Chapitre 20 Psychopathologie de l’adolescent
20.1 Introduction
La psychopathologie de l’adolescent s’est profondément modifiée au cours des 30 dernières années. Il y a 30 ans l’approche psychopathologique de l’adolescence était dominée par trois grandes questions diagnostiques :
• l’entrée dans la schizophrénie était principalement suspectée devant une bizarrerie du comportement, un retrait, un apragmatisme et bien évidemment une bouffée délirante mais le diagnostic de schizophrénie ne pouvait être confirmé qu’avec l’épreuve du temps ;
• l’organisation psychopathique et délinquantielle était crainte devant la multiplication des troubles du comportement, de la violence, des passages à l’acte, d’une absence de culpabilité mais confirmée là aussi par le maintien de la multiplicité de ces comportements dans le temps ;
• la crise d’adolescence était, elle, évoquée à partir des comportements extrêmement divers, allant des difficultés scolaires aux troubles du comportement, en passant par les conflits familiaux laissant en suspens deux questions, celle de son devenir et celle de la distinction entre le normal et le pathologique.
• la possibilité de diagnostiquer dès l’adolescence les principaux troubles anxieux, de l’humeur ou psychotiques que l’on peut repérer classiquement à l’âge adulte comme, par exemple, les épisodes dépressifs majeurs, le trouble panique mais aussi les différents troubles de la personnalité, même si pour ces derniers troubles les classifications internationales ne considèrent pas que le diagnostic peut être fait à l’adolescence ;
• la pluralité des modèles de compréhension amenant à prendre en compte non seulement la théorie psychanalytique à l’origine en grande partie du concept de crise, mais aussi les différentes théories systémiques, cognitives, comportementales et neurobiologiques, pour ne citer que les plus importantes.
20.2 L’agir, le passage à l’acte
À l’adolescence, l’agir est volontiers considéré comme un mode privilégié d’expression des conflits et des angoisses, s’opposant en cela à la mentalisation [9, 20]. La puberté entraîne une activation de nombreux conflits et est source d’angoisse, que l’adolescent ne peut résoudre sans un travail de mentalisation. Celui-ci demande du temps et succède aux changements corporels qui, auparavant, avaient équipé le corps de capacités d’expression décuplées [1, 14].
Facteurs favorisant l’agir à l’adolescence
Ceux-ci sont nombreux : environnementaux et internes.
Parmi les facteurs environnementaux, se trouvent :
• le passage de l’enfance à l’âge adulte, changement de statut social, qui comme tout changement est une incitation à agir d’autant que le nouveau statut social comporte liberté, autonomie, indépendance ;
• les stéréotypes sociaux : par leur agir, les adolescents confortent l’idée que la société se fait d’eux ;
• l’interaction sociale : un acte en appelant un autre, par imitation ou par réaction, le phénomène de groupe, primordial à cet âge alimente la tendance à l’agir ;
• les contraintes excessives de la réalité [8] : lorsque l’environnement exerce des contraintes trop rigides, ou opposées aux besoins naturels de l’adolescent, une de ses dernières issues est le passage à l’acte.
Parmi les facteurs internes, citons :
• l’excitation pubertaire caractérisée par une tension physique et psychique qui, pour parvenir à sa détente, doit auparavant trouver son « objet adéquat » [7]. L’adolescent est confronté à un état de frustration transitoire dont il ne peut faire l’économie sauf au travers d’un passage à l’acte ;
• l’angoisse : elle resurgit à l’adolescence, et est toujours présente dans le passage à l’acte ;
• le remaniement de l’équilibre : pulsions/défenses est la source du passage à l’acte, soit sexuel sous le poids de la pulsion sexuelle génitalisée, so it auto ou hétéroagressif sous le poids des pulsions prégénitales ;
• l’antithèse activité/passivité : la peur de la passivité, renvoyant à la soumission infantile et aux tendances homosexuelles, conduit les adolescents à se servir de l’action et de l’affirmation de soi pour nier cette passivité ;
• les modifications instrumentales ; le corps acquiert une puissance et une énergie qui poussent à l’agir. Il se transforme et induit un trouble du schéma corporel qui bouleverse sa fonction de construction de l’identité, d’où angoisse et passage à l’acte. Le langage devient à cet âge impropre à traduire ce que ressent l’adolescent, qui doit se forger un nouveau vocabulaire (« Je te kiffe », « Ça me saoule », etc.). La fonction de communication et de contact est aussi perturbée, d’autant que le besoin de communiquer s’accroît à cet age. Ce décalage est source de tension et de décharges motrices.
Passage à l’acte et psychopathologie – Significations
Par opposition aux troubles des conduites intériorisées, le passage à l’acte signe une pathologie des conduites externes agies [20]. Cliniquement on distingue :
• les différents modes de passage à l’acte : colère clastique, vol, agression, fugue, suicide, automutilation, conduite sexuelle, conduite d’ « addiction », etc. ;
• leur aspect isolé ou répété : la répétition amène à décrire des troubles enkystés assimilant la pathologie du sujet à son geste répétitif : on parle de suicidant, de toxicomane, de délinquant, etc. ;
• leur lien avec d’autres manifestations ou avec une structure psychopathologique déterminée, c’est-à-dire symptôme intégré dans une entité nosographique : par exemple, les passages à l’acte impulsifs des états déficitaires ou des états psychopathiques ;
Plus spécifiquement, à l’adolescence, trois éventualités diagnostiques [17] sont évoquées :
• les conduites graves de l’adolescence : tentatives de suicide, toxicomanies, délinquance, qui s’inscrivent dans les personnalités antisociales ou limites ;
• la dépression de l’adolescent qui se manifeste volontiers sous forme de passages à l’acte, le ralentissement moteur étant remplacé par la recherche constante de stimulations et par des passages à l’acte.
