23. Réadaptation motrice

Chapitre 23. Réadaptation motrice

du mouvement à la fonction



Remarques préliminaires

«Est-ce que mon enfant est en bonne santé? Marchera-t-il? Pourra-t-il prendre soin de lui-même? Ira-t-il à l’école normale? Aura-t-il des amis? Pourra-t-il participer à des activités dans la communauté?» Autant de questions que peuvent poser les parents à la suite de l’annonce d’un diagnostic de paralysie cérébrale chez leur enfant. Leurs préoccupations sont concrètes, axées sur les conséquences fonctionnelles. Il n’existe pas de traitement curatif pour la paralysie cérébrale. Le but de l’intervention sera de diminuer l’impact des problèmes primaires et de prévenir l’apparition de problèmes secondaires. Améliorer la fonction, diminuer les incapacités et offrir différentes possibilités à l’enfant pour améliorer sa participation à la vie familiale et son intégration sociale seront au nombre des objectifs poursuivis.

Les enfants paralytiques cérébraux requièrent une surveillance continue et une prise en charge modulée qui tiendront compte de l’ensemble des déficiences associées tant au niveau sensoriel, cognitif et langagier que psychoaffectif. Les approches thérapeutiques restent très variées, c’est le principal obstacle aux essais de démonstration scientifique de leur utilité. En effet, elles sont dépendantes d’un ensemble de facteurs incluant les caractéristiques propres de l’enfant en lien avec la sévérité de l’atteinte motrice, son potentiel cognitif, la nature des déficiences associées, son contexte familial, les ressources financières, l’accès aux services de réadaptation. Le choix d’une approche spécifique sera aussi grandement influencé par la formation des thérapeutes, leurs compétences et leurs croyances.

Des changements conceptuels importants sont survenus au cours des dernières décennies dans ce domaine. La démarche basée sur les preuves scientifiques oblige dorénavant les cliniciens à justifier leurs interventions sur la base de mesures d’efficacité et d’efficience; un virage significatif dans la prise en charge y est associé, la pression financière n’y est pas étrangère [1]. Il y a encore beaucoup de place pour l’empirisme, les modes, les choix des familles ou des institutions, mais on peut enregistrer une tendance générale à l’ouverture.


Concept Bobath : approche neurodéveloppementale

réadaptation motriceconcept BobathL’avènement dans les années 1940 de l’approche neurodéveloppementale (neurodevelopmental treatment [NDT]), dite approche Bobath, constitue une étape charnière dans la prise en charge des enfants paralytiques cérébraux [2]. Longtemps perçue comme une pathologie orthopédique, la paralysie cérébrale a enfin été reconnue comme une pathologie neurologique. Les problèmes moteurs associés à la paralysie cérébrale sont interprétés comme la conséquence d’une dysfonction du système nerveux central (SNC) qui interfère avec le développement normal du contrôle postural contre la gravité et l’acquisition séquentielle des habiletés motrices. Les problèmes orthopédiques, incluant raccourcissements musculotendineux et déformations, sont secondaires à ces problèmes moteurs et les aggravent.

Basée sur une conception d’une organisation hiérarchique du SNC, l’approche Bobath, dans sa version originale, cherche essentiellement à améliorer la qualité du mouvement par inhibition des postures, réflexes et mouvements anormaux, normalisation du tonus et facilitation de patrons de mouvements normaux. Le but ultime est d’activer les bons groupes musculaires et d’offrir la stabilité nécessaire pour que l’enfant expérimente la sensation du mouvement normal. À mesure que l’enfant développe son propre contrôle, le thérapeute diminue son assistance. Outre les points clés de contrôle utilisés tant au niveau proximal que distal pour favoriser la stabilité, d’autres techniques seront privilégiées pour fournir des expériences sensorimotrices adéquates; elles incluent, entre autres, mise en charge, transfert de poids, traction, élongation, mouvement actif avec des modifications dans la vitesse et la directionalité.

Bien que le «concept Bobath» ait été initialement appuyé sur des fondements neurophysiologiques discutables dont certains, aujourd’hui, sont considérés comme dépassés, il a incontestablement fait avancer la prise en charge des enfants. De plus, il est important de noter que l’approche Bobath, pour laquelle des milliers de thérapeutes tant nord-américains qu’européens ont été formés, a beaucoup évolué au cours des années, et que différentes adaptations en ont été faites [[3][4][5] and [6]], entraînant des défis importants dans les tentatives de démonstration de son efficacité.

