2. Dysphonies dysfonctionnelles compliquées

Chapitre 2. Dysphonies dysfonctionnelles compliquées



On pourrait déjà considérer comme des laryngopathies dysfonctionnelles les réactions inflammatoires œdémateuses ou hypertrophiques de la muqueuse du pli vocal telles que nous les avons décrites au chapitre précédent. En général, cependant, on réserve ce terme à des lésions plus spécifiques.






L’incontournable notion de laryngopathie dysfonctionnelle

Il peut s’agir de lésions constituées par un épaississement épithélial de la muqueuse (nodule) ou par une transformation plus importante, intéressant la sous-muqueuse (pseudo-kyste séreux, polype).

Parfois, il s’agit d’un hématome, d’une rupture musculaire (coup de fouet laryngien) ou d’une destruction localisée de la muqueuse (ulcère de l’aryténoïde).

Pour la majorité de ces laryngopathies (nodule, polype, pseudo-kyste séreux, coup de fouet laryngien), le facteur fonctionnel est pratiquement le seul en cause.

Pour l’ulcère de l’aryténoïde, on invoque souvent, en outre, la responsabilité de régurgitations acides.

La survenue d’une laryngopathie dysfonctionnelle vient naturellement apporter un supplément de perturbation à la fonction vocale. Il est tentant alors de penser que la cure médicamenteuse ou chirurgicale de cette laryngopathie puisse suffire à rétablir la fonction vocale. Ce serait là perdre de vue la notion d’intrication des perturbations fonctionnelles et des lésions organiques et celle de l’origine fonctionnelle de la laryngopathie. Même si la laryngopathie exige un traitement chirurgical ou médicamenteux, le traitement par la rééducation vocale de la dysfonction originelle reste malgré cela le plus souvent indispensable.

Nous aborderons l’étude de ces laryngopathies dysfonctionnelles, en commençant par la plus célèbre d’entre elles : le nodule du pli vocal.


Nodule du pli vocal






Historique


Cette lésion est décrite pour la première fois en 1866 par Turck sous le nom de Chorditis tuberosa.

Ricardo Botey, en 1896, interprète cette lésion comme une callosité résultant d’un ventre de vibrations de la « corde vocale ».

Garel, en 1921, pense qu’il s’agit plutôt d’un nœud de vibrations. Il considère le nodule comme un durillon et souligne l’importance à l’origine de celui-ci, du malmenage vocal déjà entrevu par Botey.

Tarneaud, en 1935, publie sur ce chapitre une étude importante confirmant l’origine fonctionnelle du nodule. Il établit à cette occasion la notion de laryngopathie dysfonctionnelle.


Épidémiologie


On note tout d’abord la fréquence beaucoup plus grande du nodule chez la femme : 69 femmes pour 4 hommes dans une étude personnelle portant sur un peu plus d’une année. 809 femmes pour 181 hommes dans une étude statistique de Perello (1972).

Chez l’enfant cependant, où le nodule est relativement fréquent, on le rencontre plus souvent chez le garçon.

En ce qui concerne l’âge, c’est entre 20 et 30 ans que le nodule est le plus souvent observé. Sa fréquence décroît nettement après 40 ans. On relève fréquemment un tempérament nerveux ou une tendance à l’anxiété.

Quant à la profession, on note que ce sont les enseignants qui sont le plus fréquemment atteints (25 cas sur 73 dans notre étude citée plus haut), puis les chanteurs et les comédiens (10 cas).


Clinique



Mode de début


Le nodule survient généralement chez un sujet présentant une dysphonie dysfonctionnelle depuis déjà un certain temps – quelques mois ou quelques années – s’aggravant progressivement par paliers. Madame D., l’institutrice de notre observation 1 (cf. chapitre 4), aurait bien pu, sans rééducation, finir par constituer un nodule.


Symptomatologie




SIGNES OBJECTIFS


Signes phoniques et altérations du comportement phonatoire

Les signes phoniques sont assez trompeurs et l’écoute de la voix ne permet pas à elle seule d’affirmer l’existence ou l’absence d’un nodule. Malgré certaines affirmations hasardeuses, la laryngoscopie est pour cela absolument indispensable.

