26: Organisation de l’offre de soins

Chapitre 26 Organisation de l’offre de soins




26.1 Introduction




L’organisation de l’offre de soins — c’est une donnée souvent oubliée — est un paramètre déterminant du résultat thérapeutique. À titre d’exemple, on peut évoquer la nécessaire précocité de la prise en charge des patients débutant un trouble schizophrénique, qui sera favorisée par la proximité, la diversité et la disponibilité des dispositifs proposant des interventions pluridisciplinaires, ainsi que par leur capacité à mettre en œuvre des soins répondant aux critères de qualité reconnus par l’état de la science. C’est dire d’emblée qu’il s’agira d’une question extrêmement complexe, qui mettra successivement en jeu : une conception globale du fait pathologique, une philosophie de l’intervention de soins et de la solidarité nationale, une problématique de l’évaluation des besoins et des priorités à retenir, des dynamiques collectives d’appropriation des politiques définies, le rôle de l’État, comme celui des organisations professionnelles dans un jeu délicat de concertation, de décision, enfin de mise en actes des choix établis.


De ce fait, l’organisation de l’offre de soins obéira largement, pour ne pas dire exclusivement, à une dynamique de réflexion nationale, pour laquelle les particularités de l’histoire de la discipline, de la culture des professionnels, liées aux apports singuliers des auteurs du pays considéré, mais aussi l’héritage social et institutionnel des structures hospitalières auront une influence déterminante.


Ce caractère national de l’organisation des soins est naturellement une donnée impossible à contourner — même s’il peut exister selon les pays des similitudes entre systèmes de soins, qui seront liées à la proximité des concepts, des systèmes sociaux et de philosophie d’intervention — puisqu’un système collectif ne se déploie que dans une communauté humaine. Ce caractère premier du fait national, et par conséquent la difficulté à sa remise en cause, ne devront néanmoins pas constituer un obstacle à l’examen raisonné de la pertinence du système de soins, précisément dans la mesure où la recherche de l’efficacité thérapeutique, de la satisfaction des patients et de leurs proches passera par sa continuelle adaptation.


Nous nous intéresserons donc dans ce chapitre au système français. Nous envisagerons successivement la question de l’évaluation des besoins, puis celle de l’architecture du système public, fondée sur le concept de « secteur » géodémographique, celle de l’intervention en urgence, celle de la pratique de psychiatrie de liaison, proposée dans les établissements hospitaliers généraux, les réalités et pratiques de la psychiatrie libérale, pour terminer par l’offre spécifique développée en direction des patients souffrant de troubles addictifs.


L’évaluation des besoins est un préalable fondamental à la définition d’une politique de santé publique qui intégrera la dimension de l’organisation des soins [2]. Force est toutefois de constater que, en France, la notion de besoin de soins est significativement infléchie par les caractéristiques propres à notre pays de la perception des priorités, de l’acuité, par les représentations sociales qui gouvernent les convictions sur l’imputabilité des troubles, ou l’histoire de la prise en charge des malades mentaux. Comme l’a montré l’étude de J.-L. Roelandt [1], qui a permis des comparaisons internationales sur les notions de folie, de maladie mentale et d’intention de recours en cas de trouble, les croyances, la culture, le niveau de développement influent très largement sur les besoins de soins ressentis. On sait par ailleurs que la perception du besoin de soins est liée — sans en être bien entendu totalement dépendante — à l’offre disponible et aux circuits de recours existants, à l’échelle locale comme au niveau national. C’est ainsi que, si en théorie l’équipement en structures, en professionnels, filières de soins se devait de se calquer sur les morbidité et mortalité constatées, le constat à dresser aujourd’hui irait plutôt dans le sens d’une grande hétérogénéité de l’offre de soins, découplée des réalités épidémiologiques. Avant d’y voir seulement une inégalité injustifiable dans un pays de principes républicains, il y a sans doute lieu d’en saisir la légitimité sociale dans les particularités locales de la volonté des populations et de leurs représentants de se doter de systèmes fonctionnels répondant à des besoins de soins ressentis comme tels. Pour autant, ces inégalités confrontent à la question de l’objectivité de ces besoins, comme à celle des moyens à mettre en œuvre pour les réduire. Ceux-ci devront asseoir leur légitimité dans les processus à mobiliser de démocratie sanitaire, incluant les usagers, les familles, les élus, qu’il convient maintenant d’associer pleinement aux processus de décision.