Dans ce sens, une revue systématique de la littérature a été faite en 2001 à la demande de l’American Academy for Cerebral Palsy and Developmental Medicine, dans le but d’obtenir des preuves sur l’efficacité du NDT [7]. Après analyse de la littérature des 30 dernières années par une quinzaine d’experts, 44 sur 65 des publications recensées sont éliminées pour leur manque de rigueur (pas de mesures correctes avant et après, pas de série témoin, etc.), 21 sont donc retenues pour analyse, entre 1973 et 2000.

Les critères d’inclusion retiennent les situations suivantes : NDT contre absence de traitement; NDT appliquée de façon plus ou moins intense; NDT contre d’autres méthodes; ou encore le sujet est son propre témoin (avant et après NDT).

Le nombre total de cas de paralysie cérébrale venant de ces 21 études s’élève à 416 sujets. Les résultats sont non significatifs dans la majorité des 21 études lorsque l’état fonctionnel global est retenu comme mesure finale de l’efficacité de la thérapie neurodéveloppementale. Cependant, une analyse plus fine dans différents domaines montre dans huit études une amélioration qualitative de la motricité. Un effet favorable est également observé sur la limitation de la mobilité articulaire liée aux raccourcissements musculotendineux secondaires à la spasticité. La publication de cette méta-analyse est précédée d’une mise en garde pour le lecteur qui ne doit pas sombrer dans le pessimisme à la lecture des résultats et suivie d’une exhortation de la communauté professionnelle à améliorer la méthodologie de ce type d’étude clinique.

D’autres revues systématiques ont été publiées, incluant celles de Brown et Burns [8], Blauw-Hospers et Hadders Algra [9] et Anttila et al. [10]. Toutes font état d’absence de preuves ou encore de résultats mitigés. De plus, plusieurs études recensées soulignent l’incapacité à démontrer la généralisation des acquisitions dans des tâches fonctionnelles et leur transfert dans différents contextes d’application, limitant d’autant plus l’impact des interventions. Parmi les raisons de ces difficultés, on retrouve : le NDT n’est pas standardisé pour ce qui est de ses règles d’application; le niveau de compétence des professionnels est très variable; la population traitée est très hétérogène; et l’appréciation du résultat est basée sur des mesures également variables, selon le but poursuivi dans chacune des études.

Néanmoins, pour Mayston [2], le «concept Bobath» subsiste. Son application doit toutefois être nuancée; d’autres approches peuvent être utiles, complémentaires ou même préférables selon les besoins de l’enfant à un moment donné de son développement. Acceptant une évolution inévitable du NDT et l’émergence de nouvelles approches, il n’en demeure pas moins que ce qui reste du concept Bobath est énormément plus important que ce qui en est exclu. Il a, entre autres, fourni un cadre de référence pour évaluer et analyser les anomalies du mouvement et de la posture ainsi que leurs répercussions sur la fonction.


Apprentissage moteur

réadaptation motriceapprentissage moteurUn autre virage important est actuellement en cours dans la prise en charge des problèmes moteurs associés à la paralysie cérébrale. L’évolution des connaissances dans le domaine des neurosciences, des sciences cognitives et de l’éducation donne des espoirs certains pour le développement de nouvelles approches basées sur les théories de l’apprentissage moteur. Il a été démontré que cet apprentissage était accompagné de changements dans la configuration des connexions intracorticales dans le cortex moteur, confirmant les mécanismes de plasticité neuronale. L’objectif devient donc de récupérer la fonction motrice au lieu de se contenter d’une autonomie fonctionnelle basée sur des stratégies de compensation.

Le concept d’apprentissage moteur repose essentiellement sur une stratégie à tâche orientée (goal-oriented task) où l’individu participe activement au processus d’apprentissage. L’apprentissage résulte d’un ensemble de processus associés à la pratique et à l’expérience qui mène à des changements relativement permanents dans la performance motrice [11]. La répétition de l’activité est donc partie intégrante de la thérapie. Les mécanismes impliqués sont interprétés selon une conception de l’organisation hétérarchique du SNC permettant l’interaction dynamique de plusieurs sous-systèmes dans le contexte de la réalisation d’une tâche spécifique. Le rôle de l’environnement et la nature de la tâche à accomplir sont centraux à une telle approche. En fait, cette dernière est basée sur un apprentissage plus actif que passif où résolution de problème remplace répétition de patrons de mouvement.

L’apprentissage moteur comporte différentes étapes, de l’expérimentation initiatique pour une nouvelle tâche à l’automatisation du geste et à son adaptation selon le contexte. La rétention dépend de la pratique qui peut se faire selon différents paramètres (en bloc, étalée, aléatoire…). L’apprentissage dépend aussi des rétroactions intrinsèques et extrinsèques, qui peuvent apparaître pendant l’exécution de la tâche, tout de suite après ou encore de façon retardée [12]. Plusieurs éléments restent à préciser dans les programmes d’intervention basés sur l’apprentissage moteur. Néanmoins, des premiers résultats encourageants font état d’un meilleur transfert des acquisitions fonctionnelles dans les activités de la vie quotidienne; des progrès sont attendus dans ce domaine [13].


