Chapitre 26
Traumatismes du membre supérieur
Luxations acromioclaviculaires
Fractures de l’extrémité proximale de l’humérus chez l’adulte
Fractures de l’extrémité proximale de l’humérus chez l’enfant
Fractures de la diaphyse humérale
Fractures de la palette humérale chez l’adulte
Fractures de la palette humérale chez l’enfant
Fractures de l’extrémité proximale du radius chez l’adulte
Fractures de l’extrémité proximale du radius chez l’enfant
Fractures de l’extrémité proximale de l’ulna chez l’adulte
Fractures de l’extrémité proximale de l’ulna chez l’enfant
Mécanismes de luxation du coude
Critères d’évaluation des luxations du coude
Articulation radio-ulnaire proximale intacte
Fractures de la diaphyse des deux os de l’avant-bras chez l’adulte
Fractures de la diaphyse des deux os de l’avant-bras chez l’enfant
Fractures de l’extrémité distale du radius chez l’adulte
Fractures de l’extrémité distale de l’ulna chez l’adulte
Fractures du processus styloïde ulnaire
Fractures de la tête ulnaire avec refend radio-ulnaire distal
Fractures de l’extrémité distale des deux os de l’avant-bras chez l’enfant
Traumatismes de la membrane interosseuse de l’avant-bras
Entorses, luxations et fractures luxations de la main
Luxations et fractures luxations des articulations carpométacarpiennes du 2e au 5e rayon
Entorses et luxations de l’articulation métacarpophalangienne du 1er rayon
Luxations métacarpophalangiennes des rayons 2 à 5
Entorses et luxations des articulations interphalangiennes proximales des doigts 2 à 5
Luxations sternoclaviculaires
Il s’agit de lésions traumatiques rares (3 % des traumatismes de l’épaule) car l’articulation sternoclaviculaire dispose du plus puissant système ligamentaire suspenseur du membre supérieur [206]. Sa stabilité repose sur (fig. 26.1) [160] :
la forme des surfaces articulaires qui s’emboîtent (surface convexe de la clavicule, concave du sternum) ;
la présence d’un disque intra-articulaire intercalé entre les 2 pièces osseuses. Celui-ci limite notamment la translation supérieure et médiale de la clavicule ;
la capsule articulaire, renforcée des ligaments sternoclaviculaires antérieur et postérieur, à l’origine d’une grande résistance à la translation antéropostérieure. Le ligament postérieur est plus puissant que l’antérieur, expliquant la fréquence plus importante des luxations sternoclaviculaires antérieures [85, 176] ;
le ligament interclaviculaire, bande aplatie qui relie l’extrémité médiale des clavicules et s’insère sur le rebord supérieur du sternum ;
le ligament costoclaviculaire, de forme rhomboïde, tendu entre le cartilage de la 1re côte et la face inféromédiale de la clavicule. Il comporte un faisceau antérieur et un faisceau postérieur.
direct par compression sagittale d’avant en arrière sur l’extrémité sternale de la clavicule, entraînant son déplacement postérieur vers le médiastin (luxation postérieure) ;
ou plus fréquemment indirect par compression latérale sur l’épaule. Au moment du traumatisme, selon la direction de la force appliquée, l’inclinaison du tronc et la position du bras, l’épaule se retrouve soit en rétropulsion (entraînant une luxation antérieure), soit en antépulsion (entraînant une luxation postérieure) (fig. 26.2).
Les luxations bilatérales sont rares (moins de 5 % des cas) [25, 55]. La luxation antérieure est bien plus fréquente que la postérieure (95 % des cas) [85]. L’examen clinique retrouve une tuméfaction douloureuse présternale mais le sens de la luxation est difficile à préciser car la saillie osseuse d’une luxation antérieure ou la dépression d’une luxation postérieure est habituellement masquée par l’œdème. Il convient également de rechercher des complications éventuelles (dysphagie, emphysème sous-cutané, atteinte du plexus brachial, dyspnée ou syndrome cave supérieur) [176].
