Chapitre 26 Organisation de l’offre de soins
Nous nous intéresserons donc dans ce chapitre au système français. Nous envisagerons successivement la question de l’évaluation des besoins, puis celle de l’architecture du système public, fondée sur le concept de « secteur » géodémographique, celle de l’intervention en urgence, celle de la pratique de psychiatrie de liaison, proposée dans les établissements hospitaliers généraux, les réalités et pratiques de la psychiatrie libérale, pour terminer par l’offre spécifique développée en direction des patients souffrant de troubles addictifs.
L’évaluation des besoins est un préalable fondamental à la définition d’une politique de santé publique qui intégrera la dimension de l’organisation des soins [2]. Force est toutefois de constater que, en France, la notion de besoin de soins est significativement infléchie par les caractéristiques propres à notre pays de la perception des priorités, de l’acuité, par les représentations sociales qui gouvernent les convictions sur l’imputabilité des troubles, ou l’histoire de la prise en charge des malades mentaux. Comme l’a montré l’étude de J.-L. Roelandt [1], qui a permis des comparaisons internationales sur les notions de folie, de maladie mentale et d’intention de recours en cas de trouble, les croyances, la culture, le niveau de développement influent très largement sur les besoins de soins ressentis. On sait par ailleurs que la perception du besoin de soins est liée — sans en être bien entendu totalement dépendante — à l’offre disponible et aux circuits de recours existants, à l’échelle locale comme au niveau national. C’est ainsi que, si en théorie l’équipement en structures, en professionnels, filières de soins se devait de se calquer sur les morbidité et mortalité constatées, le constat à dresser aujourd’hui irait plutôt dans le sens d’une grande hétérogénéité de l’offre de soins, découplée des réalités épidémiologiques. Avant d’y voir seulement une inégalité injustifiable dans un pays de principes républicains, il y a sans doute lieu d’en saisir la légitimité sociale dans les particularités locales de la volonté des populations et de leurs représentants de se doter de systèmes fonctionnels répondant à des besoins de soins ressentis comme tels. Pour autant, ces inégalités confrontent à la question de l’objectivité de ces besoins, comme à celle des moyens à mettre en œuvre pour les réduire. Ceux-ci devront asseoir leur légitimité dans les processus à mobiliser de démocratie sanitaire, incluant les usagers, les familles, les élus, qu’il convient maintenant d’associer pleinement aux processus de décision.
Le système public de soins psychiatriques français, comptable des besoins collectifs, est organisé sur la base du secteur géodémographique. Depuis la circulaire du 15 mars 1960, réglementairement, les soins hospitaliers et ambulatoires, libres ou sous contrainte, sont proposés par une même équipe pluridisciplinaire, dont la mission est de s’attacher à répondre aux besoins de soins de prévention, de cure et de postcure d’une population d’environ 70 000 habitants, définie par un secteur géographique. Sont ainsi posées les conditions d’exercice d’une psychiatrie généraliste, s’attachant à permettre une continuité des soins, en tout point du territoire. Le chapitre consacré à cette architecture, qui représente un socle irremplaçable pour la prise en charge de tout patient présentant un trouble psychiatrique franc, examinera donc ce « modèle » français dans ses modalités effectives de mise en œuvre, mais aussi dans ses résultats. Car si « le secteur », pensé il y a un demi-siècle, est aujourd’hui, et du fait de la latence naturelle des politiques publiques, la base structurelle de l’intervention publique, l’organe de la sollicitude collective à l’égard des personnes douloureusement et durablement affectées par un trouble psychique manifeste, qu’en est-il de son adaptation aux problématiques actuelles, de sa capacité à répondre à l’ensemble de ses missions, et de la satisfaction qu’il apporte à ses bénéficiaires [3] ?
