Chapitre 23 Expressions Vasculaires des Maladies Infectieuses
La paroi vasculaire est une cible privilégiée des micro-organismes en général et des virus en particulier, mais selon des mécanismes divers. Ainsi, beaucoup d’infections peuvent atteindre les vaisseaux. Cette association a été renforcée par le développement des techniques de biologie moléculaire qui a permis de mieux caractériser certaines infections, virales pour la majorité, et de discuter avec plus de clarté la présence et le rôle de certaines infections dans la genèse de certaines manifestations vasculaires.
PHYSIOPATHOLOGIE DES MANIFESTATIONS VASCULAIRES DES INFECTIONS
Plusieurs mécanismes peuvent être évoqués pour caractériser l’expression vasculaire des infections. Les deux mécanismes principaux sont l’effet pathogène direct du micro-organisme sur la paroi vasculaire et l’effet indirect d’origine immunologique [1]. Le troisième mécanisme est la thrombose médiée par l’activation plaquettaire et l’altération endothéliale.
Mécanismes immunologiques indirects
MANIFESTATIONS VASCULAIRES DIRECTES DES INFECTIONS : ARTÉRITES INFECTIEUSES ET ANÉVRISMES MYCOTIQUES
Certaines pathologies infectieuses peuvent être responsables de lésions vasculaires directes symptomatiques ou asymptomatiques. Ces lésions sont liées à la localisation du microorganisme au sein de la paroi vasculaire devenue un site d’infection. Cette situation est représentée par les artérites infectieuses et les anévrismes mycotiques.
L’extension d’une infection bactérienne à la paroi vasculaire est responsable d’un tableau d’endartérite infectieuse. En l’absence de prise en charge précoce, l’évolution naturelle est la formation d’anévrismes dits mycotiques ou infectieux du fait des altérations pariétales majeures. L’anévrisme mycotique est une dilatation localisée et irréversible de la paroi vasculaire liée à une infection. Il s’agit d’une complication sévère grevée d’une importante morbidité et mortalité. Il peut se développer de novo sur une paroi artérielle « saine » ou sur un anévrisme artériel préexistant. La majorité des anévrismes mycotiques sont dus à des infections bactériennes contrairement à ce que laisse supposer le nom qui a été donné par Osler en 1885 pour définir cet aspect ressemblant à des « champignons frais » [2].
Épidémiologie
Les aortites infectieuses et anévrismes mycotiques sont assez rares puisqu’ils représentent 0,7 à 2,6 % des anévrismes aortiques opérés et 0,7 à 4 % des anévrismes cérébraux [3, 4]. Ils ont une prédominance masculine (3 hommes pour 1 femme) probablement expliquée par l’association des aortites infectieuses aux facteurs de risque cardiovasculaires qui sont plus fréquents chez les sujets masculins. L’âge moyen de survenue est de 65 ans, sauf pour les aortites infectieuses et anévrismes mycotiques compliquant une endocardite infectieuse, l’âge moyen étant dans ce contexte de 40 ans du fait de la prévalence importante des complications de la toxicomanie intraveineuse.
Physiopathologie
L’exemple classique d’infection responsable d’anévrisme mycotique est l’endocardite bactérienne subaiguë d’Osler. Au cours de cette affection, les localisations anévrismales les plus fréquentes sont les suivantes par ordre de fréquence : artère fémorale 40 %, aorte abdominale 30 %, artère mésentérique supérieure 10 %, artère brachiale 7 %, artère iliaque 6 % et carotide 5 % [5]. Des localisations intracardiaques, en particulier sur le ventricule droit, sont décrites. Les anévrismes mycotiques cérébraux surviennent plus souvent dans les portions distales de l’artère cérébrale moyenne, proches de la surface corticale et incluant les branches secondaires et tertiaires. Ce profil caractéristique aide à les distinguer des anévrismes « dysplasiques » qui surviennent plus près de la base du crâne et du polygone de Willis.
Les facteurs de risque associés à la survenue d’aortites infectieuses et d’anévrismes mycotiques sont les suivants [5] :
Microbiologie
Les bactéries qui ont la plus grande affinité pour la paroi artérielle sont les Staphylocoques, les Salmonelles et le Treponema pallidum, agent causal de la syphilis. La syphilis, jadis responsable de près de 50 % des anévrismes infectieux, est devenue assez rare. Le staphylocoque doré représente 30 à 50 % des germes responsables et les salmonelles 15 à 25 %, touchant plus fréquemment les patients ayant des anévrismes aortiques préexistants et plus particulièrement en Asie du Sud-Est. Dans près de 15 à 50 % des cas, les hémocultures demeurent stériles et dans 8 à 10 % des cas, l’infection peut être pluribactérienne, surtout en cas de toxicomanie intraveineuse [9].