L’agir est un mode de communication : stratégie interactive, l’acte attire l’attention de l’autre. Il est un moyen de révéler une information ou de l’obtenir, que ce soit d’un adulte (l’adolescent interroge l’interdit, les limites) ou de ses pairs (il cherche l’intégration dans un groupe pour favoriser son estime de soi).
L’agir est aussi un mécanisme de défense : forme d’expérimentation au service de la fonction adaptative du Moi, l’agir peut être une forme de solution au conflit. De plus, en passant par l’acte, l’adolescent lutte contre cette passivité ressentie face au bouleversement de la puberté.
Les facteurs de résilience
Pourquoi tous les adolescents ne passent-ils pas à l’acte ? Parmi les facteurs de protection, on peut repérer :
• la tolérance à la frustration qui s’acquiert dans l’enfance. C’est la capacité à accepter la tension interne qui accompagne une insatisfaction ;
• la capacité à différer : une bonne estime de soi, indicateur du plaisir à penser, permet à l’adolescent de se construire des scénarios protecteurs en investissant les deux flèches de la temporalité : celle du passé en investissant sa propre histoire et celle de sa famille, celle du futur marquée par l’espoir d’un avenir plus satisfaisant. Dans ces conditions l’attente est possible ;
• la capacité à déplacer : l’adolescent peut investir son excitation dans un autre objet. La sublimation, fruit du déplacement, se construit pendant la latence. L’ouverture à la connaissance, la curiosité sont autant de déplacements de la curiosité sexuelle infantile dont la trace, le frayage, seront utiles au jeune adolescent qui devient curieux de tout comme autant de déplacements d’une génitalité naissante encore mal connue.
Les différentes conduites
Fugues et errances [18]
La fugue est un départ impulsif, brutal, solitaire, limité dans le temps, dans un contexte de conflit avec la famille. Le taux de jeunes en population scolaire déclarant avoir déjà fugué est de 3,7 % selon M. Choquet dans une étude publiée en 1994. Ces adolescents sont caractérisés par des difficultés scolaires, des conflits intrafamiliaux, des antécédents de sévices physiques ou sexuels, des plaintes somatiques, des tentatives de suicide, des conduites délinquantes et des consommations de produits.
Pour l’adolescent, ces conduites sont des modes de fuite d’une tension interne, choisies pour :
Vol [18]
C’est la conduite délinquante la plus fréquente (environ 70 % des infractions) et se décline en :
• vol de véhicules motorisés (voiture et deux roues). Commis par des garçons de 15 à 18 ans, souvent à plusieurs et pour un usage bref, il est pensé comme un emprunt et souvent ponctué d’un accident (10 % des cas), révélant l’ambivalence du geste (composante autopunitive). Les adolescents sont issus de milieu social défavorisé : carence, échec scolaire, mauvaise insertion professionnelle, milieu urbain défaillant, etc. ;
• vol dans les grandes surfaces : 70 à 90 % des adolescents disent avoir volé une fois au moins, le plus souvent seul, en vue d’un usage immédiat, souvent en commun ;
• vol de lieux habités : réalisé par des garçons, seuls ou en groupe ; rarement ce sont des cambriolages graves, nocturnes, avec effraction et parfois port d’arme voire violence sur les personnes ; il s’agit alors de conduites antisociales réalisées par de grands adolescents de plus de 16 ans, souvent récidivistes.
Violence [18]
En dehors de toute extériorisation, l’adolescent éprouve une grande violence en lui et autour de lui, ressenti qui apparaît le plus souvent comme une réponse potentielle à la menace narcissique et à la dépressivité. Le monde externe exerce aux yeux de l’adolescent une pression qu’il juge souvent violente.
Hétéroagressivité
Violence contre les biens
Réalisée en bande, c’est le vandalisme. La gravité de l’acte n’est pas bien évaluée par ces adolescents, qui montrent souvent des tendances sadiques : saccages, incendies, etc. L’incendie de véhicule est devenu en quelques années le plus fréquent des délits. Mettre le feu renvoie à la fois à un geste d’agression d’un objet souvent symbolique et à une excitation intense que l’adolescent ne peut maîtriser ni évacuer autrement. Cette excitation traduit l’incapacité à dissocier la pulsion agressive et la pulsion libidinale ; un fantasme de scène primitive explosive et destructrice sous-tend fréquemment cette conduite.
Solitaire, cette violence est plus rare et plus pathologique. Ainsi la pyromanie solitaire peut ponctuer une longue période de lutte, contre l’obsession du feu. Elle renvoie alors à une structure névrotique. Dans un contexte d’impulsivité et de destructivité, la perception de la réalité s’estompant derrière l’envahissement fantasmatique et pulsionnel, elle renvoie à une structure psychotique, ou psychopathique grave.
Violence contre les personnes
Les tyrans familiaux [17], phénomène fréquent, concernent, en France, 3,4 % des adolescents qui auraient frappé au moins une fois un de leurs parents. Il s’agit de garçons (80 % des cas) entre 9 et 17 ans, ayant eu des troubles somatiques et des difficultés psychologiques dans l’enfance (énurésie, encoprésie, instabilité psychomotrice, tics, troubles du sommeil, retard des apprentissages ou du développement).
