Chapitre 27 Aspects médicolégaux
La psychiatrie est une discipline médicale à part entière. On pourrait donc considérer qu’il s’agit d’une discipline comme les autres. Toutefois, une de ses particularités réside dans le fait que depuis 1838, au moment où la loi a promu les aliénés en malades, en sujets, le cadre législatif a été défini dans une visée essentiellement soignante et non contraignante.
À titre d’exemple, la loi du 30 juin 1838 avait pour but de protéger les malades aussi bien pour eux-mêmes que pour leurs biens, et d’encadrer leurs soins. Celle du 15 avril 1954, inapplicable et inappliquée, cherchait à soigner les alcooliques réputés dangereux. La loi du 3 janvier 1968, tenant compte des avancées des thérapeutiques, s’est extraite de celle de 1838 pour permettre une protection des biens.
La loi du 27 juin 1990 est venue, même si elle en conserve la forme, se substituer à celle de 1838 sur l’hospitalisation sous contrainte. Elle introduit deux éléments particuliers : outre des changements de terminologie, la notion de service libre et de protection des personnes contre l’arbitraire, ce qui est différent de la notion de protection du malade comme auparavant.
Enfin, la loi du 4 mars 2002, tenant compte de l’évolution de la société, est venue définir les droits des patients avec une partie importante concernant la psychiatrie.
Cette situation rend difficile la réponse aux exigences actuelles liées à l’efficacité et à la responsabilité. Sans doute aujourd’hui le point culminant réside dans le sort qui est fait à la population carcérale : nul n’ignore le poids des troubles psychiques présentés par les détenus. Les modifications de la notion d’irresponsabilité (ancien article 64), en discernement aboli ou altéré, ont amené à la responsabilisation totale ou partielle de personnes présentant des troubles mentaux plus ou moins lourds mais qui ont du mal à supporter la détention.
De plus, lorsqu’ils parviennent au sein de ces hôpitaux, habituellement pour des troubles transitoires aigus (art. 398 du code pénal), il est difficile au service receveur de privilégier la détention dans le cadre avant tout soignant : ces patients devant être considérés comme des détenus (interdiction de communication avec l’extérieur, hospitalisation d’office même s’ils sont dangereux du point de vue social et non pas du point de vue psychiatrique) devant être traités à part, les excluant, dans un lieu qui se veut resocialisant, de la fréquentation des autres pensionnaires, de leur entourage…
Il était difficile lors des ouvertures des SMPR (services médicopsychologiques régionaux) d’envisager qu’ils seraient si vite débordés. La solution apportée par les UHSA (unités d’hospitalisation spécialement aménagées) risque de subir le même sort.
Dans un registre identique, depuis bien longtemps, certains patients que l’on nomme psychopathes présentent la même difficulté. Ni psychotiques, ni névrotiques, ils se manifestent par leur trouble de comportement avec passage à l’acte. En fonction de paramètres fluctuants, ils se retrouvent soit du côté pénitentiaire, soit du côté hospitalier, sans que ces institutions ne parviennent à les aider de façon correcte. Eux aussi génèrent des difficultés auprès de leur entourage, mais les réponses qui leur sont fournies sont la plupart du temps inadéquates. Toutes ces personnes (détenus malades mentaux et psychopathes), jusqu’à ces derniers temps, étaient maintenues dans des zones frontières, avec les risques que cela implique. Ces risques étant tacitement assumés par la société.
Actuellement, la transformation progressive des mœurs s’oriente vers la prise en charge prioritaire des victimes et de leur entourage, lui-même considéré comme victime. Ceci implique l’apparition de notion de traitement psychologique, inventaire des troubles, et réparation. La réparation étant bien souvent liée à la recherche de responsabilités ; l’aléa thérapeutique étant rarement satisfaisant. Cependant, souvent l’auteur des délits, voire des crimes, est reconnu irresponsable, ce qui paraît insupportable aux victimes et à leur entourage, de sorte que de plus en plus souvent, établissements et psychiatres sont eux-mêmes recherchés comme responsables. Il est évident que de telles menaces ne peuvent que modifier le système de soins car la partie des risques au cours de la thérapeutique, nécessaire à l’évolution des malades mentaux (notamment lors des permissions et des sorties), se trouve réduite.
