16: Prise en charge de la douleur au cours du travail et de l’accouchement

Chapitre 16 Prise en charge de la douleur au cours du travail et de l’accouchement




Anatomie et physiologie de la douleur lors de l’accouchement



Douleur perpartum



Les différentes composantes de la douleur du travail obstétrical


Les douleurs de l’accouchement se définissent, comme la plupart des phénomènes douloureux, empreintes d’une extrême variabilité. Extrême variabilité au cours même de l’accouchement (elles s’amplifient de la phase de dilatation du col à celle d’expulsion), et extrême variabilité interindividuelle. La douleur naît de sensations, véhiculées par des voies nerveuses périphériques puis centrales, mais il est important de comprendre que la perception douloureuse est un phénomène complexe ne répondant pas aux seules règles de la neuroanatomie. De nombreux autres facteurs interviennent au cours du vécu douloureux comme par exemple : antécédents de vécu douloureux (traumatismes abdominaux ou péri- néaux), imaginaire de la naissance et maturité de ce concept chez la patiente (permettant l’acceptation de cette douleur ou non), anxiété et angoisse, fatigue physique et psychique, nécessités culturelles du vécu de la douleur, influence de l’environnement humain social, etc. Il serait par conséquent illusoire de croire que traiter la douleur obstétricale se résumerait à interrompre la transmission sensitive de manière plus ou moins intense. La prise en charge de la perception douloureuse obstétricale réside principalement dans l’association simultanée d’une prise en charge psychologique complète, intégrée à des techniques anesthésiques souvent nécessaires. Pour comprendre les techniques, nous étudierons les éléments neuroanatomiques intervenant au cours du travail.




Physiopathogenèse des douleurs du travail obstétrical et neuroanatomie


Les principaux facteurs responsables des douleurs de l’accouchement sont les suivants : dilatation du col, contractions et distension de l’utérus, distension de la filière génitale et du périnée, stimulation par étirement ou compression des structures anatomiques avoisinantes comme les annexes, le péritoine, la vessie, l’urètre, le rectum ou les racines du plexus lombosacré. Les voies nerveuses mises en jeu sont différentes pour les deux périodes du travail. Les douleurs de la première période sont dues essentiellement aux contractions utérines, à la dilatation et à l’étirement du col. Les douleurs liées aux contractions utérines et à la dilatation du col sont médiées par la stimulation de mécanorécepteurs et/ou par la libération de substances chimiques agissant sur les terminaisons nerveuses. Ces dernières sont plus nombreuses au niveau du col et du segment inférieur qu’à celui du corps et du fond de l’utérus. La stimulation de ces récepteurs déclenche une douleur viscérale se rapprochant de celle observée dans la colique néphrétique ou l’occlusion intestinale.


Les voies nerveuses transmettant les sensations douloureuses de la première période du travail sont des fibres C qui cheminent avec les fibres sympathiques de l’utérus. Ces fibres nerveuses sont anastomosées avec d’autres fibres du système nerveux végétatif autour du col et de l’utérus pour former le plexus hypogastrique inférieur. De ce plexus, les fibres accompagnent les fibres sympathiques et traversent successivement les nerfs hypogastriques, le plexus hypogastrique supérieur, le plexus aortique et la chaîne sympathique lombaire. Au début du travail, ce sont surtout les racines T11 et T12 qui sont stimulées, puis lorsque les contractions utérines deviennent plus intenses, les racines adjacentes T10 et L1 sont également intéressées (figure 16.1). Il est admis que l’innervation parasympathique n’intervient pas dans la transmission des stimuli nociceptifs dus aux contractions utérines ou à l’étirement du col.



Les douleurs de la phase d’expulsion sont liées à la distension de la filière génitale et du plancher pelvien. L’innervation des structures responsables dépend essentiellement des racines S2, S3 et S4 par l’intermédiaire du nerf pudendal (nerf honteux interne) et de ses branches (figure 16.2). Cependant, d’autres nerfs participent à l’innervation des plans superficiels du périnée (figure 16.3), expliquant l’insuffisance du seul blocage du nerf pudendal dans certaines manœuvres obstétricales : le nerf cutané postérieur de la cuisse (S1, S2, S3), le nerf ilio-inguinal (L1) et le rameau génital du nerf génitocrural (L1, L2).




Le transfert de l’information douloureuse lors des deux phases du travail à deux niveaux médullaires différents est à la base de l’analgésie segmentaire telle qu’elle est réalisée par l’anesthésie péridurale continue. Les fibres C, stimulées lors de la première période du travail, seront bloquées par des concentrations faibles d’anesthé- sique local. Lors de la deuxième période, le blocage des afférences somatiques (fibres myélinisées A) nécessitera des concentrations d’anesthésiques locaux plus élevées.


Comme toute douleur viscérale, les douleurs de l’accouchement s’accompagnent souvent d’une projection vers des zones cutanées situées à distance de la stimulation initiale, vers la paroi abdominale ou vers les lombes. Certaines douleurs sont liées à une pression directe du mobile fœtal sur les organes adjacents et à un étirement ou à une compression des structures nerveuses comme le plexus lombosacré. Ces phénomènes compressifs sont à l’origine de douleurs continues, non rythmées par les contractions et localisées préférentiellement au niveau lombaire.