Le chapitre suivant traitera des modalités techniques et des difficultés spécifiques de la question de l’évaluation des besoins de soins. En préalable, il convient cependant de rappeler qu’en matière de santé psychique, l’évolution de l’état clinique dépend directement de l’engagement du sujet dans une demande d’intervention, adressée au thérapeute, crédité des compétences requises, et qui est l’indice de son désir de changement (et d’aide). Il n’y a pas de changement contre le gré du sujet, et qui ne s’appuie pas sur son désir profond. La question du besoin ne saurait donc être seulement traitée en soi, comme la conséquence mécanique des dysfonctionnements constatés. Le besoin, certes, ne se réduit pas à ce qui sous-tend la demande, comme il peut exister une demande sans besoin. A contrario, il ne peut exister de besoin sans, au moins, une forme d’adresse à l’autre, puisqu’il s’agit du besoin d’une intervention dont l’efficacité tient aussi en l’attente qui la porte. Et qu’il ne saurait y avoir de « besoin » d’une action inefficace. Et on rejoint exactement ici, sur le versant individuel, les remarques formulées plus haut pour le champ collectif.


Le système public de soins psychiatriques français, comptable des besoins collectifs, est organisé sur la base du secteur géodémographique. Depuis la circulaire du 15 mars 1960, réglementairement, les soins hospitaliers et ambulatoires, libres ou sous contrainte, sont proposés par une même équipe pluridisciplinaire, dont la mission est de s’attacher à répondre aux besoins de soins de prévention, de cure et de postcure d’une population d’environ 70 000 habitants, définie par un secteur géographique. Sont ainsi posées les conditions d’exercice d’une psychiatrie généraliste, s’attachant à permettre une continuité des soins, en tout point du territoire. Le chapitre consacré à cette architecture, qui représente un socle irremplaçable pour la prise en charge de tout patient présentant un trouble psychiatrique franc, examinera donc ce « modèle » français dans ses modalités effectives de mise en œuvre, mais aussi dans ses résultats. Car si « le secteur », pensé il y a un demi-siècle, est aujourd’hui, et du fait de la latence naturelle des politiques publiques, la base structurelle de l’intervention publique, l’organe de la sollicitude collective à l’égard des personnes douloureusement et durablement affectées par un trouble psychique manifeste, qu’en est-il de son adaptation aux problématiques actuelles, de sa capacité à répondre à l’ensemble de ses missions, et de la satisfaction qu’il apporte à ses bénéficiaires [3] ?


En complément de l’architecture sectorielle, le système public a développé depuis une vingtaine d’années, avec une généralisation plus récente encore, des formules de prise en charge en urgence. À quels besoins répondent-elles ? Où sont-elles installées ? Quelles techniques de soins développent-elles ? Quelles complémentarités sont aménagées avec le dispositif sectoriel, en termes de « clientèle », de besoins de la population, et en termes de stratégies de soins ? Est-il équivalent, sur le plan de la philosophie des soins, et donc des conceptions psychodynamiques — au sens large — du changement, et sur le plan des résultats, d’intervenir ponctuellement et en urgence, quitte à renouveler fréquemment les actes de soins, ou de privilégier, et donc d’organiser une prise en charge continue et au long cours ? On peut imaginer que cela dépendra des cas, mais ce n’est pas non plus certain. Comme il n’est pas certain que le chapitre, qui a pour mission d’en traiter, puisse trancher aujourd’hui cette question ; le lecteur devra néanmoins la garder à l’esprit.


À peu près simultanément s’est développée dans les hôpitaux généraux, soit qu’aient pu s’y installer des secteurs de psychiatrie générale, soit que cette pratique ait été mise en œuvre par les équipes d’urgence, ou encore à partir des centres hospitaliers spécialisés, une psychiatrie dite « de liaison ». Cette pratique concerne les actions de diagnostic et de traitement des patients pris en charge en hôpital général ou en institution de moyen séjour pour d’autres motifs que la morbidité psychiatrique. S’intéressant à des pathologies caractérisées, ou à ce qu’il est convenu de classer sous la rubrique de la « psychologie médicale », comme les troubles réactionnels, la psychiatrie de liaison a développé un champ clinique original et des savoir-faire d’équipe qui ont su montrer leur utilité. Cette offre de soins complète le dispositif d’intervention hospitalière, et a l’avantage de proposer une alternative à une hospitalisation en milieu spécialisé, qui n’est pas toujours légitime.