En revanche, un pas considérable a été franchi ces dernières années dans le traitement des victimes exposées à des événements traumatiques (attentats, accidents, etc.) par les cellules d’urgence médicopsychologique.
27.2 Législation et psychiatrie
« Le malade mental se trouve au carrefour du trouble du comportement et du trouble de l’ordre public ; de sorte que les études de psychiatrie font la part belle au juridique, d’autant que la loi devient souvent moyen thérapeutique. » F. Caroli
Par ailleurs la société se modernise sans cesse et, en conséquence, le droit évolue. Une des principales mutations actuelles est par exemple, dans l’éventualité d’un préjudice quelconque, le passage d’un fondement de la réparation sur la faute à un fondement de la réparation sur la responsabilité. De plus, la société qui prend acte des progrès de la médecine tend de nos jours vers une obligation de résultats et de gestion des risques. Une autre perspective nouvelle de l’exercice médical illustrée par la loi du 4 mars 2002 est le droit des patients : droit aux soins, au savoir, au pouvoir de décider, etc. Une particularité française réside dans le caractère centralisé de l’administration. C’est le droit administratif qui régit les hospitalisations et les soins, éventuellement sans consentement. La loi du 30 juin 1838 appartenait à une logique très « hospitalocentrée ». Celle du 27 juin 1990 a vu certes la terminologie modifiée mais sans changement réel de la philosophie. L’exercice actuel de la psychiatrie implique que les soins soient le plus souvent assurés hors des murs de l’hôpital alors que la législation reste construite sur la base de soins intrahospitaliers. Seront successivement envisagés : la charte des patients hospitalisés (6 mai 1995), la loi du 4 mars 2002, le cas particulier des urgences, les modalités des hospitalisations psychiatriques, les différents régimes de protection, puis les expertises. Une réflexion générale sur le concept d’évolution du droit clôturera cette partie.
Charte des patients hospitalisés du 6 mai 1995
Ce texte, qui a maintenant plus de 15 ans, traite :
• de l’accès au service public hospitalier ;
• des conventions avec des associations de patients ;
• dans son article 4 du cas de l’enfant hospitalisé, en précisant que les mineurs sont informés des actes et examens nécessaires à leur état de santé, en fonction de leur âge et de leurs facultés de compréhension, dans la mesure du possible et indépendamment de l’indispensable information de leurs représentants légaux ;
• des majeurs protégés qui doivent bénéficier d’une information appropriée ;
• de la famille et des proches qui doivent pouvoir disposer d’un temps suffisant pour pouvoir avoir un dialogue avec les médecins responsables ;
• du fait de laisser le patient dans l’ignorance d’un pronostic grave ou d’un diagnostic grave, qui doit reposer sur des raisons légitimes et qui doit demeurer exceptionnel ;
• du principe général du consentement préalable qui doit être éclairé, c’est-à-dire que le patient doit avoir été préalablement informé des actes qu’il va subir, des risques normalement prévisibles en l’état des connaissances scientifiques ;
• du consentement spécifique pour certains actes (recherche biomédicale, traitement de données nominatives, don et utilisation des éléments et des produits du corps humain, assistance médicale à la procréation et du diagnostic prénatal, études des caractéristiques génétiques, dépistage notamment du VIH) ;
• de la liberté individuelle, au sens où un patient hospitalisé peut, à tout moment, quitter l’établissement après avoir été informé des risques possibles pour son état, et après avoir signé une décharge ; hors les cas des personnes ayant nécessité une hospitalisation en raison de troubles mentaux (hospitalisation à la demande d’un tiers ou d’office) ;
• du respect de la personne et de son intimité ;
• du droit à la vie privée et à la confidentialité (article 9 du code civil et de la convention européenne des droits de l’homme).
