L’irresponsabilité pénale des malades mentaux : principe et nuances
Le droit pénal français ne punit pas les fous. Aussi loin que l’on remonte, il ne l’a jamais fait. Il n’y avait, certes, jusqu’au début du XIXe siècle, aucun texte qui affirmait leur irresponsabilité pénale. Elle résultait de la pratique. Elle s’imposait de la conception de la responsabilité pénale exigeant qu’une faute morale, une intention – culpabilité pour le juriste – ait été commise.
Le premier texte apparaît avec le Code pénal de 1810. C’est le « célèbre » article 64 selon lequel « Il n’y a ni crime ni délit lorsque l’individu était en état de démence au temps de l’action… ».
L’affirmation, catégorique, est directement inspirée des travaux de Pinel qui insistait sur l’opposition entre le malade mental, irresponsable et relevant d’une prise en charge psychiatrique, et le criminel, responsable et donc punissable. La responsabilité pénale n’est pas ou elle est entière. Tout est question de conscience, de liberté, d’imputabilité dit le juriste.
Le deuxième texte est inscrit dans le Code pénal actuel, entré en vigueur en 1994. Placé en tête d’un chapitre consacré aux causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité, l’article 122-1 est ainsi rédigé :
Tous les malades mentaux ne sont pas pénalement irresponsables
De l’ancien article 64 à l’actuel article 122-1, le vocabulaire a changé. Le mot « démence » a laissé place aux termes de troubles psychiques ou neuropsychiques. L’expression est plus large, elle ne s’enferme pas dans des maladies identifiées. Elle est aussi plus imprécise, la cause du trouble, pathologique ou non, n’étant plus indiquée. Les effets des troubles sont également repensés. Au système antérieur du tout ou rien est substituée une distinction en fonction de l’intensité des troubles : abolition ou altération du discernement.
Le nouveau texte, pourtant, ne bouleverse pas le droit tel qu’il était appliqué antérieurement. D’abord, le terme de démence, bien qu’il désignait une pathologie particulière, était volontiers perçu comme un terme générique, synonyme d’aliénation mentale. Ensuite, la pratique judiciaire, s’emparant de l’idée, développée par les aliénistes, d’une graduation de la maladie mentale, plus précisément d’une lésion possible de la seule volonté compatible alors avec la conscience, réservait, dès le cours du XIXe siècle, l’application de l’article 64 à certaines maladies en fonction de leurs effets sur la conscience de l’individu au moment du passage à l’acte48. La circulaire Chaumié du 12 décembre 1905 la consacre, invitant les experts psychiatres à rechercher si l’accusé révèle « des anomalies physiques, psychiques ou mentales » qui, bien que ne relevant pas de l’aliénation mentale au sens du Code pénal, justifient une « responsabilité atténuée ». Bien que la lettre de l’article 64 n’ait pas été retouchée, l’état mental tient alors lieu de circonstances atténuantes, lesquelles avaient fait, entre-temps, l’objet d’une loi en 1832 qui, autorisant le juge à prononcer une peine inférieure au minimum légal, l’amenait à s’intéresser « aux circonstances particulières de l’infraction et à la personnalité ou aux motivations de son auteur ».
L’article 122-1 du Code pénal actuel s’inspire de l’esprit de la circulaire Chaumié.
Sont pénalement irresponsables les malades mentaux dont les troubles ont aboli le discernement ou le contrôle de leurs actes
Deux précisions sur ce point :
• S’agissant de l’application d’un texte du Code pénal, seul le juge décide de l’irresponsabilité. Mais il ne peut le faire sans qu’au préalable il n’ait fait appel à un expert (ou plusieurs), sachant que sa mission, déterminée par le magistrat, est de répondre à diverses questions parmi lesquelles : l’examen psychiatrique du sujet révèle-t-il chez lui des anomalies mentales ou psychiques ? L’infraction qui lui est reprochée est-elle ou non en relation avec de telles anomalies ?
• La loi impose à l’expert de se situer « au moment des faits ». Ni avant, ni après. L’exigence temporelle marque toute la difficulté, au-delà même de la question de la science et du savoir psychiatrique, de la tâche assignée à l’expert. Elle montre aussi toute l’importance de la réactivité de la justice afin qu’il soit procédé à l’expertise dans les meilleurs délais dès qu’un élément, quelque chose dans le déroulement des faits, dans les apparences ou le discours de la personne en cause, attire l’attention.