Les douleurs s’accompagnent de modifications physiologiques maternelles dont les plus importantes sont ventilatoires, cardiovasculaires et métaboliques, en parties expliquées par une augmentation de sécrétion des catécholamines et d’autres hormones comme les hormones corticosurrénaliennes. Un travail prolongé et douloureux s’accompagne d’une acidose métabolique maternelle avec élévation des lactates. Ces modifications maternelles semblent défavorables au fœtus chez lequel elles favorisent la survenue d’une hypoxémie et d’une acidose. L’hypersécrétion de catécholamines peut interférer dans le déroulement et la durée du travail en augmentant ou, au contraire, en diminuant l’activité utérine. Parfois, les contractions utérines deviennent anar- chiques, leur intensité diminue, leur fréquence augmente et le tonus utérin s’élève, ce qui peut réduire le débit sanguin placentaire ; ce phénomène est souvent appelé « dystocie de démarrage ».





Intérêts de la consultation d’anesthésie


La consultation d’anesthésie en obstétrique au cours du 8e mois de grossesse est obligatoire (décret du 5 décembre 1994 n° 94–1050). Cette obligation légale est doublée d’une seconde : l’information des patients (loi du 4 mars 2002). La grossesse est une situation physiologique pouvant nécessiter une anesthésie, et dans de très nombreux cas une analgésie puissante, relevant donc de techniques anesthésiques. Les buts de cette consultation sont multiples : minimiser et prévenir au maximum le risque lié à toute anesthésie, qu’elle soit générale ou locorégionale, établir une information juste et adaptée concernant les modalités (indications, contre-indications, effets indésirables) de réalisation de ces anesthésies, et dans le cadre particulier de l’obstétrique, participer à l’information de la patiente, communément aux autres modes de préparation à la naissance, sur les phénomènes de douleurs liés au travail et l’accouchement.


Cette information est le vecteur d’une action anxiolytique particulièrement sensible chez les patientes primipares. La consultation d’anesthésie permet d’expliquer la douleur de l’accouchement et sa physiopathologie, vulgariser et démystifier les techniques d’analgésie. Cet effet anxiolytique est très perceptible lors de réunions d’informations collectives, avec discussion ouverte entre un praticien et un groupe de patientes ayant des considérations communes et souvent « inavouées ». Elles permettent de lever l’isolement de la patiente face à une peur parfois entachée d’irrationalité. Cependant elle ne remplacera pas la consultation personnalisée où la balance bénéfice/risque individuelle doit être clairement expliquée. Tout le monde ne bénéficiera pas forcément à tout moment ni dans toute circonstance d’une « péridurale » (troubles de la coagulation constitutionnels, etc.).




Anesthésie périmédullaire : la référence



Anesthésie périmédullaire et médullaire : généralités



Anatomie et principes de fonctionnement de la technique


La grande efficacité de l’analgésie médullaire et périmédullaire réside dans la proximité soit de la moelle soit indirectement de l’ensemble des racines nerveuses dès leur sortie de la moelle épinière.


Le principe de 1 ’anesthésie rachidienne (RA) repose sur l’injection d’un anesthésique local (AL) directement dans l’espace sous-arachnoïdien, dans le liquide céphalorachidien. Cet AL va diffuser selon certains principes physiques (baricité) au sein du liquide, puis va traverser la gaine de myéline, et atteindre sa cible moléculaire, les canaux sodiques, et ainsi bloquer la conduction nerveuse de manière plus ou moins importante. Cette technique est très puissante, car l’AL est injecté au plus prêt de sa cible, et fait peu ou pas l’objet de phénomènes de résorption veineuse. Par conséquent les doses nécessaires sont très faibles.


L’anesthésie périmédullaire repose sur l’injection d’un AL en dehors de la dure-mère dont la cible est constituée par les racines nerveuses après leur sortie de la dure-mère, et avant leur sortie de l’espace péridural. L’espace péridural est un espace semi-ouvert (ouvert au niveau du hiatus sacré), compris entre des ligaments et des structures osseuses, et ne porte en réalité d’espace que le nom. Il est en effet rempli de structures veineuses nombreuses particulièrement turgescentes chez la femme enceinte, de racines nerveuses postérieures et antérieures, le tout maintenu par un lit de tissu graisseux. Le volume de distribution des AL est beaucoup plus important dans l’espace péridural que dans l’espace sous-arachnoïdien, et il existe des phénomènes de résorption veineuse. Ainsi les doses nécessaires pour une analgésie équivalente à une rachianesthésie sont 4 à 5 fois supérieures.


La diffusion des AL est rapide pour une injection sous-arachnoïdienne, et plus lente dans l’espace péridu- ral. Ainsi une analgésie satisfaisante est obtenue entre 5 et 10 min après injection rachidienne, alors qu’elle nécessite entre 15 et 30 min en périmédullaire. Il est habituel de placer un catheter dans l’espace péridural permettant par des réinjections d’AL d’assurer l’analgésie tout au long du travail, voire en postpartum immédiat ou de permettre une césarienne.