Classification
stade I ou entorse : il existe une mise en tension des structures capsuloligamentaires mais pas de rupture. Cette lésion est stable ;
stade II ou subluxation : il existe une rupture des ligaments sternoclaviculaires mais pas d’atteinte du ligament costoclaviculaire. Cette lésion est de bon pronostic après traitement orthopédique ;
stade III ou luxation : il existe une rupture des ligaments sternoclaviculaires et costoclaviculaires responsable d’un déplacement de l’extrémité sternale de la clavicule (cf. fig. 26.2) vers l’avant (luxation antérieure, forme la plus fréquente mais la moins grave) ou vers l’arrière (luxation postérieure). Cette dernière forme expose à des complications médiastinales viscérales, neurologiques ou vasculaires qui peuvent engager le pronostic vital.
Chez les patients de moins de 25 ans, on se méfiera des déplacements de l’extrémité sternale de la clavicule, souvent considérés à tort comme des luxations alors qu’il s’agit de décollements épiphysaires (fracture du cartilage de croissance de type I de Salter et Harris) (cf. Fractures de la clavicule) [93]. Ceci s’explique par l’apparition physiologiquement tardive du noyau d’ossification de l’épiphyse médiale de la clavicule (vers 18–20 ans), qui fusionne avec la diaphyse claviculaire entre 23 et 25 ans [148, 215].
Imagerie
Radiographies
De nombreux auteurs soulignent la difficulté du diagnostic radiographique de ces luxations en raison des superpositions osseuses [47, 85, 121, 231]. Certaines incidences spécifiques ont été proposées mais elles sont de réalisation technique difficile et d’interprétation délicate. On peut toutefois réaliser :
un cliché de face strict qui met en évidence une asymétrie de projection de l’extrémité sternale des clavicules par rapport à la ligne des processus épineux. L’extrémité médiale pathologique se projette plus près de la ligne des processus épineux en cas de luxation postérieure, et plus latéralement en cas de luxation antérieure [121, 231] ;
une incidence trans-sternale ; de Kimberlin, qui permet d’analyser le sens et l’amplitude du déplacement [176] ;
deux clichés unilatéraux de face centrés sur les interlignes sternoclaviculaires droit et gauche. Lorsque le patient est valide, le rayon incident est postéroantérieur et le patient en légère oblique antérieure ipsilatérale du côté à étudier. Ces clichés permettent de comparer les largeurs des interlignes et de rechercher une fracture associée de l’extrémité sternale de la clavicule (l’étude est cependant moins fine qu’au scanner) ;
une incidence de Porcher (défilé claviculaire) s’il existe une suspicion clinique de fracture associée de la clavicule. Elle est, en revanche, peu informative pour le diagnostic de luxation sternoclaviculaire car l’articulation se projette sur les côtes et le rachis.
Échographie
dans le diagnostic positif de la luxation [35, 208]. La coupe de référence, transversale et comparative avec le côté sain, permet de préciser le caractère antérieur ou postérieur de la luxation (fig. 26.3). Cet examen pourrait être particulièrement utile dans les services d’urgence, les luxations sternoclaviculaires postérieures passant facilement inaperçues, la déformation étant masquée par l’œdème [47, 85]. On réalise, par ailleurs, une étude Doppler couleur des vaisseaux subclaviers afin d’éliminer tout phénomène compressif en cas de luxation postérieure ;
Fig. 26.3 Luxation sternoclaviculaire postérieure droite en échographie (coupes axiales obliques comparatives).
Notez le décalage important entre les surfaces articulaires et la présence d’une collection d’échogénicité hétérogène (*).
dans la prise en charge thérapeutique afin de vérifier la qualité de la réduction lors des manœuvres externes [231] ;
dans le diagnostic différentiel avec une fracture du cartilage de croissance médial de la clavicule en mettant en évidence la solution de continuité et le déplacement entre l’épiphyse hypoéchogène et la métaphyse claviculaire (Salter-Harris I) ou l’interposition d’un petit fragment osseux métaphysaire (Salter-Harris II) (cf. Fractures de la clavicule) [228]. Le système capsuloligamentaire sternoclaviculaire est alors respecté [35, 69].
Scanner
Indispensable en cas de luxation postérieure, cet examen permet [47, 176] :
de faire le diagnostic positif de la luxation sternoclaviculaire (fig. 26.4) ;
de déterminer le sens de la luxation ;
de rechercher les éventuelles complications vasculaires et viscérales des luxations postérieures (intérêt d’une injection intraveineuse de produit de contraste iodé) ;
de rechercher les lésions osseuses traumatiques potentiellement associées ;
d’objectiver un décollement épiphysaire lorsque l’épiphyse est ossifiée. Cependant, chez le sujet jeune (avant 25 ans), les fractures de type Salter I peuvent passer inaperçues en scanner (cf. Fractures de la clavicule) [148].