Loi du 4 mars 2002
Cette loi comprend trois aspects : le droit à l’information ou le devoir d’informer avec les occurrences qui l’accompagnent sur les plans du secret professionnel ou du consentement aux soins. Il s’agit là d’une confirmation d’un principe souvent méconnu : l’accès au corps d’autrui, et plus largement à l’intimité d’autrui, dans une relation thérapeutique est dérogatoire au principe général qui normalement en assure l’interdiction absolue ; les principes fondamentaux en sont :
• un rappel des droits de la personne en termes de protection de la santé, de respect de la dignité, de respect de la vie privée et au secret des informations, de droit de recevoir des soins les plus appropriés et traitements dont l’efficacité est reconnue, de droit de recevoir des soins visant à soulager la douleur ;
• la communication directe au patient du dossier médical, ou plus exactement des informations médicales le concernant ; directement ou par l’intermédiaire d’un médecin :
• l’introduction d’un nouveau droit pour le patient : celui de désigner « une personne de confiance »pour l’accompagner dans son cheminement thérapeutique et qui a pour conséquence inédite une triangulation de la relation thérapeutique. Il s’agit d’un parent, d’un proche ou du médecin traitant ;
• la modification du droit des assurances et de la responsabilité des médecins en cas de faute en créant un niveau supplémentaire de régulation et de règlement des préjudices avec un dispositif régional et un Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) ;
• l’autorisation de la pratique de l’ostéopathie sous certaines conditions.1
Le cas des urgences
La situation d’urgence est reconnue dans un statut particulier par le droit qui lui accorde certaines dérogations. Si le sujet n’a plus un état de conscience suffisant pour lui permettre de consentir, alors c’est le consentement des proches, de la famille ou de la personne de confiance (art. L. 1111-4 du code de la santé publique) qui doit être recherché. Le soignant est fondé à prendre l’initiative uniquement si, d’une part les proches, la famille ou la personne de confiance, ne sont pas joignables dans un délai compatible, et si d’autre part l’abstention de toute attitude diagnostique, ou thérapeutique, peut entraîner un préjudice à la fois grave et immédiat.
Les situations d’urgence sont aussi des cas où se pose le problème de la dérogation au secret professionnel. La notion même de secret professionnel (art. 226-13 du code pénal) permet de révéler des informations à des autorités judiciaires, médicales ou administratives, concernant un mineur de 15 ans ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, de son état physique ou psychique.
L’hospitalisation
Au sujet de l’hospitalisation sans consentement, qui ne concerne rappelons-le que 20 % des patients hospitalisés en psychiatrie publique, la référence est maintenant la loi du 5 juillet 2011 et ses décrets d’application du 18 juillet 2011, applicables depuis le 1er août 2011 à la suite de la réponse du conseil constitutionnel à deux questions prioritaires de constitutionnalité (sur les hospitalisations sur demande d’un tiers en décembre 2010 et sur les hospitalisations d’office en juin 2011).
C’est par rapport à la loi du 27 juin 1990, qui n’était qu’une évolution sur la forme de la loi du 30 juin 1838 dont elle gardait, sur le fond, la logique hospitalo-centrée et les modalités , une véritable mutation avec :
• la disparition du terme d’hospitalisation au bénéfice de celui de soins, ce n’est pas là qu’un changement de termes mais une radicale évolution de logique. En effet, ce n’est donc plus l’hospitalisation qui est imposée mais les soins. C’est pourquoi l’absence de consentement et la justification de la contrainte comme cadre des soins comprennent logiquement plusieurs modalités (hospitalisation complète, hospitalisation partielle, consultations, etc.).
• le rappel de la prévalence des directeurs dans les soins sans consentement ;
• la persistance des préfets nommés maintenant représentants de l’État ;
• l’existence d’un nouveau mode de soins sans consentement pour péril imminent ;
• l’existence d’une période très contrôlée d’observation et de soins de 72 heures ;
• l’apparition de la judiciarisation au 14e jour avec un contrôle systématique de tous les cas de soins sans consentement encore en vigueur après cette période, par le juge des libertés et de la détention (JLD) ;
• la création des soins sans consentement hors les murs de l’hôpital sous la forme de programme de soins.
Différents modes de soins sous contrainte en hospitalisation
Admissions prononcées par le directeur
• Mesure de contrainte avec tiers.
