1. Dysphonie dysfonctionnelle simple (sans complication laryngée)

Chapitre 1. Dysphonie dysfonctionnelle simple (sans complication laryngée)




Définitions



Dysphonie








Dépasser le point de vue acoustique

Il convient de dépasser cette définition purement acoustique de la dysphonie dans la mesure où il existe d’une part des voix « altérées » non pathologiques et d’autre part des difficultés vocales sans traduction acoustique. Nous proposons ainsi la définition suivante : la dysphonie est un trouble momentané ou durable de la fonction vocale ressenti comme tel par le sujet lui-même ou son entourage. Elle se traduit le plus souvent, mais non obligatoirement, par une altération d’un ou plusieurs des paramètres acoustiques de la voix et par ordre de fréquence, du timbre, de l’intensité et de la hauteur tonale.


Dysphonie dysfonctionnelle


La dysphonie dysfonctionnelle définit comme une altération de la fonction vocale entretenue essentiellement par une perturbation du geste vocal.






Rejeter le clivage organique/fonctionnel

Le terme de dysphonie fonctionnelle est encore parfois utilisé mais nous pensons qu’il est préférable de l’abandonner définitivement au profit de celui de dysphonie dysfonctionnelle. Quand on dit trouble fonctionnel, on sous-entend en effet classiquement l’absence de lésion organique. Cela crée des difficultés et des malentendus dans la mesure où le dysfonctionnel et l’organique sont souvent intriqués.

Comme nous le verrons, une dysphonie d’origine fonctionnelle peut se compliquer de lésions organiques du larynx, provoquées par le forçage vocal, lésions dont le nodule du pli vocal est l’exemple le plus représentatif.

Par ailleurs, une telle dysphonie d’origine fonctionnelle peut se constituer à l’occasion d’une altération organique transitoire du larynx (laryngite aiguë par exemple).

Le terme de dysphonie dysfonctionnelle a le grand avantage de n’exclure aucunement l’idée d’une éventuelle lésion organique à l’origine de la perturbation du geste phonatoire, ou venant la compliquer.

Certes, l’existence de complications laryngées modifie parfois l’attitude thérapeutique mais il ne s’agit pas pour autant d’une affection différente. C’est seulement par commodité de présentation que nous abordons dans ce chapitre la dysphonie dysfonctionnelle où l’on n’observe pas de lésion spécifique du larynx (dysphonie dysfonctionnelle simple) réservant l’étude des complications laryngées pour le chapitre suivant (dysphonies dysfonctionnelles compliquées).


Théories pathogéniques





En 1887, Frankel établit la notion de mogiphonie1 qu’il décrit comme un « enrouement sans lésion visible ». Il s’agit d’une altération du timbre de la voix chez des personnes dont « curieusement » l’examen laryngoscopique ne révèle aucune lésion. Il était difficile à cette époque de comprendre comment la voix pouvait être altérée malgré l’intégrité de l’organe vocal.


Flateau et Gutzman, en 1906, décrivent le même trouble qu’ils expliquent par une « fatigabilité anormale de l’organe vocal », d’où le nom de phonasthénie qu’ils donnent à l’affection.

En 1935, les travaux de Tarneaud, remettant en cause cette conception hypothétique, aboutissent à une bien meilleure compréhension de l’affection en faisant appel à la notion de dysfonction. Tarneaud démontre que la désorganisation du geste phonatoire est susceptible à elle seule, d’engendrer une altération vocale. Cette désorganisation résulte surtout, pour Tarneaud, de ce qu’il appelle un « désaccord pneumophonique », c’est-à-dire d’un défaut de coordination entre le comportement de la soufflerie d’une part, et celui du vibrateur (larynx) d’autre part. Il montre de plus que cette « dysfonction » peut aboutir par le biais du mécanisme du forçage vocal à une lésion organique du larynx : ainsi un trouble « purement fonctionnel » au départ peut engendrer une altération de la muqueuse laryngée, telles que nodule, polype, etc.

On voit ainsi comment, de l’idée d’une affection purement fonctionnelle (sans lésion de l’organe), on passe à la conception d’une affection dysfonctionnelle où facteur fonctionnel et lésion organique peuvent fort bien s’intriquer.