Complications et associations lésionnelles
La luxation antérieure ne se complique que d’un préjudice esthétique. La luxation postérieure peut engager le pronostic vital par compression des structures médiastinales antérieures (trachée, œsophage, structures vasculonerveuses rétrosternales) [85, 148]. Cette forme se complique dans 25 % des cas [215] :
de lésions artérioveineuses (syndrome cave supérieur, ischémie du membre supérieur ipsilatéral, atteinte de l’artère thoracique interne, syndrome de la traversée cervicothoracobrachiale dans le cadre de luxations passées inaperçues) [85, 130] ;
de lésions déficitaires neurologiques par compression des éléments du plexus brachial ou du nerf laryngé récurrent ;
de lésions viscérales (dysphagie, dyspnée, hémopneumothorax, emphysème sous-cutané).
Traitement [94]
Le stade I est traité par antalgiques et immobilisation de 8 jours. Le stade II bénéficie d’une réduction par manœuvres externes et contention par un appareil en « 8 » pendant 6 semaines afin d’éviter la récidive. Le traitement du stade III est controversé et dépend des écoles [99, 247] :
luxation antérieure : antalgiques et contention par un appareil en « 8 » pendant 6 semaines, avec ou sans tentative de réduction par manœuvres externes. La plupart des auteurs insistent sur le risque opératoire et la bonne tolérance à distance de ces lésions, même si la réduction n’est pas obtenue (préjudice esthétique à mettre en balance avec la cicatrice d’une éventuelle intervention chirurgicale) ;
luxation postérieure : réduction impérative en raison des complications potentielles. Le traitement peut être orthopédique (réduction par manœuvres externes au bloc opératoire et contention par un appareil en « 8 » pendant 6 semaines) ou chirurgical après échec du traitement orthopédique ou d’emblée si le diagnostic est tardif. L’intervention consiste en une réduction chirurgicale, une réfection du ligament costoclaviculaire à l’aide du tendon du muscle subclavier voisin ou d’un ligament synthétique artificiel, une ostéosynthèse complémentaire, souvent par broche (avec un risque de migration sous-cutanée ou médiastinale) ou, rarement, une résection du tiers médial de la clavicule, puis immobilisation.
Fractures de la clavicule
Elles représentent environ 5 % de l’ensemble des fractures et 35 % des fractures de la ceinture scapulaire [169]. Elles sont fréquentes, notamment chez le sujet jeune et chez le sportif. Dans la majorité des cas, le mécanisme traumatique est indirect par chute sur le moignon de l’épaule ou sur le bras tendu (accident de la voie publique, traumatisme sportif, etc.). Rarement, il est direct par choc sur la clavicule.
On signalera également la possibilité de fractures de fatigue de la clavicule (tiers latéral essentiellement), notamment chez les lanceurs de balles au cricket et les haltérophiles [59, 213].
Classification
Il existe de très nombreuses classifications des fractures de clavicule, basées sur la topographie du trait [206]. Cependant, aucune n’a montré de supériorité totale par rapport aux autres, en termes de risque prédictif de pseudarthrose notamment [191].
Fractures diaphysaires (70 à 80 % des cas)
Ce sont les plus fréquentes et les plus faciles à diagnostiquer. Elles sont habituellement situées à l’union des tiers moyen et latéral de la clavicule. Le trait peut être transversal, oblique généralement en bas, en dedans et en arrière, ou spiroïde [90, 206]. Il peut exister un troisième fragment (dit fragment intermédiaire ou en aile de papillon) (fig. 26.5). Le trait peut également être complexe.
Le plus souvent, la fracture est déplacée. Le fragment médial est attiré en haut et en arrière sous l’action du muscle sternocléidomastoïdien tandis que le fragment latéral est déplacé en bas, en avant et en dedans par l’action conjuguée de la pesanteur et du muscle deltoïde (fig. 26.5). Ce déplacement se traduit par une angulation avec chevauchement des deux fragments. À l’examen clinique, il existe une saillie sous-cutanée de l’extrémité distale du fragment médial, un abaissement discret et une antépulsion du moignon de l’épaule, et une diminution de la distance acromiosternale. Dans ces fractures, le risque de pseudarthrose est moins important que dans les fractures du tiers latéral [191].
