant toute suspicion clinique d’hydramnios, la conduite à tenir du praticien devra être rythmée par trois interrogations [4] :
Physiopathologie
Défaut d’élimination
Tout défaut d’absorption du liquide amniotique par le fœtus peut être à l’origine d’un hydramnios : défaut de déglutition d’origine musculaire, neurologique ou compressive, obstacle digestif dont le retentissement sera d’autant plus important que l’obstacle est haut situé.
Production excessive
La principale cause est la polyurie fœtale secondaire soit à des facteurs maternels (diabète), soit à des facteurs fœtaux (cardiopathie, infection, syndrome transfuseur-transfusé, syndrome de Bartter). Les anomalies ouvertes du système nerveux central (myéloméningocèle, anencéphalie) peuvent être à l’origine d’un hydramnios secondaire à une fuite liquidienne. Dans les anémies importantes se développe un syndrome de rétention hydrique généralisée avec hypoprotidémie et hypervolémie, dont le mécanisme est mal connu mais qui résulte en une anasarque fœtoplacentaire dont le premier signe est l’hydramnios associé à un épaississement placentaire [5].
Diagnostic
Clinique
Le diagnostic clinique de l’hydramnios repose sur la mesure de la hauteur utérine, anormalement élevée pour l’âge gestationnel. S’y associe éventuellement le classique signe du glaçon, témoin de la mobilité du pôle fœtal au toucher vaginal. Les autres signes cliniques sont quasi inexistants en cas d’hydramnios chronique. En cas d’hydramnios aigu, la surdistension utérine induit des signes de menace d’accouchement prématuré (contractions, modifications cervicales) et des signes témoignant d’un retentissement maternel : dyspnée d’effort, voire de décubitus ; douleurs abdominales à irradiation lombaire, insomniantes ; utérus tendu, douloureux à la palpation ; présence d’une circulation veineuse collatérale ; hypotension artérielle ; malaise ; œdèmes des membres inférieurs [1].
Échographie
L’échographie permet de confirmer le diagnostic d’hydramnios, mais aussi d’en rechercher l’étiologie. Les hydramnios modérés facilitent l’analyse de la morphologie fœtale.
Évaluation subjective du liquide amniotique
Dès la pose de la sonde d’échographie, l’opérateur entraîné éprouve l’impression d’une discordance entre la taille du fœtus et les citernes de liquide amniotique, avec un fœtus semblant classiquement « nager librement dans un océan », autrement appelé « fœtus suspendu ». Cependant, cette approche ne peut suffire à poser le diagnostic, bien qu’il ait été démontré une corrélation entre l’évaluation subjective par un opérateur entraîné et l’évaluation chiffrée à l’aide en particulier de l’index amniotique [6]. Une suspicion d’hydramnios doit motiver l’échographiste à mesurer les grandes citernes et surtout l’index amniotique dans l’idée de quantifier l’anomalie de liquide de façon précise et reproductible.
Méthodes semi-quantitatives d’estimation de liquide
Mesure de la plus grande citerne (tableau 27.1)
Une valeur supérieure à 8 définit l’hydramnios [7]. On distingue ainsi trois types d’hydramnios selon la mesure de la plus grande citerne :
Volume amniotique | Pourcentage de patientes (%) | Mesure de l’index amniotique (cm) |
---|---|---|
Hydramnios | 3 | 8 |
Normal | 94 | > 2 et < 8 |
Marginal | 2 | 1–2 |
Oligoamnios | 1 | < 1 |
d’après Chamberlain et al. [6]
La mesure de la grande citerne supérieure à 8 cm a une sensibilité, une spécificité, une valeur prédictive positive et une valeur prédictive négative respectivement de 29, 94, 45, et 89 % pour le diagnostic d’hydramnios [7].