On peut trouver toutes les altérations acoustiques et toutes les altérations du comportement phonatoire (forçage) décrites à l’occasion de l’étude des dysphonies dysfonctionnelles simples.

Certains traits assez évocateurs peuvent cependant être notés.

En voix conversationnelle :




– le caractère fréquemment éraillé du timbre vocal ;


– la présence, parfois, de désonorisations (« des trous » dans la voix) et plus rarement d’un petit sifflement se rajoutant au son de la voix.

En voix projetée :




– une amélioration paradoxale du timbre mais au prix d’un important comportement de forçage ;


– l’impossibilité parfois d’émettre la voix d’appel ;


l’absence de comportement de « retenue » (pas d’inhibition psychologique vis-à-vis de la projection vocale) malgré les fréquentes auto-appréciations négatives que nous avons signalées en décrivant les signes subjectifs.

Quant à la voix chantée :




– elle est souvent de réalisation difficile, surtout dans l’aigu, avec éraillement du timbre et instabilité du registre ;


– dans d’autres cas, il existe seulement un timbre voilé dans le médium.

On peut encore noter parfois une diplophonie donnant à la voix un caractère par moment bitonal.


Signes laryngoscopiques (cf. p. 147)


Examen laryngé en lumière normale

Il met en évidence la lésion du bord libre du pli vocal. Le siège de cette lésion est une caractéristique essentielle, il se trouve toujours – chez l’adulte – à l’union du tiers antérieur et du tiers moyen du pli vocal en un point dit point nodulaire qui marque le milieu de la glotte ligamenteuse.

Chez l’enfant, le ou les nodules se situent fréquemment en revanche à l’union des premier et deuxième quarts antérieurs du pli vocal. Là encore, ce point marque le milieu de la glotte ligamenteuse, l’apophyse vocale (cartilagineuse) étant relativement plus longue chez lui.

Cette lésion se présente sous la forme d’un épaississement grisâtre ou rosé de la muqueuse, de taille et de consistance variables. Le plus souvent il est bilatéral (nodules en miroir). Mais lorsqu’il est unilatéral, il est plus fréquemment situé à gauche.





– le nodule épineux (fig. 5-1), qui est réduit à un petit spicule blanchâtre souvent recouvert de mucus ; ce mucus pourra être expulsé par quelques secousses de toux, ce qui permettra d’apprécier le volume exact du nodule ;



– le nodule œdémateux qui apparaît comme une tuméfaction lisse, de consistance molle ; c’est un nodule récent ;


– le nodule fibreux de consistance ferme et d’aspect plus ou moins rugueux ; il s’agit d’une lésion ancienne ;


– la nodosité (fig. 5-2) qui est un nodule de volume important (3 à 4mm de diamètre) ; cette forme est assez fréquente chez l’enfant.








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Fig. 5-2



– les kissing-nodules ou nodules en miroir (fig. 5-3). Il s’agit d’une lésion bilatérale, dont la fréquence est grande, comme nous l’avons dit, relativement à l’ensemble de toutes les formes de nodules (51 cas sur 73 dans notre statistique citée plus haut). L’un des deux nodules est en général plus volumineux que l’autre. On observe souvent un cordon de mucus unissant les deux nodules lors de l’ouverture du larynx.


Rarement, le nodule unilatéral s’accompagne d’une sorte d’encoche sur le pli contro-latéral dans lequel il s’encastre lors de la phonation (fig. 5-4).


Exceptionnellement, on peut noter la présence d’un polype sur l’autre pli. On interprète généralement dans ce cas le nodule comme lésion réactionnelle au polype.

Remarque : notons que le trouble vocal n’est pas proportionnel à la taille du nodule. On peut observer un tout petit nodule avec une voix très altérée et réciproquement un nodule très important avec une altération vocale modérée.


Examen en lumière stroboscopique

Cet examen permet d’abord d’apprécier la consistance du nodule :




– s’il s’agit d’un nodule récent (œdémateux), on voit que lors de la phonation il s’efface complètement du fait de la mise en tension du pli vocal ;


– s’il s’agit d’un nodule fibreux, on voit au contraire qu’il s’individualise plus nettement lors de la phonation.