Contre-indications


Les contre-indications formelles de l’anesthésie péridurale (APD) tiennent au risque de compression médullaire et/ou au syndrome de la queue de cheval, avec séquelles de type paraplégie complète ou partielle avec troubles sphinctériens permanents. Ce sont les troubles de la coagulation constitutionnels ou acquis qui peuvent être à l’origine d’hématomes périmédullaires compressifs. Depuis les années 1980, le nombre de ces accidents de compression sur hématome périmédullaire en obstétrique a chuté de manière vertigineuse. On estime le risque résiduel à environ 1/3 000 000 APD obstétricales (APDO).


Actuellement, en dehors d’un dosage systématique des plaquettes dans les dernières semaines de la grossesse, aucun examen d’hémostase n’est indispensable au cours d’une grossesse d’évolution normale. En revanche un examen clinique soigneux et un interrogatoire policier à la recherche de troubles de la coagulation constitutionnels ou acquis sont fondamentaux. Cependant, de nombreuses équipes pratiquent en fin de grossesse des examens de dépistage biologique du type TP (taux de prothrombine), TCA (temps de céphaline plus activa- teur), voire fibrinogène, ou autres marqueurs de CIVD. Aucun consensus n’existe sur la question, et il revient à celui qui pratique l’acte, souvent dans un contexte d’urgence, d’en déterminer la nécessité ou non.


En cas de thrombopénie, deux éléments rentrent en ligne de compte : la vitesse d’installation de celle-ci, et le taux absolu. Ainsi, il est actuellement possible de réaliser une anesthésie périmédullaire jusqu’à un taux de 75 000 plaquettes, ou une rachianesthésie jusqu’à 50 000 plaquettes, à condition, que ce taux soit stable dans les semaines qui précèdent.


Le risque d’hématome périmédullaire est présent lors de la ponction et lors de l’ablation du cathéter. Ainsi, quand il y a un risque de coagulopathie (hémorragie majeure du post-partum, pré-éclampsies sévères, HELLP [Hemolysis, Elevated Liver enzymes, Low Platelets count] syndrome, hématome rétroplacentaire), une analyse biologique préalable de la coagulation doit être réalisée avant la pose, et avant l’ablation du cathéter d’APDO.


Chez les patientes traitées par héparine de bas poids moléculaire, il est possible de poser une APDO, à condition de respecter une durée minimale de 12 heures après une injection en cas de traitement à posologie préventive, et un délai minimal de 24 heures en cas de posologie curative, chez les patientes à fonction rénale normale.


Un traitement par acide acétylsalicylique (aspirine) doit être arrêté au moins 8 jours auparavant, du fait d’une longue rémanence d’effet antiagrégant. Cependant individuellement, la balance entre bénéfices et risques peut parfois être en faveur de l’utilisation de l’APD malgré une utilisation d’aspirine de moins de 8 jours.


Les infections systémiques bactériémiques documentées sont des contre-indications formelles de l’APDO en raison de trois phénomènes :





Les infections cutanées au point de ponction, par le risque de contamination percutanée qu’elles représentent, sont également des contre-indications formelles à l’APD.


Les neuropathies centrales ou périphériques ne constituent plus de contre-indications à l’analgésie péridurale. Dans certains cas (comme dans la sclérose en plaques), elle est même recommandable (après avis du neurologue référent), car son effet protecteur du stress physiologique induit par la douleur semble limiter l’apparition des poussées.




Précautions d’emploi


Les doses injectées dans l’espace péridural sont largement supérieures à celles injectées dans l’espace sous- arachnoïdien pour les raisons citées auparavant. Lors d’une brèche durale ou lors d’une injection méconnue d’AL dans l’espace sous-arachnoïdien, les doses injectées dépassent de loin les doses d’une RA, ce qui entraîne alors un blocage sympathique complet et un collapsus majeur (hypotension, bradycardie paradoxale), un arrêt respiratoire (paralysie du diaphragme), et des troubles de conscience. Le traitement repose sur la ventilation mécanique après intubation orotrachéale, et la perfusion d’adrénaline, jusqu’à élimination totale des AL sous- arachnoïdiens.


Les brèches dure-mériennes, ainsi que les migrations de cathéter en position intravasculaire, peuvent être méconnues. C’est pour cette raison que toute personne habilitée à réinjecter dans un cathéter (médecins anes- thésistes-réanimateurs, infirmières anesthésistes, sages- femmes par délégation) doit procéder à une injection lente, fractionnée, après test d’aspiration, et sous surveillance rapprochée de l’état de conscience, de la pression artérielle et de la ventilation de la patiente, afin de détecter très tôt soit une rachianesthésie totale, soit un passage intravasculaire systémique des anesthésiques locaux.



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Sep 24, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 16: Prise en charge de la douleur au cours du travail et de l’accouchement

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