Chapitre 27 Compressions Vasculaires
Syndromes du Défilé Cervico-Thoraco-Brachial
Le syndrome du défilé cervico-thoraco-brachial regroupe l’ensemble des manifestations neurologiques, artérielles, et veineuses dues à la compression intermittente ou permanente des éléments du hile du membre thoracique dans 3 défilés anatomiques : le défilé interscalénique, la pince costoclaviculaire et le canal sous pectoral (fig. 27-1).
Bien que connu depuis l’antiquité il faut attendre 1957 pour que Pett [1] rassemble ces syndromes sous le terme anglosaxon de thoracic outlet syndrome. Cette entité clinique continue actuellement de soulever des controverses tant dans le diagnostic que dans la thérapeutique. Sur le plan clinique la compression artérielle représente environ 3 % de la symptomatologie des défilés tout comme les compressions veineuses. Quatre-vingt à 90 % se manifestent par des compressions neurologiques dont la symptomatologie peut être elle-même classique ou non spécifique.
Historique
Les compressions vasculaires ou nerveuses siégeant au niveau de cette zone de transition entre la région thoracique, la région cervicale et la racine du membre thoracique sont connues depuis l’Antiquité où Gallien et Vésale considèrent la présence de côtes cervicales comme une simple curiosité en lui attribuant l’entière responsabilité des symptômes. Pour Mercier [2], c’est William Harvey en 1627 puis Sir Astley Cooper 1821 et Rob Adams en 1839 qui rapportent les premières descriptions cliniques de complications vasculaires liées à la présence d’une côte cervicale. Verneuil en 1857 et Coote en 1861 effectuent les premières résections de côtes surnuméraires
L’avènement à l’époque de la radiographie confirmera la banalité de cette affection retrouvée chez 1 % des sujets; seulement 10 % des sujets porteurs d’une côte cervicale en ont une traduction clinique. Il faudra attendre près d’un siècle pour que soient découvertes d’autres causes anatomiques de compression. Adson et Coffey [3] en 1927, Oshsner, Gage et De Bakey en 1935 puis Naffziger et Grant en 1938 définissent « le syndrome sans côte cervicale » ou « syndrome des scalènes »; ils proposent de le traiter par section du tendon scalénique. Adson recherche d’autres zones de compression. Falconer et Weddel [4] en 1943 montrent le rôle de la pince costoclaviculaire, Law décrit les anomalies ligamentaires du dôme pleural, Sicard [5] souligne l’importance des anomalies fibreuses associées aux malformations osseuses.
Loewenstein en 1924 puis Gould et Mac Cleery en 1948 mettent en évidence le rôle du muscle sous-clavier. Wright [6] en 1945 montre la responsabilité du muscle petit pectoral lors du mouvement d’abduction du bras, ce même auteur en 1948 a le mérite de découvrir que la possibilité de compression vasculonerveuse est liée plus à l’aspect dynamique des structures qu’aux structures elles-mêmes. À la suite des travaux de Leray, Walshe, Stone et Lord font de la compression neurovasculaire une maladie acquise ou congénitale de la ceinture scapulaire. Peet [1] insiste sur le rôle joué par la 1re côte dont la résection est indispensable pour traiter définitivement l’ensemble de la compression. Il introduit la notion de thoracic outlet syndrome en 1956 qui sera traduite en français par Mercier en 1973 sous le terme de « syndrome de la traversée thoracobrachiale ».
Anatomie
L’étude anatomique de ces différents espaces doit être envisagée en position statique du membre thoracique et dans les conditions dynamiques qu’imposent les mouvements combinés du moignon de l’épaule et du membre thoracique.
Parmi les nombreuses études anatomiques consacrées à ce sujet, les travaux de Mercier [2], Patra, Brunet, Di Marino [7], font référence.