La psychiatrie libérale représente dans notre pays une force singulière, et précieuse, au service des patients. Elle peut tout d’abord soutenir des structures hospitalières, cliniques, centres de postcure. Elle intervient alors pour des séjours hospitaliers ponctuels, dans l’évolution des pathologies qui le nécessitent, mais elle n’a encore pu développer l’approche de complémentarité et de pérennité de l’engagement soignant des secteurs. Elle représente surtout une offre ambulatoire, fondée sur le colloque singulier, contractuel, librement choisi. Elle supporte l’essentiel des démarches psychothérapiques individuelles, pour les patients dont les troubles autorisent leur prise en charge dans un cadre interindividuel. La psychiatrie libérale française a néanmoins dorénavant un double défi à relever : celui de la définition et de la mise en œuvre de nouvelles formes de prises en charge, répondant aux problématiques pathologiques d’aujourd’hui. Et celui d’une répartition territoriale plus harmonieuse, sans doute en première approche antinomique de son caractère libéral, mais qui ne pourrait perdurer sans risquer de délégitimer l’ensemble de ce champ de pratiques. Comment en effet soutenir que cette pratique est indispensable ici sans agir pour qu’elle soit aussi présente là ?


Enfin, l’offre de soins dans le domaine de la pathologie psychique s’est développée en direction de l’addictologie. Tant dans le champ des structures hospitalières générales que dans le champ des structures spécialisées, de l’hospitalisation que de l’ambulatoire, de la cure que de la postcure, des filières de soins se sont localement constituées pour répondre aux besoins de soins de sevrage et de lutte contre la dépendance, en matière d’alcoologie ou d’autres abus de substances. En ce domaine, notre pays ne dispose pas d’une politique globale aussi affirmée que dans celui des troubles psychiatriques, même si la lutte contre les dépendances et leurs effets de santé publique fait l’objet de mises à jour. La conséquence en est que la planification des équipements est sans doute plus aléatoire. Nous aurons toutefois garde d’en conclure que l’offre de soins est de moins bonne qualité.


L’ensemble de cette offre de soins est donc celle de structures et de professionnels du champ sanitaire. Elle s’inscrit légitimement dans le registre d’une thérapeutique qui a à connaître des pathologies, et dans le périmètre d’intervention de l’assurance-maladie. S’il n’est pas dans notre mission d’en traiter dans ce chapitre, il faut néanmoins évoquer l’offre nécessaire et complémentaire de prestations de nature sociale, qui s’adresse à des personnes durablement handicapées par leurs troubles psychiques. À l’articulation doit se tenir une filière des soins de réhabilitation psychosociale, qui doit préparer ces patients à tirer le meilleur parti des dispositifs d’aide à l’insertion dans la communauté civile. C’est en effet peu de dire que les priorités formulées par les patients et leurs familles, et qui doivent être reconnues par les professionnels et le champ sanitaire mettent l’accent sur la vie personnelle et citoyenne qu’ils sont, au même titre que le reste de la population, en droit d’espérer.




26.2 Évaluation du besoin de soin en psychiatrie



Le besoin de soin en psychiatrie est une notion complexe. En effet toutes les personnes qui présentent un problème de santé mentale n’ont pas forcément besoin de soin et celles qui ont besoin de soin n’ont pas forcément besoin que ces soins soient délivrés en milieu spécialisé psychiatrique. Cette problématique doit donc être étudiée au moins à deux niveaux : la définition du problème et celle du traitement correspondant y compris le type d’intervenant habilité à le prodiguer et son contexte. Il existe en effet de nombreux acteurs de soin en santé mentale : généralistes, psychologues, psychiatres, autres intervenants (éducateurs, ou assistants sociaux par exemple), dont la pertinence variera suivant les problèmes à traiter. Dans un système de libre accès aux soins, la demande de soins en psychiatrie ne signifie pas le besoin de soin ou à tout le moins le besoin de soins en psychiatrie et inversement certains besoins n’entraîneront pas de demande ou une demande dans un contexte non suffisamment spécialisé [7].



