Chapitre 16. Pathologie hypoxique-ischémique non dépendante de l’âge gestationnel
description clinique
Remarques préliminaires
Certaines pathologies cérébrales surviennent de façon indépendante de l’AG, c’est en particulier le cas de la pathologie thromboembolique. Le ramollissement d’un territoire artériel dans sa forme typique se traduit par un tableau clinique très spécifique, donc facile à diagnostiquer : l’hémiplégie congénitale, avec ou sans circonstance de risque connue au cours de la gestation. Son incidence varie largement selon les enquêtes épidémiologiques [1], un chiffre de 1 pour 3 000 à 5 000 naissances est généralement accepté. C’est un chapitre qui bouge [2].
Ramollissement d’un territoire artériel
encéphalopathiehypoxique-ischémiqueramollissement d’un territoire artérielLes principales caractéristiques de cette pathologie sont résumées au tableau 16.1.
Lésions : ramollissement d’un territoire artériel (artère cérébrale moyenne gauche le plus souvent) – mécanismes : embolie, thrombose ou ischémie – survenue : anténatale (plus rarement intrapartum ou postnatale) |
Histoire gestationnelle et obstétricale – silencieuse cliniquement jusqu’à la naissance – ou découverte échographique de l’image déjà au stade kystique |
Salle de naissance et premiers jours – pas de dépression des fonctions vitales – éventuelles convulsions focales dans les premières 48 heures – asymétrie droite-gauche du tonus passif |
Premières semaines – arrêt des convulsions, persistance de l’asymétrie du tonus |
ETF précoce – contribue peu (siège trop externe de la lésion) |
Scanner ou IRM précoce – confirme la lésion unilatérale, selon un territoire artériel, soit au stade déjà cicatriciel, soit au stade aigu |
Séquelles : hémiplégie spastique – marche subnormale (acquise autour de 18 mois) malgré la spasticité – membre supérieur spastique et déficitaire – langage respecté, QI subnormal – épilepsie résiduelle dans 50 % des cas, révélée tardivement (quelques années) |
Mécanismes et nature des lésions
Les grandes lignes des mécanismes physiopathologiques ont été indiquées plus haut. Les lésions résultent soit d’une embolie, soit d’une thrombose, entraînant une atteinte limitée au territoire artériel cérébral correspondant. La cause la plus fréquente est probablement la migration d’un caillot qui se dirige vers la carotide interne; c’est l’artère cérébrale moyenne (ou sylvienne) qui est le plus souvent intéressée (2 fois plus que les autres territoires réunis des cérébrales antérieure et postérieure), et en particulier l’artère sylvienne gauche (3 à 4 fois plus que la droite).
Le territoire, privé brutalement de circulation de sang artériel, sera à la phase aiguë le siège d’un œdème, d’une ischémie, parfois suivie d’une hémorragie épiphénomène. La nécrose va intéresser à la fois le cortex et la substance blanche correspondant au territoire ischémié; en 2 à 3 semaines, la nécrose parenchymateuse va évoluer vers la constitution d’une perte de substance d’allure kystique ou multikystique. L’étendue du délabrement dépend du siège du caillot. Ce n’est pas toujours le tronc principal qui est obstrué, mais l’une des branches terminales, corticales ou lenticulostriées. En cas d’atteinte totale ou partielle du territoire sylvien, les séquelles sont essentiellement motrices, sous la forme d’une hémiplégie.
Si la lésion intéresse le territoire de la cérébrale antérieure, les signes cliniques sont plus discrets à la période néonatale, puisque les lobes frontaux sont encore très immatures; si la lésion intéresse le territoire de la cérébrale postérieure, les signes oculaires et séquelles visuelles sont à rechercher systématiquement.
À quelle période de la grossesse cet accident survient-il? C’est un accident silencieux; cependant, la pratique des échographies fœtales systématiques aux deuxième et troisième trimestres de la grossesse ont apporté quelques précisions : un certain nombre sont visibles à l’échographie du troisième trimestre, sous la forme d’une image kystique séquellaire (image qui peut être confirmée par une IRM fœtale). Beaucoup surviennent dans les dernières semaines de la grossesse, après la dernière échographie, et sont donc une surprise à la naissance. Parfois enfin, l’accident peut survenir pendant le travail : les premières images postnatales sont alors celles du stade aigu, avec une composante hémorragique facilement visible mais pas encore d’image kystique.