ANATOMIE MODALE
Défilé intercostoscalénique (fig. 27-2)
Étude statique
Variations anatomiques du défilé interscalénique
Insertion osseuse du muscle scalène antérieur
Un tendon complet n’est retrouvé que dans 20 % des dissections par Brunet [8] et présente dans ces cas un contingent musculaire dans sa partie moyenne. Ce tendon du scalène s’insère dans 70 % classiquement sur le tubercule de Lisfranc et dans 30 % des cas sur le segment antérieur de la première côte. L’angle costoscalénique définit par Billet est en moyenne de 60° mais variable. La portion distale du muscle scalène antérieur présente en dehors de cette insertion osseuse une expansion vers le fascia sus-pleural.
Les travaux de Sebileau, Rouvière et Testut ont depuis longtemps établi que la masse scalénique est « une et divisée »; les 3 muscles scalènes antérieur, moyen et postérieur forment une seule masse musculaire en haut et se divisent en bas pour laisser le passage aux éléments vasculonerveux. L’artère et le plexus brachial séparent en bas cette masse musculaire en 2 portions, 1 portion prévasculaire correspondant au muscle scalène antérieur et une portion rétroplexique correspondant à l’ensemble du muscle scalène moyen et postérieur. Les épaisseurs de ces 2 portions sont inversement proportionnelles, preuve de l’unité de l’appareil scalénique. Des anomalies de division musculaire expliquent la présence de muscles transplexiques pouvant agir comme agents compressifs du défilé intercostoscalénique; il est ainsi distingué les muscles interpédiculaires supérieurs entre le muscle scalène moyen et antérieur chez environ 2 % des sujets, des muscles interpédiculaires inférieurs correspondant aux muscles petits scalènes de Winslow (3 % des sujets) traversant les racines inférieures du plexus brachial ou s’interposant entre les racines et l’artère sous-clavière. Ces anomalies anatomiques musculaires expliquent la possibilité de bride ou de fronde interscalénique pouvant passer dans le plexus brachial au dessus ou en dessus de l’artère (type IV de Roos [9]).
Étude dynamique
Dans la manœuvre d’Adson [3] lors des mouvements combinés associant l’extension du cou, la respiration forcée et la rotation de la tête du côté examiné, l’artère est physiologiquement comprimée au bord médial du défilé interscalénique. Les mouvements combinant l’abduction du bras et la rétropulsion de l’épaule peuvent étirer les troncs primaires du plexus brachial qui se tendent sur la face ventrale du muscle scalène moyen. Cette tension est surtout importante sur le tronc primaire inférieur contre le tendon d’insertion de ce muscle scalène moyen. Ceci fait dire à Di Marino que la scalénotomie moyenne est au nerf ce que la scalénotomie antérieure est à l’artère.
Canal costoclaviculaire (fig. 27-3)
Étude dynamique
Jusqu’à 100e d’abduction la veine est libre dans le défilé costosous-clavier; au-delà elle vient buter contre le bord inférieur du muscle qui lui sert de poulie de réflexion. Lors de l’abaissement de l’épaule, l’espace costoclaviculaire se ferme; la veine subclavière et les troncs lymphatiques peuvent être comprimés. Cette compression est accentuée par la rétropulsion du moignon de l’épaule qui tend la corde du muscle sous-clavier. L’abaissement du moignon de l’épaule, associé à cette rétropulsion de l’épaule refoule la veine sur le billot costal lors de la manœuvre d’Eden [10]. L’hyper abduction du bras vient la plaquer au bord du muscle sous-clavier dans la manœuvre Wright [6].
Tunnel sous-pectoral
Étude dynamique
MALFORMATIONS ACQUISES ET CONGÉNITALES
Déformations acquises
Au niveau de la clavicule, certaines fractures peuvent occasionner un rétrécissement du canal costoclaviculaire par les cals vicieux exubérants, le chevauchement important des fragments ou la perte de la courbure protectrice claviculaire (fig. 27-4).
Au niveau de la 1re côte, les cals vicieux consécutifs ou les exostoses sont exceptionnels.