Index amniotique
On distingue les hydramnios vrais (IA > 25 cm ; IA : index amniotique) des excès de liquide amniotique (18 < IA < 25 cm). Afin de discerner les réelles situations pathologiques, il est préférable de se reporter aux courbes d’index amniotique en percentile en fonction de l’âge gestationnel, en raison des variations physiologiques du liquide amniotique (voir Chapitre 26 : « Physiologie et régulation du liquide amniotique »). Un index amniotique supérieur à 25 cm a une sensibilité, une spécificité, une valeur prédictive positive et une valeur prédictive négative respectivement de 30, 98, 62, et 94 % pour le diagnostic d’hydramnios [8], soit une performance médiocre très légèrement supérieure ou comparable à celle de la mesure de la plus grande citerne.
Étiologies
On distingue trois grands groupes d’étiologie à rechercher : les malformations fœtales (40 %), les pathologies annexielles (10 %) et les pathologies maternofœtales (20 %). La recherche des causes fœtoplacentaires nécessite une échographie de référence. La recherche des causes maternelles fait appel à un bilan étiologique à géométrie variable en fonction du contexte. L’hydramnios restera cependant sans cause (idiopathique) dans 30 % des cas, même après un bilan complet pratiqué sur l’enfant à la naissance [1]. Cette proportion d’hydramnios inexpliquée est d’autant plus importante que la prévalence de l’hydramnios est importante dans la population étudiée, ce qui souligne l’importance d’utiliser des critères diagnostiques précis. Ainsi, sur plus de 10 000 examens avec une prévalence de l’hydramnios de 1 %, Hill et al. [9] ont retrouvé 16,5 % d’anomalies pour un hydramnios modéré, 89 % pour un hydramnios moyen, et 100 % pour un hydramnios sévère. Dashe et al. [10] ont observé des taux légèrement inférieurs avec 8 % d’anomalies pour un hydramnios modéré (IA compris entre 25 cm et 29,9 cm), 12 % d’anomalies pour un hydramnios moyen (IA compris entre 30 cm et 34,5 cm) et 31 % d’anomalies pour un hydramnios sévère (IA > 35 cm) pour une prévalence de l’hydramnios moindre de 0,7 % (642 patientes) dans une population de 93 332 patientes [10].
Malformations fœtales
Les malformations fœtales à l’origine d’un hydramnios sont multiples (tableau 27.2) [9, 11]. Mais les deux appareils les plus souvent concernés sont le système nerveux central (50 %) et l’appareil digestif (25 %). Viennent ensuite les anomalies cardiothoraciques (parmi lesquelles les troubles du rythme) et craniofaciales. Les malformations fœtales sont retrouvées dans 20 à 27 % et 9 à 13 % des hydramnios, respectivement pour les études réalisées avant 1975 [2, 3, 12, 13] et les études plus récentes [14, 15]. L’altération de la déglutition fœtale, responsable d’hydramnios dans les études expérimentales [16], semble être le mécanisme principal [2] et explique la fréquence élevée des hydramnios en cas d’obstruction digestive haute [17], de lésions occupant l’espace thoracique telles que la hernie diaphragmatique [18] ou les hydrothorax, d’anomalies ostéochondrales affectant le thorax, ou de maladies neuromusculaires comme la myotonie de Steinert [1, 19]. Cependant, seulement 65 % des anencéphalies sont associées à un hydramnios [20], bien que presque tous les fœtus anencéphales ne déglutissent pas [21].