La mesure des besoins par population


A.M. Lovell dans un article de revue de littérature propose de séparer [9] :




Approche indirecte


Dans une tentative d’évaluer l’ampleur des besoins de soins, S. Shapiro et al. [10] ont établi dans un des sites de l’étude ECA qu’un besoin était présent s’il y avait présence d’un désordre dans la dernière année et :



Avec de tels critères, les besoins de soins de santé mentale touchaient près de 20 % de la population. Cependant, comme le montre encore notre cadre conceptuel, tenir mieux compte des trois axes des états de santé mentale comme l’ont fait S. Shapiro et al. [10] ne préjuge pas des besoins. Il s’agit d’un indicateur indirect des besoins sur une base populationnelle. Par exemple, on ne sait pas si ces personnes identifiées avec un désordre et un certain niveau de détresse et de dysfonctionnement accepteraient un traitement, ni lequel, ni qui devrait le fournir.


Une autre enquête en population générale conduite aux États-Unis dans l’État du Colorado [46] a relevé auprès de 4 745 personnes tirées au sort dans une quarantaine de zones géographiques, les trois mesures :



L’enquête démontre que les champs du diagnostic psychiatrique, de la gêne fonctionnelle et de la détresse psychologique ne se recouvrent que très partiellement : sur une période d’un mois 16,3 % de la population présentent un diagnostic psychiatrique, 11 % une détresse psychologique et 11,1 % une gêne significative dans ses activités quotidiennes ; les deux tiers de ces personnes présentent deux de ces problèmes soit 9,7 % et seulement 2,7 % ont les trois problèmes.


Ces trois dimensions sont donc relativement autonomes, ce qui signifie que des personnes ont des diagnostics classifiables sans retentissement psychologique ou social et qu’inversement des personnes qui souffrent de détresse psychologique ou d’un dysfonctionnement d’origine psychologique n’ont pas de diagnostic, du moins parmi ceux mesurés dans cette enquête.


Ces dimensions peuvent être combinées de diverses façons pour produire des indicateurs de besoins. Les auteurs proposent d’utiliser les trois mesures (diagnostic, détresse et dysfonctionnement) pour opérationnaliser les besoins de soins en y ajoutant des critères de durée. On aboutit à cinq catégories qui correspondent à différents degrés de besoin et peuvent être utilisées par les planificateurs pour établir leurs priorités et les typologies de moyens correspondantes :



C’est à partir de ces groupes que les planificateurs doivent décider de leurs priorités ainsi que des différents systèmes de soin à impliquer.


Les auteurs produisent par exemple le tableau d’utilisation des soins de ces différentes catégories suivant que les personnes n’utilisent pas les services, ou sont des patients extra ou intrahospitaliers.


À partir de ces données les auteurs proposent au planificateur de choisir ces objectifs et les services qui correspondent au problème considéré ; il est possible par exemple de traiter séparément les problèmes de substances si leur prise en charge est faite dans un système autonome. De même, la participation des services sociaux peut être individualisée et ajoutée à celles des services médicaux ; ces derniers peuvent être eux-mêmes subdivisés suivant qu’il s’agit du système de soin primaire ou secondaire et tertiaire.



Approche directe


D’autres études ont essayé d’aller plus loin dans la détermination du besoin de soins en différenciant le besoin de soin dans le réseau de soin primaire (généraliste) et dans le système de soin spécialisé.


Dans le cadre d’une étude populationnelle en Finlande ( Mini Finland Health Survey) sur un échantillon représentatif des plus de 30 ans, le groupe de V. Lehtinen [8] a utilisé une stratégie en deux phases : un screening avec le General Health Questionnaire ou GHQ36 et dans la deuxième phase un instrument diagnostique clinique, le Present State Examination utilisé par une infirmière de recherche auquel s’ajoutaient des données en provenance des différents registres pertinents : pensions pour handicap et prise en charge d’un psychotrope au long cours.


Le besoin de soins était évalué tant du point de vue de la personne que du spécialiste ; un questionnaire permettait en effet de connaître les opinions de la personne sur ses besoins tandis que deux types de besoin étaient évalués par les chercheurs : le besoin de soin spécialisé qui impliquait un indice de sévérité selon le système de Catégo 6 ou pour un niveau 5 une évaluation du besoin par la personne qui faisait passer le PSE et celle d’un psychiatre de recherche ayant revu les histoires de cas avec l’infirmière. Les cas qui n’atteignaient pas ce niveau étaient considérés comme relevant du système de soin primaire.