La victime est le plus souvent la mère (mères seules avec leur enfant, en particulier garçon), parfois un beau-parent, un membre de la fratrie, un grand-parent. Le climat familial dépend de l’entente entre les adultes, notamment au niveau éducatif : la mère peut être libérale, ne posant aucune limite, ni exigence concernant les tâches ménagères ; le père est tantôt laxiste et indifférent, tantôt hyperexigeant et rigide. Les mères sont parfois hyperprotectrices, prêtes à tout accepter de leur enfant pour obtenir de lui câlins et tendresse.
Autoagressivité
On distingue (les tentatives de suicide et les équivalents sont traités ailleurs) :
• les automutilations impulsives : brutalement, après une phase d’angoisse, l’adolescent attaque son corps [15] au moyen d’un couteau, d’une glace brisée, d’une lame de rasoir, ou bien se précipite contre un objet dur. Ces automutilations concernent surtout les avant-bras, plus rarement le visage, les filles plus que les garçons. Soixante pour cent des inscriptions corporelles surviendraient pendant les règles. Leur visée serait de « couper » la souffrance psychique, passivement subie, en s’administrant activement une douleur physique. Ces scarifications dont la fréquence semble croître s’observent dans les troubles du comportement alimentaire, la dépression, les consommations de produits, les difficultés liées à la sexualité (aussi bien antécédent d’abus sexuel que trouble de l’identité sexuelle), les troubles de la personnalité, un niveau intellectuel limite. Au plan psychopathologique, on retrouve des carences dans la constitution de l’image de soi et d’objet avec le recours à l’agir comme mode d’externalisation privilégié des affects ;
• les automutilations chroniques, commises depuis l’enfance par des adolescents encéphalopathes, et aggravées par l’adolescence.
Troubles du comportement alimentaire
Classiquement, il s’agit de l’anorexie mentale et de la boulimie nerveuse. En réalité, ces troubles doivent aussi inclure d’autres perturbations des conduites alimentaires, volontiers atypiques, et n’entrant pas toujours dans un cadre précis, mais qui peuvent précéder un tableau de BN ou d’AM : fringale, grignotage, hyperphagie, régime restrictif plus ou moins fantaisiste pouvant conduire au yo-yo pondéral ascendant, repas solitaire pour divers motifs, repas sauté, manœuvres isolées de contrôle de poids, etc. Il est important de les dépister chez l’adolescent avant que ne se constituent des tableaux plus complets et plus fixés.
Plusieurs facteurs concourent à ces désordres de la fonction alimentaire à l’adolescence [5, 11, 16] :
• l’augmentation rapide des besoins physiologiques due à la croissance pubertaire. La faim est augmentée, la satiété est modifiée, avec, chez certains, le sentiment de ne plus rien contrôler. L’adolescent est dominé par la sensation de faim et s’en ressent la victime ;
• les conduites et les pensées se sexualisant à l’adolescence. Cette sexualisation attribue à la faim, à l’oralité une tonalité à la fois excitante et inquiétante. Tout plaisir – s’il est pris par et dans le corps – risque d’être sexualisé, suscitant une culpabilité affairante, ce qui peut renforcer le sentiment d’aliénation à l’égard du besoin physiologique ;
• la recherche d’identifications : l’adolescent est avide d’identification, d’expériences et de rencontres qui lui permettent de se différencier (de ses parents). Cette avidité peut être perçue comme une menace (« toutes ces choses inconnues qui me tentent »), comme une aliénation (« plus j’en ai envie, plus je risque d’y perdre ma liberté »). Face à ce conflit, l’adolescent recourt à la régression et à la maîtrise : la régression aux pensées, plaisirs, buts pulsionnels de l’enfance et particulièrement ceux de l’oralité, permet le retour au connu. La maîtrise vise à rassurer le sujet par le sentiment d’activité et de contrôle qu’il déploie. Les alternances entre phases de boulimie/fringale et de restriction alimentaire illustrent des oscillations entre régression et maîtrise ;
• l’interaction familiale [16] : l’adolescent veut s’approprier son corps, qui pendant l’enfance appartenait aux parents, à la mère. Il décide soudainement de ne pas prendre tel ou tel repas. Ce besoin psychique de maîtrise s’oppose donc parfois aux besoins physiologiques.
• la symbolique du repas familial : le repas reste le symbole de la qualité des relations entre les membres de la famille. L’adolescent attaque ce symbole, arrive en retard, conteste ce moment, déclenchant une tension importante. De nombreuses adolescentes ne supportent pas le plaisir que leurs parents prennent à manger : ce plaisir trop chargé de connotation sexuelle est insupportable, il faut s’en éloigner. Mangeant seul, l’adolescent rencontre la technologie réfrigérateur – congélateur – micro-ondes qui permet à la fois le stockage et la préparation minute de plats ;
• la dimension sociale et culturelle : la société dicte des règles paradoxales. D’une part un discours de réalisation de soi, de satisfaction des besoins et des désirs correspond à une consommation effrénée. D’autre part, les modèles de beauté dictent la loi de la minceur. Les adolescents vont être les premières victimes de ces paradoxes sociaux.
Conduites sexuelles en forme de passage à l’acte : sexualité précoce, sexualité à risque
Certains comportements traduisent une difficulté à intégrer le corps pubère et ses possibilités nouvelles [2, 12, 13]. Seule une minorité de jeunes reconnaît avoir eu des relations sexuelles complètes avant l’âge de 15 ans. L’implication affective est alors le plus souvent superficielle. La fonction de l’acte sexuel apparaît ici principalement narcissique comme un moyen pour le jeune de vérifier la compétence et la fonctionnalité de ses organes sexuels (plutôt chez le garçon), ou d’obtenir un soutien affectif quand l’enfance a été dominée par un contexte abandonnique (plutôt chez la fille).