• Mesure de contrainte sans tiers : soins pour péril imminent. Cette modalité est prévue quand il est impossible de recueillir une demande de tiers et qu’il y a péril imminent. De même, le directeur peut s’opposer à la levée de soins demandée par un tiers si l’arrêt des soins entraîne un péril imminent pour le malade.
Admissions prononcées sur décision du représentant de l’État (préfet)
Pour les admissions SDRE (sur décision du représentant de l’État), s’il y a désaccord entre le psychiatre et le préfet, il existe deux cas de figure :
• celui où le psychiatre demande la transformation de l’HC (hospitalisation complète) en programme de soins, si le préfet n’est pas d’accord, le directeur demande immédiatement un deuxième avis de psychiatre :
• celui où le psychiatre demande la fin de l’HC sans programme de soins : si le préfet n’est pas d’accord, le directeur demande un 2e avis de psychiatre :
En dehors de l’hospitalisation complète, les personnes justifiant de soins psychiatriques à la demande d’un tiers et sur décision du représentant de l’État peuvent être prises en charge dans le cadre d’une alternative à l’hospitalisation complète : le programme de soins. Ce programme précise les types de soins, les lieux de leur réalisation et leur périodicité.
• un certificat médical d’un psychiatre à 24 heures qui confirme la nécessité de la mesure ;
• dans les 72 heures, un second certificat qui propose, si la mesure est maintenue, le type de prise en charge (hospitalisation complète ou forme alternative du programme de soins).
• le contrôle systématique par le juge des libertés et de la détention des hospitalisations complètes. Ce contrôle du JLD est :
Des dispositions spécifiques sont prévues pour les patients en hospitalisation sur demande du représentant de l’État. Elles concernent les personnes hospitalisées sur demande du représentant de l’État dans le cadre d’une irresponsabilité pénale (art. 122-1 alinéa 1 du code pénal) ou en unité pour malades difficiles (UMD), ou ayant été hospitalisées dans ce type d’unité plus d’un an et depuis moins de 10 ans. Dans ce cas, la fin de l’hospitalisation complète ne peut se faire par le représentant de l’État qu’après avis d’un collège de soignants composé du psychiatre du patient, d’un autre psychiatre, d’un membre de l’équipe pluridisciplinaire qui prend en charge ce patient (infirmier, cadre de santé, psychologue, assistant social, etc.).
Le renforcement des droits des patients
• L’information des patients sur leurs droits et voies de recours est renforcée et leurs observations sur les décisions les concernant sont recueillies.
• Les sorties de courte durée sont rendues faciles pour les ex-HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers). Le patient, pendant ses sorties, peut désormais être accompagné par un membre de sa famille ou sa personne de confiance.
• Les mesures de soins psychiatriques sur décision du directeur de l’établissement (suite à une demande de tiers ou en cas de péril imminent) de plus d’un an font l’objet d’un examen par un collège tripartite.
• Les missions des Commissions départementales des soins psychiatriques (CDSP) sont recentrées sur les situations les plus sensibles : cas de péril imminent (sans tiers) et soins psychiatriques, sur décision du directeur de l’établissement ou sur décision du préfet depuis un an.
• Un rapport annuel est transmis au contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Les précisions relatives à l’organisation territoriale
• Les établissements chargés d’assurer la mission de service public « soins psychiatriques » sont désignés par le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) pour chaque territoire de santé, après avis du préfet.
• Si un patient est accueilli en urgence dans un établissement non habilité à traiter des patients sous contrainte, il est transféré vers un établissement habilité selon des modalités prévues par convention, au plus tard sous 48 heures.
• L’ARS définit sur chaque territoire de santé, en lien avec l’ensemble des partenaires de santé, un dispositif de réponse aux urgences psychiatriques et organise les modalités de transport.
• Pour assurer le suivi et la réinsertion des personnes sous programme de soins, les modalités de collaboration entre le directeur de l’établissement, le préfet, le directeur général de l’ARS et les collectivités territoriales sont définies par conventions.