Avec une telle procédure, Lehtinen arrivait à la conclusion que 9,7 % de la population avait des besoins de soins de santé mentale par les services de base et que 8,7 % avaient des besoins de santé mentale par les services psychiatriques.


Les travaux de l’équipe du MRC Social Psychiatry Unit au cours des 15 dernières années ont amené le développement de procédures standardisées d’évaluation des besoins d’intervention pour les personnes souffrant de troubles mentaux graves, généralement psychotiques, déjà en contact avec les services [3] puis à partir de 1992, à une extension de ces procédures aux cas identifiés lors d’enquêtes épidémiologiques populationnelles et qui sont généralement affectés de troubles mentaux non-psychotiques. Ces efforts ont produit une procédure connue sous le nom de Needs For Care Assessment Schedule-Community (NFCAS-C) [1].


Cette approche part du postulat qu’un besoin existe :



Le NFCAS est un instrument de mesure du besoin de soin qui opérationnalise cette proposition, problème par problème, par une évaluation faite en équipe de chaque possibilité thérapeutique pour chacun des problèmes évalués aboutissant à un score pour chaque patient de ses besoins cliniques et sociaux, comblés ou non comblés. L’approche a pu être adaptée aux enquêtes de population.


Par exemple, une étude épidémiologique en deux étapes a été menée auprès d’une population d’un quartier défavorisé de Londres. Un échantillon aléatoire de 760 adultes de 18-65 ans a répondu à un instrument de dépistage de type inventaire de la détresse psychologique, le General Health Questionnaire [2]. Dans une seconde étape, un échantillon stratifié de 408 personnes a été interviewé à l’aide d’un questionnaire standardisé, les Schedules for Clinical Assessment in Neuropsychiatry, permettant de classer les diagnostics selon la CIM-10, d’établir les services reçus et ce que la personne souhaiterait comme soins. Un comité d’experts composé d’un psychiatre, d’un psychologue et de la personne ayant conduit l’entretien révisait l’histoire de chaque cas et établissait les besoins d’interventions à l’aide du NFCAS-C.


La prévalence dans le dernier mois de l’ensemble des désordres selon la classification CIM-10 était de 9,8 %, celle dans la dernière année de 12,3 % ; pour la dépression majeure par exemple, cette prévalence était respectivement de 3,1 et 5,3 %. Près de 10,4 % de la population aurait un besoin de santé mentale selon l’évaluation découlant de la procédure NFCAS-C et moins de la moitié de ces besoins étaient comblés. L’étude démontre aussi que certaines personnes présentant un problème de santé mentale diagnostiqué ne nécessitaient pas d’interventions (par exemple, il était jugé que le trouble venait de débuter ou pourrait se résoudre ou se résolvait sans interventions des services) ou à l’inverse que d’autres personnes ne présentant pas de diagnostic selon le SCAN mais souffrant de détresse psychologique et présentant des difficultés de fonctionnement social pouvaient néanmoins bénéficier d’intervention.



Les indicateurs sociaux


Toutes les études épidémiologiques ont montré que la plupart des problèmes de santé mentale étaient liés à des variables sociales relativement simples : sexe, âge, statut d’emploi ou statut social, statut matrimonial ou encore le fait de vivre seul.


Ces corrélations ont amené à utiliser des variables sociales pour en inférer la prévalence des problèmes.


Qui plus est, pour un territoire donné, des indicateurs comme le taux de chômage, le taux de personnes à bas revenu, le taux de personnes séparées/divorcées, le taux des locataires/propriétaires, qui sont des données en principe facilement accessibles, sont non seulement corrélées avec ces problèmes de santé mais aussi avec l’utilisation des soins.


L’utilisation de ces variables peut être opérationnalisée dans le cadre de la planification et ces variables sont connues sous le vocable d’indicateurs sociaux. Ceci permet d’éviter une distribution par territoire qui ne tiendrait pas compte de quantités de besoin différentes alors même que ces différences sont perçues par les différents acteurs, tout en leur proposant une modulation relativement objective et acceptable par tous.