L’intrication des facteurs fonctionnels et organiques a encore du mal à s’imposer, et l’on observe encore une tendance à vouloir séparer les dysphonies avec lésions organiques ou sans lésions organiques, comme s’il s’agissait de deux catégories fondamentalement différentes. Or, lorsque la dysfonction qui altérait seulement la voix, altère maintenant l’organe vocal, on doit admettre qu’il s’agit simplement d’une complication supplémentaire (réclamant peut-être de ce fait un traitement différent) mais non d’un changement de nature de l’affection.

Comme on le verra plus loin, une meilleure compréhension de la pathogénie du trouble vocal est possible si l’on s’attache à chercher non pas des causes mais des facteurs, et plus précisément des facteurs favorisants et des facteurs déclenchants, qui peuvent être non seulement fonctionnels et organiques mais encore psychologiques, sociologiques, et susceptibles d’agir isolément ou en interaction.

Cette façon de voir n’est pas actuellement facile à faire admettre, car la tendance est encore de s’évertuer à trouver la cause de la dysphonie « fonctionnelle » ou de telle dysphonie « fonctionnelle ». Cette tendance a donné lieu à un certain nombre de théories étiologiques et quelle qu’en soit la plus ou moins discutable validité, il est nécessaire de les connaître. Comme nous le verrons en effet, le premier acte du traitement de la dysphonie dysfonctionnelle est une information permettant au patient de se faire une idée correcte du mécanisme de ses difficultés vocales. Dans cette optique il est nécessaire de défendre ce patient contre des conceptions pathogéniques pour le moins hasardeuses qui aboutissent souvent – comme l’expérience clinique le prouve – à éloigner ce patient de l’espoir d’une guérison.




Théories organicistes


Nous les citerons dans l’ordre de crédibilité croissante.




Hypothèses étiologiques basées sur l’existence supposée de disproportions entre les différents organes de la parole

Certains auteurs ont pensé que la dysphonie « fonctionnelle » résulte parfois du fait qu’il existe une disproportion entre le volume des poumons et la configuration des plis vocaux, ou bien entre la configuration des plis vocaux et la disposition des organes résonateurs (pharynx, bouche, cavité nasale et sinus). Il n’existe aucune preuve de la réalité de ces discordances qui semblent purement théoriques. Les individus ayant une forte cage thoracique et de petits plis vocaux ne semblent pas plus que d’autres prédisposés à devenir dysphoniques.


Hypothèses étiologiques basées sur l’existence supposée de perturbations de l’audition

L’audition du sujet intervient dans la régulation de sa propre parole au moment où il parle. C’est le circuit court2 qui s’oppose au circuit privé (reposant sur la sensibilité tactile et proprioceptive) et au circuit public (circuit régulateur reposant sur l’image subconsciente que le sujet se fait de la façon dont il est entendu par son interlocuteur).


La disparition complète du circuit court est il est vrai responsable pour une part des troubles vocaux observés chez les sourds sévères ou profonds (troubles vocaux inconstants, notons-le).

Or, la pathologie vocale a été conçue par certains auteurs (en particulier Tomatis) comme résultant uniquement d’une perturbation de ce circuit. Cette conception a abouti à une thérapeutique proposant de rééduquer la voix en répercutant sur les oreilles du sujet sa propre voix (ou celle de sa mère) modifiée au moyen d’un appareil appelé oreille électronique et en jouant sur la prédominance à rétablir, d’une oreille – dite directrice – sur l’autre.

Même si ces procédés permettent d’obtenir certains résultats, on ne peut pas retenir une conception pathogénique reposant uniquement sur les perturbations de la régulation de la parole intéressant seulement le circuit court. On ne voit pas pourquoi le circuit court serait le seul élément fragile dans l’édifice complexe de la physiologie vocale.


Hypothèses étiologiques basées sur l’existence supposée de troubles endocriniens

La pathologie des glandes endocrines donne lieu à des altérations de la voix. C’est ce qui se produit, comme nous le verrons, dans le myxœdème, la maladie d’Addison, l’acromégalie, l’eunuchisme et surtout lors de la virilisation accidentelle du larynx chez la femme.