Malformations constitutionnelles
Côtes cervicales (fig. 27-5)
Elles sont dues à un développement plus ou moins important du bourgeon costal cervical qui existe normalement chez l’embryon humain et qui donne seulement la branche ventrale du trou transversaire de la 7e vertèbre cervicale. Leur fréquence est diversement appréciée 0,06 pour Adson, 0,5 % pour Lewis et Dale, 0,12 % pour Firsov et 1 % pour Simon. Elles sont bilatérales dans 50 % des cas. Le 1er stade de côtes surnuméraires est l’apophysomégalie souvent prolongée par un ligament fibreux très solide, reliant le sommet du processus transverse de la 7e vertèbre cervicale à la 1er côte, en arrière du tubercule des scalènes antérieurs (type II de Roos [9]). Cet élément fibreux est traumatisant pour le plexus brachial.
Trousseaux fibreux et muscles anormaux
Ils ont été classés par Roos [9] en 9 types : le type I est un trousseau fibreux reliant la côte surnuméraire et la 1re côte. Le type II représente les fibres tendues entre l’apophysomégalie de la 7e cervicale et la 1re côte; il constitue une hypertrophie du ligament transversopleural classique. Le type III unit le corps de la 7e vertèbre cervicale à la 1re côte. Le type IV le plus fréquent est représenté par une bandelette fibreuse tendue en pont entre le col de la 1re côte et le corps de celle-ci, immédiatement en arrière du tubercule de Lisfranc, et correspondant au faisceau latéral du ligament costopleural. Le type V correspond au muscle petit scalène tendu entre l’apophyse transverse des 6e et 7e vertèbres cervicales et s’insérant en bas sur le tubercule scalénique de la 1re côte. Le type VI est identique au précédent et s’insère sur le dôme pleural. Le type VII est une corde fibreuse musculaire entre le scalène antérieur et la 1re côte, passant sous la veine subclavière. Le type VIII proche du précédent naît sur le scalène moyen. Le type IX est très proche du type III, il s’agit d’un fascia plat comblant la courbure de la 1re côte et dépassant la racine thoracique du plexus brachial, responsable le plus souvent de symptomatologie dans le territoire du nerf cubital.
Conséquences physiopathologiques
LÉSIONS ARTÉRIELLES
Les microtraumatismes peuvent entraîner une fibrose périartérielle et des altérations pariétales. Ces phénomènes peuvent aboutir à la formation d’un thrombus intraluminal à risque embolique. Les migrations distales dans les artères digitales se traduisent par des phénomènes ischémiques et par des ulcérations digitales. L’anévrisme poststénotique ne se voit le plus souvent qu’avec une anomalie osseuse qui détermine une compression artérielle permanente. Ces anévrismes fusiformes sont susceptibles de se thromboser et d’emboliser (fig. 27-6).
CONSÉQUENCES VEINEUSES
Dans un 1er temps il s’agit d’une augmentation de la pression d’amont avec une stase périphérique. Progressivement les microtraumatismes répétés sont responsables d’une fibrose veineuse avec un développement de la circulation collatérale. L’évolution peut se faire vers la thrombose veineuse (fig. 27-7) ou thrombose d’effort. Si la circulation collatérale a pu progressivement se développer, la thrombose n’aura que peu de conséquences hémodynamiques. Dans le cas contraire, elle peut entraîner une véritable maladie postthrombotique du membre thoracique. Ces signes permanents sont rares, et dans la grande majorité des cas, la compression veineuse réalise un tableau d’obstruction intermittente de la veine subclavière.
Symptomatologie clinique
Aucun signe n’est pathognomonique du syndrome de la traversée cervico-thoraco-brachiale. Les circonstances de découverte sont variées, expliquant l’errance fréquence du diagnostic.
SIGNES CLINIQUES
Signes artériels
Plus rares, ils dominent le tableau clinique dans environ 3 % des cas. Il peut s’agir d’ischémie intermittente à type de claudication du membre supérieur avec douleurs et crampes survenant lors d’un effort soutenu du membre et ne cédant qu’à l’arrêt progressif de celui-ci. Permanente elle doit faire évoquer une oblitération de l’artère subclavière. L’ischémie distale peut se traduire par des phénomènes vasomoteurs et des troubles trophiques de la pulpe des doigts. La physiopathologie de ces phénomènes vasomoteurs reste controversée et ils se différencient des phénomènes de Raynaud car se limitent souvent à un ou deux doigts. Ils peuvent être la traduction d’une thrombose digitale par pluie d’emboles provenant de l’artère subclavière.