Chapitre 17 Prise en charge de l’asymétrie faciale
L’ostéodistraction en orthopédie
Les premières distractions ont été réalisées en orthopédie sur des os longs afin d’allonger les membres inférieurs trop courts de personnes de petite taille ou de corriger une inégalité de longueur.
L’idée d’allonger un cal osseux fracturaire par traction mécanique a été décrite par Codivilla qui, en 1905, a réalisé la première distraction osseuse d’un fémur trop court [1]. Par la suite, plusieurs auteurs (Ombredanne, 1913 ; Putti, 1926 [2] ; Abbott, 1927 [3]) ont entrepris avec plus ou moins de succès des allongements extemporanés ou progressifs. Mais la technique fut délaissée du fait du taux élevé de complications mécaniques (fractures, ossification incomplète, désaxation secondaire).
À partir de 1950, Ilizarov, isolé en Sibérie, développe un moyen de correction des déformations, malformations, inégalités de longueur et perte de substance des membres grâce à une méthode fondée sur « l’utilisation de manœuvres lentes et progressives, respectueuses de la fonction et de la vascularisation osseuse à l’aide d’un fixateur externe muni de broches en croix et d’anneaux » : c’est le principe de l’effet de stress en tension [4,5]. Il perfectionne l’intervention et définit les principes fondamentaux qui vont permettre la diminution des complications. En fait, les travaux d’Ilizarov n’ont été publiés en France qu’à partir de 1984, date à laquelle émergent les premières règles de l’ostéodistraction définissant : le délai préliminaire à respecter (phase de latence), le rythme optimal de l’élongation, et la durée de contention finale (phase de consolidation) pour garantir une bonne stabilité mécanique de l’os néoformé. Actuellement, en orthopédie, des distracteurs centromédullaires ont été mis au point et tendent à remplacer les distracteurs externes.
Ostéodistraction appliquée à la mandibule et ses évolutions
Avant l’avènement de l’ostéodistraction mandibulaire chez l’homme, les patients souffrant d’hypoplasie mandibulaire congénitale ou de perte de substance osseuse mandibulaire pouvaient bénéficier d’une interposition de greffon osseux. Mais cette technique nécessitait deux sites opératoires et sa morbidité était non négligeable.
En 1972, Snyder et al. [6] appliquent avec succès le principe de la distraction à une mandibule de chien ; l’évaluation radiologique de l’os néoformé était satisfaisante au terme de 6 semaines de contention. Le concept a ensuite été développé, toujours sur le modèle canin, par Michieli et Miotti qui, en 1977, ont réalisé une ostéotomie mandibulaire unilatérale avec un allongement par distraction de 15 mm [7]. Dans cette étude, un distracteur intraoral avait été utilisé, et un examen histologique réalisé sur le site de distraction montrait la consolidation osseuse à 5 semaines.
En 1990 et 1992, Karp et al. ont étudié l’histologie de l’os néoformé et le mécanisme chronologique histologique de la néosynthèse osseuse [8,9]. Quatre zones étaient alors identifiées au niveau du cal pendant la distraction : une zone centrale fibreuse ; une zone de transition dans laquelle des fibroblastes et des cellules indifférenciées étaient en contact avec des ostéoblastes ; une zone de remodelage osseux avec une importante concentration d’ostéoclastes ; et une zone d’os mature semblable à l’os adjacent non distracté.
Au vu de ces résultats, McCarthy réalise en 1992 la première application de l’élongation mandibulaire chez 4 enfants atteints de microsomie hémifaciale à l’aide de distracteurs externes monodirectionnels, pour un allongement moyen de 20 mm [10].
D’autres séries d’élongation mandibulaire par distracteurs externes monodirectionnels ont été publiées : Takato et al. en 1993 [11], Pensler et al. en 1995 [12]. L’indication de la technique est alors étendue aux malformations mandibulaires bilatérales (syndrome de Treacher-Collins).
L’équipe de Klein et al. [13] a mis au point en 1995 de nouveaux appareils distracteurs externes bidirectionnels afin d’améliorer le résultat sur l’articulé dentaire, l’intérêt étant d’allonger la mandibule tout en refermant l’angle mandibulaire grâce à une charnière centrale modulable.
Molina et al. [14] ont proposé en 1995 une élongation bidirectionnelle par double corticotomie de part et d’autre de l’angle mandibulaire, le fragment osseux central étant maintenu par une broche à la charnière de l’appareil distracteur.
L’équipe de McCarthy a ensuite développé ce concept de distraction pluridirectionnelle en introduisant des distracteurs tridimensionnels à double charnière, permettant de moduler la distraction non seulement dans un plan sagittal (angle mandibulaire), mais aussi dans un plan frontal (varus de la branche montante) (figure 17.1) [15].
Les recherches ont ensuite porté sur la mise au point d’appareils distracteurs endobuccaux (McCarthy et al. en 1995 [16], Vasquez et al. en 1996 [17]) ; leur objectif était de réduire la morbidité pendant la distraction et d’améliorer les résultats cutanés. Ces distracteurs ont un caractère monodirectionnel et ne permettent pas une modulation aussi précise qu’avec un distracteur tridimensionnel.
Parallèlement aux recherches sur le matériel de distraction, Losken et al., en 1995, ont publié des formules permettant un calcul de la direction et de la longueur du vecteur de distraction pour améliorer la précision de la correction morphologique [18]. Ce vecteur n’était alors considéré que dans un plan sagittal et ne tenait pas compte d’une déformation dans le plan frontal (varus) de la branche montante. Ce calcul ne s’appliquait donc qu’aux distracteurs bidirectionnels et était inadapté aux distracteurs multiplans de McCarthy.
Principes de l’ostéogenèse par distraction
Règles décrites par Ilizarov
L’idée de l’ostéogenèse par distraction avait séduit plusieurs orthopédistes avant Ilizarov, mais ceux-ci se sont heurtés à des complications mécaniques (fractures, ossifications incomplètes, désaxations secondaires) par défaut de règles techniques précises sur les moyens de contention et sur le rythme de l’allongement.
C’est en 1956 qu’Ilizarov décrivit les premières règles « biologiques » de l’effet stress en tension [4,5] :
Les trois types d’ostéogenèse par distraction
Le principe de distraction osseuse bifocale mandibulaire a été décrit pour la première fois par Costantino et al. en 1990 [19], dans les indications de défect osseux d’origine traumatique ou séquellaire postinfectieuse.
La distraction de type trifocal dérive du principe de la distraction bifocale, et est indiquée dans le cas des pertes de substance importantes (figure 17.2).
Histologie du régénérat osseux
Mécanismes de l’ostéogenèse
Plusieurs études préliminaires histologiques d’ostéodistraction sur les os longs ont mis en évidence deux mécanismes d’ostéogenèse :
Chronologie de l’ostéogenèse
Karp et al. [9] ont étudié le mécanisme histologique de l’ostéogenèse dans l’ostéodistraction mandibulaire chez le chien : l’expérience a porté sur dix chiens ayant eu une corticotomie unilatérale suivie d’une distraction de 20 mm au rythme de 1 mm par jour, puis une contention de la mandibule par fixateur externe durant 6 semaines. Ils ont étudié l’histologie osseuse à J10 (milieu de la distraction), à J20 (fin de la distraction), à J34, J48 et J76 (respectivement 14, 28 et 56 jours après la fin de la distraction).
Les données chronologiques suivantes ont été rapportées :