Du fait de ces troubles vocaux d’origine authentiquement endocrinienne, les désordres vocaux en général, ont été parfois interprétés par analogie comme pouvant résulter de désordres glandulaires. Il s’agit bien sûr d’un abus. Même si l’on doit individualiser au sein de la phoniatrie un chapitre intitulé endocrinophoniatrie, il convient de le laisser à sa juste place, sans vouloir y faire rentrer de force toute la pathologie phonatoire.




Théories psychologiques


Chacun sait que si la voix peut exprimer l’émotion, l’émotion peut parfois perturber la voix. Ceci est particulièrement net dans le cas du trac des chanteurs et des comédiens.

On observe par ailleurs dans les maladies mentales des perturbations vocales plus ou moins importantes, ce qui démontre si cela était nécessaire les liens qui existent entre le psychisme et la voix.

Certaines dysphonies dysfonctionnelles enfin sont à l’évidence sous la dépendance directe d’un mécanisme psychologique.

C’est le cas par exemple pour la dysphonie de refuge décrite par P. Bloch. Il s’agit de troubles de la voix survenant chez certains sujets qui cherchent inconsciemment à échapper à certaines conséquences qu’aurait pour eux une voix tout à fait normale. La dysphonie peut être une façon commode d’éviter par exemple, de prendre certaines responsabilités jugées insupportables.





– pour A. Monet par exemple, la dysphonie fonctionnelle correspond à un mécanisme de régression aboutissant à un comportement archaïque d’hypertonie vocale (la phonation hypertonique) ayant la signification d’un mécanisme de défense contre l’angoisse existentielle ;


– pour G. Cornut, le comportement du dysphonique pourrait correspondre à un amoindrissement et à une détérioration de la qualité de l’expression vocale « qui était parfaitement libre et juste chez le petit enfant », détérioration en rapport avec le vécu du sujet ;


– AE. Aronson de son côté affirme que le terme de dysphonie « fonctionnelle » doit être considéré comme synonyme de dysphonie d’origine psychologique.

Il est vrai que l’anamnèse révèle souvent l’existence de facteurs psychologiques à l’origine de la dysphonie, mais la tendance (fréquente) à chercher l’explication unique de toute dysphonie sans lésion laryngée dans un problème d’ordre psychologique risque d’égarer.

Parfois, c’est le trouble vocal qui engendre des perturbations psychologiques : la voix est un instrument précieux, un don de la nature dont souvent on ne perçoit la valeur que lorsqu’il vient à manquer. L’altération de la voix vient fréquemment comme une « misère inattendue » à quoi l’on n’était pas du tout préparé, d’où des réactions psychologiques importantes.

Quoi qu’il en soit, il est indéniable que même s’il est fréquent, le facteur psychologique peut manquer totalement où n’avoir qu’un rôle de second plan et nous refusons l’assimilation proposée ainsi du fonctionnel et du psychologique.

Une telle assimilation nous paraît relever de cette tendance signalée plus haut par laquelle on cherche à trouver la cause de la dysphonie. Il nous semble préférable de tâcher d’en comprendre le mécanisme et de repérer les divers facteurs susceptibles de la déclencher et de l’entretenir.


Conception polyfactorielle basée sur la notion de trimodalité du souffle phonatoire


Trois notions clés permettent de rendre compte de façon satisfaisante de la manière dont s’installe, se maintient et éventuellement se complique la dysphonie dysfonctionnelle. La première est celle de cercle vicieux du forçage vocal, mieux comprise si l’on tient compte de la trimodalité du comportement phonatoire. Les deux suivantes sont celles de facteurs favorisants et de facteurs déclenchants.


Cercle vicieux du forçage vocal


Classiquement, le cercle vicieux du forçage vocal se décrit ainsi : Quand la voix ne va pas bien, quelle qu’en soit la raison, on pousse dessus pour qu’elle aille quand même. Au bout d’un certain temps, si – à tort – on insiste, cet effort produit une irritation laryngée… Cette irritation rend la voix plus difficile… Ce qui incite à forcer davantage. D’où irritation laryngée plus importante. Aggravant la gêne. Ce qui incite à augmenter le forçage. Et ainsi de suite…

La notion de trimodalité du comportement phonatoire permet d’apporter à cette description les précisions, suivantes : Lorsque sa voix ne va pas bien, la personne qui s’exprime éprouve toujours plus ou moins consciemment, un sentiment d’insuffisance de sa mécanique vocale. Ce sentiment l’amène automatiquement à utiliser en toutes circonstances le mécanisme de la voix d’insistance. Ce dernier se déclenche en effet systématiquement dès que l’action vocale rencontre une difficulté quelconque, que celle-ci soit d’origine organique, psychologique ou simplement fonctionnelle et comportementale. La projection du visage vers l’avant accompagnant l’affaissement marqué du thorax et l’arrondissement du haut du dos révèle dans ce cas, la mise en œuvre du souffle vertébral qui caractérise ce mécanisme.