1. Anomalies du système nerveux central (50 %) |
Anencéphalie |
Hydrocéphalie |
Microcéphalie |
Iniencéphalie |
Hydranencéphalie |
Holoprosencéphalie |
Encéphalocèle |
Spina bifida |
Syndrome de Dandy-Walker |
2. Anomalies digestives (25 %) |
Atrésie œsophagienne/fistule œsotrachéale |
Atrésie duodénale |
Atrésie jéjuno-iléale |
Laparoschisis |
Omphalocèle |
Hernie diaphragmatique |
Diverticule de Meckel |
Mégacôlon congénital |
Péritonite méconiale |
Kyste pancréatique |
3. Anomalies cardiovasculaires |
Arythmies/tachycardie supraventriculaire |
Coarctation de l’aorte |
Myxomes/hémangiomes |
Tumeurs intracardiaques |
Insuffisance cardiaque |
4. Anomalies de l’appareil respiratoire |
Maladie adénomatoïde kystique pulmonaire |
Hydrothorax |
Séquestration extralobaire |
Hypoplasie pulmonaire primitive |
Lymphangiectasie pulmonaire |
Kyste bronchogénique |
5. Anomalies génito-urinaires |
Polykystose |
Hydronéphrose |
Néphroblastome |
Kyste ovarien volumineux |
Syndrome de Bartter |
6. Anomalies ostéochondrales |
Nanisme thanatophore |
Dysplasie campomélique |
Ostéogenèse imparfaite |
Achondrogenèse |
Syndrome de Klippel-Feil |
Dysostose acrofaciale de Nage |
7. Anomalies de la face et du cou |
Hygroma kystique |
Goitre thyroïdien |
Fente palatine |
8. Anomalies musculaires |
Myotonie de Steinert |
Syndrome de Pena-Shokeir |
modifié d’après Hill [9] et Perrotin et Fischer-Perrotin [11]
Les cardiopathies ou arythmies fœtales sont aussi des étiologies fréquentes d’hydramnios. Elles peuvent entraîner une insuffisance cardiaque, une augmentation de la pression hydrostatique dans les capillaires fœtaux puis une transsudation de liquide vers la cavité amniotique [22].
Ces anomalies, souvent graves, justifient la pratique d’une échographie par un opérateur référent car même dans ces conditions, bon nombre d’entre elles ne seront pas diagnostiquées en prénatal. Ainsi, Dashe et al. [10] ont rapporté un taux de détection des anomalies en présence d’un hydramnios excellent en cas d’anomalies osseuses, cérébrales ou thoraciques (100, 92 et 90 % respectivement), mais beaucoup moins performant en ce qui concerne les anomalies digestives, craniofaciales ou cardiaques (62, 50 et 40 % respectivement) [10]. Toujours dans la même étude, le taux de détection des anomalies fœtales n’était pas significativement amélioré en fonction de la gravité de l’hydramnios [10]. En effet, Dashe et al. [10] ont retrouvé un taux de détection d’une anomalie fœtale dans 75 % des hydramnios modérés, 83,3 % des hydramnios moyens et seulement 65,5 % des hydramnios sévères pour un taux global de détection moyen de 79 % [10]. Ils ont estimé que le risque de découverte postnatale d’une anomalie morphologique était de 1, 2 et 11 % en cas respectivement d’un hydramnios modéré, moyen et sévère. Cette donnée est extrêmement importante quant à l’information prénatale délivrée : il est primordial de prévenir le couple des limites de l’exploration échographique, particulièrement en cas d’hydramnios sévère.
En cas d’anomalie échographique, une aneuploïdie est retrouvée dans 6,5 à 27,6 % des cas [10, 23–25]. Dans ce contexte, l’hydramnios est à considérer comme un signe d’appel supplémentaire. En revanche, la question du risque d’aneuploïdie face à un hydramnios isolé n’est pas simple à résoudre, notamment en raison de la sensibilité variable dans le temps et dans l’espace de l’échographie. En cas d’hydramnios idiopathique modéré, la fréquence des anomalies du caryotype paraît identique à celle de la population générale [23, 24], ne justifiant pas la réalisation d’un caryotype fœtal. Les résultats de Dashe et al. ont confirmé cette donnée a priori rassurante en cas d’hydramnios isolé puisqu’ils estiment alors que dans cette population le risque d’aneuploïdie est égal ou inférieur à 1 % [10]. Aucune étude ne peut actuellement conclure quant à l’opportunité de réaliser un caryotype devant un hydramnios isolé [4]. Dans les hydramnios sévères, il semble que le risque d’aneuploïdie, lorsque l’échographie est considérée comme normale, soit de l’ordre de 10 % [23, 26], justifiant dès lors la proposition d’amniocentèse.