Toujours, dans ce cas, on note la fréquence des violences subies dans l’enfance (physiques ou sexuelles), et il n’est pas rare que les relations sexuelles précoces se déroulent elles-mêmes dans un contexte de violence. La sexualité précoce s’accompagne souvent d’une agressivité importante, non neutralisée par la libido. Parmi ces adolescents, certains ont des partenaires sexuels multiples ; au plan psychique les jeunes présentent souvent des troubles de la personnalité limite, associés ou non à des antécédents de carence affective ou éducative. Il est en général bien difficile de les engager dans une relation d’aide psychothérapeutique.
Prostitution et adolescence
Les études épidémiologiques montrent une augmentation de la fréquence de la prostitution des mineurs, féminine et masculine. On retrouve chez les adolescents des conditions de vie sociales et économiques qui favorisent le commerce sexuel avec les adultes, ainsi qu’une rencontre avec une « initiatrice », souvent prostituée elle-même, identifiée à une figure maternelle. Leur fréquente immaturité psychoaffective correspond le plus souvent à un évitement d’une sexualité génitale mature avec investissement contraphobique et paradoxal de la séduction que ces adolescents exercent auprès de certains adultes. Cet investissement paradoxal peut aussi être alimenté par la persistance du fantasme de toute puissance sexuelle infantile et par la peur du renoncement à la bisexualité. La mise en jeu du corps associée au défi de la mort peut aussi renvoyer à la mise en acte d’une transgression incestueuse. Un grand nombre d’incestes ou d’autres abus sexuels est retrouvé dans les antécédents des adolescents prostitués. Ces adolescents peuvent être les porteurs d’un secret familial honteux, concrétisé par ce comportement de prostitution. Dans leur prise en charge se dévoile alors souvent une position sacrificielle qui se traduit par un besoin mystique alliant souillure, purification et sacré, autopunition et rédemption. En cela ces adolescents sont particulièrement sujets à des événements tels que les infections sexuellement transmissibles, les grossesses précoces [10], la toxicomanie, les violences sexuelles.
Adolescents agresseurs sexuels [19]
En France, les mineurs représentent 18 % des individus mis en cause pour harcèlement sexuel et autres agressions sexuelles ; mais ces situations sont sous-évaluées. Des études rétrospectives d’agresseurs sexuels adultes montrent qu’une proportion importante d’entre eux (60 %) commencent leur parcours dès l’adolescence et que leurs intérêts sexuels déviants s’installent dès le début de l’adolescence voire avant.
Ils présentent le plus souvent des troubles de la personnalité. Les adolescents ayant agressé des garçons de moins de 10 ans semblent immatures socialement et sexuellement (solitaires, sans relation avec les pairs, ils recherchent la présence d’enfants plus jeunes), ils sont évitants, dépendants, passifs-agressifs. Les agresseurs de filles prépubères ont un profil beaucoup moins homogène en termes de traits de personnalité dominants : personnalités narcissiques, psychopathiques, évitantes, passives-agressives. Les distorsions cognitives sont fréquentes chez ces jeunes : ce sont des rationalisations secondaires qui permettent de diminuer l’angoisse et de rendre égosyntone les fantaisies sexuelles déviantes : « c’est l’enfant qui désire des contacts sexuels », « puisque je ne l’ai pas violenté, ce n’est pas un abus sexuel », etc.
Antécédents de traumatismes sexuels
Un enfant abusé sexuellement a plus de risques d’être abuseur, mais ce n’est pas systématique. Il est important donc de ne pas prophétiser la répétition mais d’évaluer les véritables séquelles dans la vie de l’adolescent victime. Ces adolescents vivent dans des familles marquées par l’instabilité (foyers brisés, abandon parental précoce), par la difficulté de reconnaissance et de communication du vécu émotionnel. Ces éléments ont un impact sur l’estime de soi de ces adolescents qui sont incapables de relations égalitaires (y compris avec les pairs) et ont un vécu d’abandon et de rejet.
La question de la psychopathie
Émergeant chez le grand adolescent (à partir de 15–16 ans), la psychopathie associe deux ordres de conduites : les unes bruyantes de dyssocialité, les autres moins évidentes, témoins de la souffrance psychique [3, 4].
Impulsivité et agressivité
Les passages à l’acte des psychopathes [3, 20] sont brusques et répétitifs, ils peuvent survenir à la moindre frustration, plus souvent hétéroagressifs, ils sont parfois autoagressifs (tentatives de suicide, scarifications, conduites à risque). Leur gravité et leurs conséquences ne sont aucunement prises en compte si bien que la culpabilité est très fluctuante [7].
Instabilité
Elle est comportementale, affective, scolaire et professionnelle. Elle est issue du besoin de satisfaction immédiate. Le comportement est marqué par les ruptures, les fugues ; une inattention motrice induit une maladresse gestuelle qui explique que toute tâche est bâclée. La thymie est labile, avec de brusques effondrements ou élations de l’humeur pour des raisons minimes : ces fluctuations brutales favorisent les passages à l’acte ; les relations affectives doivent être immédiatement « payantes ». L’adolescent psychopathe projette sans cesse une formation professionnelle mais échoue dès le début de son apprentissage ; la répétition de ces échecs conduira à la marginalisation.