Fractures du tiers latéral (10 à 15 % des cas)
Elles sont extra-articulaires (types I et II) ou intra-articulaires (type III) et sont associées à un risque non négligeable de pseudarthrose [138, 191]. La classification de Neer [184] prend en compte le siège du trait de fracture par rapport aux ligaments coracoclaviculaires dont l’intégrité détermine la stabilité de la clavicule (fig. 26.6) :
type I : le trait est distal par rapport à l’insertion de ces ligaments (déplacement minime) et de topographie extra-articulaire (par rapport à l’articulation acromioclaviculaire). Cette lésion est stable et ne requiert aucune stabilisation chirurgicale ;
type II : les ligaments coracoclaviculaires ne sont plus solidaires du fragment claviculaire médial. On distingue les types IIA (le trait est proximal par rapport aux ligaments coracoclaviculaires qui sont tous les deux intacts et attachés au fragment latéral) et IIB (le trait est situé entre l’insertion du ligament conoïde qui est rompu, et l’insertion du ligament trapézoïde, qui reste intact et solidaire du fragment latéral). Dans ces deux types, le déplacement du fragment médial justifie un traitement chirurgical (risque de pseudarthrose). La fracture de Latarjet, habituellement intégrée dans le type II, est caractérisée par l’individualisation d’un troisième fragment à la face inférieure de la clavicule (correspondant à l’avulsion osseuse des ligaments coracoclaviculaires restés intacts) [151, 206] ;
type III : le trait est distal et intra-articulaire (articulation acromioclaviculaire). Il n’est responsable d’aucune lésion du complexe ligamentaire coracoclaviculaire (déplacement minime).
Fractures du tiers médial (5 % des cas)
Elles sont souvent peu déplacées en raison de la puissance du système capsuloligamentaire de l’articulation sternocostoclaviculaire. Elles sont intra ou extra-articulaires. En cas de déplacement, chez le sujet jeune, elles peuvent mimer une luxation sternoclaviculaire. En effet, l’apparition physiologiquement tardive du noyau d’ossification de l’épiphyse médiale de la clavicule (vers 18–20 ans), qui fusionne avec la diaphyse claviculaire entre 23 et 25 ans, explique la méconnaissance fréquente des décollements épiphysaires à ce niveau (fracture du cartilage de croissance de type I de Salter et Harris) [215]. Ceux-ci s’accompagnent d’un déplacement de l’extrémité sternale de la clavicule qui est alors souvent interprété, à tort, comme une luxation sternoclaviculaire [93].
Imagerie
Échographie
Chez l’adulte, l’examen échographique en urgence n’a pas d’utilité. En revanche, certains auteurs [34, 178] proposent de remplacer les radiographies par un examen échographique chez tout enfant suspect de fracture de la clavicule. L’échographie peut permettre [34, 56, 62, 178] :
le diagnostic positif et différentiel de fracture. Les signes échographiques sont l’interruption de la corticale, la présence d’échos de réverbérations dans le trait de fracture, une anomalie de courbure de la clavicule et la présence d’un hématome des tissus mous en regard. L’échographie permettrait une meilleure détection des fractures en bois vert, souvent non visibles sur les radiographies. Elle permet également d’analyser l’épiphyse cartilagineuse médiale de la clavicule, de détecter les lésions à ce niveau et de différencier une luxation sternoclaviculaire d’une fracture du cartilage de croissance médial de la clavicule [35, 69, 228] ;
une détection précoce du cal osseux, objectivé une semaine plus tôt qu’en radiographie. Une fracture de la clavicule peut être considérée comme stable lorsqu’un cal osseux homogène, hyperéchogène et sans signe associé de pseudarthrose est objectivé. L’échographie pourrait ainsi permettre de réduire le temps d’immobilisation ;
une détection des pseudarthroses (cal osseux hétérogène en regard d’un large trait de fracture hypoéchogène).
L’échographie permet également parfois d’objectiver une thrombose veineuse sous-jacente [203].
Scanner
Il permet de préciser la position du trait dans les fractures du tiers médial ou latéral de la clavicule, et de distinguer, chez l’enfant ou l’adolescent, un décollement épiphysaire claviculaire médial d’une luxation sternoclaviculaire vraie (surtout lorsqu’il y a un fragment osseux métaphysaire : fracture de Salter-Harris II) [81].
