Chapitre 26 Physiologie et régulation du liquide amniotique
Nos connaissances sur le rôle du fœtus et de ses annexes dans la production et la réabsorption du liquide amniotique restent très limitées [1]. Cependant, la compréhension de la physiologie du liquide amniotique en termes de composition, volumes et échanges avec le compartiment maternel est un préalable à la compréhension de nombreux tableaux cliniques prénataux. Ainsi, le volume de liquide amniotique est un indicateur essentiel du bien-être fœtal. Les anomalies de volume, qu’il s’agisse du manque de liquide amniotique (oligoamnios) ou de l’excès de liquide amniotique (hydramnios), sont des signes d’appel d’une pathologie fœtale ou maternelle, et sont fortement corrélés à une augmentation de la mortalité et de la morbidité fœtale, même en l’absence de malformations associées [2, 3].
Volume du liquide amniotique
L’appréhension de la question du volume de liquide amniotique doit tenir compte du caractère très dynamique de celui-ci. En effet, outre les variations interindividuelles très importantes, le volume du liquide amniotique varie au cours de la grossesse. Jusque vers 20 semaines d’aménorrhée (SA), il augmente très progressivement et est corrélé au poids fœtal [4–6]. Il atteint un maximum vers 34 SA pour ensuite diminuer progressivement (tableau 26.1). Les variations interindividuelles sont très importantes. Les limites inférieures et supérieures, au-delà desquelles la quantité de liquide amniotique est considérée comme pathologique, sont respectivement 200 mL (oligoamnios) et 2 000 mL (hydramnios) à terme [7, 8] (fig. 26.1).
Terme (SA) | Volume moyen (mL) |
---|---|
7 | 20 |
10 | 30 |
12 | 60 |
14 | 100 |
16 | 140 |
20 | 350 |
25 | 670 |
34 | 980 |
40 | 800 |
42 | 540 |
Production et résorption
Avant 20 SA
La cavité amniotique apparaît au 7e jour après la fécondation. Au cours des premières semaines, le liquide amniotique est essentiellement un ultrafiltrat du plasma maternel [9]. Entre 10 et 20 SA, sa composition est isotonique au sérum maternel et fœtal. Cela est lié aux échanges se produisant à travers la peau fœtale, non kératinisée, qui est alors perméable à l’eau, aux électrolytes et aux éléments biochimiques [5]. La kératinisation de la peau débutera vers 20 SA pour s’achever à 25 SA. Dès la fin du 1er trimestre, le rein fœtal est capable de réabsorber le sodium et de sécréter de petites quantités d’urine [10, 11].
Après 20 SA (fig. 26.2)
Plusieurs éléments collaborent à la formation et l’élimination du liquide amniotique. Les deux principales sources sont la diurèse fœtale et les sécrétions pulmonaires, tandis que les deux principales voies de réabsorption sont la déglutition fœtale et l’absorption dans le sang fœtal à travers la surface fœtale et le placenta (absorption intramembranaire) [12, 13].
Fig. 26.2 Constitution du liquide amniotique. Mouvements de fluides à mi-gestation.
modifié d’après Brace [12]
Appareil urinaire
C’est la principale source de liquide amniotique dans la seconde moitié de la gestation. La production urinaire augmente de 110 mL/kg/j à 25 SA à 190 mL/kg/j à 39 SA. Ainsi, la diurèse atteindrait 600 mL/24 heures en fin de gestation [14]. Les techniques ultrasonores en temps réel ont permis de mesurer de façon non invasive le volume vésical et de quantifier la diurèse [15, 16]. Par ces méthodes, la production quotidienne d’urines à terme était estimée entre 1 000–1 200 mL [17]. Cette discordance est liée aux différentes techniques utilisées et l’estimation de la diurèse fœtale à terme semble se rapprocher de 700–900 mL/j [18, 19]. L’osmolalité urinaire est d’environ 100 mOsm/L [20]. La régulation de la diurèse est dépendante de plusieurs hormones dont l’aldostérone, l’arginine vasopressine du système rénine-angiotensine et des prostaglandines. L’administration d’antiprostaglandines diminue la diurèse fœtale [20, 21].