La protection des incapables majeurs
La loi du 5 mars 2007, applicable depuis le 1er janvier 2009, est venue modifier les enjeux de la loi précédente datant du 3 janvier 1968. L’objectif de cette nouvelle législation était :
• de recentrer le régime des tutelles et curatelles sur les personnes réellement atteintes d’une altération médicale de leurs facultés personnelles, en les replaçant au centre de sa protection et en limitant le prononcé d’une tutelle ou d’une curatelle aux seules personnes atteintes d’une altération de leurs facultés personnelles. C’est pourquoi le juge des tutelles, avant de prononcer une telle mesure de protection, doit :
• de s’adapter aux évolutions sociales avec l’augmentation des malades atteints de pathologies démentielles et notamment de la maladie d’Alzheimer.
L’évaluation de la pertinence d’une mesure de protection impose toujours le constat d’une altération des facultés par un certificat médical circonstancié prévu à l’article 431 du code civil. Le certificat médical doit :
• décrire précisément l’altération des facultés du majeur à protéger ou protégé ;
• donner des éléments d’information sur l’évolution prévisible de cette altération ;
• préciser les conséquences de cette altération sur la nécessité d’une assistance ou d’une représentation du majeur dans les actes de la vie civile, tant au plan patrimonial qu’au plan personnel, ainsi que concernant l’exercice de son droit de vote.
Les principales modifications concernent :
• la création d’un « mandat de protection future », permettant :
• la conservation de deux niveaux de protection avec la mise sous tutelle (représentation dans tous les actes de la vie civile) ou de la mise sous curatelle (conseil et contrôle dans les actes de la vie civile) ;
• le renforcement des droits de la personne protégée :
• le renforcement du contrôle des tuteurs et des curateurs :
L’expertise
Il existe différents types d’expertises :
• civiles (adoption, divorce, réparation juridique du dommage corporel, protection des incapables majeurs, etc.) ;
• administratives (congés de longue maladie ou de longue durée dans la fonction publique, pension d’invalidité militaire, etc.) ;
Les particularités de la nomenclature Dinthilac sont précisées dans l’encadré 27.1.
Encadré 27.1 Nomenclature Dinthilac
des repères précis en proposant une trame d’évaluation et des définitions permettant ainsi une collecte et une mise en ordre des données dans les différents postes de préjudice ;
d’établir une différence entre les préjudices temporaires et les préjudices définitifs avec la notion de gêne temporaire et le fait que les souffrances endurées s’arrêtent au jour de la consolidation ;
d’établir une différence entre les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, c’est-à-dire les préjudices économiques et non économiques ;
d’établir que le déficit fonctionnel permanent (DFP) n’est pas l’invalidité permanente partielle (IPP) car elle comprend trois éléments : élément séquellaire, douleur permanente, et atteinte de la qualité de vie.
La responsabilité
Le concept de responsabilité est au centre de toute activité humaine et sociale. Comme on le sait, l’individu peut engager sa responsabilité vis-à-vis de la société qui s’est dotée de règles et se donne le pouvoir de sanctionner ceux qui ne les respectent pas. Cette sanction sera dénommée pénale lorsqu’il s’agit d’une règle intéressant l’ensemble de la société, et disciplinaire lorsque la règle est propre à une partie de celle-ci (hôpital ou ordre des médecins par exemple).
L’individu peut également engager sa responsabilité vis-à-vis des autres. Lorsque son action a conduit à un préjudice, en général en rapport avec une faute, une réparation est due à la victime. On dénomme cette responsabilité : civile pour le citoyen en général, et administrative lorsque l’acte a été commis dans le cadre du fonctionnement d’un service administratif, dont l’hôpital.
La violation du secret professionnel
Les évolutions récentes ont prévu des dérogations :
• maltraitance ou sévices concernant des mineurs de 18 ans (loi du 2 janvier 2004) ;
• information du préfet de la détention ou le projet d’acquisition d’une arme par un patient (loi du 18 octobre 2003) ;
• diagnostic ou pronostic grave au profit des proches, de la famille ou de la personne de confiance en cas (article L. 1110-4 du code de la santé publique).