Normalement, dès que la fatigue vocale apparaît, le sujet réagit en réorganisant « machinalement » son comportement phonatoire dans le sens d’une modération vocale, éventuellement compensée par une articulation plus précise, une tonalité mieux adaptée un débit moins précipité ou encore, par une présence plus affirmée.

La situation étant ainsi maîtrisée, la mécanique de la voix d’expression simple ou celle de la voix implicatrice peuvent à nouveau se faire jour, avec rétablissement de la verticalité du corps, (du moins pour la voix implicatrice) et disparition de la fatigue, signant l’éviction du souffle vertébral.

Pathologiquement, sous l’effet des facteurs favorisants et déclenchants décrits plus bas, le sujet négligeant – ou ne s’autorisant pas – à mettre en œuvre cette réorganisation phonatoire, se retrouve ligoté dans le cercle vicieux du forçage !

Selon cette conception, le cercle vicieux du forçage vocal résulte en somme du remplacement du souffle abdominal correspondant à la voix implicatrice (dite projetée) et du souffle thoracique supérieur (correspondant à la voix d’expression simple) par le souffle vertébral (correspondant à la voix d’insistance).

Progressivement, l’usage du souffle vertébral devient exclusif. L’effort vocal constant qui en résulte altère alors la muqueuse laryngée. Ainsi se développe une dysphonie plus ou moins importante et plus ou moins constante, éventuellement ponctuée de brèves périodes d’aphonie complète.

Cette évolution peut cependant s’interrompre à un stade donné, le sujet présentant alors pendant de longues années une dysphonie chronique à laquelle il finit par s’habituer.







Trimodalité du comportement phonatoire


L’observation courante de la parole spontanée montre que suivant les circonstances, le comportement phonatoire humain se déploie selon trois modalités fondamentales correspondant respectivement à la voix d’expression simple, à la voix implicatrice (dite projetée), et à la voix d’insistance (ou de détresse ou… d’émerveillement !).

Ces trois voix ne présentent aucun caractère distinctif particulier concernant sa hauteur tonale, son timbre ou son intensité. Chacune d’elle peut être aiguë ou grave, forte ou faible ou d’un timbre quelconque. Elles ne se distinguent que par l’intention qui les fait naître et le comportement physique et mental qui les sous-tend, ce qui ne les empêche pas d’être en général, remarquablement bien reconnues à l’oreille.


Voix d’expression simple




Voix implicatrice (dite projetée)






– La voix implicatrice se produit lors des actes vocaux où le sujet s’impliquant dans ce qu’il dit, prend l’écoute de son ou ses interlocuteurs qu’il implique par là même en les mettant dans l’impossibilité de rester indifférents. Elle est à l’oeuvre dans des actes vocaux tels que : appeler quelqu’un ; donner un ordre ; affirmer ; expliquer ; interroger…


– Elle prend appui sur la certitude (éventuellement erronée) d’être entendu.


– Elle oriente le regard vers l’interlocuteur.


– Elle entraîne la verticalisation du corps.


– Elle mobilise le souffle abdominal.


– Son intensité n’est pas obligatoirement importante. Elle peut même n’être que chuchotée, lorsque l’interlocuteur est assez proche.


Voix d’insistance (ou de détresse… ou d’émerveillement !)






– La voix d’insistance (ou de détresse ou d’émerveillement), se produit lorsque le sujet se sent dépassé par la situation ; par exemple, lorsqu’il exprime son « regrettable désaccord », son mécontentement, son étonnement ou sa surprise (heureuse ou malheureuse) ; ou encore pour appeler à nouveau quelqu’un après l’échec d’un premier appel, selon la formule : « Non seulement je t’appelle mais je me tue à te rappeler, alors cette fois, tu vas m’entendre ! ».