Complications
Complications immédiates
une fracture du col de la scapula, essentiellement dans un contexte de polytraumatisme. Cette association lésionnelle est retrouvée dans 25 % des cas [169] et est responsable d’une instabilité de la ceinture scapulaire (floating shoulder) [196]. En effet, la perte du rôle suspenseur et stabilisateur de la clavicule, associée au poids du membre supérieur et aux forces musculaires s’exerçant sur l’humérus, est responsable d’un déplacement et d’une angulation secondaire du fragment articulaire glénoïdal. Ce déplacement retentit sur la mobilité glénohumérale, prédispose à l’instabilité et constitue une indication opératoire ;
des fractures du gril costal [169], elles aussi potentiellement responsables d’une atteinte pleuropulmonaire ;
une luxation acromioclaviculaire ou sternoclaviculaire. Elles sont très rarement associées [206] mais elles doivent être systématiquement recherchées. Elles sont à l’origine d’une clavicule flottante [227] ;
une myosite ossifiante, susceptible de se développer dans les jours suivant le traumatisme. Elle a notamment été rapportée dans le muscle sternocléidomastoïdien après une fracture du tiers médial de la clavicule [199] ;
Complications tardives
Cal vicieux. C’est la complication la plus fréquente. Ce cal peut être gênant par son caractère inesthétique (cal hypertrophique). Son retentissement fonctionnel est en général nul et son volume s’atténue progressivement au fil des années en raison du remodelage osseux.
Pseudarthrose. Elle est en règle générale bien tolérée [206]. Parfois cependant, elle est associée à une faiblesse du bras, une diminution de l’abduction de l’épaule, une atrophie du muscle trapèze et des douleurs résiduelles [122]. Elle s’observe essentiellement au tiers moyen après un traitement chirurgical, un déplacement important du foyer de fracture, un fragment vertical intercalaire ou une immobilisation trop courte [142]. En cas de retentissement fonctionnel, le chirurgien aura recours à une ostéosynthèse, avec ou sans greffe osseuse selon que la pseudarthrose est atrophique ou hypertrophique.
Infection (ostéite ou pseudarthrose infectée). Peu fréquente, elle peut s’observer après fracture ouverte mais surtout après chirurgie.
Complications vasculonerveuses. On citera :
un syndrome de la traversée cervicothoracobrachiale [74], surtout en raison d’un cal vicieux ou hypertrophique ;
un pseudo-anévrysme de l’artère subclavière [217, 239] ;
une atteinte du plexus brachial (par compression directe, pseudarthrose, cal hypertrophique, pseudo-anévrysme artériel ou veineux) [159] ;
des douleurs résiduelles en raison de l’inclusion de rameaux nerveux du plexus cervical superficiel qui cheminent en avant de la clavicule, ou du développement d’un névrome du nerf suprascapulaire [195].
Traitement
Les fractures de la clavicule sont le plus souvent de bon pronostic et leur traitement est essentiellement orthopédique [173] :
fractures diaphysaires : le traitement orthopédique est utilisé dans pratiquement tous les cas, surtout chez l’enfant où il est systématique (réduction progressive de l’éventuel déplacement par manœuvres externes et contention). Il est efficace mais il se complique très fréquemment d’un cal vicieux peu esthétique. Le traitement chirurgical, associé à un risque accru de pseudarthrose et d’infection, est réservé aux fractures ouvertes ou très déplacées avec complications cutanées, vasculonerveuses ou respiratoires (ostéosynthèse par brochage centro-osseux ou plaque vissée) et aux épaules flottantes, par atteinte simultanée de la clavicule et de la scapula ;
fractures du tiers latéral : le traitement est orthopédique dans les types I et III qui consolident sans cal vicieux, alors qu’il est chirurgical dans les types II, fracture de Latarjet comprise ;
Luxations acromioclaviculaires
Elles sont fréquentes, notamment chez le sujet jeune, le sportif ou lors d’un accident de la voie publique. Elles sont le plus souvent secondaires à un choc direct (chute sur le moignon de l’épaule), les mécanismes indirects étant rares (chute sur le coude ou la main). De manière plus anecdotique, elles ont également été rapportées chez le nouveau-né dans un contexte d’accouchement traumatique [30].