Parfois, lorsque les plis vocaux sont plus ou moins tuméfiés par une réaction inflammatoire, le nodule n’apparaît qu’à l’examen stroboscopique. Au moment de la phonation, en effet, la muqueuse œdèmatiée semble se mouler sur le nodule qui est ainsi révélé.

La stroboscopie permet en outre d’apprécier la gêne mécanique apportée par le nodule au mouvement vibratoire du pli vocal. On note ainsi parfois sur certaines fréquences la diminution ou l’arrêt de la vibration du pli atteint.


Diagnostic différentiel



Perle de mucus


Les sécrétions laryngées s’accumulent volontiers au point nodulaire. Ce phénomène se comprend très bien, comme nous le verrons, en étudiant le mode de formation du nodule. Parfois, un amas de sécrétions peut, du fait de sa viscosité, adhérer assez fortement à la muqueuse du pli vocal. Il est alors possible de prendre cette « perle de mucus » pour un petit nodule.

Il suffit, pour éviter cette confusion, de demander au patient de tousser ou de « racler » pendant quelques secondes pour retrouver un bord libre rectiligne.



Kyste du pli vocal


Il s’agit d’une petite masse siégeant dans la profondeur du pli vocal et qui vient faire saillie à la face supérieure de ce pli, plus au moins près de son bord libre.

Nous étudierons plus loin les diverses significations pathologiques de cet aspect (cf. p. 93).

C’est l’examen stroboscopique qui permettra de faire la différence, en révélant le caractère enchassé dans le pli vocal du kyste par opposition à l’impression de lésion de surface que donne le nodule lors de cet examen.

Il s’agit d’un diagnostic important dans la mesure où, contrairement au nodule, le kyste ne peut pas disparaître sans une intervention chirurgicale (microchirurgie laryngée).


Anatomopathologie


Le nodule se présente histologiquement comme un épaississement de l’épithélium de recouvrement (épithélium malpighien pluristratifié) avec en surface une évolution vers la kératinisation (transformation cornée bénigne). Du fait de l’épaississement inégal, on a, à la jonction avec le chorion, un aspect onduleux de la lame basale. Le chorion est pratiquement normal, à part quelques modifications inflammatoires minimes telles que dilatations capillaires, infiltrations cellulaires par des fibroblastes ou des lymphocites.


Étiopathogénie


C’est Tarneaud qui, le premier, a fourni une explication valable de la formation du nodule. Il a mis en évidence que cette formation nécessite d’une part un fonctionnement hypotonique des plis vocaux et d’autre part un débit d’air excessif.

Pour former un nodule, il faut en effet que le sujet laisse en quelque sorte flotter ses plis vocaux dans un courant d’air trop important.




Ce choc répété à chaque cycle vibratoire 2 est responsable de l’épaississement de l’épithélium du pli vocal en ce point précis qui correspond à l’union du tiers antérieur et du tiers moyen du bord libre.


Ce mécanisme est confirmé par la cinématographie ultra-rapide du larynx permettant d’observer le fonctionnement laryngé avec un ralenti important (ralenti réel et sans perte d’images contrairement à ce qui a lieu lors de l’examen stroboscopique). On peut observer à cette occasion, pour peu que les plis vocaux soient légèrement hypotoniques, comment une petite perle de mucus sécrétée dans la sous-glotte qui remonte progressivement vers le point nodulaire avant de se détacher du pli vocal au niveau de ce point, un peu comme l’écume de mer se détache de la crête des vagues sous l’effet du vent.



Pour Husson, il y aurait au point nodulaire une zone de fragilité en rapport avec l’embryogénèse des plis vocaux, zone de jonction des ébauches antérieure et postérieure des plis vocaux.

Le nodule correspondrait à un arrachement, en ce point, des fibres des muscles thyro-vocaux et ary-vocaux sous l’effet d’un effort vocal trop important.

À vrai dire, il était un peu difficile de comprendre comment une lésion traumatique située à la face profonde du ligament vocal pouvait se traduire par une lésion de la muqueuse en rapport avec la face superficielle de ce ligament.