La psychiatrie libérale représente dans notre pays une force singulière, et précieuse, au service des patients. Elle peut tout d’abord soutenir des structures hospitalières, cliniques, centres de postcure. Elle intervient alors pour des séjours hospitaliers ponctuels, dans l’évolution des pathologies qui le nécessitent, mais elle n’a encore pu développer l’approche de complémentarité et de pérennité de l’engagement soignant des secteurs. Elle représente surtout une offre ambulatoire, fondée sur le colloque singulier, contractuel, librement choisi. Elle supporte l’essentiel des démarches psychothérapiques individuelles, pour les patients dont les troubles autorisent leur prise en charge dans un cadre interindividuel. La psychiatrie libérale française a néanmoins dorénavant un double défi à relever : celui de la définition et de la mise en œuvre de nouvelles formes de prises en charge, répondant aux problématiques pathologiques d’aujourd’hui. Et celui d’une répartition territoriale plus harmonieuse, sans doute en première approche antinomique de son caractère libéral, mais qui ne pourrait perdurer sans risquer de délégitimer l’ensemble de ce champ de pratiques. Comment en effet soutenir que cette pratique est indispensable ici sans agir pour qu’elle soit aussi présente là ?
Enfin, l’offre de soins dans le domaine de la pathologie psychique s’est développée en direction de l’addictologie. Tant dans le champ des structures hospitalières générales que dans le champ des structures spécialisées, de l’hospitalisation que de l’ambulatoire, de la cure que de la postcure, des filières de soins se sont localement constituées pour répondre aux besoins de soins de sevrage et de lutte contre la dépendance, en matière d’alcoologie ou d’autres abus de substances. En ce domaine, notre pays ne dispose pas d’une politique globale aussi affirmée que dans celui des troubles psychiatriques, même si la lutte contre les dépendances et leurs effets de santé publique fait l’objet de mises à jour. La conséquence en est que la planification des équipements est sans doute plus aléatoire. Nous aurons toutefois garde d’en conclure que l’offre de soins est de moins bonne qualité.
[1] Bellamy V., Roelandt J.L., Caria A. Premiers résultats de l’enquête Santé Mentale en population générale. L’Information Psychiatrique. 2005;81:295-304.
[2] Kovess V., Lesage A., Boisguerin B., et al. Planification et Évaluation des besoins en Santé Mentale. In Comité de la santé mentale du Québec et Direction Générale de la Santé. Paris: Flammarion Médecine Sciences; 2001.
[3] Leguay D. Le système de soins psychiatriques français. Réalités et perspectives. In Congrès de Psychiatrie et de neurologie de langue française. Paris: Media-Flash, Masson; 2002.
26.2 Évaluation du besoin de soin en psychiatrie
Le besoin de soin en psychiatrie est une notion complexe. En effet toutes les personnes qui présentent un problème de santé mentale n’ont pas forcément besoin de soin et celles qui ont besoin de soin n’ont pas forcément besoin que ces soins soient délivrés en milieu spécialisé psychiatrique. Cette problématique doit donc être étudiée au moins à deux niveaux : la définition du problème et celle du traitement correspondant y compris le type d’intervenant habilité à le prodiguer et son contexte. Il existe en effet de nombreux acteurs de soin en santé mentale : généralistes, psychologues, psychiatres, autres intervenants (éducateurs, ou assistants sociaux par exemple), dont la pertinence variera suivant les problèmes à traiter. Dans un système de libre accès aux soins, la demande de soins en psychiatrie ne signifie pas le besoin de soin ou à tout le moins le besoin de soins en psychiatrie et inversement certains besoins n’entraîneront pas de demande ou une demande dans un contexte non suffisamment spécialisé [7].
La mesure des besoins par population
A.M. Lovell dans un article de revue de littérature propose de séparer [9] :
• l’approche américaine dite indirecte qui cherche à évaluer le besoin en population générale au moyen d’enquêtes utilisant des instruments permettant de faire des diagnostics, lesquelles permettent secondairement d’évaluer des probabilités de besoin ;
• et les approches européennes et surtout anglaises dites directes, qui peuvent comprendre des enquêtes de population pour dépister des cas probables, mais qui cherchent directement à évaluer les besoins de soins par des entretiens conduits par des cliniciens sur le terrain ou encore qui partent des cas cliniques identifiés dans un territoire pour extrapoler les besoins dans une population.