L’examen clinique retrouve des douleurs et un hématome centrés sur l’articulation acromioclaviculaire, le patient se présentant dans l’attitude classique des traumatisés du membre supérieur. L’examen essaie de préciser l’importance du déplacement claviculaire (tiroir antéropostérieur dans le type II de Rockwood, associé à une touche de piano dans les types III et V). Il recherche par ailleurs des signes d’atteinte musculaire (douleurs trapéziennes et le long des insertions claviculaires du deltoïde, saillie sous-cutanée postérieure de la clavicule dans le type IV, et supérieure dans les types III et surtout V) (cf. Classification de Rockwood ci-après).
Rappel anatomique
La stabilité de l’articulation acromioclaviculaire repose sur (fig. 26.7) :
Fig. 26.7 Ligaments intervenant dans la stabilité de l’articulation acromioclaviculaire.
Ligaments acromioclaviculaire (a), conoïde (b) et trapézoïde (c). On citera par ailleurs le ligament acromiocoracoïdien (d) et le ligament coracoclaviculaire médial (e).
les ligaments intrinsèques, essentiellement représentés par le ligament acromioclaviculaire supérieur qui correspond à un épaississement de la capsule articulaire et à une transformation fibreuse des fibres d’insertion des muscles trapèze et deltoïde. Le ligament acromioclaviculaire inférieur est vestigial et n’a pas de rôle dans la stabilité de l’articulation ;
les ligaments extrinsèques, essentiellement représentés par les ligaments coracoclaviculaires : le ligament conoïde (le moins solide des deux) et le ligament trapézoïde [240] ;
les muscles trapèze et deltoïde, qui présentent chacun une insertion continue sur le tiers latéral de la clavicule, l’acromion et l’épine de la scapula. Ces deux muscles développent des forces opposées : le faisceau antérieur du deltoïde abaisse la clavicule et coapte les surfaces articulaires, les faisceaux postérieur et intermédiaire du deltoïde abaissent l’acromion et décoaptent les surfaces articulaires. Le muscle trapèze et ses différents faisceaux agissent de manière inverse par rapport au deltoïde. Ces deux muscles, de par leur contraction synergique opposée, constituent un élément stabilisateur essentiel de l’articulation acromioclaviculaire ;
d’autres muscles : les muscles grand pectoral et subclavier qui abaissent la clavicule, le muscle sternocléidomastoïdien qui élève la clavicule.
La stabilité de l’articulation acromioclaviculaire peut donc se résumer en :
une stabilité horizontale qui met en jeu le système capsuloligamentaire acromioclaviculaire. Lors de la section de la capsule articulaire et du ligament acromioclaviculaire supérieur, l’articulation est stable tant que les insertions du muscle trapèze et du faisceau antérieur du muscle deltoïde ne sont pas lésées ;
une stabilité verticale mettant en jeu les ligaments coracoclaviculaires (trapézoïde et surtout conoïde) qui ont un rôle suspenseur [127]. Du fait de l’obliquité en bas et en dedans de l’interligne articulaire acromioclaviculaire, la section de ces ligaments entraîne un abaissement de la scapula et du membre supérieur par rapport à la clavicule.
Classification
La classification de Rockwood reste la plus complète (fig. 26.8) [215]. Elle repose sur l’atteinte progressivement croissante des tissus mous (ligaments acromioclaviculaires, puis coracoclaviculaires, puis atteinte des fascias et des muscles deltoïde et trapèze) :
Fig. 26.8 Classification de Rockwood.
Stade I : entorse acromioclaviculaire. Stade II : subluxation acromioclaviculaire. Stade III : luxation acromioclaviculaire avec déplacement latéral de l’extrémité distale de la clavicule. Stade IV : luxation acromioclaviculaire avec déplacement postérieur de l’extrémité distale de la clavicule. Stade V : luxation acromioclaviculaire avec déplacement supérieur important de l’extrémité distale de la clavicule, témoignant d’une désinsertion des muscles deltoïde et trapèze. Stade VI (exceptionnel) : luxation acromioclaviculaire avec déplacement inférieur de l’extrémité distale de la clavicule.