– Elle mobilise le souffle vertébral avec projection du visage vers l’avant, affaissement marqué du thorax et arrondissement du haut du dos.


– Bien que physiologiquement normale, la voix d’insistance – contrairement aux deux précédentes – est fatigable. Elle ne peut être maintenue plus de deux ou trois dizaines de minutes sans dommage pour la muqueuse laryngée.

La notion de trimodalité du comportement phonatoire est en contradiction avec une conception normative du souffle phonatoire, diabolisant le souffle thoracique supérieur et méconnaissant le souffle vertébral, (ainsi d’ailleurs que la respiration du même nom), au profit exclusif du souffle abdominal considéré comme le seul physiologiquement normal !


Conséquences du comportement du forçage vocal


L’usage prolongé du mécanisme de la voix d’insistance qui caractérise le comportement de forçage vocal présente un certain nombre de conséquences fâcheuses concernant dans l’ordre l’attitude corporelle, la mécanique laryngée, l’état de l’organe vocal, et la qualité de la voix et de la parole, entravant en définitive la qualité de la communication.


ALTÉRATION DE L’ATTITUDE CORPORELLE LORS DE LA PHONATION

Cette altération comporte deux éléments le plus souvent associés.



ATTAQUE EN COUP DE GLOTTE

L’usage habituel du mécanisme de la voix d’insistance engendre des difficultés au niveau de la mécanique laryngée. Il aboutit en effet à l’impossibilité pour le diaphragme d’assurer la régulation du souffle. Ce rôle doit dans ces conditions être assuré par le larynx lui-même qui assume alors la double fonction de régulateur du débit (robinet) et de vibrateur.


APPARITION DE SENSATIONS SUBJECTIVES PARTICULIÈRES

Le développement du cercle vicieux du forçage vocal entraîne, de façon variable selon le sujet, les impressions et les sensations suivantes :




Impression de manque d’efficacité : parfois le sujet a l’impression que sa voix manque de puissance et de portée, au point qu’il se croit difficile à entendre ; l’effort lui paraît indispensable à sa production vocale ;


Fatigue à la phonation : une fatigue à la phonation prolongée se produit souvent à la suite de l’effort vocal intempestif aboutissant parfois à un dégoût de la parole ;


Paresthésies pharyngo-laryngées et douleurs : fréquemment le sujet ressent des picotements, des brûlures, une « gêne » dans la gorge, des tensions, des douleurs… ces symptômes ont tendance à l’inquiéter ; il a en effet tendance à imaginer que ce qu’il ressent est dû à une lésion locale plus ou moins inquiétante ; il est capital pour lui de comprendre que ces troubles ne sont rien d’autre qu’une conséquence de son comportement de forçage ;


Oppression respiratoire : moins souvent, le sujet a l’impression de manquer d’air et d’être gêné pour respirer ;


Inconscience de l’effort fourni : d’autres fois enfin le sujet n’a aucune sensation particulière mais déploie une énergie considérable pour produire sa voix, sans s’en rendre compte le moins du monde, tellement il s’agit d’une habitude bien installée ; c’est l’écoute de sa voix au magnétophone qui va lui révéler à quel point il se donne du mal pour parler.


ALTÉRATION LARYNGÉE ET PÉRILARYNGÉE

Le comportement de forçage vocal aboutit le plus souvent à l’irritation de la muqueuse laryngée. Cette irritation est responsable (en partie) des paresthésies citées plus haut. L’irritation simple peut faire place à une lésion plus grave (laryngopathie dysfonctionnelle). D’autre part, la surpression sous-glottique gênant la circulation sanguine de retour entraîne des phénomènes congestifs favorisant l’inflammation des voies aériennes supérieures (pharyngite, rhinite, sinusite) comme le signalait déjà Russel (1936).

Par ailleurs, le travail excessif de la musculature périlaryngée peut aboutir à des phénomènes douloureux permanents (myosite d’effort) que l’on peut interpréter comme des courbatures chroniques.