Évolution


Conséquence directe du forçage vocal, le nodule, et surtout le nodule récent, peut disparaître complètement lorsque cesse ce forçage, sous l’influence d’un changement dans les conditions d’utilisation de la voix ou grâce à la rééducation vocale. Cette disparition du nodule est parfois très rapide.

La rapidité possible de cette disparition du nodule est illustrée par l’histoire clinique qui va suivre.

Il s’agit d’une jeune fille de 14 ans plutôt renfermée et introvertie qui présente un comportement de forçage vocal très typique et un petit nodule sur le pli vocal gauche. Une rééducation vocale est pratiquée mais le résultat n’est pas très concluant et au bout de quelques mois, aucun progrès n’est constaté dans la qualité de la voix. Par ailleurs, le nodule a tendance à grossir, à tel point qu’une intervention est proposée. Le rendez-vous opératoire est fixé quinze jours plus tard. Or la veille de l’intervention, l’examen laryngoscopique constate une disparition totale du nodule. Sans doute la crainte (non exprimée) de l’intervention avait-elle suffit à normaliser le comportement vocal de cette jeune fille. Le suivi insuffisant de cette observation ne dit pas cependant si le résultat vocal s’est maintenu par la suite.

Lorsque les conditions de l’émission vocale restent inchangées, le nodule tend à augmenter de volume en évoluant vers la forme fibreuse. Cette augmentation de volume est en général irrégulière et va de pair avec les aléas du forçage vocal. Le nodule ancien et fibreux devient difficilement réversible.


Pour les auteurs classiques (Tarneaud, Leroux-Robert), une évolution du nodule vers le polype est possible. Actuellement, on pense plutôt qu’il s’agit d’affections répondant à des mécanismes pathogéniques différents : traumatisme vocal plus répété et régulier pour le nodule, aboutissant à une lésion superficielle de la muqueuse ; traumatisme vocal plus violent et limité dans le temps pour le polype, aboutissant à une lésion plus profonde (chorion). Il est bien probable cependant qu’une lésion profonde puisse succéder dans certains cas à une lésion superficielle, ce qui rendrait compte de cette transformation du nodule en polype observée par ces auteurs classiques ainsi d’ailleurs que par des auteurs plus anciens (Garel).


Traitement




La présence d’un nodule ne confère aucun caractère particulier à cette rééducation vocale lors des premières étapes (information, relaxation, technique du souffle, verticalité). On n’oubliera pas cependant une information particulière à donner au patient, celle qui concerne la mécanique de la formation du nodule.

En abordant l’entraînement vocal proprement dit, on aura intérêt également, à commencer par des exercices relativement dynamiques : comptage projeté et Gravollet de préférence à ma-me-mi-mo-mu ou aux voyelles.

Bien que la rééducation seule puisse suffire dans de nombreux cas, le problème se pose cependant de l’association à cette rééducation, d’un geste chirurgical de régularisation du bord libre du pli vocal, ainsi que le problème du moment de cette éventuelle intervention.

Plusieurs cas de figure peuvent se présenter :




– le nodule est volumineux mais le comportement de forçage est important : l’acte chirurgical devra dans ce cas être différé et l’on préconisera une rééducation vocale pré-opératoire de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, surtout si le patient redoute l’intervention ;


– le nodule est volumineux et ne s’efface pas à l’examen stroboscopique ; le comportement de forçage est relativement modéré : l’intervention pourra avoir lieu sans délai, on prévoira cependant une rééducation postopératoire ; des problèmes de réadaptation sont en effet malgré tout à craindre du fait d’une modification relativement importante apportée à l’organe vocal ;


– le nodule est peu volumineux et s’efface complètement en lumière stroboscopique : on peut penser que la rééducation seule sera suffisante ;


– après quelques semaines de rééducation, la voix s’est bien améliorée mais n’est pas parfaite, et le nodule, bien que réduit, persiste sous l’apparence d’un petit noyau dur qui ne s’efface pas à l’examen stroboscopique. L’intervention s’impose malgré le faible volume du reliquat nodulaire.


May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 2. Dysphonies dysfonctionnelles compliquées

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