stade I : entorse acromioclaviculaire. Il s’agit d’une simple distension de l’appareil capsuloligamentaire acromioclaviculaire supérieur. Les radiographies statiques et dynamiques sont normales : il n’existe pas d’instabilité acromioclaviculaire ;
stade II : subluxation acromioclaviculaire. Il existe une rupture isolée de l’appareil capsuloligamentaire acromioclaviculaire supérieur. Les ligaments coracoclaviculaires ne sont pas lésés. L’articulation se déstabilise surtout dans le plan horizontal et de manière minime dans le plan vertical. Il existe un petit tiroir antérieur clinique et une très discrète touche de piano. Sur les radiographies statiques, on peut noter un petit diastasis horizontal (entre 5 et 7 mm) et un décalage vertical des surfaces articulaires de moins de 50 %. L’incidence de la « sieste » démontre la réductibilité du décalage vertical des surfaces articulaires, témoignant de l’intégrité des ligaments coracoclaviculaires ;
stade III : luxation acromioclaviculaire. Il existe une rupture des ligaments acromioclaviculaire supérieur et coracoclaviculaires, parfois associée à une désinsertion des muscles deltoïde et trapèze au niveau de l’extrémité latérale de la clavicule. L’instabilité est horizontale et verticale avec, cliniquement, un tiroir antérieur et une touche de piano. En radiographie statique, on objective un décalage vertical des surfaces articulaires de plus de 50 %. À partir de ce stade, les radiographies dynamiques ne sont plus indiquées. Il importe de reconnaître les équivalents osseux de rupture des ligaments coracoclaviculaires (fracture du processus coracoïde, fracture claviculaire de Latarjet) [131] ;
stade IV (rare) : stade III + déplacement postérieur de l’extrémité latérale de la clavicule dans ou à travers le muscle trapèze ;
stade V : stade III + déplacement supérieur de l’extrémité latérale de la clavicule. Cette variante grave du stade III est caractérisée par une désinsertion complète du deltoïde et du trapèze de la partie distale de la clavicule avec, pour conséquence, un déplacement vers le haut très important de la clavicule qui se retrouve en position sous-cutanée.
stade VI (exceptionnel) : stade III + déplacement inférieur de la clavicule qui se retrouve sous le processus coracoïde ou l’acromion. La lésion est due à un traumatisme très violent sur la face supérieure de l’extrémité latérale de la clavicule, le bras en abduction, rotation externe et rétropulsion [127]. Des lésions osseuses (fractures costales ou claviculaires) et du plexus brachial sont fréquemment associées.
Imagerie
Radiographies
un cliché de face avec un rayon descendant de 15°. Il permet d’apprécier le décalage supérieur de la facette claviculaire par rapport à la facette acromiale (témoin d’une lésion des ligaments coracoclaviculaires) et la distance coracoclaviculaire. Il permet également la recherche d’une fracture associée de la base du processus coracoïde, suspectée en cas de nette ascension claviculaire sans augmentation de la distance coracoclaviculaire [9] ;
un cliché de face avec un rayon ascendant de 30°. Il permet de rechercher un décalage postérieur de la facette claviculaire et une augmentation de la largeur de l’interligne articulaire (> 7 mm chez l’homme et 6 mm chez la femme) [9] qui témoignent de lésions capsuloligamentaires acromioclaviculaires. Il permet également la recherche de fractures ou de décollements périostés du tiers latéral de la clavicule, parfois mal visibles sur le cliché de face avec rayon descendant ;
et/ou une incidence axillaire (abduction du bras de 70–90°, rayon ascendant), qui peut également révéler un déplacement postérieur de la clavicule et de petites fractures non visibles de face [27].
Si au terme de ce bilan, une luxation acromioclaviculaire de stade III ou plus de Rockwood est diagnostiquée, il n’est pas nécessaire de réaliser de clichés complémentaires (fig. 26.9). En revanche, pour objectiver une instabilité dynamique, certains auteurs recommandent de réaliser :
des clichés de face comparatifs avec abduction modérée en cas de doute entre un stade I (entorse : clichés dynamiques normaux) et un stade II (subluxation) ;
une incidence dite « de la sieste » (cliché de face, patient assis, dos-plaque, mains derrière la tête) en cas de doute entre un stade II et un stade III. En effet, ce cliché permet d’apprécier la réductibilité du décalage vertical des surfaces articulaires, témoignant alors de l’intégrité des ligaments coracoclaviculaires. L’abduction peut cependant être limitée en raison des douleurs ;
deux incidences axillaires dynamiques, c’est-à-dire en y ajoutant une flexion à 60° puis une extension. Ces incidences pourraient également s’avérer utiles pour détecter une instabilité horizontale de la clavicule (faisant la différence entre stades III et IV) [243] ;
des clichés de face avec utilisation de poids attachés aux poignets pour potentialiser une subluxation [9] mais ce type de technique est difficile à réaliser en routine et peu fiable [4, 9, 127, 201].