Approche indirecte
Dans une tentative d’évaluer l’ampleur des besoins de soins, S. Shapiro et al. [10] ont établi dans un des sites de l’étude ECA qu’un besoin était présent s’il y avait présence d’un désordre dans la dernière année et :
• soit un niveau de détresse psychologique mesuré par un instrument standardisé et dépassant un seuil donné ;
• soit avoir perdu plus d’une journée selon la réponse à la question indiquée plus haut ;
• soit avoir consulté dans la dernière année pour fins de santé mentale.
Avec de tels critères, les besoins de soins de santé mentale touchaient près de 20 % de la population. Cependant, comme le montre encore notre cadre conceptuel, tenir mieux compte des trois axes des états de santé mentale comme l’ont fait S. Shapiro et al. [10] ne préjuge pas des besoins. Il s’agit d’un indicateur indirect des besoins sur une base populationnelle. Par exemple, on ne sait pas si ces personnes identifiées avec un désordre et un certain niveau de détresse et de dysfonctionnement accepteraient un traitement, ni lequel, ni qui devrait le fournir.
Une autre enquête en population générale conduite aux États-Unis dans l’État du Colorado [4–6] a relevé auprès de 4 745 personnes tirées au sort dans une quarantaine de zones géographiques, les trois mesures :
• une mesure du diagnostic psychiatrique par le Diagnostic Interview Schedule : troubles mentaux DSM-III (troubles dépressifs et anxieux, abus de substances, personnalité antisociale, schizophrénie et troubles cognitifs) ;
• une mesure de la détresse psychique (par le Center Epidemiologic Studies for Depression ou CES-D) ;
• une évaluation du retentissement des troubles dans les différents rôles de la vie quotidienne : activités physiques, soins de base, productivité du travail à l’école, à la maison ou dans un emploi, relations interpersonnelles, problèmes légaux.
Ces dimensions peuvent être combinées de diverses façons pour produire des indicateurs de besoins. Les auteurs proposent d’utiliser les trois mesures (diagnostic, détresse et dysfonctionnement) pour opérationnaliser les besoins de soins en y ajoutant des critères de durée. On aboutit à cinq catégories qui correspondent à différents degrés de besoin et peuvent être utilisées par les planificateurs pour établir leurs priorités et les typologies de moyens correspondantes :
• ceux qui présentent un de ces problèmes : 27,7 % ;
• ceux qui en présentent deux : 9,7 % et qui semblent la catégorie cible ;
• ceux qui ont un diagnostic et un autre critère (retentissement ou détresse) qui correspondent à la définition anglaise du besoin de soin : 7 % ;
• ceux qui ont un diagnostic sévère (schizophrénie, manie, dépression majeure, trouble cognitif) 2,5 % ;
• et ceux qui ont un trouble sévère et un des autres signes : 1,6 %, dont 1,1 % souffre de troubles chroniques c’est-à-dire ayant duré plus d’un an.
Approche directe
D’autres études ont essayé d’aller plus loin dans la détermination du besoin de soins en différenciant le besoin de soin dans le réseau de soin primaire (généraliste) et dans le système de soin spécialisé.
Dans le cadre d’une étude populationnelle en Finlande ( Mini Finland Health Survey) sur un échantillon représentatif des plus de 30 ans, le groupe de V. Lehtinen [8] a utilisé une stratégie en deux phases : un screening avec le General Health Questionnaire ou GHQ36 et dans la deuxième phase un instrument diagnostique clinique, le Present State Examination utilisé par une infirmière de recherche auquel s’ajoutaient des données en provenance des différents registres pertinents : pensions pour handicap et prise en charge d’un psychotrope au long cours.
Le besoin de soins était évalué tant du point de vue de la personne que du spécialiste ; un questionnaire permettait en effet de connaître les opinions de la personne sur ses besoins tandis que deux types de besoin étaient évalués par les chercheurs : le besoin de soin spécialisé qui impliquait un indice de sévérité selon le système de Catégo 6 ou pour un niveau 5 une évaluation du besoin par la personne qui faisait passer le PSE et celle d’un psychiatre de recherche ayant revu les histoires de cas avec l’infirmière. Les cas qui n’atteignaient pas ce niveau étaient considérés comme relevant du système de soin primaire.