L’enquête conduite dans le Colorado a été précisément utilisée pour valider une approche par indicateur : le Denver University (DU) proche de l’indicateur de Slem. Ce dernier repose sur deux indicateurs sociaux (taux d’hommes divorcés ; taux de population sous le seuil de pauvreté). Les techniques statistiques de régression linéaire multiple visent à optimiser les paramètres de ces deux variables en fonction des différents critères ou combinaison de critères de besoin. Ils établissent les paramètres suivants pour leur indicateur DU en fonction de différentes combinaisons de critères pouvant être utilisées (même si le dernier critère des personnes avec troubles mentaux graves a des propriétés prédictives plus faibles).


La prévalence de besoins dans chaque catégorie se calcule à l’aide de l’équation de régression linéaire suivante :



image



Ainsi, pour tout secteur de recensement qui représentait ici l’unité territoriale de base de la modélisation, on peut établir la prévalence de besoin. Pour des régions, il s’agit de compiler les besoins des secteurs de recensement les composant. Ainsi, dans le tableau 26.1 les résultats finaux sont donnés pour certaines régions et pour l’ensemble de l’état du Colorado, selon différents critères de besoins de santé mentale.



Selon les critères de besoins choisis, la modélisation propose des nombres de personnes ayant des besoins de santé mentale dans chaque région et offre ainsi un tableau facile à comprendre à tous les acteurs de la planification. On constate par ailleurs que cette modélisation projette des différences entre les besoins relatifs entre les régions, de l’ordre de 2 : 1 entre les régions les plus nécessiteuses et celles plus privilégiées. On note aussi les différences entre les milieux fortement urbanisés (Denver), et ceux semi-urbains et ruraux (comté Jefferson), avec des besoins plus grands en milieu urbain.



Les applications françaises


Cette dernière approche vient d’être expérimentée dans cinq régions françaises : dans quatre régions elle a concerné la santé mentale des adultes : Île-de-France, Lorraine, Haute-Normandie et Rhône-Alpes et en PACA elle a concerné les enfants de 6 à 11 ans. Une enquête de population a été conduite sur des échantillons de 5 000 personnes pour les adultes et de 2 500 enfants.


Pour déterminer le besoin de soin, trois éléments ont été évalués :



À ces éléments s’ajoutent la présence/absence d’un traitement, les intervenants et le contexte dans lequel il a été prodigué.


Pour ce qui est des indicateurs sociaux, la France dispose de plusieurs sources de variables disponibles pour des territoires de relativement faible surface :



Ce sont donc ces dimensions qui ont été évaluées et qui permettront éventuellement de modéliser les besoins dans les territoires pertinents pour la planification des soins en psychiatrie par la méthode de régression multiple permettant de déterminer les coefficients par scénarios de besoin.


Cependant il importe de garder à l’esprit qu’il s’agit ici des besoins en population générale et que les besoins des personnes présentant des troubles psychiatriques sévères de type psychotique sont mal représentés dans ces enquêtes du fait de la faible prévalence de ces troubles et du fait que les personnes qui en souffrent habitent dans des lieux spécifiques ou encore qu’ils répondent peu aux enquêtes.


Pour ces raisons il est nécessaire d’ajouter à ces informations les données concernant les personnes en contact avec le système de soin en particulier le secteur et les cliniques privées pour lesquelles des données sociodémographiques et géographiques devront avoir été relevées pour disposer des deux types d’information. Le PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) et la fiche patient peuvent être utilisés à cette fin sur les territoires concernés.


À partir de là, les indicateurs de prédiction peuvent être recherchés puis comparés région par région pour tenter d’aboutir à des indicateurs nationaux qui permettraient alors d’appliquer les résultats obtenus sur ces régions aux autres régions.


Différents niveaux de besoin pourraient théoriquement être modélisés : celui d’un besoin de « santé mentale » prenant en compte la détresse psychologique et qui s’adresserait au système de soin primaire : généralistes, psychologues, et le besoin de soin « psychiatrique » qui concerne le secteur de soin spécialisé en psychiatrie et qui s’adresserait par exemple aux cas les plus sévères du fait de leur comorbidité ou d’un retentissement fonctionnel très important.




Références



[1] Bebbington P.E., Brewin C.R., Marsden L., Lesage A.D. Measuring the need for psychiatric treatment in the general population : the community version of the MRC Needs for Care Assessment. Psychol Med. 1996;26:229-236.


[2] Bebbington P.E., Marsden L., Brewin C.R. The need for psychiatric treatment in the general population : the Camberwell Needs for Care survey. Psychol Med. 1998;27:821-834.