Cas particulier de la spasticité

spasticitéPourquoi consacrer une section au traitement spécifique de la spasticité, alors qu’hypotonie ou dyskinésie sont également génératrices de complications pouvant bénéficier d’une thérapeutique spécifique? Parce que les formes spastiques de paralysie cérébrale sont les plus fréquentes, en particulier chez les anciens prématurés; et parce que c’est dans le domaine de la spasticité que les avancées les plus remarquables ont été obtenues au cours des deux dernières décennies (en particulier toxine botulique, radicellectomie sensitive partielle, baclofène intrathécal). La toxine botulique a considérablement amélioré les résultats orthopédiques, dans le combat inégal et toujours recommencé contre les conséquences de la spasticité. Dans certains cas, le neurochirurgien pourra intervenir sur la commande nerveuse et donc diminuer ou supprimer la spasticité, soit dans un territoire limité, par les neurotomies périphériques sélectives, soit dans une région plus large, par la radicellectomie sensitive partielle. La place des médicaments symptomatiques est encore insuffisamment définie.

Un principe commun à tout traitement spécifique de la spasticité : l’indication doit être pesée avec un soin extrême par l’équipe au complet, après une analyse très minutieuse des différents éléments de la dysfonction (spasticité, raccourcissements, faiblesse musculaire, déformations ostéoarticulaires) et de leurs interactions, c’est dire que l’indication n’appartient pas au seul neurochirurgien ou au seul chirurgien orthopédique. À côté de l’analyse précise du trouble, c’est l’expérience générale et la connaissance du problème fonctionnel particulier à chaque enfant qui permettront d’anticiper sur les conséquences défavorables possibles du geste qui diminue ou supprime la spasticité. En effet, il y a des spasticités utiles, des spasticités pas trop déformantes et qui aident à la marche; les supprimer, c’est prendre le risque de découvrir ensuite une faiblesse musculaire beaucoup plus importante que prévue; c’est prendre le risque de diminuer la mobilité alors qu’on cherchait à l’augmenter. Enfin, la plupart des actions spécifiques entreprises ne donneront de bons résultats que si le travail du kinésithérapeute est non seulement poursuivi mais renforcé dans la période qui suit [14].


Toxine botulique

toxine botuliqueLes premiers traitements de la spasticité par la toxine botulique datent des années 1990 : la toxine injectée dans le muscle bloque au lieu d’injection la libération d’acétylcholine au niveau de la jonction neuromusculaire, provoquant ainsi une parésie ou une paralysie; l’effet maximal se situe entre les 10e et 15e jours qui suivent l’injection, et ce pour une durée de 3 à 6 mois. Le produit le plus utilisé est le Botox®; les doses optimales sont encore discutées. Son action étant transitoire, elle doit être répétée à la demande.

Les indications les plus habituelles sont les suivantes : avant de faire un plâtre d’étirement musculotendineux; avant d’envisager une intervention orthopédique ou une neurotomie chirurgicale. C’est donc un geste intégré dans un programme thérapeutique, il ne peut pas être mis entre toutes les mains. Les effets secondaires défavorables (douleurs, augmentation des chutes par faiblesse musculaire) sont peu fréquents et transitoires. L’action myorelaxante est locale, donc des injections multisites sont nécessaires dans les situations où l’on espère une amélioration de la marche. Les effets favorables dans l’amélioration fonctionnelle des membres supérieurs sont également appréciables. Quoi qu’il en soit, l’action est transitoire, les effets favorables devront être utilisés pendant cette période de quelques mois, dans un programme bien défini.

Quinze ans plus tard, les bénéfices ne sont pas absolument démontrés, malgré des essais cliniques randomisés portant sur des groupes d’enfants assez homogènes, par exemple, ceux dont la spasticité est modérée, sans déformations importantes et dont les fonctions mentales permettent une coopération active. Comment mesurer le résultat par comparaison avec la kinésithérapie intensive et l’orthopédie? Il faut démontrer un progrès significatif à la fois sur la structure (goniométrie, bilan de la force musculaire) et sur la fonction (analyse dynamique de la marche, Gross Motor Function Measure) et enfin une appréciation subjective de l’amélioration de la vie quotidienne. Les succès les plus frappants sont obtenus dans la qualité de la démarche chez des enfants ayant déjà accédé à la marche indépendante. Dans les formes sévères, la toxine a un effet favorable sur le confort et les soins d’hygiène, elle permet souvent de différer une chirurgie ou d’en diminuer les indications.

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May 9, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 23. Réadaptation motrice

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