Les travaux de l’équipe du MRC Social Psychiatry Unit au cours des 15 dernières années ont amené le développement de procédures standardisées d’évaluation des besoins d’intervention pour les personnes souffrant de troubles mentaux graves, généralement psychotiques, déjà en contact avec les services [3] puis à partir de 1992, à une extension de ces procédures aux cas identifiés lors d’enquêtes épidémiologiques populationnelles et qui sont généralement affectés de troubles mentaux non-psychotiques. Ces efforts ont produit une procédure connue sous le nom de Needs For Care Assessment Schedule-Community (NFCAS-C) [1].
Cette approche part du postulat qu’un besoin existe :
• si une personne, souffrant de maladie mentale, présente un problème significatif dans les sphères cliniques ou sociales ;
• et si une intervention thérapeutique ou sociale peut réduire ou contenir le problème.
Par exemple, une étude épidémiologique en deux étapes a été menée auprès d’une population d’un quartier défavorisé de Londres. Un échantillon aléatoire de 760 adultes de 18-65 ans a répondu à un instrument de dépistage de type inventaire de la détresse psychologique, le General Health Questionnaire [2]. Dans une seconde étape, un échantillon stratifié de 408 personnes a été interviewé à l’aide d’un questionnaire standardisé, les Schedules for Clinical Assessment in Neuropsychiatry, permettant de classer les diagnostics selon la CIM-10, d’établir les services reçus et ce que la personne souhaiterait comme soins. Un comité d’experts composé d’un psychiatre, d’un psychologue et de la personne ayant conduit l’entretien révisait l’histoire de chaque cas et établissait les besoins d’interventions à l’aide du NFCAS-C.
Les indicateurs sociaux
L’utilisation de ces variables peut être opérationnalisée dans le cadre de la planification et ces variables sont connues sous le vocable d’indicateurs sociaux. Ceci permet d’éviter une distribution par territoire qui ne tiendrait pas compte de quantités de besoin différentes alors même que ces différences sont perçues par les différents acteurs, tout en leur proposant une modulation relativement objective et acceptable par tous.
L’enquête conduite dans le Colorado a été précisément utilisée pour valider une approche par indicateur : le Denver University (DU) proche de l’indicateur de Slem. Ce dernier repose sur deux indicateurs sociaux (taux d’hommes divorcés ; taux de population sous le seuil de pauvreté). Les techniques statistiques de régression linéaire multiple visent à optimiser les paramètres de ces deux variables en fonction des différents critères ou combinaison de critères de besoin. Ils établissent les paramètres suivants pour leur indicateur DU en fonction de différentes combinaisons de critères pouvant être utilisées (même si le dernier critère des personnes avec troubles mentaux graves a des propriétés prédictives plus faibles).
Ainsi, pour tout secteur de recensement qui représentait ici l’unité territoriale de base de la modélisation, on peut établir la prévalence de besoin. Pour des régions, il s’agit de compiler les besoins des secteurs de recensement les composant. Ainsi, dans le tableau 26.1 les résultats finaux sont donnés pour certaines régions et pour l’ensemble de l’état du Colorado, selon différents critères de besoins de santé mentale.
Les applications françaises
Pour déterminer le besoin de soin, trois éléments ont été évalués :
• la présence d’un diagnostic d’un problème de santé mentale grâce à un instrument diagnostique standardisé ;
• la présence d’une détresse psychologique ;
• la présence d’un retentissement fonctionnel dans les différents secteurs de la vie.
• le recensement comporte pour un maillage très fin du territoire (zone de recensement) des données précises concernant : la composition de la famille, la nationalité, le lieu de naissance, la situation matrimoniale, la situation face à l’emploi (chômage, durée) ; cependant cette base bien que mise à jour régulièrement n’est constituée que tous les 10 ans ;
• le fichier des caisses d’allocations familiales ou CAF mis à jour annuellement permet d’obtenir les allocataires de différentes allocations : revenu minimum d’insertion (RMI), allocation pour famille monoparentale, et dispose des adresses des allocataires ;
• le fichier des recettes fiscales permet de connaître les revenus et comporte aussi les adresses.