On recherchera également systématiquement des équivalents osseux de rupture des ligaments coracoclaviculaires (fracture du processus coracoïde, fracture claviculaire de Latarjet) [131, 141, 156] et d’autres lésions traumatiques associées (luxation sternoclaviculaire par exemple) [223].
Échographie
Elle possède une meilleure sensibilité que les radiographies dans la détection des lésions acromioclaviculaires de faible gravité (grade I essentiellement) [144, 166, 202]. On rappelle que l’espace acromioclaviculaire est plus large en avant qu’en arrière. Cette technique permet [166] :
la mesure de l’interligne acromioclaviculaire dans un plan frontal (normalement de 3,1 mm, DS = 0,8 mm) [202] et celle de l’index acromioclaviculaire ou IAC (largeur des interlignes côté sain/côté pathologique) (fig. 26.10). Kock et al. [144] ont proposé de classer les lésions en trois stades :
Fig. 26.10 Entorse acromioclaviculaire (stade I de Rockwood).
Sur la coupe échographique, par rapport au côté comparatif (a), notez l’élargissement de l’interligne acromioclaviculaire et la tuméfaction articulaire (b) mais les surfaces articulaires restent en contact. A : acromion ; C : clavicule.
stade I (entorse) : largeur de l’interligne < 6 mm ; IAC = 1,
stade II (subluxation) : largeur de l’interligne = 10,2 mm ; IAC = 0,5,
stade III (luxation) : largeur de l’interligne = 22,3 mm ; IAC < 0,25 ;
la comparaison de la mesure de l’interligne acromioclaviculaire au repos (main posée en supination sur le genou homolatéral) et dans la position du cross arm (main posée sur l’épaule controlatérale) (plan frontal). Cette technique, proposée par Peetrons et al. [202], est simple d’utilisation et utile pour la détection des types I et II, qui posent le plus de problème d’identification dans la pratique quotidienne. À l’état normal, la distance entre les deux surfaces osseuses ne doit pas se modifier de façon significative (< 1 mm) entre les deux positions. En cas d’atteinte des ligaments acromioclaviculaires, la distance entre les deux surfaces osseuses diminue lors du cross arm, avec possible contact osseux en cas d’atteinte du disque articulaire. Lorsque le bras est remis en position de repos, la distance augmente parfois de façon importante (notamment dans le grade II) ;
la recherche de signes indirects d’une souffrance de l’articulation acromioclaviculaire : épaississement de la capsule et du ligament acromioclaviculaire supérieur, épanchement intra-articulaire, déplacement vers le haut de l’extrémité latérale de la clavicule, hématome hypoéchogène des parties molles situées entre la clavicule et le processus coracoïde, témoin indirect d’une rupture des ligaments coracoclaviculaires.
Elle présente un intérêt aux stades aigu et chronique [176].
Scanner et IRM
Le scanner n’a pas d’indication dans les luxations acromioclaviculaires. Certains auteurs proposent l’IRM pour une évaluation exhaustive des ligaments [9, 15, 185]. Un plan frontal oblique passant par la pointe du processus coracoïde et le tubercule mineur est proposé [185]. Ce type d’examen permet l’analyse de l’articulation acromioclaviculaire, des ligaments conoïde et trapézoïde (qui peuvent être étirés avec un signal anormal ou rompus) et de l’insertion des muscles deltoïde et trapèze (fig. 26.11). Il est peu réalisé en France.
Complications
Ostéolyse post-traumatique de l’extrémité distale de la clavicule
Elle se développe dans les suites immédiates d’une luxation acromioclaviculaire ou des années plus tard (fig. 26.12 et 26.13). Elle compliquerait environ 6 % de ces luxations chez l’adulte [139]. Elle a également été rapportée à la suite de microtraumatismes répétés de cette articulation par hypersollicitation (bodybuilders, haltérophiles, judokas, port régulier de charges lourdes) [16, 136, 211, 226]. L’examen clinique est peu spécifique : douleur articulaire avec gêne à la manœuvre du cross body adduction (manœuvre consistant à porter le membre supérieur en adduction horizontale) [226]. Une injection intra-articulaire d’un anesthésique local plus ou moins associé à un corticoïde peut également constituer un test diagnostique et une solution thérapeutique.