D’autres germes sont rapportés dans la littérature, incluant :
Manifestations cliniques
Les manifestations cliniques dépendent de la localisation de l’anévrisme mycotique. Il peut s’agir typiquement d’une masse douloureuse, battante ou pulsatile chez un patient qui présente des symptômes et signes infectieux. Quand l’anévrisme est localisé sur l’aorte, les symptômes dominants sont une fièvre (90 %), des frissons (16 %), des sueurs (5 %), des douleurs thoraciques et dorsales pour l’aorte thoracique ou abdominales pour l’aorte abdominale (20 à 60 %). Chez les patients présentant une endocardite bactérienne, l’anévrisme mycotique peut être révélé par des céphalées, un accident ischémique ou une hémorragie sous-arachnoïdienne. L’anévrisme peut également être révélé par des complications variables selon le site : une hémorragie digestive dans les anévrismes de l’aorte abdominale, une ischémie distale de membre, une dysphagie et une raucité de la voie dans les anévrismes de l’artère sous-clavière, des ostéomyélites ou des spondylodiscites, des abcès du psoas ou une masse endobronchique pour les anévrismes de l’artère pulmonaire. La rupture dans un organe creux (tube digestif, bronche, trachée) ou une cavité libre (péritoine, méninges) est le risque majeur, mettant en jeu le pronostic vital. Une rupture avec hémorragie est présente dans 7 à 24 % des anévrismes aortiques au moment du diagnostic et une rupture partielle circonscrite dans 47 à 61 % [10].
Procédures diagnostiques
EXAMENS BIOLOGIQUES ET MICROBIOLOGIQUES
Sur le plan biologique, une hyperleucocytose à prédominance de polynucléaires neutrophiles est retrouvée dans 60 à 70 % des cas et une anémie inflammatoire dans près de la moitié des cas. Les hémocultures sont contributives dans 50 à 85 % de cas et les prélèvements bactériologiques de tissu anévrismal sont positifs dans 56 % des cas [11].
EXAMENS MORPHOLOGIQUES
L’imagerie est indispensable pour établir le diagnostic, localiser et caractériser (nombre, taille), identifier les complications associées et évaluer les possibilités thérapeutiques. Elle est aussi indispensable pour la surveillance de l’efficacité thérapeutique. On dispose de plusieurs examens morphologiques permettant le diagnostic des anévrismes mycotiques : l’échographie, le scanner, l’imagerie par résonance magnétique et l’artériographie [12]. La radiographie du thorax peut mettre en évidence une opacité médiastinale évocatrice d’anévrisme thoracique qui, dans un contexte infectieux, peut faire évoquer le diagnostic. L’échographie peut montrer une altération pariétale avec des modifications de flux au niveau des artères périphériques et de l’aorte abdominale sous-rénale. Toutefois, les deux examens de référence actuellement sont l’angioscanner et l’angio-IRM qui visualisent l’anévrisme et déterminent ses rapports avec les structures adjacentes et facilitent la décision des modalités de traitement chirurgical (fig. 23-2 et 23-3).
Figure 23-2 Scanner abdominal avec injection de produit de contraste : anévrisme infecté (mycotique) de l’aorte abdominale. Les flèches montrent des calcifications à l’ostium de l’anévrisme et l’étoile le sac anévrismal [12].
Figure 23-3 Angio-IRM : anévrisme mycotique (flèche) de la branche acromiale de l’artère acromiothoracique droite [12].
En plus des anomalies pariétales visualisées (anévrismes, calcifications athéromateuses), une prise de contraste inhomogène de la paroi est objectivée. L’artériographie fut pendant longtemps l’examen de référence permettant la localisation de l’anévrisme, la mise en évidence d’une fissure ou d’une extravasation et aidant à la décision thérapeutique chirurgicale. Elle présente comme inconvénients majeurs son caractère invasif dans un contexte septique avec le risque d’emboles septiques et de greffes bactériennes au site de ponction et le risque de rupture anévrismale. Elle doit être actuellement réservée aux cas où l’imagerie par scanner ou IRM serait insuffisante (fig. 23-4).
Figure 23-4 Artériographie conventionnelle : anévrisme mycotique de la face inférieure de l’isthme aortique [12]
Traitement
Le traitement des anévrismes mycotiques repose sur une prise en charge médicale avec une antibiothérapie systémique associée ou non à un traitement chirurgical ou endovasculaire.
L’antibiothérapie, initialement par voie intraveineuse, doit cibler les germes les plus fréquents et être adaptée secondairement en fonction du profil de sensibilité du germe identifié. La durée habituelle est de 4 à 6 semaines, avec des adaptations en fonction de l’évolution des paramètres inflammatoires [14].
La stratégie chirurgicale doit toujours être associée à une antibiothérapie préalable. Elle dépend du site d’infection, de la présence ou non d’une rupture et parfois de la disponibilité de greffons autologues ou prothétiques [15]. Elle peut consister en :
Pour les anévrismes mycotiques intracrâniens, le facteur pronostique majeur est la rupture fatale chez un quart des patients. En l’absence de rupture, une antibiothérapie isolée est recommandée, associée à la chirurgie dans le cas contraire [18].
Pronostic
La mortalité associée aux anévrismes mycotiques est élevée et dépend de la localisation, de la présence d’une rupture, des traitements reçus et des pathologies associées. Elle concerne 20 à 60 % des anévrismes aortiques, l’aorte abdominale sousrénale ayant un meilleur pronostic (taux de survie 96 %) que l’aorte sus-rénale (taux de survie 60 %). La combinaison de l’antibiothérapie et de la chirurgie offre de meilleurs résultats, avec une mortalité de 38 % contre 96 % en cas d’antibiothé-rapie isolée [15, 19]. En cas d’anévrisme rompu, la mortalité est estimée à 63 à 100 % pour les anévrismes abdominaux et 60 à 90 % pour les anévrismes intracrâniens. Pour les artères périphériques, la mortalité est estimée entre 0 et 15 % [20].