Pour ces raisons il est nécessaire d’ajouter à ces informations les données concernant les personnes en contact avec le système de soin en particulier le secteur et les cliniques privées pour lesquelles des données sociodémographiques et géographiques devront avoir été relevées pour disposer des deux types d’information. Le PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) et la fiche patient peuvent être utilisés à cette fin sur les territoires concernés.
[1] Bebbington P.E., Brewin C.R., Marsden L., Lesage A.D. Measuring the need for psychiatric treatment in the general population : the community version of the MRC Needs for Care Assessment. Psychol Med. 1996;26:229-236.
[2] Bebbington P.E., Marsden L., Brewin C.R. The need for psychiatric treatment in the general population : the Camberwell Needs for Care survey. Psychol Med. 1998;27:821-834.
[3] Brewin C.R., Wing J.K., Mangen S.P., et al. Needs for care among the long-term mentally ill : A report from the Camberwell High Contact Survey. Psychol Med. 1988;18:457-468.
[4] Ciarlo J.A., Tweed D.L. Implementing indirect needs-assessment models for planning state mental health and substance abuse services. Eval Program Plann. 1992;15:195-210.
[5] Ciarlo J.A., Shern D.L., Tweed D.L., et al. The Colorado social health survey of mental health service needs. Eval Program Plann. 1992;15:133-147.
[6] Ciarlo J.A., Tweed D.L., Shern D.L., et al. Validation of indirect methods to estimate need for mental health services. Eval Program Plann. 1992;15:115-131.
[7] Kovess V., Lesage A., Boisguerin B., et al. Planification et Évaluation des besoins en Santé Mentale. In Comité de la santé mentale du Québec et Direction générale de la santé. Paris: Flammarion Médecine Sciences; 2001.
[8] Lehtinen V., Joukamaa M., Jyrkinen E., et al. Need for mental health services of the adult population in Finland : results from the Mini Finland Health Survey. Acta Psychiatr Scand. 1990;81:426-431.
[9] Lovell A. Estimation des besoins et évaluation des interventions en santé mentale : nouvelles approches. Rev Epidémiol Santé Publique. 1993;41:281-291.
[10] Shapiro S., Skinner E.A., Kramer M., et al. Measuring needs for mental health services in a general population. Med Care. 1985;23:1033-1043.
26.3 Le secteur de psychiatrie
La longue marche
L’origine de la pensée sectorielle, parfois mythifiée, fait référence au mouvement des idées directement issu de la Résistance après la défaite survenue en 39/40. La volonté de reconstruction et de prise de distance par rapport au dispositif asilaire qui n’avait pratiquement pas évolué depuis un siècle a été déterminante chez les pères fondateurs du secteur, mais on oublie souvent que depuis la fin du xixe siècle, les principes aliénistes avaient été remis en question ; l’archaïsme de l’asile, son encombrement et le détournement de sa finalité thérapeutique au profit d’une ségrégation des malades mentaux avaient été dénoncés par de nombreux psychiatres. Les regards se tournaient vers les colonies thérapeutiques dont certaines étaient très anciennes et c’est l’open door britannique qui inspirera B.A. Morel et V. Magnan, partisans d’une ouverture des hôpitaux vers la communauté.
Le premier service libre sera créé en 1922 à Sainte-Anne par Édouard Toulouse. L’hôpital devient alors un élément de l’offre de soins qui comporte une consultation (dispensaire), un service de visite à domicile et un service social. La circulaire Rucart en 1937, véritable esquisse du secteur, incitera à la modélisation de cette expérience. Le changement ne se réduira pas à un redéploiement de l’existant mais s’inscrira pleinement dans le mouvement des idées et des références théoriques. Le passage du concept d’aliénation mentale à celui de maladie mentale a été déterminant. Le modèle hygiéniste, avec sa proposition de prophylaxie extensive, est à l’origine de l’objectif de prévention, partie intégrante de la politique de secteur et qui reste théoriquement un de ses axes majeurs.