Du suivi sociojudiciaire à la rétention post-pénale
Il y a un cheminement traduisant sous la forme de différents textes de loi une volonté sociale qui fait varier un droit humaniste vars un droit utilitariste. Dans ce contexte, les médecins psychiatres sont doublement interpellés comme cliniciens thérapeutes et comme médecins experts :
• la loi du 17 juin 1998 concerne les infractions sexuelles : le suivi sociojudiciaire qui peut inclure, après avis d’un expert psychiatre, une obligation concernant les soins ;
• la loi du 15 juin 2000 (dite « loi Guigou » ) établit la présomption d’innocence et réforme en conséquence la détention provisoire notamment en créant la fonction de juge des libertés et de la détention. La personne concernée par une hospitalisation sans consentement en HO (hospitalisation d’office) peut la contester devant le juge des libertés et de la détention ;
• la loi du 9 septembre 2002 crée les UHSA dont la première s’est ouverte à Lyon début 2010. Les UHSA ont pour mission la prise en charge en charge des hospitalisations pour troubles mentaux des personnes détenues, avec ou sans consentement ;
• la loi du 10 mars 2004 crée un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes ;
• la loi du 12 décembre 2005 crée la surveillance judiciaire, non cumulable avec le suivi sociojudiciaire ou la libération conditionnelle, et concerne des personnes dangereuses après leur libération, pour des faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi. En cas de risque avéré de récidive, le juge d’application des peines peut demander une expertise de dangerosité ;
• la loi du 10 août 2007 aborde deux éléments :
• la loi du 25 février 2008 (dite « loi Dati ») prévoit la possibilité après l’exécution de la peine :
Conclusion
• la dangerosité qualifiée de criminologique est progressivement séparée de la culpabilité ;
• le système de valeurs sur lequel se construit le droit ne repose plus sur la punition d’un individu dont la culpabilité est prouvée.
On assiste à un changement de paradigme qui fait passer tant les références que l’organisation :
• d’un système d’évaluation dépendant du juge pour le domaine de la sanction et de la punition, et du médecin pour le champ de la responsabilité ; avec des rôles sociaux qui pour chacun faisaient tiers dans des fonctions à la fois réelles et symboliques complémentaires (légalité du droit et légitimité de l’art médical) ;
• vers un nouveau système fondé sur la mise hors d’état de nuire d’un individu qualifié socialement de dangereux.
Mais ce changement de paradigme a comme conséquence un bouleversement fondamental des rôles. Il y a disparition comme tels des rôles joués classiquement par le juge et le médecin ; car ce ne sont plus eux qui procèdent à l’évaluation et qui prennent la décision. L’évaluation et la décision dépendent maintenant d’un transfert de compétence vers une commission : la Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS). Cette commission est une représentation du corps social qui :
• reste dans la gestion du réel dans ce qu’il a de plus opératoire en intégrant comme principe fondateur non plus l’humain mais la gestion déshumanisée d’un risque ;
• ne fait plus tiers, ni n’agit dans le symbolique, puisque siègent à la CPMS :
Le système pénal évolue vers l’automatisme des sanctions qui est une conséquence de :
• la suppression de l’individualisation des peines ;
• la marginalisation des juges comme instance tierce qui d’acteurs sociaux centraux de la réponse sociale en deviennent des acteurs marginaux ;
• d’une justice qui n’est plus une instance tierce, mais une instance de régulation et d’application des procédures, classifications et barèmes.
Dans les centres de rétention médicojudiciaire (loi 2008 sur la rétention de sûreté) :
• un individu est privé de sa liberté après exécution de sa peine ;
• un individu ayant un potentiel de dangerosité est neutralisé.
• la présomption d’innocence car il n’y a plus sanction d’un fait transgressif, mais protection d’un risque ;
• la notion de défense possible car il y a maintenant séparation entre la dangerosité qui repose sur une prédiction, et la culpabilité qui reposait sur un aveu ou une preuve.