Appareil respiratoire
Le poumon fœtal sécrète à partir de la 18e SA un liquide pulmonaire. La quantité de liquide sécrété augmente progressivement pour atteindre environ 200 à 300 mL/ 24 heures en fin de gestation [22]. Cette sécrétion est influencée par des facteurs endocrines, dont l’adrénaline, l’arginine vasopressine et l’hypoxie en sont de potentiels inhibiteurs [13]. Le liquide pulmonaire s’accumule dans les alvéoles et est excrété au moment des mouvements respiratoires fœtaux. Deux options sont alors possibles : excrétion vers la cavité amniotique (50 %) ou déglutition (50 %) [9].
Classiquement, la résorption du liquide amniotique se fait par la déglutition vers le tube digestif, le poumon fœtal ne semblant pas participer à ce phénomène. Cependant, l’existence d’une résorption de liquide amniotique au niveau du parenchyme pulmonaire est aujourd’hui controversée : de nombreux travaux ont montré un passage de liquide amniotique dans les voies aériennes [23–25]. Les conditions de résorption du liquide amniotique seraient ainsi réunies puisque le liquide amniotique, hypotonique, est alors en contact sur une grande surface au niveau des alvéoles pulmonaires, avec l’important lit capillaire fœtal contenant un plasma hypertonique par rapport au liquide amniotique [5,19]. Pour certains auteurs, cette résorption du liquide amniotique serait majeure, supérieure à la résorption digestive [26].
Appareil digestif
La déglutition est classiquement le mécanisme prépondérant de résorption du liquide amniotique. Cette résorption est commandée par l’oropharynx dès 11 SA. Un obstacle (fonctionnel ou anatomique) de la voie digestive se traduit par l’apparition d’un hydramnios. Le débit de déglutition est variable, allant de 7 mL/j à 16 SA à 200–500 mL/j à terme [9].
Voie intramembranaire
Elle était définie initialement par tous les échanges entre le liquide amniotique et le sang fœtal à travers la surface fœtale du placenta. Sa définition a ensuite été étendue à tous les échanges passifs entre le liquide amniotique et le sang fœtal qui ont lieu au travers d’une surface. Elle inclut donc maintenant les échanges s’effectuant au travers de la peau fœtale ou du cordon ombilical [12].
Placenta
C’est le principal flux de la voie intramembranaire. Les flux sont bidirectionnels, mais le flux net d’eau à travers la plaque choriale est en faveur de la sortie de la cavité amniotique vers le placenta (200 à 500 mL/j) [27]. Cette voie jouerait un rôle de régulation important dans certaines situations telles que l’atrésie ou l’obstruction œsophagienne [12].
Peau
Elle est une zone d’échanges primordiale dans les deux sens entre le fœtus et le liquide amniotique dans la première moitié de la grossesse. La kératinisation à partir de 20 SA met classiquement fin à cette perméabilité, sauf pour les substances liposolubles de faible poids moléculaire [12].
Cordon ombilical
L’épithélium qui le recouvre est imperméable aux échanges en début de grossesse. Après 20 SA, ils sont possibles mais, compte tenu de la faible surface d’échanges entre vaisseaux ombilicaux et liquide amniotique, le cordon semble être une zone d’échanges quantitativement peu importante [28].
Voie transmembranaire : les membranes amniochoriales
Cette voie semble être marginalement impliquée dans la régulation du liquide amniotique à l’état normal. Les membranes amniochoriales jouent le rôle d’une membrane semi-perméable au travers de laquelle se font des transferts d’eau dont les flux sont bidirectionnels [8, 29]. Au cours du 3e trimestre, compte tenu d’un déficit osmotique constant du liquide amniotique par rapport au plasma maternel de 30 mOsm/kg, le flux net des échanges est une sortie du liquide de la cavité amniotique vers la mère de 0,3 à 0,7 mL/h (voie transmembranaire). La prolactine jouerait un rôle prépondérant dans la régulation de ces échanges [30].
Régulation du liquide amniotique
Les échanges d’eau entre le liquide amniotique et la mère seraient considérables. Ils sont estimés à environ 460 mL/h. Les mécanismes de régulation et circulation du liquide amniotique sont loin d’être élucidés. Cependant, nous savons que le fœtus est capable d’augmenter sa diurèse en réponse à une hypervolémie fœtale [8], et de la diminuer via la vasopressine en réponse à une hypovolémie fœtale [31], une hyperosmolalité du plasma maternel [32] ou une déshydratation maternelle [33, 34]. La relative constance du volume amniotique, pendant la grossesse, malgré un volume d’échange considérable et de multiples voies de transferts maternofœtaux, témoigne de la remarquable coordination de ses moyens de régulation [35]. Le contrôle de la circulation du liquide amniotique dépendrait essentiellement de l’état d’hydratation fœtale [1].