ALTÉRATION VOCALE

L’altération vocale est très variable selon les cas, selon les moments, selon le type d’acte vocal en cause, et ceci quelle que soit l’importance du comportement de forçage. Elle peut parfaitement exister, rappelons-le, sans aucune altération de la muqueuse des plis vocaux. Elle peut intéresser chacun des trois caractères acoustiques de la voix (timbre, hauteur, intensité). Elle peut être considérable et confiner à l’aphonie ou rester très discrète.

Parfois, l’altération vocale manque complètement ou ne se manifeste que par intermittence.

Quoi qu’il en soit, ce qui importe pour la compréhension du trouble vocal, ce ne sont pas tellement les particularités acoustiques de l’altération vocale mais plutôt les perturbations du comportement phonatoire global telles que nous les avons envisagées plus haut.


Facteurs déclenchants


Il s’agit d’événements plus ou moins ponctuels à l’occasion desquels peut se constituer le cercle vicieux du forçage vocal. Certains d’entre eux constituent des facteurs organiques. D’autres sont de nature psychologique.

Nous les citerons par ordre de fréquence.


CERTAINES AFFECTIONS DE LA SPHÈRE ORL

Certaines affections oto-rhino-laryngologiques peuvent entraver directement la mécanique laryngée. C’est le cas par exemple d’une laryngite aiguë, d’une altération laryngée d’origine traumatique (intubation, excès vocaux, hurlements), d’une réaction œdémateuse du larynx à l’occasion (cas fréquent) d’un long voyage en voiture fenêtre ouverte, du classique « coup de froid », ou d’un processus allergique.

Dans d’autres cas (angine, amygdalectomie, cf. La voix, tome 3), la phonation est l’occasion de douleurs susceptibles de perturber le comportement vocal.

Ces altérations momentanées de l’organe vocal ou des organes voisins sont parfois suffisantes pour déclencher l’entrée dans le cercle vicieux du forçage selon les modalités décrites plus haut.


FACTEURS PSYCHOLOGIQUES

Ceux-ci sont sans doute aussi fréquents que les précédents avec lesquels ils peuvent, bien sûr, s’associer.

Les événements professionnels, familiaux ou sentimentaux peuvent engendrer des contrariétés ou des chocs psychologiques plus ou moins importants qui peuvent déclencher le processus de la dysphonie du fait des à-coups de la « tension psychomotrice » se manifestant à cette occasion au niveau de l’appareil phonatoire (l’émotion prend volontiers « à la gorge »).

La gêne momentanée imposée au mécanisme phonatoire est susceptible d’entraîner une distorsion durable du comportement vocal par constitution à cette occasion du cercle vicieux du forçage vocal.



TOUX

La toux, en particulier lors d’une trachéite, est susceptible d’engendrer une irritation de la muqueuse laryngée. C’est un facteur classique, fréquemment rencontré au début de la constitution d’une dysphonie dysfonctionnelle.


PÉRIODE PRÉMENSTRUELLE

Lors de la période prémenstruelle, il se produit une modification de l’épithélium (couche superficielle de la muqueuse) des plis vocaux.

Perello a observé qu’à cette période cet épithélium s’épaissit et que sa constitution cellulaire se modifie, comme cela se produit dans le même temps pour la muqueuse vaginale (enrichissement en cellules éosinophiles).

De ce fait, la souplesse de la voix est normalement moindre dans la période qui précède les règles. Cela n’a en général pas d’importance dans la mesure où une légère diminution de la souplesse vocale ne se perçoit pas. Mais dans certains cas, cet épaississement physiologique de la muqueuse laryngée peut être l’occasion d’une décompensation brusque produisant l’entrée dans le cercle vicieux du forçage vocal. On observe ainsi des dysphonies intermittentes rythmées par les règles, sans qu’il n’y ait pour autant le moindre trouble endocrinien. Cela n’est pas sans importance en ce qui concerne le traitement.


GROSSESSE ET INTERVENTION ABDOMINALE

Lorsqu’une modification importante survient dans la paroi abdominale, elle peut déterminer une gêne lors de la projection vocale. Il peut s’ensuivre des efforts susceptibles de « déclencher » le processus dysphonique.