Nature des relations humaines
L’adolescent se livre facilement, il a le contact facile, d’autant plus que le lien de parasitisme social est grand. Avec les proches, les relations sont dominées par l’avidité affective, insatiable : exigeant, dominateur et jaloux, le psychopathe, au moindre doute sur la relation, s’effondre et fait des tentatives de suicide, s’alcoolise ou se drogue. Ces relations aux proches sont sous-tendues par une angoisse importante cachée par des attitudes de prestance. La culpabilité est majeure en cas de conduite déviante, ce qui fait que la solution ne peut être que dans la rupture du lien.
Niveau intellectuel et fonctionnement cognitif
Tous les niveaux de QI peuvent se voir mais la fréquence de QI limites (60 à 85) est élevée. Les résultats sont souvent hétérogènes avec des chutes à certains subtests, notamment faisant intervenir la notion de temps. On décrit trois éléments du fonctionnement cognitif de ces adolescents psychopathes selon B. Gibello :
• la dyspraxie est l’incapacité d’imaginer l’effet d’une action, d’anticiper les conséquences d’un geste : cliniquement il s’agit d’une maladresse fréquente ;
• la dyschronie est l’incapacité à investir un objet en tenant compte de sa permanence dans le temps : l’objet n’existe que dans la mesure où il est présent : cliniquement il s’agit du brusque désinvestissement d’un bien matériel ou d’une personne ;
• la dysgnosie est la perturbation de la fonction sémiotique qui articule le signifié avec le signifiant : cliniquement elle correspond aux anomalies de langage avec un QI verbal inférieur au QI performance.
Ces trois types de perturbation sont regroupés sous le terme de dysharmonie cognitive [6].
Organisation psychopathologique
Le Moi est constamment faible chez les adolescents psychopathes, faiblesse qui se traduit par une médiocre capacité de tolérance à l’angoisse, ce qui perturbe les capacités adaptatives du Moi. On note aussi une incapacité à contrôler les pulsions, une défaillance de la sublimation, dont le corollaire est le désintérêt pour ce qui n’est pas source de satisfaction immédiate. Cette faiblesse du Moi est un obstacle important aux capacités d’adaptation de l’individu à son environnement et à ses capacités d’établir des relations d’objets stables favorisant à la fois la mise en acte, le clivage (par exemple, passage d’un état affectif à un autre) et les autres mécanismes de défense qui y sont liés (l’idéalisation, l’identification projective). Sur le plan structurel, la faiblesse de l’idéal du Moi avec une estime de soi souvent effondrée se conjugue à une organisation surmoïque archaïque fonctionnant avec la loi du talion (ni réparation, ni pardon ne sont possibles).
Structure sous-jacente
Toutefois il est essentiel de noter que le terme de « psychopathie », s’il correspond à un ensemble de conduites assez bien repérées, ne présage pas, en revanche, de la structure sous-jacente (névrotiques pour certains, psychotiques parfois, le plus souvent « limites » : voir les chapitres correspondants), ce qui rend compte d’une évolution au long cours très variable.
[1] Alvin P., Marcelli D. Médecine de l’adolescent. 2e éd Paris:Masson; 2005.
[2] Castagnet F. Sexe de l’âme, sexe du corps. Paris: Centurion, 1981.
[3] Debray Q. Le psychopathe. Paris: PUF, collection Nodules, 1981.
[4] Diatkine G. Les transformations de la psychopathie. Paris: PUF, 1983.
[5] Flament M., Jeammet P. La boulimie. Études et perspectives. Paris: Masson, 2000.
[6] Gibello B. Pathological cognitive disharmony and reasoning homogeneity index. J Adolesc. 1983;6:109-130.
[7] Gutton P. Culpabilité et remords. Adolescence. 2001:805-812.
[8] Jeammet P. Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence. Rev Fr Psychanal. 1980;44:481-522.
[9] Jeammet P. Actualité de l’agir. À propos de l’adolescence. Nouv Rev Psychanalyse. 1985;31:201-222.
[10] Kafe H., Boruard N. Comment ont évolué les grossesses chez les adolescents depuis 20 ans ? Popul Soc. 2000;361:1-4.
[11] Kestemberg E., Kestemberg J., Decobert S. La faim et le corps. Paris: PUF, 1972.
[12] Lagrange H., Lhomond B. L’entrée dans la sexualité. Paris: La Découverte, 1997.
[13] Ladame F., Le développement psychique de l’adolescent et le passage de la sexualité infantile à la sexualité adulte. Arvis G., Forest M.G., Sinonenko P.C., editors, La puberté masculine et ses pathologies. Doin. Paris, 1993;4:71-78. Progrès en andrologie
[14] Laufer M., Laufer M.E. Adolescence et rupture du développement. Paris: PUF, Collection Fil Rouge, 1989.
[15] Le Breton D. La peau et la trace : sur les blessures de soi. Paris: Métailié, 2003.
[16] Lewy J.M. Les parents de l’anorexique. In: Alvin P., editor. Anorexies et boulimies à l’adolescence. Paris: Doin; 2001:62-66.
[17] Marcelli D. Enfants tyrans et violents. Bull Acad Natl Med. 2002;186(6):991-1109.
[18] Marcelli D., Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. 5e éd Paris:Masson, Collection Les âges de la vie; 2004.
[19] McKibben A., Jacob M. Les adolescents. In: Aubut J., editor. Les agresseurs sexuels. Théorie, évaluation et traitement. Montréal: Éditions de la Chenelière; 1993:267-279.
[20] Millaud F. Le passage à l’acte : aspects cliniques et psychodynamiques. Paris: Masson, 1998.