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27.3 Les expertises en psychiatrie
Les puissantes relations entre la maladie mentale, le comportement et la vie sociale conduisent à ce que la pratique expertale soit plus développée dans ce domaine que dans les autres spécialités médicales. Selon une définition simple, l’expert est un sachant auquel un organe de décision fait appel pour l’éclairer sur une question technique participant à cette décision. L’image habituelle rattache l’expert psychiatre à la justice pénale et à la notion d’irresponsabilité mais, depuis de nombreuses années l’évolution sociale conduit à son intervention dans beaucoup d’autres branches de la décision judiciaire ainsi qu’à des situations sans lien avec la justice. Au sens strict, l’expert est un psychiatre inscrit sur une liste établie par les cours d’appel ou la cour de cassation mais, au sens général, c’est celui qui accepte une mission d’évaluation. Il est alors dans une situation différente de celle du médecin traitant, ce qui explique que le code de déontologie lui ait consacré des articles spécifiques (art. 4127-105 à 108 du CSP). Ces règles de déontologie s’imposent dans toute activité expertale :
• nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant ;
• le médecin doit se récuser si les questions qui lui sont posées sont étrangères à sa technique ;
• le médecin expert doit informer la personne de sa mission et du cadre dans lequel il travaille ;
• le médecin reste tenu au secret professionnel ;
• l’expert doit se récuser quand sa mission concerne un patient ou un ami, ou quand sont en jeu des intérêts d’une institution à laquelle il est lié.
• missionné par un organisme ou une institution, l’expert garde son autonomie professionnelle et son indépendance mais il doit répondre aux questions qui lui sont posées, à toutes les questions mais rien qu’à ces questions ;
• dans nombre de procédures judiciaires, voire extrajudiciaires, le principe du contradictoire est impératif. Il signifie que chacune des parties en cause doit pouvoir apporter les éléments qu’elle souhaite et doit être informée des éléments apportés par la ou les autres parties. L’expert se doit de respecter ce principe en toutes circonstances lorsque la procédure le prévoit ;
• une notion essentielle dans nombre d’expertises est celle de l’imputabilité. Cette notion médicolégale est très importante et conduit à tenter de rattacher un diagnostic à un comportement ou à des dommages. Il s’agit de déterminer s’il existe un lien entre une pathologie et un événement, soit que la pathologie ait pu produire l’événement, soit que l’événement puisse être responsable de la pathologie.
La pratique de l’expertise suppose de connaître parfaitement la procédure dans laquelle on intervient car les règles peuvent être très différentes d’une situation à une autre ou d’un cadre à un autre [5].
La pratique expertale suppose un savoir complémentaire en matière juridique mais également criminologique, sociologique et également psychologique [4].
Les expertises judiciaires
Expertise pénale
L’expertise pénale [1–3] est réalisée en référence aux articles 156 et suivants du code de procédure pénale (CPP) qui déterminent qu’elle peut être ordonnée par toute juridiction d’instruction ou de jugement. Elle peut aussi être ordonnée par le tribunal correctionnel ou le tribunal de police conformément aux articles 434 et 536 du CPP. En référence à l’ article 283 du CPP, une expertise pénale peut être ordonnée par le président d’une cour d’assises si l’instruction lui semble incomplète ou si des éléments nouveaux ont été révélés. Les réquisitions à des personnes qualifiées (psychiatre de garde ou urgentiste, etc.) ne sont pas au sens strict du terme des expertises pénales : elles ont avant tout pour objet de déterminer l’état mental actuel de l’intéressé, la nécessité de soins ou la compatibilité avec une garde à vue. La juridiction désigne le plus souvent un expert, mais une dualité d’experts est souhaitable dans des affaires criminelles complexes. La juridiction fixe les termes de la mission et donne un délai à l’expert. L’expertise pénale n’est en général pas contradictoire ; cependant les parties, que ce soit le ministère public et le mis en examen ou les parties civiles, ont un regard sur l’expertise. Les parties reçoivent les conclusions du rapport et les avocats peuvent recevoir une copie.