DYSPHONIE EX-AKINÉSIE THÉRAPEUTIQUE

Citons un dernier facteur déclenchant un peu particulier qui donne lieu à ce que Tarneaud a décrit sous le nom de dysphonie ex-akinésie thérapeutique. Il s’agit du résultat fâcheux d’une prescription médicale inopportune, ou présentée de façon trop sévère, d’une cure de silence vocal prolongé pour une altération laryngée. Il arrive dans ce cas que cette prescription engendre, chez certains sujets prédisposés, une peur de l’émission vocale telle, qu’il s’ensuit une désorganisation du fonctionnement phonatoire.


Facteurs favorisants


Les facteurs déclenchants que nous venons d’énumérer ne suffisent pas à provoquer à eux seuls la constitution du cercle vicieux du forçage vocal. Il faut encore qu’ils surviennent sur un terrain propice, terrain qui résulte de particularités concernant le sujet ou son mode de vie constituant les facteurs favorisants.

Nous les citerons par ordre de fréquence.


OBLIGATION SOCIOPROFESSIONNELLE DE PARLER OU DE CHANTER

C’est certainement le facteur favorisant le plus important : si un sujet est, ou se croit, dans l’impossibilité de réduire l’usage de sa voix, lorsque celle-ci se trouve momentanément altérée pour une raison quelconque (facteur déclenchant), il court un grand risque de s’installer dans le cercle vicieux du forçage.

Ceci concerne essentiellement les enseignants, les comédiens, les chanteurs, les représentants, les démonstrateurs. mais également les mères de famille.


CARACTÉRISTIQUES PSYCHOLOGIQUES

Il semble que certains types psychologiques prédisposent à la constitution de la dysphonie dysfonctionnelle. Si l’on suit la typologie de Le Senne, on peut penser que lémotivité et la primarité5 sont souvent en cause. Ces deux tendances entrent dans la constitution du tempérament nerveux. Le nerveux a du mal à s’adapter à une entrave momentanée de sa fonction vocale dans la mesure où il ne se donne pas le temps de prendre les dispositions nécessaires pour ménager sa voix. Le dysphonique se présente souvent comme un individu « en avant de lui-même », ignorant délibérément les risques qu’il peut courir, préférant partir dans l’agitation, pensant qu’il rectifiera en cours de route les inconvénients éventuels d’un départ précipité.


Dans un tout autre ordre d’idée, on peut signaler également comme facteurs psychologiques prédisposants, la tendance à l’anxiété et le perfectionnisme : l’envie de trop bien faire crée des tensions préjudiciables à une bonne adaptation.


SITUATIONS PSYCHOLOGIQUES DIFFICILES

Nous avons vu que des événements familiaux, professionnels ou sentimentaux peuvent être comptés comme facteurs déclenchants de la dysphonie.

Ici, il s’agit des situations conflictuelles durables engendrant des difficultés psychologiques prolongées. L’état de tension qui en résulte doit être considéré comme un facteur favorisant la dysfonction vocale.


INTOXICATION ALCOOLIQUE ET TABAGIQUE

On peut dire que l’alcool est un poison électif de la muqueuse des plis vocaux. La voix des alcooliques est d’ailleurs caractéristique ; caractéristique aussi celle des « lendemains de fête » où la consommation d’alcool a été importante.

Le tabac a évidemment une action nocive lui aussi sur la muqueuse des plis vocaux, surtout chez les forts consommateurs. Cependant, l’usage du tabac ayant une action positive sur la nervosité, il arrive que l’arrêt brutal du tabac ne se traduise pas par l’amélioration escomptée de la voix. Cet arrêt se traduit parfois au contraire par une irritabilité psychologique plus nocive sur la voix que l’usage du tabac lui-même.


AFFECTIONS CHRONIQUES DE LA SPHÈRE ORL ET TERRAIN ALLERGIQUE

L’existence d’une amygdalite chronique, d’une sinusite, d’une pharyngite peut par extension intercurrente du processus infectieux au larynx constituer une prédisposition à l’installation d’une dysphonie. Il en va de même de la tendance allergique pouvant provoquer des poussées d’œdème laryngé. Bien que relevant de la pathologie digestive, nous citerons encore ici le reflux gastro-œsophagien responsable d’irritation de la muqueuse pharyngo-laryngée.


May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 1. Dysphonie dysfonctionnelle simple (sans complication laryngée)

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