20.3 Les troubles affectifs à l’adolescence
Les troubles affectifs chez l’enfant et l’adolescent appartiennent à un registre se trouvant sur une ligne de crête entre le normal et le pathologique et ne peuvent être appréhendés que dans une perspective développementale. Devant toute manifestation anxieuse ou dépressive à l’adolescence, le clinicien a le souci d’en évaluer le caractère pathologique eu égard à l’importance du vécu douloureux exprimé par l’adolescent et sa famille, et au retentissement de ce dernier. En effet, certains troubles évoqués parfois a minima mettent en péril les investissements affectifs, scolaires, sociaux d’un adolescent qui risque d’être en rupture avec son environnement. La banalisation de telles manifestations, « diluées » trop vite dans une problématique adolescente, constitue l’une des raisons pour lesquelles les troubles affectifs à l’adolescence sont sous-diagnostiqués et donc sous-traités.
Troubles anxieux
Description
L’anxiété est un sentiment qui appartient au registre émotionnel normal et fait partie intégrante du processus de maturation de l’enfant et de l’adolescent. Néanmoins elle peut s’avérer pathologique et constituer un motif fréquent de consultation, de par son caractère invalidant. Dans ce cas, son évaluation doit prendre en compte :
• l’intensité, la durée et la fréquence du trouble ;
• les liens qui peuvent exister entre le trouble anxieux et un vécu de souffrance exprimé par l’adolescent et sa famille, ainsi que le retentissement de la symptomatologie sur son environnement affectif, social et scolaire.
En référence au DSM-IV, les troubles anxieux comportent plusieurs entités cliniques.
Anxiété de séparation
Ce type d’anxiété spécifique de l’enfant et du jeune adolescent, et définie par son caractère excessif et inapproprié, est sous-tendu par l’idée d’une séparation avec la maison ou les personnes auxquelles le sujet est attaché. Les situations de séparation ou l’anticipation de celles-ci provoquent une détresse importante qui peut se manifester par un état de panique associé à des manifestations somatiques. Ce trouble peut, chez l’adolescent, être aussi lié à la crainte qu’un événement grave se produise comme la disparition d’un proche, ou le fait d’être perdu ou kidnappé. L’anxiété retentit parfois de manière manifeste sur le sujet et sa famille, provoquant un climat de tension et d’épuisement et pouvant conduire à un véritable réaménagement de la vie quotidienne dans le sens d’une restriction des activités de chacun.
Attaque de panique ou crise d’angoisse aiguë
Cette crise à début spontané et paroxystique, et qui atteint son acmé en quelques minutes, comporte des signes psychiques associés à une symptomatologie somatique (cf. chapitre 11). Le trouble panique correspond, quant à lui, à la survenue de manière récurrente et inattendue d’attaques de panique, associée à la crainte anticipatoire, durant au moins un mois, d’en être à nouveau victime, crainte qui peut avoir pour conséquence une modification, dans le sens d’un protectionnisme, de l’habitus du sujet. T.H. Ollendick [13] souligne que la symptomatologie d’un tel trouble apparaît chez l’adolescent de manière moins franche et moins tranchée que chez l’adulte où elle peut facilement mimer une pathologie organique et notamment un infarctus du myocarde. Par ailleurs la crise répond souvent à une situation ou un événement à connotation anxiogène pour le sujet. Il faut noter que chez l’adolescent la sémiologie d’un tel trouble peut évoquer la spasmophilie, entité dont la validité nosographique est plus que discutable. En conséquence, comme le souligne A. Braconnier [1], bon nombre d’adolescents étiquetés « spasmophiles » ne bénéficient pas de soins adéquats. L’étude de V. Reed et al. [15] réalisée en population générale sur 3 021 adolescents et jeunes adultes âgés de 14 à 24 ans, indique que la prévalence du trouble panique est de 1,6 % et que la moitié d’entre eux souffre d’une agoraphobie qui peut se traduire par une déscolarisation. L’étude de G. Masi et al. [12] révèle que dans une population d’adolescents suivis en neurologie et en psychiatrie, 10,4 % présentent un trouble panique. Cette pathologie invalidante touche donc fréquemment les sujets jeunes, chez qui elle a pour conséquence un retentissement important sur le plan social et notamment scolaire.
Enfin, il est important de préciser que chez un adolescent souffrant de trouble panique, il faut évaluer une consommation de toxiques ou d’alcool, et que la recherche d’une comorbidité avec un trouble dépressif et l’évaluation d’un risque suicidaire sont de rigueur. À ce sujet l’étude de D.J. Pilowski et al. [14] indique de manière significative que les adolescents souffrant d’un trouble panique expriment plus d’idées suicidaires et présentent plus d’antécédents de suicide que les autres.
Agoraphobie
Elle se définit comme une anxiété générée par le fait de se retrouver dans un lieu ou une situation dans lesquelles nulle possibilité d’aide ou d’échappatoire ne semble exister. En conséquence, le contexte anxiogène est soit évité, soit vécu mais dans une anxiété importante doublée de la crainte d’être victime d’une crise d’angoisse aiguë. L’agoraphobie peut s’associer, comme nous l’avons vu, au trouble panique mais peut revêtir la forme d’un trouble phobique dans lequel on distingue la phobie spécifique et la phobie sociale.
Phobie spécifique (simple)
Elle se définit par une peur intense et persistante, déclenchée par la présence ou l’idée d’être confronté à un objet, une situation ou une personne n’ayant pas objectivement de caractère dangereux. Cette crainte à caractère irraisonné et excessif peut conduire le sujet à un comportement d’évitement retentissant sur sa vie quotidienne.