Si le mécanisme embolique est considéré comme le plus fréquent, le point de départ du caillot est très rarement identifié (placenta, cordon, cavités cardiaques). Une thrombose in situ est possible, c’est le mécanisme en cas de septicémie ou de CIVD; les lésions sont alors disséminées, différentes dans leur topographie de la forme embolique classique. Une polycythémie, une baisse de débit dans un territoire artériel sont des mécanismes possibles.
Avec les progrès de l’imagerie cérébrale, il apparaît dans un nombre non négligeable de cas que la topographie des lésions ne corresponde pas à un territoire artériel. Il est probable que des thromboses veineuses rendent compte de ces cas [3].
Circonstances de risque
La naissance peut survenir à terme ou prématurément. Souvent, il s’agit d’un nouveau-né à terme considéré comme à bas risque. Dans quelques cas, la lésion au stade kystique aura été repérée par l’échographie fœtale, vérifiée par l’IRM, discutée avec les pédiatres : le fait que ce soit une pathologie unilatérale (donc plus favorable pour l’avenir) et de découverte tardive explique qu’une interruption de grossesse soit rarement proposée. L’accouchement se déroule le plus souvent normalement, parfois avec des modifications du RCF; ces altérations liées à la mauvaise tolérance du fœtus aux contractions ne faciliteront pas l’interprétation postnatale des signes neurologiques, elles peuvent faire croire à tort à une pathologie survenue pendant le travail.
Cependant, les circonstances de risque sont maintenant mieux connues, telles que : chorioamniotite (en particulier streptocoque B); grossesse multiple, avec ou sans hypotrophie fœtale; diabète maternel; lupus maternel; cocaïne, HI prénatale, intrapartum ou postnatale. La présence de telles circonstances entraînera un degré de vigilance plus élevé vis-à-vis d’une pathologie cérébrale de ce type. La recherche d’une thrombophilie héréditaire ou acquise sera faite à titre systématique devant une pathologie cérébrale unilatérale (voir les recommandations données en fin de chapitre).
Actuellement, la place des coagulopathies dans les causes de ces pathologies thromboemboliques est encore très incertaine [4] : bien que des troubles de la coagulation soient présents dans la moitié des cas, il est rare que ceux-ci soient à eux seuls responsables. Une publication sur 73 cas [5] attire l’attention sur la place des prématurés qui représentent plus de 40 % des cas. Ceci n’est pas surprenant, c’est une pathologie indépendante de l’AG; il faut simplement être plus méfiant vis-à-vis des anomalies du développement en raison du risque ajouté lié à la prématurité.
Situation postnatale immédiate et premiers jours de la vie
Le ramollissement du territoire de l’artère sylvienne de constitution anténatale est pris pour type de description en raison de sa fréquence relative. Parfois, le score d’Apgar est dans la zone modérément déprimée avec reprise rapide des fonctions vitales; plus souvent, il est normal. Selon le degré de vigilance pédiatrique, et selon les cas, il n’est pas rare que l’enfant soit considéré comme normal et placé auprès de sa mère. Cependant, l’évaluation neurologique est rarement optimale et le nouveau-né est repéré sur une hyperexcitabilité, une asymétrie du tonus, des signes de stress.
Des convulsions peuvent survenir de façon inattendue au cours des premières 48 heures; typiquement focales ou multifocales, avec comme particularité une atteinte modérée de la conscience (rarement coma), et l’efficacité habituelle du seul phénobarbital pour les arrêter. L’EEG montre des anomalies focales au niveau de la lésion : voltage bas, ondes lentes, pointes, et des épisodes critiques lors des convulsions.
L’asymétrie du tonus passif et de la posture est plus ou moins évidente : si l’accident survenu in utero est récent, c’est le côté hypotonique qui est pathologique (donc l’hémisphère opposé); si l’accident est ancien, c’est le côté hypertonique qui est pathologique, avec les premiers signes de spasticité (réflexes ostéotendineux [ROT] vifs, clonies).
Place de l’imagerie
L’ÉTF n’est pas la meilleure méthode pour voir la lésion au stade aigu en raison de sa situation à la périphérie de l’hémisphère, mal balayée par les ultrasons; même au stade kystique, le siège de la lésion rend donc nécessaire scanner ou IRM. Les recommandations concernant l’imagerie ont fait l’objet d’une revue générale récente [6]. Si les images sont non caractéristiques dans les premiers jours (en cas de lésion très récente), il faudra répéter l’imagerie 2 à 3 semaines plus tard : la lésion kystique avec bords irréguliers ou multikystique (avec images en gâteau de miel) est alors devenue très typique. Elle permet de préciser la topographie (figure 16.1). En cas de lésion ancienne, tout l’hémisphère est diminué de volume du côté atteint et le ventricule latéral correspondant est modérément dilaté.