[3] Brewin C.R., Wing J.K., Mangen S.P., et al. Needs for care among the long-term mentally ill : A report from the Camberwell High Contact Survey. Psychol Med. 1988;18:457-468.


[4] Ciarlo J.A., Tweed D.L. Implementing indirect needs-assessment models for planning state mental health and substance abuse services. Eval Program Plann. 1992;15:195-210.


[5] Ciarlo J.A., Shern D.L., Tweed D.L., et al. The Colorado social health survey of mental health service needs. Eval Program Plann. 1992;15:133-147.


[6] Ciarlo J.A., Tweed D.L., Shern D.L., et al. Validation of indirect methods to estimate need for mental health services. Eval Program Plann. 1992;15:115-131.


[7] Kovess V., Lesage A., Boisguerin B., et al. Planification et Évaluation des besoins en Santé Mentale. In Comité de la santé mentale du Québec et Direction générale de la santé. Paris: Flammarion Médecine Sciences; 2001.


[8] Lehtinen V., Joukamaa M., Jyrkinen E., et al. Need for mental health services of the adult population in Finland : results from the Mini Finland Health Survey. Acta Psychiatr Scand. 1990;81:426-431.


[9] Lovell A. Estimation des besoins et évaluation des interventions en santé mentale : nouvelles approches. Rev Epidémiol Santé Publique. 1993;41:281-291.


[10] Shapiro S., Skinner E.A., Kramer M., et al. Measuring needs for mental health services in a general population. Med Care. 1985;23:1033-1043.



26.3 Le secteur de psychiatrie




La longue marche


L’origine de la pensée sectorielle, parfois mythifiée, fait référence au mouvement des idées directement issu de la Résistance après la défaite survenue en 39/40. La volonté de reconstruction et de prise de distance par rapport au dispositif asilaire qui n’avait pratiquement pas évolué depuis un siècle a été déterminante chez les pères fondateurs du secteur, mais on oublie souvent que depuis la fin du xixe siècle, les principes aliénistes avaient été remis en question ; l’archaïsme de l’asile, son encombrement et le détournement de sa finalité thérapeutique au profit d’une ségrégation des malades mentaux avaient été dénoncés par de nombreux psychiatres. Les regards se tournaient vers les colonies thérapeutiques dont certaines étaient très anciennes et c’est l’open door britannique qui inspirera B.A. Morel et V. Magnan, partisans d’une ouverture des hôpitaux vers la communauté.


Le premier service libre sera créé en 1922 à Sainte-Anne par Édouard Toulouse. L’hôpital devient alors un élément de l’offre de soins qui comporte une consultation (dispensaire), un service de visite à domicile et un service social. La circulaire Rucart en 1937, véritable esquisse du secteur, incitera à la modélisation de cette expérience. Le changement ne se réduira pas à un redéploiement de l’existant mais s’inscrira pleinement dans le mouvement des idées et des références théoriques. Le passage du concept d’aliénation mentale à celui de maladie mentale a été déterminant. Le modèle hygiéniste, avec sa proposition de prophylaxie extensive, est à l’origine de l’objectif de prévention, partie intégrante de la politique de secteur et qui reste théoriquement un de ses axes majeurs.


L’expérience du 13e arrondissement de Paris s’inscrit dès 1954 dans une perspective de prévention, d’intervention et d’alternative à l’hospitalisation avec un important service social en appui du dispositif psychiatrique proprement dit. On parle alors de désaliénation et non de désinstitutionnalisation ou plus précisément de déshospitalisation.



La naissance du secteur


C’est par une circulaire que, le 15 mars 1960, la politique de secteur a été présentée et définie, mais ce n’est que 10 ans plus tard que l’impulsion politique et administrative sera donnée et que les réalisations extrahospitalières se concrétiseront. Le 25 juillet et le 31 décembre 1985, la Loi va donner à la politique de secteur sa cohérence financière en confiant la prise en charge du financement de la santé mentale à l’assurance-maladie [8].


Ainsi, idéalement, une équipe polyvalente, hiérarchisée dans une perspective médicale, assure dans la continuité et la coordination la prise en charge ambulatoire et hospitalière des patients qui présentent des troubles mentaux.