Phobie sociale
Elle présente les mêmes caractéristiques que la précédente, à ceci près que la peur intense apparaît en lien avec l’exposition à des situations sociales ou des situations de performances dans lesquelles le sujet est exposé au regard — non familier — d’autrui. Dans ces situations le sujet peut aussi être tenaillé par la crainte de réagir de manière embarrassante ou humiliante. Cette détresse éprouvée par un adolescent peut avoir pour conséquences une certaine inhibition et un retrait sur le plan social.
Trouble anxieux généralisé
Dans ce cas, l’anxiété se manifeste par une tension sous-tendue par un sentiment d’appréhension, d’anticipation d’un futur connoté négativement concernant des situations, des événements, ou des activités telles que le travail ou les performances scolaires.
Trouble obsessionnel compulsif
L’importance épidémiologique d’un tel trouble et son retentissement patent ne sont pris à leur juste mesure que depuis ces 20 dernières années. Si des symptômes obsessionnels sont fréquents à l’adolescence, la prévalence du TOC chez l’enfant et l’adolescent est de 0,3 à 2 %. Cette fourchette révèle la difficulté de situer la limite entre le normal et le pathologique [6]. Le TOC est défini par l’existence de deux séries de symptômes :
• les obsessions qui sont des idées ou représentations à caractère intrusif, récurrent et persistant, à l’origine d’une lutte anxieuse destinée à s’en libérer. Parmi elles sont distinguées les obsessions idéatives, relatives à des doutes ou des scrupules concernant la morale ou la religion, les obsessions phobiques, pouvant aboutir à un évitement du contact et reliées à la crainte des microbes, de la saleté et des maladies ; et enfin des obsessions impulsives ou phobies d’impulsion, qui sont des craintes de commettre un acte absurde, honteux ou préjudiciable pour soi-même ou pour autrui ;
• les compulsions qui sont définies par un comportement agi ou des actes mentaux répétitifs et ritualisés qui s’imposent au sujet de manière incoercible, se déroulant selon des règles précises, et dont le but est de diminuer transitoirement l’angoisse, ou « d’empêcher un événement ou une situation redoutés » en référence au DSM-IV. F. Kochman et E. Hantouche [10] ont colligé les principales obsessions et compulsions rencontrées chez l’adolescent.
Syndrome de stress post-traumatique
Ce syndrome regroupe un ensemble de manifestations anxieuses sous-tendues par l’exposition du sujet, en tant que témoin ou victime, à un événement dont le caractère traumatique est défini par la confrontation à une menace de mort ou à une menace relative à l’intégrité physique. « La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. » (DSM-IV) Ce trouble peut apparaître après un intervalle libre allant de quelques jours à plusieurs années. Le sujet est soumis à une remémoration sous forme de flash-back ou de cauchemars de l’événement traumatique et des émotions qui lui sont associées. Chez l’adolescent, ce syndrome peut être secondaire à des situations de mauvais traitements répétés ou d’abus sexuel.
L’expression anxieuse à l’adolescence semble présenter certaines particularités :
• elle se manifeste souvent au travers de plaintes corporelles. Chez l’adolescent, cette forme d’appel à l’aide semble plus tolérable que la verbalisation directe d’une souffrance morale qui équivaudrait à la reconnaissance d’une dépendance vis-à-vis d’autrui ;
• les divers troubles anxieux qui viennent d’être décrits peuvent s’associer chez un même sujet, à différents degrés ;
• l’expression anxieuse peut revêtir la forme d’une phobie scolaire ou d’un refus scolaire. Elle se manifeste, chez un adolescent par ailleurs bien investi dans les apprentissages, par un refus, un évitement de la situation scolaire, et par une symptomatologie anxieuse aiguë très vive et qui se majore si l’on contraint le sujet à dépasser sa peur. De ce fait, même si la présence récente ou plus ancienne d’une angoisse de séparation peut aider à la compréhension d’un tel trouble, un refus scolaire anxieux apparu spécifiquement à la puberté nous engage, afin de le cerner, à le mettre en perspective avec la problématique adolescente.
J.G. Elliott [5] précise que si l’on suit le DSM-IV, les principaux diagnostics posés face à un tel trouble sont, à côté de l’anxiété de séparation, la phobie simple, la phobie sociale et le syndrome dépressif majeur. Évoquons enfin le syndrome de menace dépressive à l’adolescence, décrit par A. Braconnier [2], dans un entre-deux entre troubles anxieux et dépressifs, par l’apparition plus ou moins brutale d’une appréhension concernant l’avenir, pouvant aller jusqu’à la crainte intense de se sentir envahi par des affects dépressifs et l’apparition d’une idéation suicidaire. L’angoisse et un climat de tension physique et psychique sont l’expression d’une lutte constante contre l’envahissement dépressif. Ce mouvement défensif peut s’exprimer sous forme de colère, de conduites agies ou de plaintes somatiques, et peut de fait précéder ou masquer chez l’adolescent une véritable dépression.
Principes du traitement
Le traitement des troubles anxieux chez l’adolescent s’organise selon deux axes :
• la prise en charge psychothérapique, qui peut revêtir plusieurs formes :
• les traitements médicamenteux. Les psychotropes doivent être utilisés avec prudence chez l’adolescent et sur des critères d’ordre qualitatif relatifs à l’intensité, la fréquence, ou le caractère invalidant du trouble.