Composition du liquide amniotique
La composition du liquide amniotique est proche de celle du sérum maternel et fœtal en début de grossesse [5]. Lorsque la production urinaire devient plus importante, à partir de 20 SA, l’osmolalité décroît passant, de 278 mOsm/kg à 258 mOsm/kg à terme.
Il est composé de 98 % d’eau. Sa densité est de 1,006 et son pH se situe entre 7,10 et 7,20. Le taux de sodium est de 116 mmol/L, alors qu’il est de 142 dans le plasma fœtal et de 40 dans les urines. Les concentrations de sodium et de chlore diminuent au cours de la grossesse, alors que celles de l’urée et de la créatinine augmentent respectivement de 70 et 250 % [19]. La composition électrolytique et l’osmolalité du liquide amniotique participent à la régulation du volume de ce dernier ; l’injection d’un litre de liquide amniotique artificiel dans la cavité amniotique de la brebis entraîne une normalisation du volume dans les 24 heures, tandis que l’injection d’une quantité identique de mannitol isotonique s’accompagne d’une augmentation du volume de liquide amniotique persistant plus de 24 heures [36].
Hormis les électrolytes, le liquide amniotique comporte de nombreux composants dont le rôle et la valeur clinique ne sont pas toujours élucidés. La connaissance de leur existence et de leur cinétique peut cependant être précieuse en clinique prénatale. Tous les acides aminés sont présents dans le liquide amniotique. L’étude de leur profil peut s’avérer intéressante dans l’analyse des pathologies malformatives. Plusieurs familles d’enzymes ont été mises en évidence dans le liquide amniotique. La diamine oxydase, enzyme hépatique de dégradation des acides aminés, est présente dans le liquide amniotique à un taux nettement supérieur à celui observé dans le sang maternel. Sa détection dans le vagin maternel permet d’affirmer une rupture des membranes. L’électrophorèse des cholinestérases permet, en cas de détection de l’acétylcholinestérase, de s’orienter vers un diagnostic d’anomalie de fermeture du tube neural [9]. Le liquide amniotique normal contient des enzymes digestives dont l’évolution dépend de la physiologie digestive fœtale. Ainsi, avant 13 SA le tube digestif est clos, et bien que les entérocytes sécrètent déjà des enzymes digestives, le liquide amniotique n’en contient pas encore. À 13 SA, date de l’ouverture de la membrane anale, les sécrétions accumulées dans le tube digestif inondent le liquide amniotique. Au-delà de 18 SA, les modifications de la composition du méconium et la maturité du sphincter anal interdisent tout nouvel écoulement, et les activités des enzymes digestives s’effondrent. Ainsi, entre 16 et 20 SA, seule l’analyse des profils avec diminution d’activité sera possible, alors qu’au-delà de 20 SA, seules les augmentations anormales de ces enzymes pourront être analysées [13]. Les enzymes digestives du liquide amniotique étudiées sont la gammaglutamyl-transpeptidase (GGTP), la leucine-aminopeptidase (LAP) et les isoenzymes de la phosphatase alcaline (PAL). À titre d’exemple, une augmentation des GGTP après 20 SA observée devant un tableau de sténose digestive fœtale orientera vers des régurgitations en rapport avec une obstruction sous-vatérienne [7].
Les phospholipides dans le liquide amniotique ont fait l’objet de nombreuses études car ils jouent un rôle majeur dans la composition du surfactant. Un rapport du taux de lécithines sur sphingomyélines supérieur à 2 est synonyme de bonne maturation pulmonaire [9].
L’alpha-1-fœtoprotéine est exclusivement synthétisée par le foie fœtal. Elle se retrouve dans le sang maternel à un taux mille fois inférieur à celui du sérum fœtal. Son taux augmente rapidement dans le liquide amniotique lorsqu’un contact existe entre celui-ci et le système circulatoire fœtal, lors par exemple d’une amniocentèse [13].
Les facteurs de croissance, comme l’epidermal growth factor et l’insulin growth factor, sont très nombreux.
La quantité de cellules présentes dans le liquide amniotique augmente avec le terme. Jusqu’à 20 SA, il existe deux principales populations de cellules vivantes : les cellules fibroblastiques et épithéliales (cellules de desquamation amniotique ou cutanée). Le maximum de cellules vivantes est recueilli après la 16e SA. À partir de 20 SA, les cellules vivantes disparaissent rapidement, les cellules nucléées étant remplacées par des cellules de desquamation [13].