Malgré des résistances, le centre de gravité du dispositif de soins est passé de l’hôpital vers la communauté. Ce changement fondateur et nécessaire a conduit, et on peut le regretter, à un certain désinvestissement de l’hospitalisation à temps plein, tant au niveau théorique que sur le plan hôtelier où un retard important s’était déjà accumulé. Le secteur né dans l’enthousiasme a tenu nombre de ses promesses et a été et reste un outil de soins très performant pour les patients qui présentent des maladies mentales sévères et on peut dire que grâce à lui, aucun pays n’a su mieux que la France conserver le lien entre les pathologies psychiatriques les plus lourdes et le dispositif de soins. Certains lui font d’ailleurs le reproche d’une trop grande médicalisation au détriment d’autres modèles soignants ou d’autres intervenants (éducateurs, services sociaux, conseillers/coordonnateurs, etc.) ou de s’être calqué sur ce qui était nécessaire pour traiter les schizophrénies au détriment d’autres pathologies.


Le terme de secteur, sans référence immédiatement identifiable aux soins, a été mal reçu et mal compris par la communauté médicale ; il n’était pas, convenons-en, le plus adapté à définir la psychiatrie désaliéniste et son signifiant, un peu abstrait et clivant, a probablement contribué aux difficultés rencontrées, par ce projet performant, à s’inscrire dans l’offre de soins globale. Il semble avoir été choisi pour illustrer le découpage géodémographique du territoire national en ensembles de 70 000 habitants pour les secteurs de psychiatrie générale (au nombre de 829) dont un tiers est maintenant rattaché à un hôpital général et de 210 000 habitants pour les 321 intersecteurs de psychiatrie infantojuvénile qui seront définis dans la circulaire du 16 mars 1972, confirmée le 9 mai 1974 et complétée par celle du 11 décembre 1992 relative aux orientations de la politique de santé mentale en faveur des enfants et des adolescents [3]. On remarquera que le chiffre de 210 000 habitants aurait pu être aussi retenu pour les secteurs de psychiatrie adulte (ou générale) mais il semble qu’il ne l’ait pas été en fonction de la prévalence du concept de proximité des soins sur celui de la diversité de l’offre. Cet espace géodémographique dispose d’une équipe soignante pluridisciplinaire dirigée par un psychiatre ; cette équipe a pour charge d’assurer la continuité des soins entre le pôle hospitalier où se trouvent, pour ce qui est des services de psychiatrie adulte, les unités d’hospitalisation temps plein et les structures ambulatoires qui seront définies et leurs missions précisées dans la mise à jour du guide méthodologique de planification en santé mentale du 15 décembre 1987, dont hélas, certains objectifs n’ont été réalisés que partiellement.


Le secteur comporte :



le centre médicopsychologique « premier lieu de référence et d’implantation de l’équipe polyvalente de secteur ». C’est une unité de coordination et d’accueil en milieu ouvert qui organise des actions de prévention, de diagnostic, de soins ambulatoires et d’intervention à domicile ;


des hôpitaux de jour qui assurent des soins polyvalents, individualisés et intensifs, prodigués dans la journée, le cas échéant à temps partiel ;


des ateliers thérapeutiques utilisant des techniques de soins particulières en vue de réentraînement à l’exercice d’une activité professionnelle ou sociale, activité différenciée des activités d’ergothérapie qui existent dans certains établissements et de celles de CAT (centres d’aide au travail) ;


les centres d’accueil thérapeutique partiel (CATP), qui deviendront des centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), et qui visent à maintenir ou à favoriser une existence autonome par des actions de soutien et de thérapie de groupe ;


un service d’hospitalisation à domicile (qui a longtemps attendu son appareil législatif nécessaire) ;


des centres d’accueil permanents, habilités à répondre à l’urgence psychiatrique et ouverts 24 heures sur 24, ces centres permanents pouvant être créés dans un centre hospitalier et être intersectoriels ;


des centres de crise : centre d’accueil permanent disposant de quelques lits et permettant des prises en charge intensives et de courte durée pour répondre à des situations d’urgence et de détresse aiguë. Il est précisé que les centres de crise, de par leur prise en charge spécifique, peuvent permettre d’éviter notamment une hospitalisation « qui pourrait être de longue durée », ce qui est assez révélateur de la philosophie du dispositif ;


des places d’hôpital de nuit ;


des appartements thérapeutiques qui, parfois, ont pris la forme d’appartements associatifs.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 26: Organisation de l’offre de soins

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