Dépression et conduite suicidaire à l’adolescence
Par sa fréquence et sa morbidité, la dépression de l’adolescent pose un problème de santé publique majeur, et ce d’autant que son intrication aux conduites suicidaires est très fréquente. La dépression et la conduite suicidaire chez l’adolescent présentent, au plan du traitement et des conduites de prévention, un certain nombre de spécificités, se distinguant clairement de la dépression du jeune adulte [9]. Dans le champ de la dépression, on distingue schématiquement deux tableaux cliniques différents : l’épisode dépressif majeur, qui est aigu et franc, et le trouble dysthymique, qui est marqué par une symptomatologie plus larvée et chronique. Ces deux tableaux peuvent coexister chez un même adolescent.
Épidémiologie
La prévalence de la dépression à l’adolescence oscille en fonction des études en population générale entre 2 et 5 %. Le sex ratio est de deux filles pour un garçon à partir de l’âge de 15 ans. Chez les plus jeunes, la dépression est aussi fréquente chez les filles que chez les garçons [8]. La dysthymie, forme chronique et modérément sévère de dépression, est largement sous-estimée, alors que ses conséquences à l’adolescence sur le plan de l’insertion psychosociale sont tout aussi sévères que pour la dépression majeure [7]. Enfin, le risque de récidive après un épisode dépressif varie de 35 à 55 % dans les 4 ans qui suivent le premier accès.
Concernant les conduites suicidaires à l’adolescence, 800 à 1 000 jeunes (15–24 ans) meurent chaque année en France. Le suicide constitue la deuxième cause de mortalité dans cette tranche d’âge. Les tentatives de suicide (TS) sont évidemment beaucoup plus fréquentes. On estime à 40 000 leur prévalence annuelle parmi les 15–20 ans. Si les garçons décèdent de suicide deux à trois fois plus que les filles, celles-ci font deux à trois fois plus de tentatives de suicide que les garçons. Dans 80 % des cas, les jeunes suicidants ont absorbé des médicaments. Sur le plan épidémiologique, on note clairement une corrélation entre idées et tentatives de suicide, surtout si les idées suicidaires perdurent. En effet, le ratio idée de suicide/TS se situe autour de quatre. Il semblerait que 8 % des garçons et 13 % des filles pensent souvent au suicide, et que parmi eux 41 % auraient fait une TS [3].
Dépression, idéation et passage à l’acte suicidaire sont chez l’adolescent fortement corrélés puisque, en fonction des études, 25 à 75 % des adolescents rencontrés au décours d’une tentative de suicide présentent un épisode dépressif patent.
Aspects cliniques
Les signes cliniques cardinaux de la dépression de l’adolescent sont proches de ceux décrits chez le sujet adulte (cf. chapitre 11). En dehors de la dépression majeure dont les signes varient peu en fonction de l’âge, la clinique de la dépression chez l’adolescent est polymorphe, certaines conduites pathologiques pouvant occuper le devant de la scène. C’est le cas du syndrome de menace dépressive où l’adolescent exprime parfois un sentiment d’ennui, de morosité tel qu’il a été décrit par P. Mâle [11]. Les signes cliniques qui peuvent être sous-tendus par une souffrance dépressive, et qui apparaissent seuls ou en association, sont :
• une symptomatologie anxieuse ou la majoration récente de celle-ci, centrée notamment sur des préoccupations hypocondriaques ou encore pouvant se manifester, dans un mouvement régressif, par un accrochage affectif vis-à-vis d’un ou des parents ;
• des manifestations d’ordre fonctionnel comme des troubles du sommeil ;
• une apathie ou au contraire une hyperactivité, des troubles du comportement à type d’agressivité avec agitation, fugues, conduite sexuelle anarchique. Ces troubles peuvent se manifester au domicile ou dans le milieu scolaire. L’investissement scolaire de l’adolescent, tant sur le plan de son intégration sociale que de ses apprentissages, est un bon indicateur de sa « santé » mentale. Parfois les plaintes de l’entourage (famille, enseignants, éducateurs, etc.) occupent le devant du tableau et concernent une prise de toxiques, ou une intégration à un groupe de délinquants ou de marginaux.
Au sujet des adolescents qui présentent des idées suicidaires, les plaintes semblent équivalentes à celles rencontrées dans la dépression. Ajoutons que si l’idéation suicidaire revêt un caractère pathologique, elle ne correspond pas toujours pour l’adolescent à un désir de mort lié de près ou de loin à un mouvement dépressif.
Traitement
La question de l’hospitalisation se pose lorsqu’il existe un risque de rupture franche de l’adolescent avec son environnement. C’est le cas devant un risque suicidaire, ou lorsque l’épuisement de l’entourage, qu’il soit scolaire, éducatif et/ou familial, est patent. De plus l’hospitalisation, systématiquement préconisée après un passage à l’acte suicidaire, a notamment pour but d’éviter une éventuelle récidive qui malheureusement se produit dans un tiers des cas, et la même année dans plus de la moitié des cas.
La psychothérapie, quelle que soit sa modalité, est l’abord thérapeutique de référence et de première intention. Sa finalité est d’engager l’adolescent dans une démarche active, de traiter le trouble thymique, mais aussi de tenter d’en prévenir la chronicisation ou les éventuelles rechutes. L’utilisation des psychotropes est limitée à cet âge, d’autant plus que leur efficacité reste débattue et qu’une augmentation des passages à l’acte suicidaire en début de traitement a été démontrée dans des méta-analyses [16]. Le tableau 20.1, proposé par D. Cohen et al. [4], offre une conduite à tenir concernant l’évaluation et le traitement d’un adolescent déprimé.
(1) Manager le risque suicidaire si nécessaire | Stay updated, free articles. Join our Telegram channelFull access? Get Clinical TreeGet Clinical Tree app for offline access |