Quatre types d’expertises psychiatriques pénales peuvent être demandés par la juridiction : l’expertise psychiatrique ou l’ examen médicopsychologique avant jugement, l’expertise de prélibération conditionnelle et les expertises réalisées en application de la loi du 17 juin 1998 sur les auteurs d’infractions sexuelles. Le psychiatre peut être aussi sollicité pour l’expertise de la victime.
L’expertise psychiatrique avant jugement a pour objectif de repérer des troubles mentaux et de déterminer si ceux-ci sont en rapport avec le passage à l’acte criminel conformément au code pénal (CP). Il s’agit de déterminer si l’intéressé était atteint d’un trouble mental ayant soit aboli (article 122-1 alinéa 1 CP) soit altéré (article 122-1 alinéa 2 CP) son discernement. L’irresponsabilité pénale n’est acquise que quand il existait au moment des faits une abolition du discernement en rapport avec une pathologie psychiatrique reconnue. Il s’agit alors, pour la plupart des experts, de psychoses chroniques notamment schizophréniques en poussée évolutive, de bouffées délirantes, de troubles thymiques en phase aiguë (mélancolie ou manie), de confusion mentale ou encore d’une détérioration cognitive au décours d’une démence de type Alzheimer. Cette abolition du discernement concernait ces dernières années environ 0,45 % des dossiers criminels soit sensiblement 300 malades mentaux irresponsables par an. L’altération du discernement, prononcée en application de l’article 122-1 alinéa 2 du code pénal, est proposée par les experts habituellement pour des troubles psychotiques en dehors des poussées processuelles, pour des insuffisances intellectuelles légères, pour des troubles anxiodépressifs d’intensité modérée ou des états de détérioration intellectuelle préséniles. L’altération du discernement qui, il y a quelques années avait pour objectif de pondérer la sanction pénale tout en envisageant des soins appropriés, évolue actuellement vers une surpénalisation avec des peines plus longues au nom de la protection sociale. Des travaux sont en cours pour faire évoluer le code pénal et le code de procédure pénale dans ce domaine.
Dans le cadre de la loi du 17 juin 1998, une expertise est sollicitée par le parquet de façon la plus précoce possible. Il s’agit aussi de déterminer si l’auteur d’une infraction sexuelle peut bénéficier d’un suivi sociojudiciaire avec injonction de soins. Il s’agit là aussi d’une incitation soutenue faite à l’auteur d’une agression sexuelle à s’engager dans un processus thérapeutique. La loi du 17 juin 1998 a prévu la mise en place d’un médecin coordonnateur qui établit le lien entre le médecin traitant et le juge de l’application des peines. Ces médecins coordonnateurs, qui sont mis en place dans chaque département avec actuellement beaucoup de difficultés du fait de la pénurie d’experts, assurent une évaluation longitudinale de l’investissement d’un auteur d’agressions sexuelles dans un processus de soin.
L’expertise des victimes occupe une place importante dans le domaine des expertises psychiatriques. Il s’agit de rechercher le retentissement clinique et psychologique de l’agression sur la victime mais aussi de décrire sa personnalité et de façon beaucoup plus complexe d’apprécier sa crédibilité. Les dérives de l’expertise de crédibilité notamment chez l’enfant sont bien apparues dans « l’affaire Outreau » en 2003-2004. Le groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de cette affaire dramatique rappelle que l’objet de l’expertise de crédibilité est « de déterminer la présence ou l’absence de pathologie à type de délire, mythomanie, affabulation, insuffisance intellectuelle, conviction passionnelle… En l’absence de ces facteurs pathologiques, la victime présumée est crédible au sens médicolégal ». Le groupe de travail rappelle que « la crédibilité médicolégale ne signifie pas que le sujet n’a pas menti, qu’il n’a pas été influencé par des enjeux de loyauté ou des distorsions relationnelles…, ce que l’expert ne peut apprécier à coup sûr dans le cadre nécessairement limité d’un examen d’expertise… Il ne saurait être prétendu qu’il existe une automaticité de l’adéquation entre crédibilité médicolégale et vérité judiciaire ». En prenant en compte tous les problèmes et les drames vécus par plusieurs auteurs et victimes, le groupe de travail proposait de supprimer le terme crédibilité de toute expertise.