La naissance du secteur
C’est par une circulaire que, le 15 mars 1960, la politique de secteur a été présentée et définie, mais ce n’est que 10 ans plus tard que l’impulsion politique et administrative sera donnée et que les réalisations extrahospitalières se concrétiseront. Le 25 juillet et le 31 décembre 1985, la Loi va donner à la politique de secteur sa cohérence financière en confiant la prise en charge du financement de la santé mentale à l’assurance-maladie [8].
Le terme de secteur, sans référence immédiatement identifiable aux soins, a été mal reçu et mal compris par la communauté médicale ; il n’était pas, convenons-en, le plus adapté à définir la psychiatrie désaliéniste et son signifiant, un peu abstrait et clivant, a probablement contribué aux difficultés rencontrées, par ce projet performant, à s’inscrire dans l’offre de soins globale. Il semble avoir été choisi pour illustrer le découpage géodémographique du territoire national en ensembles de 70 000 habitants pour les secteurs de psychiatrie générale (au nombre de 829) dont un tiers est maintenant rattaché à un hôpital général et de 210 000 habitants pour les 321 intersecteurs de psychiatrie infantojuvénile qui seront définis dans la circulaire du 16 mars 1972, confirmée le 9 mai 1974 et complétée par celle du 11 décembre 1992 relative aux orientations de la politique de santé mentale en faveur des enfants et des adolescents [3]. On remarquera que le chiffre de 210 000 habitants aurait pu être aussi retenu pour les secteurs de psychiatrie adulte (ou générale) mais il semble qu’il ne l’ait pas été en fonction de la prévalence du concept de proximité des soins sur celui de la diversité de l’offre. Cet espace géodémographique dispose d’une équipe soignante pluridisciplinaire dirigée par un psychiatre ; cette équipe a pour charge d’assurer la continuité des soins entre le pôle hospitalier où se trouvent, pour ce qui est des services de psychiatrie adulte, les unités d’hospitalisation temps plein et les structures ambulatoires qui seront définies et leurs missions précisées dans la mise à jour du guide méthodologique de planification en santé mentale du 15 décembre 1987, dont hélas, certains objectifs n’ont été réalisés que partiellement.
• le centre médicopsychologique « premier lieu de référence et d’implantation de l’équipe polyvalente de secteur ». C’est une unité de coordination et d’accueil en milieu ouvert qui organise des actions de prévention, de diagnostic, de soins ambulatoires et d’intervention à domicile ;
• des hôpitaux de jour qui assurent des soins polyvalents, individualisés et intensifs, prodigués dans la journée, le cas échéant à temps partiel ;
• des ateliers thérapeutiques utilisant des techniques de soins particulières en vue de réentraînement à l’exercice d’une activité professionnelle ou sociale, activité différenciée des activités d’ergothérapie qui existent dans certains établissements et de celles de CAT (centres d’aide au travail) ;
• les centres d’accueil thérapeutique partiel (CATP), qui deviendront des centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), et qui visent à maintenir ou à favoriser une existence autonome par des actions de soutien et de thérapie de groupe ;
• un service d’hospitalisation à domicile (qui a longtemps attendu son appareil législatif nécessaire) ;
• des centres d’accueil permanents, habilités à répondre à l’urgence psychiatrique et ouverts 24 heures sur 24, ces centres permanents pouvant être créés dans un centre hospitalier et être intersectoriels ;
• des centres de crise : centre d’accueil permanent disposant de quelques lits et permettant des prises en charge intensives et de courte durée pour répondre à des situations d’urgence et de détresse aiguë. Il est précisé que les centres de crise, de par leur prise en charge spécifique, peuvent permettre d’éviter notamment une hospitalisation « qui pourrait être de longue durée », ce qui est assez révélateur de la philosophie du dispositif ;
• des places d’hôpital de nuit ;
• des appartements thérapeutiques qui, parfois, ont pris la forme d’appartements associatifs.